Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 423

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : R. D.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 3 février 2023 (GE-22-2954)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 11 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-214

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Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission de faire appel parce qu’elle ne présente aucun argument défendable. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, R. D., était travailleuse sociale dans un centre d’aide communautaire. Le 11 février 2022, son employeur l’a mise en congé sans solde parce qu’elle a refusé de dire si elle s’était fait vacciner contre la COVID-19 ou de se soumettre chaque semaine à des tests de dépistage rapides contrôlés par une tierce partie. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé de ne pas lui verser de prestations d’assurance-emploi parce que le non-respect de la politique vaccinale de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire avait enfreint délibérément la politique vaccinale de son employeur. Elle était d’avis que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique allait probablement entraîner la perte de son emploi.

[4] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a ignoré le fait que son contrat de travail ne comportait aucune exigence de vaccination.
  • Elle a ignoré le fait que son employeur a tenté d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans son consentement.
  • Elle a ignoré le fait que la common law canadienne garantit à toute personne le droit de contrôler ce qui arrive à son corps.
  • Elle s’est fondée sur les principes de trois affaires dont les faits étaient très différents des siens.
  • Elle a ignoré le fait que l’employeur n’a pas tenu compte de sa demande d’exemption de nature religieuse.
  • Elle a ignoré une décision récente de la division générale qui a permis à la partie prestataire d’obtenir des prestations d’assurance-emploi, même si celle-ci avait refusé de respecter la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La prestataire doit démontrer au moins une des choses suivantes :

  • la division générale a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que l’appel de la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Avoir une chance raisonnable de succès, c’est avoir une cause défendableNote de bas de page 3. Si la prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur quand elle a conclu que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit applicable et la preuve qui l’ont menée à sa décision. J’ai conclu que la prestataire ne présente aucun argument défendable.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal compris la preuve

[9] La prestataire dit que la division générale a ignoré des aspects importants de sa preuve. Elle soutient qu’elle n’est pas coupable d’inconduite parce que son contrat de travail ne l’obligeait pas à se faire vacciner. Elle fait valoir que son employeur n’a pas pris au sérieux sa demande d’exemption de nature religieuse. Elle insiste aussi sur le fait qu’elle était prête à se soumettre aux tests de dépistage réguliers, mais que son employeur a tenu de façon déraisonnable à ce que ces tests soient contrôlés par une tierce partie indépendante.

[10] D’après ce que je peux voir, la division générale n’a pas ignoré ces aspects de la preuve. Elle ne leur a tout simplement pas accordé autant d’importance que la prestataire leur donnait.

La division générale a examiné tous les facteurs pertinents

[11] Après avoir examiné la preuve à sa disposition, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur a adopté et annoncé une politique claire exigeant que le personnel soit entièrement vacciné ou, sinon, qu’il se soumette à des tests de dépistage réguliers.
  • La prestataire savait que le non-respect de la politique à une certaine date entraînerait la perte de son emploi.
  • La prestataire a refusé intentionnellement de dire si elle s’était fait vacciner dans les délais exigés par son employeur.
  • La prestataire a refusé de se soumettre à des tests de dépistage réguliers et contrôlés par la Croix-Rouge, comme l’exigeait son employeur.
  • La prestataire n’a pas réussi à convaincre son employeur que sa situation correspondait à l’une des exceptions permises par la politique.

[12] Ces conclusions semblent bien refléter ce que l’on trouve dans les documents au dossier et ce que la prestataire a déclaré dans son témoignage. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses actions étaient délibérées et qu’elles ont vraisemblablement mené à sa suspension. La prestataire a peut-être cru que son refus de suivre la politique de son employeur était raisonnable, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à elle d’en décider.

La division générale a tenu compte de la demande d’exemption de nature religieuse

[13] La prestataire soutient que sa religion s’oppose fermement à la vaccination. Elle accuse la division générale d’avoir ignoré cette objection ainsi que la preuve selon laquelle elle remplissait les conditions requises pour être exemptée de la politique vaccinale de son employeur.

[14] Je ne vois pas le bien-fondé de cet argument. La division générale n’a pas ignoré la tentative de la prestataire d’obtenir une exemption de nature religieuse. Toutefois, la division générale a décidé qu’elle n’avait pas le pouvoir de décider si la prestataire avait droit à une telle exemption :

Au Canada, des lois protègent les droits des personnes, comme le droit à la vie privée ou le droit à l’égalité (non-discrimination). La Charte canadienne des droits et libertés est l’une de ces lois, mais il y a aussi la Loi canadienne sur les droits de la personne et des lois provinciales qui garantissent les droits et libertés.

Malgré l’argument de la prestataire, je ne suis pas autorisée à évaluer si une mesure prise par un employeur viole les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Je ne suis pas non plus autorisée à rendre des décisions sur les autres lois mentionnées ci-dessus ni sur les lois provinciales qui garantissent les droits et libertés. La prestataire doit s’adresser à un autre tribunal ou à une cour pour régler toute question sur le sujetNote de bas de page 4.

[15] Même si la prestataire peut trouver cette réflexion injuste, même illogique, la division générale ne pouvait pas évaluer la conduite de l’employeur. La division générale devait plutôt se concentrer sur la prestataire et décider si son comportement constituait une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi et la jurisprudence applicable.

On ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la loi

On entend par inconduite toute action intentionnelle qui risque d’entraîner une perte d’emploi

[16] La prestataire maintient depuis le début que rien dans la loi n’exigeait que son employeur mette en place une politique de vaccination obligatoire. Elle soutient que la vaccination n’a jamais été une condition d’emploi pour son poste.

[17] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[18] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis en assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage courant du mot. Dans sa décision, la division générale a défini l’inconduite de la façon suivante :

Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (autrement dit qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite selon la loi.

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit suspendue ou qu’elle perde son emploi pour cette raison.

La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeur. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait et me demander si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 5.

[19] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit entourant l’inconduite. La division générale a ensuite mentionné à juste titre que, lorsqu’elle établit l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Un contrat de travail n’a pas à définir explicitement ce qu’est une inconduite

[20] La prestataire soutient que son contrat de travail ne l’obligeait pas à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que là n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique en place et si la personne employée l’a ignorée délibérément, même en sachant qu’il y aurait des conséquences. Dans sa décision, la division générale l’a expliqué comme suit :

La Cour d’appel fédérale a aussi dit qu’en interprétant et en appliquant la Loi sur l’assurance-emploi, il faut se concentrer sur le comportement de la personne employée, et non sur celui de l’employeur. Elle a fait remarquer qu’il y a d’autres solutions pour les personnes congédiées injustement. Ces solutions pénalisent précisément le comportement de l’employeur et évitent que ses actions coûtent de l’argent aux contribuables en versements de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 6.

[21] La prestataire soutient qu’elle ne peut pas être coupable d’inconduite à moins d’avoir manqué à une obligation résultant expressément ou implicitement de son contrat de travail. Mais une affaire intitulée Lemire a fait ressortir ce qui suit :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 7.

[22] Dans l’affaire Lemire, la cour a décidé qu’un employeur avait raison de conclure à l’inconduite lorsqu’un de ses livreurs de nourriture avait mis sur pied une entreprise parallèle pour vendre des cigarettes à ses clients. La cour a conclu que l’employé savait ou aurait dû savoir que son entreprise parallèle mènerait à son congédiement, même si son employeur n’avait pas de politique explicite qui interdisait une telle conduite.

La division générale a cité des affaires pertinentes

[23] La prestataire avance que la division générale s’est appuyée sur trois affaires (McNamara, Mishibinijima et Paradis) qui n’avaient aucun lien avec sa situationNote de bas de page 8. Elle fait remarquer que ces trois affaires impliquent des prestataires d’assurance-emploi qui ont sciemment enfreint les modalités de leurs contrats de travail respectifs. Elle fait valoir que sa situation est différente parce que son contrat de travail ne contenait aucune exigence de vaccination. Par conséquent, il n’y a eu aucune transgression dans son cas.

[24] Je ne vois pas le bien-fondé de cet argument. Il est vrai que les faits sont différents dans les affaires McNamara, Mishibinijima et Paradis, mais elles ne sont pas moins pertinentes pour cette raison. Il est clair que la division générale a cité ces affaires parce qu’elles disent essentiellement la même chose : le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une personne employée et un employeur. Il n’est donc pas important de savoir si le différend est lié à une modalité explicite ou implicite d’un contrat de travail.

[25] Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste pour la prestataire, mais les tribunaux l’ont adoptée à maintes reprises, et la division générale était tenue de la suivre.

Une nouvelle affaire confirme comment la division générale a interprété la loi

[26] Une décision très récente de la Cour fédérale confirme l’approche de la division générale à l’égard de l’inconduite quand il y a une obligation de vaccination contre la COVID-19. Comme dans le dossier actuel, le prestataire de l’affaire Cecchetto a refusé de respecter la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 9. La Cour fédérale a confirmé ce qu’avait conclu la division d’appel, c’est-à-dire que le Tribunal n’est pas autorisé par la loi à trancher ces questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce que celle-ci n’a pas évalué ni établi le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique provinciale de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19]. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ou de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 10.

[27] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique vaccinale de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour fédérale a déclaré que le prestataire avait d’autres options dans le système de justice pour faire progresser ses revendications en matière de congédiement injustifié ou de droits de la personne.

[28] Dans le dossier actuel, comme dans l’affaire Cecchetto, l’important est de se demander si la prestataire a enfreint la politique vaccinale de son employeur. Si c’est le cas, il faut aussi se demander si cette faute était délibérée et si elle était susceptible d’entraîner vraisemblablement une suspension ou un congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas ignoré un précédent pertinent ou contraignant

[29] Devant la division générale, la prestataire a cité une affaire intitulée AL, où une prestataire a été jugée admissible à des prestations d’assurance-emploi même si elle n’avait pas respecté la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19Note de bas de page 11. La prestataire du dossier actuel soutient que la division générale a rejeté cette affaire, même si elle s’appliquait à sa propre situation.

[30] Notons que la division générale n’est pas tenue de suivre les autres décisions du Tribunal. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais ils ne sont pas obligés de respecter les décisions de leurs collègues.

[31] Contrairement à ce que la prestataire semble croire, la décision AL ne dispense pas entièrement les prestataires d’assurance-emploi des politiques de vaccination obligatoire adoptées par leurs employeurs. Dans l’affaire AL, il semble que la convention collective empêchait explicitement l’employeur de forcer quiconque à se faire vacciner. Selon mon examen du dossier actuel, la prestataire n’a jamais mentionné de disposition comparable dans son propre contrat de travail.

[32] De plus, l’affaire AL a été tranchée avant l’affaire Cecchetto, où l’on donne des directives claires sur les politiques de vaccination obligatoire des employeurs dans le contexte de l’assurance-emploi. Dans l’affaire Cecchetto, la Cour fédérale a mentionné l’affaire AL, puis a conclu qu’elle n’avait pas une grande portée parce qu’elle était fondée sur des faits très précisNote de bas de page 12.

Conclusion

[33] Pour les motifs que j’ai mentionnés, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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