Assurance-emploi (AE)

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Citation : ML c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1756

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : M. L.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (474071) datée du 8 mai 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Normand Morin
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 17 octobre 2022
Personne présente à l’audience : L’appelante
Date de la décision : Le 4 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1792

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Je conclus que la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, en décidant de vérifier et de réexaminer la demande de prestations d’assurance-emploi de l’appelanteNote de bas de page 1. La Commission ne pouvait donc pas déterminer, rétroactivement, que l’appelante n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[2] Le 6 juillet 2021, après avoir travaillé pour l’employeur X, du 8 juillet 2019 au 5 juillet 2021, l’appelante présente une demande initiale de prestations d’assurance-emploi (prestations régulières)Note de bas de page 2. Une période de prestations a été établie à compter du 4 juillet 2021Note de bas de page 3.

[3] En août 2021, l’appelante entreprend une formation à temps plein au CégepNote de bas de page 4 de X menant à l’obtention d’un diplôme d’études collégiales (DEC) en soins infirmiers. Elle a effectué sa session d’automne 2021, du 20 août 2021 au 21 décembre 2021, et sa session d’hiver 2022, du 24 janvier 2022 au 25 mai 2022Note de bas de page 5. Elle a poursuivi sa formation à temps plein à l’automne 2022 au même établissement.

[4] Du 9 février 2022 au 26 mars 2022 inclusivement, durant sa formation, l’appelante travaille comme serveuse pour l’employeur X, et cesse de travailler pour cet employeur après un départ volontaireNote de bas de page 6.

[5] Le 31 mars 2022, la Commission l’informe qu’elle ne peut pas lui verser de prestations d’assurance-emploi à compter du 20 août 2021, car elle suit une formation de sa propre initiative et qu’elle n’a pas démontré qu’elle était disponible à travailler. La Commission l’informe également qu’elle n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi à compter du 20 mars 2022, car elle a volontairement quitté son emploi au restaurant X, le 22 mars 2022, sans motif valable au sens de la Loi. La Commission lui indique que si elle doit de l’argent, elle recevra un avis de detteNote de bas de page 7.

[6] Le 8 mai 2022, la Commission l’avise que les décisions rendues à son endroit en date du 31 mars 2022 relativement à sa disponibilité à travailler et à son départ volontaire sont maintenuesNote de bas de page 8.

[7] L’appelante explique être retournée aux études pour devenir infirmière. Elle précise que sur le site du gouvernement du Canada (canada.ca), il est indiqué qu’il est possible pour un prestataire de suivre une formation pendant qu’il reçoit des prestations. L’appelante affirme avoir suivi toutes les étapes indiquées sur ce site pour entreprendre sa formation. Elle fait valoir qu’elle a déclaré à la Commission qu’elle suivait une formation à temps plein et lui a fourni tous les renseignements et documents à ce sujet et les disponibilités qu’elle avait pour travailler. L’appelante explique que des prestations ont continué de lui être versées après avoir déclaré qu’elle suivait une formation. Elle dit avoir conclu qu’elle avait le droit d’en recevoir. L’appelante précise qu’il n’y avait aucune façon pour elle de savoir que cela n’était pas le cas. L’appelante déclare n’avoir commis aucune erreur dans la déclaration de sa situation à la Commission et croyait que tout était en règle dans son dossier. Elle affirme avoir été à la recherche active d’un emploi pendant qu’elle recevait des prestations. L’appelante indique être en désaccord avec le fait de devoir rembourser les prestations qui lui ont été versées en trop. Elle souligne que la Commission a mis plusieurs mois avant de rendre sa décision. L’appelante précise que si elle avait été informée plus tôt qu’elle n’avait pas le droit de recevoir des prestations, elle aurait communiqué avec la Commission (Service Canada) pour régler cette situation. Elle explique ne pas avoir les moyens de s’endetter pour rembourser la somme d’argent qui lui est réclamée, soit plusieurs milliers de dollars. L’appelante dit ignorer comment elle pourra rembourser une telle somme tout en poursuivant ses études. Le 23 mai 2022, l’appelante conteste la décision en révision de la Commission portant sur sa disponibilité à travailler. Cette décision fait l’objet de son recours devant le Tribunal.

Questions préliminaires

[8] La décision que je rends dans le présent dossier porte sur la question de la disponibilité à travailler de l’appelante et l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission. Cette décision ne concerne pas le départ volontaire de cette dernière de l’emploi qu’elle a occupé du 9 février 2022 au 26 mars 2022Note de bas de page 9.

[9] La Commission indique dans son argumentation qu’elle a présenté un dossier de révision portant uniquement sur la question de la disponibilité à travailler de l’appelante, étant donné que cette dernière fait seulement appel sur cette question et qu’elle n’a pas évoqué celle concernant son départ volontaire chez l’employeur XNote de bas de page 10.

[10] Dans le cas présent, l’appelante indique qu’elle conteste avant tout le fait qu’elle doive rembourser les prestations qui lui ont été versées en trop, alors qu’elle a déclaré qu’elle suivait une formation à temps plein. Elle souligne que si elle avait été informée plus tôt qu’elle n’avait pas le droit de recevoir de prestations, elle aurait cessé d’en demander.

[11] De son côté, la Commission fait valoir que l’article 153.161 de la Loi l’autorise à imposer à un prestataire une inadmissibilité rétroactive au bénéfice des prestations si celui-ci ne peut pas prouver sa disponibilité à travailler pendant qu’il suit une formation « non dirigée »Note de bas de page 11. Elle souligne qu’en vertu de cet article, elle peut faire une telle révision « à tout moment » et revenir de manière rétroactive à la date de début de la session de formation d’un prestataire ou à la date de début de sa période de non-disponibilitéNote de bas de page 12.

[12] Je vais donc effectuer mon analyse et rendre ma décision en tenant compte de cette situation.

Questions en litige

[13] Je dois déterminer si la Commission avait le pouvoir de décider, de façon rétroactive, si l’appelante était admissible au bénéfice des prestations et le cas échéant, déterminer si elle a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, en décidant de vérifier et de réexaminer la demande de prestations de cette dernièreNote de bas de page 13.

[14] Si tel est le cas, je dois également déterminer si à compter du 20 août 2021, depuis qu’elle suit une formation, l’appelante démontre qu’elle est disponible à travaillerNote de bas de page 14.

[15] Je dois également déterminer si les prestations versées en trop à l’appelante, qui lui sont réclamées par la Commission, doivent être rembourséesNote de bas de page 15.

Analyse

Exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission dans sa décision de vérifier et de réexaminer une demande de prestations

Question no 1 : La Commission avait-elle le pouvoir de vérifier et d’examiner rétroactivement la demande de prestations de l’appelante?

[16] Concernant le « nouvel examen » d’une demande de prestations, la Loi prévoit que la Commission dispose d’un délai de 36 mois pour réexaminer toute demande au sujet de prestations payées ou payables à un prestataire, et que ce délai est de 72 mois si elle estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestationsNote de bas de page 16.

[17] Si la Commission décide qu’une personne a reçu une somme d’argent en prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible, elle calcule la somme payée et notifie sa décision au prestataireNote de bas de page 17.

[18] En raison de la pandémie de COVID-19Note de bas de page 18, des modifications ont été apportées à la Loi pour faciliter l’accès aux prestations avec la mise en œuvre de « mesures temporaires ».

[19] L’article 153.161 de la partie VIII.5 de la Loi représente une de ces modifications. Cet article a été en vigueur du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021.

[20] Cet article permet à la Commission de vérifier, à tout moment, après le versement des prestations, que le prestataire y est admissible en exigeant la preuve qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestationsNote de bas de page 19.

[21] Dans l’une de ses décisions, la Division d’appel du Tribunal (la Division d’appel) a déterminé que la Division générale du Tribunal (la Division générale) ne pouvait refuser d’exercer sa compétence afin de déterminer si la Commission avait le pouvoir de juger le prestataire inadmissible aux prestations de façon rétroactiveNote de bas de page 20.

[22] Dans une autre de ses décisions, la Division d’appel a conclu qu’il y avait lieu de retourner un dossier à la Division générale afin que celle-ci tranche la question visant à déterminer si la Commission avait le pouvoir de déclarer qu’une prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations, de façon rétroactiveNote de bas de page 21. Dans cette décision, la Division d’appel a précisé que si la Division générale conclut que la Commission avait ce pouvoir, elle doit aussi déterminer si celle-ci l’a exercé de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer la demande de prestations de la prestataireNote de bas de page 22.

[23] Dans le cas présent, l’appelante a présenté une demande de prestations le 6 juillet 2021 et une période de prestations a été établie à compter du 4 juillet 2021Note de bas de page 23.

[24] La preuve au dossier indique que durant sa formation, l’appelante a reçu des prestations au cours de la période échelonnée de la semaine ayant commencé le 15 août 2021 jusqu’à celle ayant commencé le 16 janvier 2022Note de bas de page 24.

[25] Le 31 mars 2022, la Commission l’a informée de la décision rendue à son endroit sur la question de la disponibilité à travaillerNote de bas de page 25.

[26] La Commission fait valoir les éléments suivants :

  1. a) L’article 153.161 de la LoiNote de bas de page 26 l’autorise à faire une vérification rétroactive de l’admissibilité au bénéfice des prestations d’un prestataire ayant suivi une formation « non dirigée » et à exiger de sa part des preuves de sa disponibilité à travaillerNote de bas de page 27 ;
  2. b) Elle peut revenir de manière rétroactive à la date de début de la session de formation d’un prestataire ou à la date de début de la période de non-disponibilité de ce dernierNote de bas de page 28
  3. c) L’article 153.161 de la Loi l’autorise à imposer à un prestataire une inadmissibilité rétroactive au bénéfice des prestations si celui-ci ne peut pas prouver sa disponibilité à travailler pendant qu’il suit une formation « non dirigée ». En vertu de cet article, elle peut faire une telle révision « à tout moment »Note de bas de page 29 ;
  4. d) L’article 153.161 de la Loi a préséance sur toute autre politique ou disposition générale de la Loi et doit être appliqué. La Commission n’a donc pas à s’appuyer sur l’article 52 de la Loi ou sur sa « Politique de réexamen »Note de bas de page 30 ;
  5. e) Lorsqu’il y a évidence de non-disponibilité, et qu’un prestataire déclare ne pas être disponible pendant qu’il suit une formation non dirigée, la Commission rend une décision sur la disponibilité, en suivant les procédures habituelles de décision sur la formation, même si celle-ci a été précédemment autoriséeNote de bas de page 31.

[27] Pour sa part, dans le questionnaire sur la formation que l’appelante a rempli le 21 août 2021Note de bas de page 32 et dans sa déclaration à la Commission du 8 février 2022, elle indique suivre une formation à temps plein en y consacrant 25 heures ou plus par semaineNote de bas de page 33.

[28] Pour ses sessions d’automne 2021 et d’hiver 2022, elle précise que toutes les obligations de son cours ne se déroulent pas à l’extérieur de ses heures normales de travail ou n’ont pas lieu selon un horaire différent de celui de son travailNote de bas de page 34.

[29] Pour la session d’automne 2021, l’appelante déclare ne pas être disponible et capable de travailler dans le même genre d’emploi et dans les mêmes conditions ou de meilleures conditions (ex. heures de travail, genre de travail) qu’elle l’était avant le début de son cours ou de son programmeNote de bas de page 35. Elle précise dans ce cas les jours et les moments dans la semaine où elle est disponible pour travaillerNote de bas de page 36. Pour sa session d’hiver 2022, l’appelante déclare être disponible et capable de travailler dans le même genre d’emploi et dans les mêmes conditions ou de meilleures conditions (ex. heures de travail, genre de travail) qu’elle l’était avant le début de son cours ou de son programmeNote de bas de page 37.

[30] Pour sa session d’automne 2021, l’appelante indique également avoir fait des efforts pour se trouver un emploi depuis le début de sa formation ou depuis qu’elle est en chômageNote de bas de page 38. L’appelante a transmis au Tribunal des documents indiquant ses démarches pour trouver du travail depuis qu’elle avait entrepris sa formationNote de bas de page 39.

[31] Pour chacune des deux sessions en cause, l’appelante déclare que si elle obtenait un emploi à temps plein, mais que cet emploi entrait en conflit avec son cours ou son programme, elle finirait sa formationNote de bas de page 40 ou ne l’abandonnerait pas ni ne modifierait l’horaire de celle-ciNote de bas de page 41.

[32] L’appelante explique avoir communiqué avec la Commission à de nombreuses reprises au cours des mois de février 2022 et mars 2022 pour avoir des renseignements sur le traitement de son dossier parce qu’elle ne recevait plus de prestations depuis le mois de février 2022. Elle précise que la Commission lui a expliqué que son dossier était en traitement, mais qu’elle ne pouvait pas lui donner davantage de renseignements à ce sujet.

[33] L’appelante déclare que ce n’est qu’à la fin de mars 2022 que la Commission l’a questionnée sur sa formation pour l’aviser ensuite qu’elle ne pouvait pas recevoir de prestations à compter du 21 août 2021 en raison de cette formation.

[34] Dans le cas présent, pour sa demande de prestations présentée le 6 juillet 2021, l’appelante était assujettie à la fois aux dispositions prévues à l’article 153.161(2)
de la partie VIII.5 de la Loi, malgré la nature temporaire de cet article, de même qu’à
celles de l’article 52 de la Loi.

[35] Je considère que la décision rendue par la Commission s’appuie sur les articles 52 et 153.161(2) de la Loi.

[36] La Commission soutient s’être appuyée sur l’article 153.161(2) de la Loi pour rendre sa décision et qu’elle n’a donc pas eu à s’appuyer sur l’article 52 de la Loi ou sur sa « Politique de réexamen »Note de bas de page 42.

[37] Relativement à l’argument de la Commission sur ce point, je considère que les dispositions prévues à l’article 52 de la Loi continuent tout de même de s’appliquer malgré celles prévues à l’article 153.161(2) de la Loi.

[38] L’article 52 de la Loi démontre le pouvoir discrétionnaire que détient la
Commission pour procéder au nouvel examen d’une demande de prestations.

[39] L’article 153.161(2) de la Loi donne à la Commission un pouvoir analogue à celui qu’elle détient en vertu de l’article 52(1) de la Loi. La seule différence entre ces deux articles est que selon les dispositions prévues à l’article 153.161(2) de la Loi, le pouvoir de la Commission n’est pas limité dans le temps, alors qu’il l’est dans le cas d’un réexamen en vertu de l’article 52(1) de la Loi.

[40] En effet, pour l’application de l’article 153.161(2) de la Loi, la Commission peut vérifier, à tout moment après le versement des prestations, que le prestataire est admissible aux prestationsNote de bas de page 43. Cet article démontre également le pouvoir discrétionnaire de la Commission de décider de vérifier une demande de prestations.

[41] Pour ce qui est de l’application de l’article 52 de la Loi, la Commission dispose dans ce cas d’un délai de 36 mois suivant le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, pour examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations ou de 72 mois si elle estime qu’une affirmation fausse ou trompeuse a été faiteNote de bas de page 44.

[42] Même si l’article 153.161(2) a une portée plus étendue dans le temps que l’article 52 de la Loi, il faut quand même se demander si la Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire de réexamen de façon conforme à la norme judiciaire.

[43] Pour rendre sa décision, la Commission a utilisé les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 153.161(2) de la Loi. À la suite de sa vérification, la Commission a changé sa décision en déterminant que l’appelante n’était pas admissible au bénéfice des prestations. Elle a rendu une nouvelle décision conformément à la procédure prévue à l’article 52(2) de la Loi.

[44] Je souligne que dans son argumentation, la Commission indique que lorsqu’elle considère qu’il est évident, selon elle, qu’un prestataire n’est pas disponible à travailler, elle rend une décision sur la disponibilité, en « suivant les procédures habituelles de décision sur la formation », même si celle-ci avait déjà été autoriséeNote de bas de page 45.

[45] Je souligne que même si l’article 153.161(2) de la Loi prévoit que la Commission peut « vérifier à tout moment » après le versement des prestations, si un prestataire est admissible au bénéfice des prestations, cet article précise qu’elle peut le faire, mais « en exigeant la preuve » que celui-ci était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestationsNote de bas de page 46.

[46] J’estime que dans le cas de l’appelante, la Commission n’a pas vérifié l’admissibilité de cette dernière au bénéfice des prestations en fonction de l’article 153.161(2) de la Loi. La Commission n’a pas appliqué les dispositions de cet article à cet égard. La Commission n’a pas demandé à l’appelante de prouver son admissibilité à recevoir des prestations en fonction de l’article 153.161(2) de la Loi.

[47] Je considère qu’avant de rendre sa décision le 31 mars 2022Note de bas de page 47, soit plus de huit mois après que l’appelante ait présenté sa demande de prestations, la Commission ne l’a pas informée des recherches qu’elle devait faire pour démontrer sa disponibilité à travailler ou des preuves qu’elle devait fournir à cet effet, avant de lui imposer une inadmissibilité au bénéfice des prestations, de façon rétroactive.

[48] Puisque j’ai établi que la Commission a fait le réexamen de la demande de prestations de l’appelante selon l’article 52 de la Loi, tout en s’étant prévalue des dispositions prévues à l’article 153.161(2) de la Loi, je dois maintenant déterminer si elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, lorsqu’elle a décidé de vérifier rétroactivement cette demande, d’en faire le réexamen et de changer sa décision.

Question no 2 : La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, lorsqu’elle a décidé de vérifier rétroactivement la demande de prestations de l’appelante, d’en faire le réexamen et de changer sa décision?

[49] La Cour d’appel fédérale (la Cour) a établi que les décisions discrétionnaires de la Commission ne peuvent être modifiées à moins qu’il soit démontré que cette dernière a « exercé son pouvoir discrétionnaire de manière non conforme à la norme judiciaire ou qu’elle a agi de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance »Note de bas de page 48.

[50] Il appartient à la Commission de démontrer qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. En d’autres termes, la Commission doit démontrer qu’elle a agi de bonne foi, tenu compte de tous les facteurs pertinents et laissé de côté ceux qui ne l’étaient pasNote de bas de page 49.

[51] Puisque le pouvoir de réexamen de la Commission est un pouvoir discrétionnaire, les décisions qu’elle rend ne peuvent être modifiées que si elle n’a pas exercé ce pouvoir d’une manière judiciaireNote de bas de page 50.

[52] La Cour a reconnu à diverses reprises que le fait pour la Commission de se doter de lignes directrices ou de guides en présence d’un pouvoir discrétionnaire permet de rendre ce pouvoir cohérentNote de bas de page 51.

[53] Le Guide de la détermination de l’admissibilité, un document produit par la Commission, énonce des conditions de réexamen permettant de déterminer si la Commission a pris en compte tous les facteurs pertinents dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[54] Ce document prévoit que la Commission procédera au réexamen d’une demande de prestations dans les cas suivants :

  • Il y a un moins-payé de prestations ;
  • Des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi ;
  • Des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse ;
  • Le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droitNote de bas de page 52.

Moins-payé de prestations

[55] Je considère que l’élément relatif au « moins-payé » de prestations ne s’applique pas au cas de l’appelante.

[56] En fonction des documents présentés par la Commission et des calculs qu’elle a effectués à la suite de la révision du dossier de l’appelante, celle-ci a reçu des prestations en trop pour une somme de 11 566,00 $ (trop-payé)Note de bas de page 53. Il n’est pas question d’un « moins-payé de prestations » dans le cas présent.

[57] Le Guide de la détermination de l’admissibilité précise que la Commission procède toujours au réexamen des demandes pour lesquelles le prestataire s’est vu refuser des prestations qui pourraient devenir payables à la suite d’un nouvel examenNote de bas de page 54.

[58] Dans le cas d’un trop-payé, la Commission peut réexaminer une demande de prestations, comme le prévoit la LoiNote de bas de page 55.

[59] Les dispositions prévues à l’article 52 de la Loi confirment le caractère discrétionnaire des décisions de la Commission portant sur le réexamen des périodes de prestations dans le délai qui lui est imparti.

[60] Les dispositions prévues à l’article 153.161 de la Loi confirment aussi le caractère discrétionnaire du pouvoir de la Commission de décider de vérifier une demande de prestations.

Des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi

[61] Je considère que l’établissement d’une période de prestations au profit de l’appelante et le versement de prestations a cette dernière ont été faits en conformité avec la « structure de la Loi », soit en fonction des éléments essentiels de la Loi.

[62] Bien que le Guide de la détermination de l’admissibilité indique qu’une « période de non-disponibilité » ne représente pas un élément faisant partie de la structure de la Loi, ce document précise que cet élément peut faire l’objet d’un nouvel examen s’il respecte l’une des conditions énoncées dans la politique prévue à cet effet (politique de réexamen la Commission)Note de bas de page 56.

[63] Je considère que la Commission n’a pas rendu une décision contraire à la structure de la Loi.

Des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse

[64] Lorsque des prestations ont été versées à la suite de déclarations fausses ou trompeuses, la Commission peut procéder à un nouvel examen de la demande de prestations.

[65] La Commission dispose d’un délai de 36 mois suivant le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables à un prestataire, pour examiner de nouveau, toute demande au sujet de ces prestationsNote de bas de page 57. Si la Commission estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, celle-ci bénéficie alors d’un délai de 72 mois pour réexaminer la demande, suivant la date à laquelle les prestations ont été payées ou sont devenues payablesNote de bas de page 58.

[66] La Commission ne présente pas d’argument pouvant démontrer que l’appelante a fait des déclarations ou des affirmations fausses ou trompeuses. Elle ne démontre pas non plus en quoi elle pouvait estimer que l’appelante pouvait avoir fait de telles déclarations ou affirmations.

[67] L’appelante fait valoir qu’elle a fourni à la Commission tous les renseignements et les documents requis en lien avec sa formationNote de bas de page 59. Elle souligne avoir tout déclaré « en bonne et due forme » lors du dépôt de sa demande de prestationsNote de bas de page 60.

[68] Dans le questionnaire sur la formation que l'appelante a rempli le 21 août 2021 et dans sa déclaration du 8 février 2022 à la Commission, elle a indiqué qu’elle suivait une formation en y consacrant 25 heures ou plus par semaineNote de bas de page 61.

[69] J’estime que la Commission n’était pas en présence de déclarations fausses ou trompeuses relativement à la demande de prestations de l’appelante.

[70] J’estime que le critère selon lequel des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse ne s’applique pas dans le cas de l’appelante. Je considère que l’appelante a tout le temps fait preuve d’honnêteté dans ses déclarations à la Commission, que ce soit en répondant aux questions sur sa formation le 21 août 2021 ou dans sa déclaration du 8 février 2022.

[71] Je considère que malgré cette situation, la Commission pouvait réexaminer ou vérifier la demande de prestations de l’appelant.

Le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit (conscient de l’inadmissibilité)

[72] Je considère que rien ne démontre que l’appelante aurait dû savoir qu’elle n’avait pas droit aux prestations qui lui ont été versées et qu’elle était ainsi « consciente » qu’elle n’y était pas admissible.

[73] La Commission fait valoir les éléments suivants :

  1. a) Concernant l’argument de l’appelante selon lequel des prestations lui ont été versées malgré le fait qu’elle avait déclaré sa formation, la Commission précise qu’en raison des circonstances économiques en lien avec la pandémie et afin d’éviter tout retard de paiement aux prestataires qui déclaraient avoir suivi une formation, le gouvernement du Canada avait autorisé le paiement rapide de prestationsNote de bas de page 62 ;
  2. b) Une mesure de transition a été mise en œuvre pour s’assurer que les prestataires qui suivent une formation ne subissent pas de retard dans la réception des paiements d’assurance-emploi. Pour y parvenir efficacement, le « Traitement automatisé des demandes » (« système automatisé de traitement ») a été modifié pour accorder automatiquement toutes les formations déclarées à partir du 27 septembre 2020, et ce, jusqu’au 25 septembre 2021Note de bas de page 63 ;
  3. c) Les prestataires devaient toutefois démontrer qu’ils étaient capables et disponibles pour travailler tout en suivant une formation non dirigéeNote de bas de page 64 ;
  4. d) À partir du moment où il y a évidence de non-disponibilité et qu’un prestataire déclare ne pas être disponible à travailler pendant qu’il suit une formation non dirigée, la Commission doit rendre une décision sur la disponibilité, en suivant les procédures habituelles de décision sur la formation, même si le « Traitement automatisé des demandes » a précédemment autorisé la formationNote de bas de page 65 ;
  5. e) L’article 153.161 de la Loi autorise la Commission à faire une vérification rétroactive de l’admissibilité au bénéfice des prestations d’un prestataire ayant suivi une formation non dirigée et à exiger de ce dernier qu’il fournisse des preuves de sa disponibilité à travaillerNote de bas de page 66 ;
  6. f) En vertu de cet article, la Commission peut imposer une inadmissibilité rétroactive si le prestataire ne peut pas prouver sa disponibilité pendant qu’il suit une formation non dirigéeNote de bas de page 67 ;
  7. g) Au sujet de l’argument de l’appelante selon lequel un prestataire peut recevoir des prestations tout en suivant une formation à temps plein et de son propre choix, la Commission précise que cette possibilité concerne uniquement les « travailleurs de longue date ». Un « travailleur de longue date » est une personne qui satisfait les exigences suivantes : avoir reçu moins de 36 semaines de prestations régulières (ou prestations de pêcheur) de l’assurance-emploi au cours des 5 dernières années et avoir payé au moins 30 % de la cotisation annuelle maximale à l’assurance-emploi pendant 7 des 10 dernières annéesNote de bas de page 68 ;
  8. h) Le dossier de l’appelante montre qu’elle n’est pas considérée comme une « travailleuse de longue date »Note de bas de page 69.

[74] Le témoignage et les déclarations de l’appelante indiquent les éléments suivants :

  1. a) L’appelante n’a jamais reçu de prestations avant de présenter sa demande de prestations le 6 juillet 2021. Il s’agissait de sa première demande de prestations ;
  2. b) Le site du gouvernement du Canada (canada.ca – Suivre une formation permise par Service Canada pendant une période de prestations d’assurance-emploi) indique qu’à compter du 5 août 2018, un prestataire n’est pas tenu d’être disponible à travailler ni d’être à la recherche active d’un emploi pendant sa formation si celle-ci est approuvée par Service CanadaNote de bas de page 70. Les renseignements donnés sur ce site indiquent que selon ces conditions, un prestataire peut continuer de recevoir des prestations pendant qu’il participe à un programme de formation à temps plein de son choix, offert par un établissement d’enseignement approuvéNote de bas de page 71 ;
  3. c) À la lecture des renseignements donnés sur ce site, l’appelante dit avoir compris qu’elle pouvait retourner aux études de son plein gré ;
  4. d) Son établissement d’enseignement fait partie de la liste des établissements d’enseignement approuvés par Service CanadaNote de bas de page 72 ;
  5. e) Elle a suivi toutes les étapes données sur ce site et a fourni à la Commission tous les renseignements et documents demandés concernant sa formation (ex. : questionnaire sur la formation, horaire des cours et disponibilités à travailler)Note de bas de page 73 ;
  6. f) Son dossier d’assurance-emploi en ligne (« Mon dossier Service Canada ») indique que les 22 août 2021 et 8 février 2022, des mises à jour ont été effectuées en ajoutant les dates de sa formationNote de bas de page 74 ;
  7. g) L’appelante a continué de recevoir des prestations après avoir déclaré sa formation. Elle a compris que sa demande d’autorisation pour suivre cette formation avait été acceptée. L’appelante pensait que tout était en règle et que tout était « correct ». Il n’y avait aucune façon pour elle de savoir qu’elle n’avait pas le droit de recevoir des prestations durant sa formationNote de bas de page 75 ;
  8. h) L’appelante dit avoir vu sur le site du gouvernement qu’elle ne devait pas refuser un emploi convenable. Elle a été à la recherche d’emploi convenable, soit un emploi correspondant à son domaine d’études. Des preuves démontrent qu’elle a effectué des recherches d’emploi auprès de plusieurs employeurs potentiels depuis qu’elle a entrepris sa formationNote de bas de page 76 ;
  9. i) Puisqu’il n’y a pas eu d’erreur de sa part dans la communication de sa situation à la Commission, elle n’est pas d’accord de devoir rembourser les prestations qui lui ont été versées et que celle-ci lui réclameNote de bas de page 77.

[75] J’estime que la Commission ne démontre pas que l’appelante pouvait présumer qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droit.

[76] Je considère que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, en décidant de vérifier la demande de prestations de l’appelante et en procédant au réexamen de cette demande.

[77] Je suis d’avis que la Commission ne démontre pas que l’appelante aurait dû savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droit ou qu’elle aurait dû être « consciente » qu’elle n’y était pas admissible, une des règles prévues au Guide de la détermination de l’admissibilité démontrant qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

[78] J’estime que la Commission n’a pas respecté la « politique de réexamen » qu’elle a élaborée afin d’assurer une application uniforme et juste de l’article 52 de la Loi et d’empêcher la création de trop-payés lorsque le prestataire a touché des prestations en trop pour une raison indépendante de sa volonté, comme le précise cette politiqueNote de bas de page 78.

[79] Je suis d’avis que la Commission était en présence de tous les éléments nécessaires pour établir une demande de prestations au profit de l’appelante et lui verser des prestations.

[80] Je souligne que la Commission a eu l’occasion de vérifier à plusieurs reprises les déclarations de l’appelante lorsqu’elle a rempli le questionnaire sur sa formation le 21 août 2021 ou dans sa déclaration du 8 février 2022Note de bas de page 79. Dès le moment où l’appelante a rempli le questionnaire sur sa formation, la Commission savait qu’elle suivait une formation à temps plein en y consacrant 25 heures ou plus par semaine et les conditions à partir desquelles elle pouvait travailler. Les renseignements fournis par l’appelante concernant sa formation ont d’ailleurs été consignés à son dossier d’assurance-emploi en ligne (« Mon dossier Service Canada »).

[81] Je considère que l’appelante a fait preuve de transparence concernant sa formation et sa disponibilité à travailler. Elle a été constante dans ses déclarations à la Commission.

[82] Je suis d’avis que l’appelante pouvait raisonnablement croire que lorsqu’elle a rempli le questionnaire sur sa formation et qu’elle a continué de recevoir des prestations, cela signifiait qu’elle y avait toujours droit.

[83] En résumé, compte tenu des éléments de preuve présentés et des circonstances particulières au présent dossier, je considère que la Commission n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, en décidant de vérifier la demande de prestations de l’appelante et en procédant à un nouvel examen de cette demande.

[84] J’estime que la Commission n’a pas pris en compte tous les facteurs pertinents pour le faire. Ces facteurs réfèrent à l’ensemble des renseignements fournis par l’appelante au sujet de sa formation lorsqu’elle a rempli le questionnaire s’y rapportant et dans sa déclaration du 8 février 2022 à la Commission.

[85] Je suis d’avis que la Commission a omis de mettre en pratique ses propres règles dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. J’estime qu’elle a manqué de cohérence et a agi de façon abusive à cet égard.

[86] Je considère qu’il n’y a pas lieu de procéder au réexamen de la demande de prestations de l’appelante, et ce, même si ce réexamen avait lieu dans le délai prévu par la Loi.

[87] En conséquence, je ne réexaminerai pas la décision initialement rendue à l’endroit de l’appelante ayant fait en sorte de lui accorder des prestations.

Disponibilité à travailler et remboursement des prestations versées en trop

[88] Puisque j’ai déterminé que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, en décidant de vérifier la demande de prestations de l’appelante et en procédant à un nouvel examen de cette demande, il n’y a pas lieu de procéder à un réexamen de la décision initialement rendue à son endroitNote de bas de page 80.  

[89] Il n’y a donc pas lieu de déterminer si à compter du 20 août 2021, depuis qu’elle suit une formation, l’appelante démontre qu’elle est disponible à travaillerNote de bas de page 81.

[90] Il n’y a pas lieu non plus de déterminer si l’appelante doit rembourser les prestations qui lui ont été versées en trop et qui lui sont réclamées par la CommissionNote de bas de page 82.

Conclusion

[91] Je conclus que la Commission n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, en décidant de vérifier et de réexaminer la demande de prestations de l’appelante. La Commission ne pouvait donc pas déterminer, d’une façon rétroactive, que l’appelante n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[92] Il n’y a donc pas lieu de déterminer si à compter du 20 août 2021, depuis qu’elle suit une formation, l’appelante démontre qu’elle est disponible à travailler et si elle était admissible au bénéfice des prestations à compter de cette date.

[93] Il n’y a pas lieu non plus de décider si l’appelante doit rembourser la somme d’argent que lui réclame la Commission pour des prestations versées en trop.

[94] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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