Assurance-emploi (AE)

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Citation : DB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 608

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : D. B.
Représentante ou représentant : Me Alexis Pinneault
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Me Suzette Bernard

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 7 octobre 2020 (GE-20-1918)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 14 décembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 19 mai 2023
Numéro de dossier : AD-22-486

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Décision

[1] L’appel est rejeté. La division générale n’a pas commis d’erreur. Par conséquent, il est impossible d’établir une période de prestations au profit de la prestataire, D. B., en décembre 2019.

Aperçu

[2] La prestataire occupe le même emploi saisonnier depuis plusieurs années. Dans le cadre de son emploi, la prestataire utilise un téléphone cellulaire fourni par son employeur. Elle conserve cet avantage après la fin de son emploi chaque année.

[3] En décembre 2019, la prestataire a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi à la Commission de l’assurance-emploi du Canada. Celle-ci lui a versé des prestations.

[4] Par la suite, la Commission a examiné sa demande de nouveau. Elle a conclu que la prestataire n’était pas admissible aux prestations puisqu’elle n’avait pas été sans travail et sans rémunération pendant au moins sept jours consécutifs. Plus spécifiquement, la prestataire avait bénéficié d’un avantage payé par son employeur, soit le téléphone cellulaire. Elle n’avait donc pas rempli les conditions requises pour l’établissement d’une période de prestations.

[5] La prestataire a porté la décision de la Commission en appel auprès de la division générale du présent Tribunal, mais celle-ci a rejeté son appel.

[6] La prestataire fait maintenant appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel. Elle reproche à la division générale de ne pas avoir appliqué la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (autrement dit, une fois tranchée, la question ne peut pas être jugée à nouveau).

[7] Elle soutient que la Commission a tranché la question du téléphone cellulaire en sa faveur en 2016, et ce, de façon définitive. Par conséquent, la division générale n’aurait pas dû admettre une conclusion opposée.

[8] J’estime que la division générale n’a pas commis d’erreur en omettant d’appliquer la règle de la préclusion. Je rejette donc l’appel.

Question préliminaire : nouveaux éléments de preuve

[9] Lors de l’audience, les parties ont accepté que je prenne en considération certains nouveaux éléments de preuve qui ne présentaient que des informations générales, soitNote de bas de page 1 :

[10] Les informations du site Web de la Commission soutiennent les arguments de la prestataire concernant l’équité et la rigueur de la procédure de réexamen de la Commission. La facture de téléphone appuie l’argument de la Commission selon lequel le téléphone cellulaire a été utilisé à des fins personnelles.

[11] Pour cette même raison, j’ai également examiné certaines lettres expédiées par la Commission à la prestataire en 2016Note de bas de page 4. Elles situent la décision précédente dans son contexte.

[12] En revanche, je n’ai pas examiné le relevé de compte de la prestataire, qui indique la dette de la prestataire envers le programme d’assurance-emploiNote de bas de page 5. Ce relevé inclut des montants qui vont au-delà de la question précise dans la présente affaire.

Question en litige

[13] Ma décision est axée sur la question suivante : la division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’appliquer la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

Analyse

La division générale n’a pas commis une erreur de droit

[14] La règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas dans cette affaire-ci. La division générale n’a donc pas commis d’erreur en omettant de l’appliquer.

La décision de 2016 et la qualification du téléphone cellulaire

[15] En janvier 2016, la Commission a demandé à la prestataire de se présenter à une entrevue afin d’obtenir les renseignements nécessaires pour déterminer son admissibilité aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 6. À la suite de l’entrevue, la Commission a rendu la décision suivante :

  • le téléphone cellulaire de la prestataire constitue un avantage personnel pouvant être assimilé à de la rémunération;
  • la prestataire n’avait donc pas subi d’arrêt de rémunération et n’avait pas droit aux prestations d’assurance-emploi qu’elle a reçues pendant sa période de prestationsNote de bas de page 7.

[16] La prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision initiale. Le 21 avril 2016, à la suite de cette révision, la Commission a tranché la question en faveur de la prestataire et a annulé sa décision initialeNote de bas de page 8.

[17] La prestataire soutient donc que la question du téléphone cellulaire et de son incidence sur son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi a été définitivement tranchée par la Commission en 2016. Par conséquent, la règle de la préclusion empêchait la Commission – et la division générale – de revenir sur cette question.

La règle de la préclusion favorise le caractère définitif de certaines décisions

[18] La Cour suprême du Canada a exposé les raisons justifiant la règle de la préclusion de la façon suivante :

Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évitésNote de bas de page 9.

[19] La règle de la préclusion est une doctrine d’intérêt public. Elle peut s’appliquer à une cause d’action et aux divers éléments constitutifs ou faits substantiels liés à cette cause d’actionNote de bas de page 10.

[20] Une personne invoquant la règle de la préclusion découlant d’une décision déjà tranchée doit établir que les conditions suivantes sont remplies :

  • la même question a déjà été décidée;
  • la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion est finale;
  • les parties dans la décision judiciaire invoquée sont les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevéeNote de bas de page 11.

La règle de la préclusion ne peut pas empêcher la Commission d’exercer les fonctions que la loi lui confère

[21] Jusqu’à présent, les tribunaux n’ont pas reconnu que la règle de la préclusion s’applique aux décisions rendues par la Commission à la suite d’une demande de révisionNote de bas de page 12.

[22] Cependant, la prestataire fait valoir que la jurisprudence reconnaît le caractère judiciaire de décisions rendues dans des contextes similaires à celle-ci. Par exemple, le principe de la chose jugée peut s’appliquer aux décisions que le ministre rend en vertu du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 13.

[23] À mon avis, une seule demande de pension d’invalidité ne peut pas être assimilée aux nombreuses demandes nécessaires pour bénéficier des prestations d’assurance-emploi.

[24] Toutefois, un autre principe important se dégage de ces décisions. Plus particulièrement, la jurisprudence précise que la règle de la préclusion ne peut pas prévaloir sur la capacité des personnes qui prennent les décisions à exercer les fonctions que la loi leur confère. Le juge Rothstein a énoncé cette proposition de la façon suivante :

Nous convenons avec le ministre que le principe de la chose jugée s’applique aux décisions que le ministre, le tribunal de révision et la Commission d’appel des pensions rendent en vertu du Régime de pensions du Canada, sous réserve des dispositions législatives en sens contraire, dont le paragraphe 84(2) de la Loi, qui prévoit le réexamen fondé sur des faits nouveaux [souligné par le soussigné]Note de bas de page 14.

[25] Il s’ensuit que je dois examiner l’étendue des fonctions que la loi confère à la Commission.

La loi confère à la Commission la responsabilité de décider si une personne est admissible aux prestations et de réexaminer une décision

[26] Une personne qui désire recevoir des prestations d’assurance-emploi doit d’abord présenter une demandeNote de bas de page 15. De plus, elle doit prouver qu’elle remplit les conditions requises pour recevoir des prestations.

[27] Dans le cadre de chaque demande, il appartient à la Commission de décider si cette personne est admissible aux prestations et de lui verser les prestationsNote de bas de page 16.

[28] La Commission doit vérifier si la personne a subi un arrêt de la rémunération provenant de son emploi, l’une des conditions requises pour être admissible aux prestationsNote de bas de page 17.

[29] Même après que la Commission a rendu une décision sur l’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi, la loi lui accorde le pouvoir de réexaminer la demande de façon rétroactiveNote de bas de page 18. De plus, la Commission peut annuler ou modifier une décision dans les situations suivantes :

  • elle prend connaissance de faits nouveaux;
  • elle a pris sa décision sans la connaissance d’un fait essentiel;
  • elle a pris sa décision sur la base d’une erreur importante concernant un fait essentielNote de bas de page 19.

[30] La Commission exerce ces larges pouvoirs dans le cadre de son mandat de gérer financièrement le programme d’assurance-emploi et d’en maintenir l’intégrité afin que seules les personnes qui sont admissibles aux prestations les reçoiventNote de bas de page 20.

Dans cette situation-ci, la Commission a exercé les fonctions que la loi lui confère

[31] La prestataire ne cherche pas à savoir si le maintien d’un téléphone cellulaire après la fin d’un emploi constitue une rémunération au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle soutient plutôt que, dans son cas, la décision de 2016 et la règle de la préclusion empêchaient la Commission et la division générale de conclure que le maintien du téléphone cellulaire constituait un obstacle à l’établissement d’une période de prestations.

[32] Je rejette l’argument de la prestataire.

[33] La loi confère à la Commission un rôle important : celui de vérifier si les personnes ont droit aux prestations qu’elles ont demandées. De plus, la loi donne à la Commission le pouvoir de réexaminer une demande de façon rétroactive et de modifier une décision antérieure. Ces fonctions s’exercent dans le cadre de chaque demande de prestations.

[34] Dans cette situation-ci, j’estime que la Commission a exercé les fonctions de réexamen que la loi lui confère. La règle de la préclusion ne peut pas empêcher la Commission de procéder aux vérifications que la loi autorise et qui sont nécessaires pour maintenir l’intégrité du programme. Il appartient à la Commission de s’assurer que, pour chaque demande de prestations, la personne est admissible aux prestations demandées.

[35] Vu sous un angle différent, le pouvoir de la Commission de réexaminer une demande et de modifier une décision signifie que ses décisions ne peuvent pas être considérées comme finales, surtout en ce qui concerne une demande et une période de prestations différente.

[36] Par conséquent, les décisions rendues par la Commission à la suite d’une demande de révision ne remplissent pas les conditions nécessaires à l’application de la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

Conclusion

[37] La division générale n’a pas commis d’erreur en omettant d’appliquer la règle de la préclusion découlant d’une décision déjà tranchée. La règle ne s’applique pas dans la présente situation.

[38] Je rejette donc l’appel de la prestataire.

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