Assurance-emploi (AE)

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Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c ML, 2023 TSS 553

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Julie Meilleur
Partie intimée : M. L.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 4 novembre 2022 (GE-22-1792)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 14 février 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Date de la décision : Le 9 mai 2023
Numéro de dossier : AD-22-874

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Décision

[1] J’accueille l’appel de la Commission de l’assurance-emploi du Canada. La division générale a commis une erreur de droit. Cette erreur me permet de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre. La prestataire, M. L., n’était pas disponible pour travailler et n’avait donc pas droit aux prestations d’assurance-emploi qu’elle a reçues pendant ses études.

Aperçu

[2] La prestataire a demandé des prestations régulières d’assurance-emploi. La Commission lui a versé des prestations à partir de juillet 2021.

[3] Plusieurs mois plus tard, la Commission a constaté que la prestataire n’était pas disponible pour travailler pendant ses études; elle n’était donc pas admissible aux prestations qu’elle avait reçues pendant cette périodeNote de bas de page 1. La décision de la Commission a créé un trop-payé dans le compte de la prestataire.

[4] La prestataire soutient qu’elle ne doit pas avoir à rembourser le trop-payé parce que la Commission connaissait sa situation d’étudiante à temps plein dès le début de ses études.

[5] La prestataire a fait appel de la décision de la Commission à la division générale du présent Tribunal. Celle-ci a accueilli l’appel en disant que la Commission n’avait pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire en décidant de réexaminer la demande de prestations de la prestataire.

[6] La Commission fait maintenant appel de la décision de la division générale à la division d’appel. Elle soutient que la division générale a commis des erreurs de droit.

[7] Je retiens les arguments de la Commission. De plus, je suis en mesure de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : la prestataire n’était pas disponible pour travailler pendant ses études, soit du 20 août 2021 au 25 mai 2022.

Questions en litige

[8] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la Commission avait utilisé de façon non judiciaire son pouvoir discrétionnaire de réexaminer la demande de prestations de la prestataire?
  2. b) Si oui, quelle est la réparation à offrir?
  3. c) La prestataire était-elle disponible pour travailler pendant ses études?

Analyse

[9] La loi me permet d’intervenir dans cette affaire si la division générale a commis une erreur de droitNote de bas de page 2.

La division générale a commis une erreur de droit

[10] La division générale a commis une erreur de droit en concluant que la Commission n’avait pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a procédé à l’évaluation de la disponibilité de la prestataire après le versement des prestations.

[11] Bref, la division générale a élevé la politique de réexamen de la Commission au niveau d’une autorité législative. Par conséquent, elle a limité indûment les pouvoirs discrétionnaires de la Commission.

La loi confère des pouvoirs discrétionnaires à la Commission

[12] Les pouvoirs dont la Commission dispose en vertu des articles 52 et 153.161(2) de la Loi sur l’assurance-emploi sont des pouvoirs discrétionnaires. La Commission peut réexaminer une demande de prestations et peut vérifier l’admissibilité d’une personne aux prestations qu’elle a déjà reçues, mais elle n’est pas obligée de le faire.

[13] La Commission doit utiliser ses pouvoirs discrétionnaires de façon judiciaire.

[14] Le Tribunal peut annuler une décision discrétionnaire si, par exemple, une personne parvient à établir que la Commission a :

  • agi de mauvaise foi;
  • agi dans un but ou pour un motif irrégulier;
  • pris en compte un facteur non pertinent;
  • ignoré un facteur pertinent;
  • agi de manière discriminatoireNote de bas de page 3.

[15] Dans le cas présent, la division générale a conclu que la Commission avait ignoré les facteurs pertinents énoncés dans la politique de réexamen de la Commission contenue au chapitre 17 du Guide de la détermination de l’admissibilitéNote de bas de page 4. On y lit ce qui suit :

17.3.3 Politique de réexamen

La Commission a élaboré une politique afin d’assurer une application uniforme et juste de l’article 52 de la Loi et d’empêcher la création de trop-payés lorsque le prestataire a touché des prestations en trop pour une raison indépendante de sa volonté. La Commission ne procédera au nouvel examen d’une demande que dans les situations suivantes :

  • il y a un moins-payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit.

[16] La division générale a examiné chacune des quatre situations ci-dessus et a constaté qu’aucune d’entre elles n’était présente dans cette affaire. Elle a conclu alors que la Commission ne pouvait pas réexaminer la demande de prestations de la prestataireNote de bas de page 5.

La division générale a élevé la politique de réexamen de la Commission au niveau d’une autorité législative

[17] En arrivant à cette conclusion, j’estime que la division générale a commis une erreur de droit. En effet, elle a élevé la politique de réexamen de la Commission au niveau d’une autorité législativeNote de bas de page 6.

[18] Sa conclusion est rédigée de la façon suivante (au paragraphe 78 de la décision) :

J’estime que la Commission n’a pas respecté la « politique de réexamen » qu’elle a élaborée afin d’assurer une application uniforme et juste de l’article 52 de la Loi et d’empêcher la création de trop-payés lorsque le prestataire a touché des prestations en trop pour une raison indépendante de sa volonté, comme le précise cette politique.

[19] La politique de réexamen de la Commission a été élaborée bien avant la pandémie de COVID-19. Par conséquent, cette politique – puis la décision de la division générale – ne tient pas compte de l’article 153.161 de la Loi sur l’assurance-emploi et de l’approche opérationnelle modifiée adoptée par la Commission pour faire face à la pandémieNote de bas de page 7.

[20] Cette nouvelle approche avait pour objectif de permettre un traitement plus efficace des demandes de prestations, tout en donnant à la Commission le pouvoir de vérifier l’admissibilité des étudiantes et étudiants aux prestations « à tout moment après le versement des prestationsNote de bas de page 8 ». Je suis donc d’accord pour dire que la décision de la division générale limite de façon excessive les pouvoirs de la Commission.

[21] En effet, la Commission a retenu certaines informations fournies par la prestataire et a reporté une évaluation plus approfondie de tous les éléments portant sur son admissibilité. Bien que cette approche ait pu avoir un effet négatif sur la prestataire, la Commission a jugé qu’elle lui permettrait d’économiser du temps de traitement et de verser des prestations de manière plus efficaceNote de bas de page 9.

[22] J’estime alors que la prestataire n’a pas satisfait à la norme élevée requise pour montrer que la Commission a agi de mauvaise foi, de façon arbitraire, ou dans un but ou pour un motif irrégulier. En réexaminant la demande de prestations de la prestataire et en vérifiant son admissibilité aux prestations, la Commission a agi conformément à son approche opérationnelle modifiée et dans le cadre des pouvoirs que la loi lui confère. Je conclus donc qu’elle a exercé ses pouvoirs discrétionnaires de façon judiciaire.

Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre

[23] Dans ses observations écrites, la Commission a soutenu que je devais renvoyer l’affaire à la division générale pour réexaminer la question de la disponibilité de la prestataire. Cependant, lors de l’audience, la Commission était d’accord pour dire que la preuve est complète et que je serais également en mesure de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[24] J’estime qu’il vaut mieux que je rende la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 10.

[25] La prestataire ne fait pas valoir qu’on l’a empêchée de plaider sa cause de quelque manière que ce soit. En effet, les faits principaux ne sont pas contestés et la question en litige est plutôt étroite.

[26] Cela signifie que je peux juger si la prestataire était disponible pour travailler pendant qu’elle était aux études.

La prestataire n’était pas disponible pour travailler pendant ses études

[27] Comme je l’ai mentionné précédemment, une personne qui veut des prestations régulières d’assurance-emploi doit démontrer (entre autres choses) qu’elle est « capable de travailler et disponible à cette fin », mais qu’elle n’est pas en mesure de trouver un emploi convenableNote de bas de page 11. La loi ne définit pas « disponible », mais la Cour d’appel fédérale a établi trois éléments dans la décision Faucher pour guider le Tribunal dans l’évaluation de la disponibilité d’une personne.

La loi suppose que les personnes aux études à temps plein ne sont pas disponibles pour travailler

[28] La loi suppose que les étudiantes et étudiants à temps plein ne sont pas disponibles pour travaillerNote de bas de page 12. La présomption est particulièrement forte pour les personnes qui quittent un emploi à temps plein pour poursuivre leurs études.

[29] La présomption semble constituer une façon rapide de signaler que, pour tenir compte de leur horaire de cours, les personnes aux études à temps plein limitent normalement leur disponibilité de façon disparate. Par conséquent, il est souvent difficile pour les personnes aux études à temps plein de satisfaire au troisième élément de la décision Faucher. Plus spécifiquement, une personne qui demande des prestations d’assurance-emploi ne doit pas établir de conditions personnelles qui pourraient limiter indûment (trop) ses chances de retourner au travail.

[30] Toutefois, la présomption ne s’applique pas aux personnes aux études qui peuvent démontrer qu’elles vivent une situation exceptionnelleNote de bas de page 13.

La prestataire n’a pas démontré qu’elle était disponible pour travailler

[31] La présomption d’indisponibilité s’applique à la prestataire.

[32] La prestataire était une étudiante à temps plein et elle n’a pas démontré qu’elle vivait une situation exceptionnelle permettant d’écarter la présomption d’indisponibilité.

[33] Avant ses études, la prestataire travaillait à temps plein, généralement pendant les heures normales de bureauNote de bas de page 14. Lorsqu’elle a commencé ses études, elle n’était plus disponible pour travailler selon les mêmes heures de travailNote de bas de page 15.

[34] Pour des raisons valables, la prestataire a accordé la priorité à ses études.

[35] Cependant, son horaire de cours limitait de façon importante sa disponibilité pour travailler. Elle s’est retrouvée en chômage et était à la recherche d’un travail avec un horaire très différent. La prestataire a répété à plusieurs reprises à la Commission qu’elle ne quitterait pas son programme ou ne modifierait pas son horaire de cours pour accepter du travailNote de bas de page 16. De plus, elle a déclaré lors de l’audience de la division générale qu’elle avait refusé des offres d’emploi parce que cela ne cadrait pas avec ses étudesNote de bas de page 17.

[36] Dans cette situation, je ne suis pas en mesure de trouver une différence importante entre cette affaire et d’autres affaires dans lesquelles les tribunaux ont conclu que l’horaire de cours d’une personne limitait sa disponibilité d’une manière qui signifiait qu’elle n’était pas disponible pour travailler et qu’elle n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 18.

[37] Après l’audience devant la division générale, la prestataire a fourni des informations tirées du site Web de la Commission. Selon elle, ces informations appuient sa position qu’une personne peut être aux études tout en bénéficiant des prestations régulières de l’assurance-emploiNote de bas de page 19.

[38] Cependant, le site Web de la Commission établit une distinction entre les programmes d’études qu’une personne suit de sa propre initiative et ceux qui sont approuvés par une autorité gouvernementale.

[39] Dans cette situation – celle où la personne suit un programme d’études de sa propre initiative – la personne est toujours tenue de prouver qu’elle est capable de travailler, disponible pour le faire et à la recherche d’un emploi de façon active. Malheureusement, la prestataire n’est pas en mesure d’établir sa disponibilité.

Conclusion

[40] La division générale a commis une erreur de droit en concluant que la Commission avait utilisé de façon non judiciaire son pouvoir discrétionnaire de réexaminer la demande de prestations de la prestataire. Au contraire, la Commission a agi conformément à son approche opérationnelle modifiée et dans le cadre des pouvoirs que la loi lui confère. Elle a donc exercé ses pouvoirs discrétionnaires de façon judiciaire.

[41] L’erreur de la division générale me permet de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre au sujet de la disponibilité de la prestataire. Bref, elle n’a pas pu écarter la présomption d’indisponibilité qui s’applique aux personnes qui étudient à temps plein.

[42] J’accueille donc l’appel de la Commission.

[43] Pour conclure, je compatis avec la prestataire. Puis je tiens à reconnaître comment l’approche opérationnelle modifiée de la Commission a pu la mettre dans une situation financière difficile.

[44] Si elle ne l’a pas déjà fait, la prestataire pourrait communiquer avec l’Agence du revenu du Canada pour lui demander si une partie ou la totalité de sa dette pourrait être réduite (défalquée) parce que cela lui cause de graves difficultés financièresNote de bas de page 20. Sinon, la prestataire pourrait demander un plan de remboursement réalisable.

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