Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : ME c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 125

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : M. E.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 9 décembre 2022
(GE-22-1859)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 6 février 2023
Numéro de dossier : AD-23-37

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Décision

[1] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a perdu son emploi parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. L’employeur ne lui a pas accordé d’exemption. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission) a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite et qu’elle ne pouvait donc pas lui verser de prestations. Après une révision défavorable à son égard, la prestataire a fait appel à la division générale.

[4] La division générale a conclu que la prestataire avait perdu son emploi après avoir refusé de se conformer à la politique de l’employeur. L’employeur ne lui a pas accordé d’exemption. Elle a conclu que la prestataire savait qu’il était probable que l’employeur la congédie dans ces circonstances. La division générale a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[5] La prestataire demande la permission de faire appel de la décision de la division générale à la division d’appel. Elle soutient que la division générale a ignoré la preuve et commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’elle avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. La prestataire soutient que la membre de la division générale a fait preuve de partialité et qu’elle n’a pas tenu compte de la conduite de la Commission pendant le processus d’enquête.

[6] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès.

[7] Je refuse la permission de faire appel parce que l’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait conférer à l’appel une chance de succès?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Ces erreurs révisables sont les suivantes :

  1. 1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. 2. La division générale n’a pas décidé d’une question qu’elle aurait dû trancher, ou elle a tranché une question sans avoir le pouvoir de le faire.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[10] La demande de permission de faire appel est une étape préliminaire à une audience sur le fond. Il s’agit d’une première étape que la prestataire doit franchir, mais où le fardeau est inférieur à celui dont elle devra s’acquitter à l’audience de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande permission de faire appel, la prestataire n’a pas à prouver ses prétentions. Elle doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès en raison d’une erreur révisable. Autrement dit, on peut soutenir qu’il y a eu une erreur révisable qui pourrait donner à l’appel une chance de succès.

[11] Par conséquent, avant d’accorder la permission de faire appel, je dois être convaincu que les motifs de l’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel susmentionnés et qu’au moins un des motifs a une chance raisonnable de succès.

La prestataire soulève-t-elle une erreur révisable que la division générale aurait commise et qui pourrait donner à l’appel une chance de succès?

[12] La prestataire soutient qu’elle n’a pas perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle affirme que la politique de l’employeur n’était pas raisonnable dans son contexte de travail parce qu’elle travaillait de la maison à temps plein en raison d’une invalidité. Son employeur aurait pu lui offrir des mesures d’adaptation. Elle accomplissait ses tâches et respectait les directives en matière de santé publique dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

[13] La prestataire soutient qu’elle n’a pas manqué à l’obligation résultant expressément ou implicitement de son contrat de travail. Elle soutient que l’employeur a imposé unilatéralement une nouvelle condition d’emploi sans aucune consultation et sans avoir obtenu son accord. La prestataire dit que l’employeur n’avait aucun motif légal d’imposer la vaccination et qu’il a porté atteinte à ses droits fondamentaux et constitutionnels au consentement éclairé, à la liberté de choix et à l’intégrité physique.

[14] Il est important de rappeler que le site Web de Service Canada est un guide d’interprétation qui n’a pas force obligatoire pour le Tribunal. Une politique reflète simplement l’opinion de l’administrateur qui agit au titre de la loi. Cette opinion ne correspond pas nécessairement à la loiNote de bas de page 1.

[15] Le rôle de la division générale est d’examiner les éléments de preuve qui lui sont présentés par les deux parties, d’établir les faits pertinents à la question de droit dont elle est saisie et d’énoncer, dans sa décision écrite, sa propre décision indépendante à cet égard. Ce n’est pas le rôle de la division générale d’enquêter sur la conduite de la Commission pendant le processus d’enquête.

[16] La division générale devait décider si la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[17] La notion d’inconduite n’implique pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[18] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de savoir si celui-ci s’est rendu coupable d’inconduite en congédiant la prestataire de sorte que son congédiement était injustifié, mais plutôt de décider si la prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné son congédiementNote de bas de page 2.

[19] La division générale a établi que la prestataire avait perdu son emploi parce qu’elle avait refusé de suivre la politique de l’employeur qui s’appliquait à tous les membres du personnel. Elle avait été informée de la politique et elle avait eu le temps de s’y conformer. On ne lui a pas accordé d’exemption. Le refus de la prestataire était intentionnel, et donc délibéré. Il s’agit de la cause directe de son congédiement. La division générale a conclu que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pourrait entraîner son congédiement.

[20] La division générale a conclu de la preuve prépondérante que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[21] Il est bien établi qu’une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 3. On considère également comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi le fait de ne pas observer une politique dûment approuvée par un gouvernement ou une industrieNote de bas de page 4.

[22] La prestataire soulève la question de savoir si la division générale a refusé d’exercer sa compétence en ne décidant pas si l’application de la politique de l’employeur à son endroit était raisonnable compte tenu du fait qu’elle travaillait de la maison.

[23] Il n’est pas vraiment contesté qu’un employeur a l’obligation de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité des membres de son personnel sur leur lieu de travail. Dans la présente affaire, l’employeur a suivi les recommandations des autorités de la santé publique afin de mettre en œuvre sa politique de protection de la santé de l’ensemble du personnel et de la clientèle pendant la pandémieNote de bas de page 5. La politique était en vigueur lorsque la prestataire a été congédiée.

[24] Il n’appartient pas au Tribunal de décider s’il était raisonnable pour l’employeur d’étendre cette protection aux membres du personnel travaillant de la maison pendant la pandémie.

[25] Autrement dit, le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider si les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité relativement à la COVID-19 ont cessé ou non de s’appliquer parce que la prestataire travaillait de la maison.

[26] Par conséquent, je juge qu’il n’y a pas d’erreur révisable dans la décision de la division générale selon laquelle elle n’a pas la compétence de trancher les questions sur le caractère raisonnable de la politique de l’employeur qui s’applique aux membres du personnel qui travaillent de la maison.

[27] La question de savoir si l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation ou si la politique violait ses droits fondamentaux et constitutionnels relève d’une autre instance. Le Tribunal n’est pas l’endroit approprié où la prestataire peut obtenir la réparation qu’elle demandeNote de bas de page 6.

[28] La Cour fédérale a rendu une décision récente dans l’affaire Cecchetto concernant l’inconduite et le refus d’un prestataire de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. Le prestataire a fait valoir qu’il n’était pas prouvé que le vaccin était sécuritaire ou efficace. Il s’est senti victime de discrimination en raison de son choix médical personnel. Le prestataire a fait valoir qu’il a le droit d’être maître de sa propre intégrité physique et que ses droits ont été violés au titre du droit canadien et du droit internationalNote de bas de page 7.

[29] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle, selon la loi, le Tribunal n’est pas autorisé à répondre à ces questions. La Cour a convenu qu’en faisant un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8. La Cour a déclaré qu’il y a d’autres façons dont les demandes de la prestataire peuvent progresser adéquatement dans le cadre du système juridique.

[30] Dans l’affaire Paradis précédente, le prestataire s’est vu refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Il a soutenu que la politique de l’employeur violait ses droits aux termes de l’Alberta Human Rights Act [loi albertaine sur les droits de la personne]. La Cour fédérale a conclu que cette question relevait d’une autre instance.

[31] La Cour fédérale a déclaré qu’il existe des recours disponibles pour qu’une partie prestataire sanctionne le comportement d’un employeur sans que les coûts de ce comportement soient transférés au Régime d’assurance-emploi.

[32] Dans l’affaire Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation de l’employeur d’offrir des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite à l’assurance-emploi.

[33] La preuve prépondérante présentée à la division générale montre que la prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, ce qui a entraîné son congédiement.

[34] Je ne vois aucune erreur révisable commise par la division générale lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement selon les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au titre de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 9.

[35] Je suis pleinement conscient que la prestataire peut demander réparation devant une autre instance, si une violation est établieNote de bas de page 10. Cela ne change rien au fait qu’au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que la prestataire a été congédiée en raison d’une inconduite.

[36] La prestataire soutient également que la membre de la division générale avait un parti pris contre elle. Elle soutient que la membre a été influencée par les éléments de preuve recueillis par la Commission au cours de son enquête. Elle affirme également que la membre a préféré ces renseignements aux éléments de preuve et aux faits qu’elle lui a présentés.

[37] Une allégation de partialité, surtout réelle et non simplement appréhendée, à l’égard d’un tribunal est une allégation grave. Elle conteste l’intégrité du Tribunal et de ses membres qui ont participé à la décision contestée. Une telle allégation ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressions d’une partie demanderesse ou de son avocate ou avocat. Elle doit être étayée par des preuves matérielles démontrant un comportement qui déroge à la norme. Il est souvent utile, et même nécessaire, de recourir, ce faisant, à des éléments de preuve extérieurs à l’affaireNote de bas de page 11.

[38] Je conclus que les allégations de la prestataire ne sont pas étayées par la preuve. Comme je l’ai mentionné plus haut, le rôle de la division générale est d’examiner les éléments de preuve qui lui sont présentés par les deux parties, de déterminer les faits pertinents à la question de droit dont elle est saisie et d’énoncer, dans sa décision écrite, sa propre décision indépendante à cet égard.

[39] Je remarque que la division générale a examiné tous les arguments de la prestataireNote de bas de page 12. Dans sa décision, la membre a expliqué en détail pourquoi elle n’a pas accepté les arguments de la prestataire et pourquoi la preuve prépondérante appuyait une conclusion d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[40] Je ne trouve aucune preuve matérielle démontrant que la conduite de la membre de la division générale déroge à la norme. Je dois répéter qu’une telle allégation ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressions d’une partie prestataire.

[41] Dans sa demande de permission de faire appel, la prestataire n’a relevé aucune erreur révisable, comme une erreur de compétence ou un manquement à un principe de justice naturelle de la part de la division générale. Elle n’a cerné aucune erreur de droit ni conclusion de fait erronée que la division générale aurait pu tirer de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance au moment de rendre sa décision.

[42] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments de la prestataire à l’appui de sa demande de permission de faire appel, je conclus que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. 

Conclusion

[43] La permission de faire appel est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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