Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 335

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : T. S.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 11 janvier 2023 (GE-22-3094)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 23 mars 2023
Numéro de dossier : AD-23-109

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Décision

[1] Je refuse d’accorder à la prestataire la permission de faire appel parce qu’elle n’a pas de cause défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, T. S., travaillait comme agente de contrôle des infections dans un hôpital régional. Le 10 mai 2022, l’employeur de la prestataire l’a congédiée après avoir refusé de fournir la preuve qu’elle avait reçu un vaccin contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a aussi conclu que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement la perte de son emploi.

[4] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a ignoré le fait que rien dans la loi n’exigeait que son employeur établisse et applique une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Elle n’a pas tenu compte du fait que son contrat de travail ne disait rien au sujet d’une exigence de vaccination.
  • Elle n’a pas tenu compte du fait qu’en vertu de la common law canadienne, les personnes ont le droit de contrôler ce qui arrive à leur corps.
  • Elle a ignoré le fait que la prestataire ne travaillait pas directement avec les patientes et les patients et qu’elle était capable de faire son travail administratif à domicile et était prête à le faire.
  • Elle n’a pas tenu compte de la volonté de la prestataire de travailler avec son employeur pour trouver une solution mutuellement acceptable.
  • Elle a ignoré une décision récente de la division générale qui a accordé des prestations d’assurance-emploi à un prestataire, même s’il a refusé de se soumettre à la politique de vaccination obligatoire de son employeur.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. Une partie prestataire doit démontrer que la division générale :

  • a agi de façon injuste;
  • a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas page 1.

[6] Avant que la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas page 2. Avoir une chance raisonnable de succès est la même chose qu’avoir une cause défendableNote de bas page 3. Si la prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette étape-ci, je dois répondre à la question suivante : est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que la prestataire n’a pas de cause défendable.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] La prestataire insiste sur le fait qu’elle n’a rien fait de mal en refusant de se soumettre à des tests ou de se faire vacciner. Elle laisse entendre qu’en la forçant à le faire sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits. Elle fait valoir qu’elle n’aurait pas dû être exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle essayait seulement de protéger sa santé.

[10] Étant donné le droit relatif à l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

[11] Lorsque la division générale a examiné la preuve disponible, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur de la prestataire a adopté et communiqué une politique claire exigeant que le personnel fournisse une preuve de vaccination complète.
  • La prestataire savait que le non-respect de la politique à compter d’une certaine date entraînerait la perte de son emploi.
  • La prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner ou de se soumettre à des tests dans les délais raisonnables exigés par son employeur.
  • La prestataire n’a pas réussi à convaincre son employeur qu’elle relevait de l’une des exceptions permises par la politique.

[12] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier, ainsi que le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses actions étaient délibérées et qu’elles ont vraisemblablement mené à son congédiement. La prestataire a peut-être cru que son refus de suivre la politique ne causait aucun préjudice à son employeur, mais, du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à elle d’en décider.

On ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la loi

On entend par inconduite toute action intentionnelle et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[13] La prestataire affirme que rien dans la loi n’exigeait que son employeur mette en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Elle soutient que se faire tester ou se faire vacciner n’a jamais été une condition d’emploi.

[14] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[15] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage quotidien du mot. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

[P]our qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelle. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibérée. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal).

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas page 4.

[16] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle détermine l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[17] La prestataire soutient que son contrat de travail ne l’obligeait pas à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que la question n’est pas là. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si la personne employée l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

Je peux seulement trancher les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options à la prestataire. Je n’ai pas à décider si son employeur l’a injustement congédiée ou aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnables. Je peux seulement évaluer une chose : si ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas page 5.

[18] Ce passage fait écho à l’affaire Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait déclaré ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas page 6 […]

[19] Dans l’affaire Lemire, la Cour a ensuite jugé qu’un employeur était fondé à considérer comme une inconduite le fait qu’un de ses employés chargés de la livraison de repas ait mis sur pied une activité secondaire consistant à vendre des cigarettes à la clientèle. La Cour a estimé qu’il en était ainsi même si l’employeur n’avait pas de politique explicite contre ce type de comportement.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la loi par la division générale

[20] Une décision récente a réaffirmé cette approche de l’inconduite dans le contexte particulier des mandats de vaccination contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas page 7. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé à traiter ces questions selon la loi :

[traduction]

Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur le vaccin contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Une telle conclusion ne relevait ni du mandat ni de la compétence de la division d’appel ou de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas page 8.

[21] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, Mr Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres moyens, dans le système juridique, par lesquelles le prestataire aurait pu faire valoir son congédiement injustifié ou ses revendications en matière de droits de la personne.

[22] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si la prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et si elle était susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » à ces deux questions.

La division générale n’a pas ignoré un précédent contraignant

[23] La prestataire s’appuie sur une décision récente de la division générale, l’affaire AL, dans laquelle il a été établi que les prestataires d’assurance-emploi étaient admissibles aux prestations même s’ils avaient désobéi à la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de leur employeurNote de bas page 9. La prestataire semble suggérer que la membre de la division générale qui a entendu sa cause aurait dû suivre une analyse semblable à celle de l’affaire AL.

[24] Je ne suis pas d’accord.

[25] Premièrement, la prestataire ne semble pas avoir mentionné l’affaire AL devant la division généraleNote de bas page 10. On ne peut donc pas reprocher à la membre qui a instruit l’appel de la prestataire de ne pas avoir tenu compte d’un précédent qui ne lui a pas été présenté.

[26] Deuxièmement, l’affaire AL,tout comme l’affaire de la prestataire, a été tranchée par la division générale. Même si la membre qui a instruit le dossier de la prestataire avait examiné la décision AL, elle n’aurait pas été obligée de la suivre. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais ils ne sont pas liés par les décisions de leurs pairs.

[27] Finalement, l’affaire AL n’accorde pas aux prestataires d’assurance-emploi une exemption générale des politiques de vaccination obligatoire de leur employeur, comme la prestataire semble le croire. L’affaire AL semble concerner une prestataire dont la convention collective empêchait explicitement son employeur de la forcer à se faire vacciner. Selon mon examen du présent dossier, la prestataire n’a jamais mentionné de disposition comparable dans son propre contrat de travail. Dans l’affaire Cecchetto, la récente décision de la Cour fédérale concernant les exigences d’un employeur en matière de vaccination, la Cour a également examiné l’affaire AL et a conclu qu’elle n’était pas applicable à grande échelleNote de bas page 11.

Conclusion

[28] Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que le présent appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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