Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 439

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : S. P.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 23 janvier 2023 (GE-22-3457)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 13 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-179

Sur cette page

Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission de faire appel parce que sa cause n’est pas défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] S. P., la prestataire, travaillait comme technicienne pour X (ministère). Le 1er décembre 2021, X l’a placée en congé sans solde après qu’elle a refusé de fournir la preuve qu’elle avait reçu le vaccin contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la prestataire avait enfreint délibérément la politique de vaccination de son employeur. Elle a jugé que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement la perte de son emploi.

[4] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale a fait les erreurs suivantes :

  • Elle a fait preuve de partialité en concluant à une suspension alors qu’en fait, la prestataire avait été placée en congé sans solde pour des raisons administratives.
  • Elle a mal interprété le sens du mot « inconduite » dans la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle a ignoré des précédents importants qui jouaient en faveur de la prestataire.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie demanderesse doit démontrer l’une des choses suivantes :

  • la division générale a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que l’appel de la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Une chance raisonnable de succès est l’équivalent d’une cause défendableNote de bas de page 3. Si la prestataire n’a aucun argument défendable, l’affaire prend fin sur‑le‑champ.

[7] À cette étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : est‑il possible de soutenir que la division générale a fait une erreur lorsqu’elle a conclu que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit applicable et les éléments de preuve qui l’ont menée à cette décision. J’ai conclu que la cause de la prestataire n’est pas défendable.

On ne peut pas soutenir que la division générale a fait preuve de partialité

[9] La prestataire accuse la division générale de partialité, mais elle ne présente aucune preuve, mis à part le rejet de son appel. La partialité laisse entrevoir un esprit fermé qui est prédisposé à un résultat particulier. La critère à remplir pour conclure à l’existence d’un parti pris est rigoureux, et la responsabilité de le faire revient à la partie qui lance l’allégation.

[10] La Cour suprême du Canada a énoncé le critère de la partialité de cette façon : « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratiqueNote de bas de page 4 »? Une allégation de partialité ne peut pas reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressionsNote de bas de page 5.

[11] Contrairement à ce qu’avance la prestataire, la division générale n’a pas ignoré ses éléments de preuve. Elle les a plutôt abordés assez longuement dans sa décision. La division générale n’a pas tiré les conclusions que la prestataire espérait voir, mais cela ne veut pas dire qu’elle était prédisposée à rejeter l’appel de la prestataire.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[12] Devant la division générale, la prestataire a insisté sur le fait qu’elle n’avait rien fait de mal lorsqu’elle avait refusé de se faire vacciner. Elle a soutenu qu’en la forçant à recevoir le vaccin sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits.

[13] Compte tenu du droit entourant l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale aurait fait une erreur lorsqu’elle a rejeté ces arguments.

[14] Après avoir examiné les éléments de preuve à sa disposition, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur a adopté une politique claire qu’il a communiquée à son personnel : chaque personne devait fournir la preuve qu’elle était entièrement vaccinée.
  • La prestataire savait que le non-respect de la politique à compter d’une certaine date entraînerait la perte de son emploi.
  • La prestataire a refusé de façon intentionnelle de se faire vacciner dans les délais raisonnables fixés par son employeur.
  • La prestataire n’a pas réussi à convaincre son employeur que l’une des exceptions permises par la politique s’appliquait à elle.

[15] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier ainsi que le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses faits et gestes étaient délibérés et, comme on pouvait s’y attendre, ils ont mené à une suspension. La prestataire croyait peut-être que refuser de suivre la politique de vaccination du ministère ne faisait pas de mal à son employeur, mais au regard de l’assurance-emploi, ce n’était pas à elle d’en décider.

On ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[16] Le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une personne et l’entreprise pour qui elle travaille. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à la prestataire, mais c’est celle que les cours ont adoptée à maintes reprises et que la division générale avait l’obligation de suivre.

Une inconduite est tout geste intentionnel qui est susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[17] Devant la division générale, la prestataire a soutenu que le ministère n’avait pas à mettre en place une politique de vaccination obligatoire. Elle a affirmé que le dépistage et la vaccination n’ont jamais été des conditions d’emploi pour elle.

[18] Je ne vois pas en quoi la division générale aurait fait une erreur lorsqu’elle a rejeté ces arguments.

[19] Il est important de garder à l’esprit qu’aux fins de l’assurance-emploi, le terme « inconduite » a un sens précis qui ne correspond pas nécessairement à celui du mot qu’on utilise au quotidien. Voici comment la division générale a défini l’inconduite :

[P]our qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est cependant pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est‑à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que la possibilité d’être renvoyée pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 6.

[20] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. Elle a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle détermine l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’une employeuse ou d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir l’inconduite de façon explicite

[21] La prestataire a fait valoir que rien dans son contrat de travail et sa convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, selon la jurisprudence, là n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’entreprise a adopté une politique et si la personne employée l’a ignorée de façon délibérée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi [sic] :

Je dois tenir compte de la Loi sur l’assurance-emploi d’abord et avant tout. Je ne peux pas décider si d’autres lois donnent d’autres options à la prestataire. Il ne m’appartient pas de décider si la prestataire a été renvoyée injustement ou si l’employeur aurait dû mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables pour elle. Je peux me pencher sur une seule question : ce que la prestataire a fait ou omis de faire est‑il une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 7?

[22] Ce passage reprend un principe tiré d’une affaire appelée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a affirmé ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 8.

[23] Dans l’affaire Lemire, la Cour a jugé qu’un employeur avait raison de conclure qu’on parlait d’inconduite lorsqu’un employé affecté à la livraison de denrées alimentaires organisait en parallèle la vente de cigarettes à sa clientèle. La Cour a conclu que c’était une inconduite même si l’employeur n’avait pas de politique interdisant de façon explicite une telle conduite.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la division générale

[24] Une décision récente de la Cour fédérale a confirmé cette approche pour l’évaluation de l’inconduite dans le contexte précis de la vaccination obligatoire contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire CecchettoNote de bas de page 9portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle la loi n’autorise pas le Tribunal à régler ces questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, le fait que la division d’appel n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet ne justifie pas l’annulation de sa décision. Ce genre de conclusion ne relevait ni du mandat ni de la compétence du Tribunal de la sécurité sociale, que ce soit à la division d’appel ou à la division généraleNote de bas de page 10.

[25] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a précisé que le système juridique offrait d’autres voies par lesquelles le prestataire aurait pu porter plainte pour congédiement injustifié ou atteinte aux droits de la personne.

[26] Dans la présente affaire, tout comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont : la prestataire a‑t‑elle enfreint la politique de vaccination de son employeur et, si oui, l’infraction était‑elle délibérée et pouvait‑on prévoir qu’elle soit susceptible d’entraîner une suspension ou un congédiement? Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas ignoré des précédents d’application obligatoire

[27] Devant la division générale, la prestataire s’est appuyée sur deux décisions récentes : AL et TCNote de bas de page 11. Dans ces affaires, on a jugé que les prestataires étaient admissibles au bénéfice des prestations d’assurance-emploi malgré le non‑respect des politiques de leur employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19. Selon la prestataire, la membre de la division générale qui a jugé son dossier aurait dû mener une analyse semblable à celles effectuées dans les affaires AL et TC.
[28] Je ne suis pas d’accord.

[29] La membre de la division générale qui a instruit l’appel de la prestataire n’était pas obligée de suivre les décisions AL et TC. En effet, même si d’autres membres ont présidé les débats, c’est la division générale qui a tranché ces affaires. Les membres de la division générale ont l’obligation de suivre les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais rien ne les force à suivre celles de leurs collègues.

[30] De plus, contrairement à ce que la prestataire semble croire, la décision AL ne dispense pas entièrement les prestataires de l’assurance-emploi de l’application des politiques de vaccination obligatoire adoptées par leurs employeuses et employeurs. Dans l’affaire AL, la convention collective empêchait explicitement l’employeur de forcer la personne à se faire vacciner. Selon mon examen du présent dossier, la prestataire n’a jamais mentionné de disposition comparable dans son propre contrat de travail. Dans la décision Cecchetto, celle où la Cour fédérale s’est récemment penchée sur les exigences de l’employeur en matière de vaccination, l’affaire AL fait aussi l’objet d’un examen et, selon la conclusion, elle n’a pas une grande portéeNote de bas de page 12.

[31] Quant à la décision TC, elle n’aide pas non plus la prestataire. En effet, même s’il y est question d’un prestataire de l’assurance-emploi dont le refus de se faire vacciner n’a pas été jugé comme étant une inconduite, les circonstances étaient différentes de celles dans la présente affaire. L’affaire TC reposait sur le fait que l’employeur du prestataire lui a donné seulement deux jours pour se conformer à une politique de vaccination qui n’était écrite nulle part. Comme la politique n’avait pas été communiquée adéquatement au prestataire, la division générale a conclu que le refus de se faire vacciner n’était pas délibéré. En revanche, dans la présente affaire, le ministère avait une politique de vaccination écrite qui a été communiquée clairement à la prestataire. De plus, la prestataire a été avisée de la politique assez tôt pour pouvoir s’y conformer et les conséquences du non‑respect de la politique lui ont été expliquées clairement.

Conclusion

[32] Pour les motifs que je viens d’expliquer, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. Par conséquent, la permission de faire appel est refusée. Cela met donc un terme à l’appel.

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