Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 440

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (474199) rendue le 24 juin 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 19 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 23 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-3457

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné une suspension). Pour cette raison, elle n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] La prestataire a été suspendueNote de bas de page 1 parce que, selon son employeur, elle n’a pas respecté sa politique de vaccination : elle n’a pas fourni la preuve qu’elle était vaccinée.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas ces faits, elle affirme que contrevenir à la politique de vaccination de son employeur n’est pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté la raison fournie par l’employeur pour expliquer la suspension. Elle a décidé que la prestataire avait été suspendue pour inconduiteNote de bas de page 2. En conséquence, elle a conclu que la prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas une partie à l’appel

[6] Le Tribunal a constaté qu’il pouvait peut-être mettre une autre partie en cause dans l’appel : l’ancien employeur de la prestataire. Le Tribunal lui a fait parvenir une lettre pour lui demander s’il avait un intérêt direct dans l’appel et s’il voulait être mis en cause. En date de la présente décision, l’employeur n’a pas répondu à la lettre. Comme rien dans le dossier n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas le mettre en cause.

Question en litige

[7] La prestataire a-t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] La loi prévoit qu’on ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si l’on perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique en cas de congédiement et en cas de suspensionNote de bas de page 3.

[9] Pour savoir si la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison elle a été suspendue. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme étant une inconduite.

Pourquoi la prestataire a‑t-elle été suspendue?

[10] Les deux parties sont d’accord : la prestataire a été placée en congé sans solde (suspendue) parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination de l’employeur. Je ne vois rien qui prouve le contraire, alors j’accepte ce fait.

La raison de la suspension est‑elle une inconduite au sens de la loi?

[11] La raison pour laquelle la prestataire a été suspendue est une inconduite au sens de la loi.

[12] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Mais la jurisprudence (les décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment savoir si le renvoi de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle établit le critère juridique de l’inconduite, c’est‑à-dire les points et les critères à prendre en considération lorsqu’on examine la question de l’inconduite.

[13] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 5. Il n’est cependant pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est‑à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 6.

[14] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que la possibilité d’être renvoyée pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 7.

[15] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 8.

[16] Je peux me pencher sur une seule question : ce que la prestataire a fait ou omis de faire est‑il une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi? Je ne peux pas rendre ma décision en me fondant sur d’autres loisNote de bas de page 9. Je ne peux pas décider si les prestataires se sont fait congédier de façon déguisée ou injustifiée aux termes du droit du travail. Je ne peux pas décider si les employeuses et employeurs ont fait preuve de discrimination à l’égard des prestataires ou auraient dû répondre à leurs besoins au titre de la législation sur les droits de la personneNote de bas de page 10. Je ne peux pas non plus décider si les employeuses et employeurs ont porté atteinte à la vie privée ou à d’autres droits des prestataires.

[17] La Cour d’appel fédérale a jugé une affaire appelée Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 11. M. McNamara a été congédié aux termes de la politique de son employeur sur le dépistage de drogues. Il a fait valoir qu’il n’aurait pas dû perdre son emploi parce que le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances, notamment parce qu’aucun motif raisonnable ne permettait de croire qu’il était incapable de travailler en toute sécurité après avoir consommé de la drogue et parce que le dernier test qu’il avait passé était toujours valable. Essentiellement, M. McNamara disait qu’il devait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que son employeur avait mal agi lorsqu’il a décidé de le congédier.

[18] En guise de réponse aux arguments de M. McNamara, la Cour d’appel fédérale a expliqué que, dans les affaires où il est question d’inconduite, elle a toujours maintenu ceci : « il n’appartient pas au conseil ou au juge‑arbitre de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt, il leur appartient de dire si l’omission ou l’acte reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi ». La Cour a ajouté que, dans l’interprétation et l’application de la Loi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a fait remarquer que les membres du personnel dont le congédiement est injustifié disposent d’autres recours, « qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance-emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[19] La décision McNamara a été suivie dans une affaire plus récenteNote de bas de page 12 : Paradis c Canada (Procureur général). Comme M. McNamara, M. Paradis a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage. M. Paradis a fait valoir qu’il avait été congédié à tort, que les résultats des tests montraient qu’il n’avait pas travaillé avec les facultés affaiblies et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et aux lois provinciales sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est appuyée sur la décision McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un élément déterminant lorsqu’il s’agit de décider de l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 13.

[20] La Cour d’appel fédérale a jugé une autre affaire semblableNote de bas de page 14 : Mishibinijima c Canada (Procureur général). M. Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool. Il a fait valoir que, comme la dépendance à l’alcool était reconnue comme une déficience, son employeur était tenu de lui offrir des mesures d’adaptation. Encore une fois, la Cour a précisé qu’il faut se pencher d’abord et avant tout sur ce que la personne employée a fait ou n’a pas fait. Elle a ajouté que le fait que l’entreprise n’a pas mis de mesures d’adaptation en place pour la personne qu’elle emploie n’est pas pertinentNote de bas de page 15.

[21] Ces affaires ne parlent pas de politiques de vaccination contre la COVID-19. Cependant, les principes qui s’y trouvent sont toujours pertinents. Mon rôle n’est pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur pour décider s’il avait raison de renvoyer la prestataire. Je dois plutôt me pencher sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait, puis voir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Ce que disent la Commission et la prestataire

[22] La Commission et la prestataire s’entendent sur les principaux faits dans la présente affaire. Les principaux faits sont ce que la Commission doit prouver pour démontrer que la conduite de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi.

[23] Selon la Commission, il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait une politique de vaccination qu’il a communiquée à la prestataire.
  • La politique de l’employeur obligeait la prestataire à fournir une preuve de vaccination ou à obtenir une exemption approuvée.
  • La prestataire savait ce que la politique lui demandait de faire.
  • Elle savait aussi que son employeur pouvait la suspendre aux termes de la politique si elle ne fournissait pas sa preuve de vaccination avant la date limite.
  • Elle a demandé une exemption pour des motifs religieux, mais l’employeur a rejeté sa demande.
  • Elle a fait le choix personnel de ne pas se faire vacciner avant la date limite.
  • Son employeur l’a suspendue parce qu’elle ne s’est pas conformée à sa politique de vaccination.

[24] La prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • La politique de vaccination de l’employeur ne faisait pas partie de son contrat de travail à son embauche.
  • La politique contrevenait à sa convention collective.
  • La politique allait à l’encontre de la loi, de son droit à la vie privée et des droits de la personne.
  • L’employeur n’avait pas le droit de la mettre en congé sans solde contre son gré.
  • L’employeur considérait que le congé était administratif, et non disciplinaire. On ne devrait donc pas le considérer comme une suspension aux fins de l’assurance-emploi.

[25] Dans le présent appel, les éléments de preuve sont cohérents et simples. La prestataire savait ce que la politique de vaccination lui demandait de faire et ce qui se passerait si elle ne le faisait pas. L’employeur l’a informée des exigences de la politique et des conséquences du non‑respect de la politique.

La politique de l’employeur était une condition d’emploi

[26] L’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et de mettre en place des politiques en milieu de travail. Lorsqu’il a mis en œuvre cette politique obligatoire pour tout le personnel, elle est devenue une condition expresse de l’emploi de la prestataireNote de bas de page 16.

L’employeur ne considérait pas le congé comme une inconduite

[27] La prestataire avance que, comme son congé n’était pas disciplinaire et que son employeur n’a pas dit que c’était une inconduite, la Commission ne devrait pas le considérer comme une inconduite dans le cadre de l’assurance-emploi.

[28] Les cours ont déjà examiné cette question. Elles ont conclu que la façon dont l’employeur qualifie les motifs de renvoi d’une personne ne tranche pas la question de savoir si elle a perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 17. Par conséquent, la façon dont l’employeur a décrit la raison pour laquelle la prestataire est en congé n’est pas décisive.

Autres arguments

[29] Je n’ai pas le pouvoir légal (en droit, nous appelons cela la « compétence ») de me prononcer sur certains des arguments avancés par la prestataire. Plus précisément, je ne peux pas décider :

  • si l’employeur avait le droit d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans passer par la négociation;
  • si l’employeur avait le droit de la placer en congé sans solde aux termes des dispositions de sa convention collective;
  • si la politique de l’employeur allait à l’encontre de la loi, violait son droit à la vie privée et contrevenait aux droits de la personne.

[30] Au Canada, il existe un certain nombre de lois qui protègent les droits d’une personne, comme le droit à la vie privée ou le droit à l’égalité (absence de discrimination). L’une d’elles est la Charte. Il y a aussi la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne et bon nombre de lois provinciales qui protègent les droits et les libertés.

[31] Ces lois sont appliquées par différentes cours et divers tribunaux. 

[32] Le Tribunal peut décider si l’un ou l’autre des dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi ou de ses règlements (ou d’une loi connexe) porte atteinte aux droits que la Charte garantit aux prestataires.

[33] Le Tribunal n’est toutefois pas autorisé à vérifier si une mesure prise par une employeuse ou un employeur viole les droits fondamentaux que la Charte garantit aux prestataires. Une telle chose dépasse ma compétence. Le Tribunal n’est pas non plus autorisé à rendre des décisions fondées sur la Charte canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne ou sur les lois provinciales qui protègent les droits et les libertés.

[34] Les cours ont dit que, pour trancher les appels impliquant une inconduite, je ne dois pas regarder si la politique de l’entreprise ou la sanction qu’elle a imposée à une personne qu’elle emploie est raisonnable ou légale aux termes d’un contrat de travail, d’une convention collective ou de lois comme celles qui protègent les droits de la personneNote de bas de page 18.

[35] La prestataire a peut-être d’autres recours qui lui permettraient de faire valoir ses prétentions au sujet de la politique de l’employeur qui aurait porté atteinte à ses droits. Mais ces questions doivent être traitées par la cour ou le tribunal approprié. Elles ne relèvent pas de ma compétence.

Apport du Guide de la détermination de l’admissibilité

[36] La prestataire a déposé un extrait du chapitre 6 du Guide de la détermination de l’admissibilité,qui porte sur l’assurance-emploi. Ce chapitre précise qu’on considère qu’il y a mise à pied quand les prestataires prennent temporairement un congé qui est imposé par l’employeuse ou l’employeur et qui n’est pas pris de façon volontaire. La prestataire me recommande de suivre le principe énoncé dans cette section du Guide, car il concorde avec sa situation.

[37] Le Guide de la détermination de l’admissibilité n’est pas un texte de loi. Je ne suis donc pas obligée de le suivre. C’est une politique interne de la Commission. Autrement dit, ce sont les règles que le personnel de la Commission doit suivre pour interpréter et appliquer la Loi sur l’assurance-emploi et rendre des décisions dans le cadre des demandes de prestations.

[38] La section du Guide que la prestataire a déposée porte sur la prise d’un congé volontaire au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. Elle n’aborde pas l’inconduite. Ainsi, cette section du Guide ne s’applique pas à la décision que la prestataire conteste. Je ne vais donc pas appliquer ses principes.

Autres décisions du Tribunal

[39] La prestataire a déposé deux décisions du Tribunal qui, selon elle, sont pertinentes dans son dossierNote de bas de page 19. Elle a déposé des copies non caviardées des décisions, qui contenaient le nom complet des prestataires. Je vais quand même appeler ces affaires ainsi : AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada et TC c Commission de l’assurance-emploi du Canada.

AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada

[40] Dans cette affaire, AL travaillait au service de l’administration de l’hôpital. Elle a été suspendue, puis congédiée par l’hôpital parce qu’elle ne s’est pas conformée à sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19. À la lumière de la preuve et des arguments présentés dans cette affaire, le membre du Tribunal a conclu qu’AL n’avait pas perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[41] Le membre du Tribunal a conclu que l’employeur avait modifié les modalités du contrat de travail d’AL et imposé une nouvelle condition d’emploi sans son consentement et sans modifier la convention collective. Il a aussi conclu qu’une employeuse ou un employeur pouvait imposer une nouvelle condition d’emploi à son personnel seulement « lorsque la loi exige une mesure précise de la part de l’employeur et la conformité d’un membre du personnel ». Il a ajouté que l’employeur n’avait pas l’obligation légale d’exiger que son personnel se fasse vacciner. En conséquence, le membre a conclu que la prestataire n’avait pas manqué à une obligation envers son employeur lorsqu’elle a choisi de ne pas se faire vacciner, contrairement à ce qu’exigeait la politique.

[42] Le membre du Tribunal a aussi conclu que les prestataires ont le droit d’accepter ou non un traitement médical. De plus, même si le choix de la prestataire contredit la politique de son employeur et mène à son congédiement, l’exercice de ce « droit » ne peut pas être considéré comme un acte répréhensible ou une conduite indésirable qui permettrait de conclure qu’il s’agit d’une inconduite digne de sanction ou d’exclusion au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 20.

[43] Je ne suis pas obligée de suivre les autres décisions du Tribunal, mais je peux m’en inspirer si je les trouve convaincantes et utiles. Je n’adopterai pas le même raisonnement que dans la décision AL. Voici pourquoi.

[44] D’abord, les faits présentés par la prestataire dans l’appel que je dois trancher sont très différents de ceux décrits dans l’affaire AL. Il est important de souligner que AL avait une convention collective qui abordait l’obligation de recevoir d’autres vaccins que celui contre la COVID-19. Le membre du Tribunal s’est appuyé sur cet élément pour conclure que l’employeur et le syndicat (les parties à la convention collective) avaient prévu l’exigence de recevoir d’autres vaccins dans la convention collective. Par conséquent, le membre du Tribunal en a déduit que l’obligation de recevoir le vaccin contre la COVID-19 aurait dû passer par le même processus.

[45] Je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement. La convention collective régit les conditions d’emploi du personnel syndiqué. La question de savoir si la convention collective d’une personne prévoit l’obligation de se faire vacciner ne permet pas de trancher l’affaire dont je suis saisie. Ce qui est déterminant dans le cas de la prestataire, c’est la question de savoir si le refus de se conformer à la politique de vaccination de son employeur constitue une inconduite au sens de la Loi et de la jurisprudence, comme je l’ai mentionné plus haut. De plus, dans l’appel que je dois trancher, la prestataire n’a présenté aucune preuve montrant que sa convention collective comportait une disposition qui abordait la vaccination obligatoire. Ainsi, je conclus que la situation de la prestataire est différente des faits décrits dans la décision AL.

[46] Ensuite, le membre du Tribunal a fondé sa conclusion sur le principe que les employeuses et employeurs ne peuvent pas mettre en place de nouvelles conditions d’emploi à moins d’avoir l’obligation légale de le faire ou le consentement explicite ou implicite des membres du personnel. Cependant, après avoir examiné cette question, d’autres cours et tribunaux ont tiré une conclusion différente.

[47] Par exemple, dans l’affaire Re Thompson and Town of Oakville Re Ruelens and Town of Oakville, [1964] 1 OR 122, la Haute Cour de justice de l’Ontario a confirmé que, sans obligation légale ou contractuelle, le chef de la police municipale ne pouvait pas exiger que les membres des forces policières se soumettent à un examen médical pratiqué par une ou un médecin en particulier. À l’époque, la loi exigeait que les personnes embauchées passent un examen médical au moment de rejoindre les rangs de la police, mais cette exigence ne s’appliquait pas aux membres déjà en fonction et rien ne justifiait que le chef de police désigne la ou le médecin qui devait effectuer l’examen. La Cour a précisé que le personnel pouvait refuser d’obéir aux ordres d’une employeuse ou d’un employeur si l’ordre n’était pas fondé en droit.

[48] Toutefois, par la suite, d’autres tribunaux ont décidé que les employeuses et employeurs peuvent exiger que leur personnel se soumette à des examens médicaux dans certaines circonstances, même en l’absence d’une obligation légale ou contractuelleNote de bas de page 21. Je ne suis donc pas convaincue que les employeuses et employeurs puissent mettre en place une politique seulement si elle repose sur un fondement législatif ou contractuel.

[49] Enfin, je ne suis pas d’accord avec le raisonnement du membre du Tribunal voulant que le refus d’AL de se faire vacciner ne peut pas être considéré comme une inconduite parce qu’elle exerçait son droit d’accepter ou non un traitement médical. La façon dont le membre dit qu’aux fins de l’assurance-emploi, l’inconduite nécessite un « acte répréhensible » ou une « conduite indésirable qui mènerait à une conclusion d’inconduite » est erronée et va à l’encontre des avis donnés par les cours.

[50] Dans la décision Canada (Procureur général) c Secours, la Cour d’appel fédérale a conclu que limiter l’inconduite à des agissements résultant d’une intention coupable était une erreur de droitNote de bas de page 22. Je ne suis pas d’accord avec la conclusion que le membre du Tribunal a tirée dans cette affaire, soit qu’une conclusion d’inconduite nécessite un acte répréhensible ou une conduite qui mérite d’être sanctionnée. Les cours ont été claires à ce sujet : ce serait une erreur de droit d’interpréter le critère juridique de cette façon.

TC c Commission de l’assurance-emploi du Canada

[51] Dans cette affaire, le prestataire, TC, a été placé en congé parce qu’il ne respectait pas la politique de vaccination à son travail. La Commission a décidé qu’il avait été suspendu pour inconduite.

[52] Fait important dans cette affaire, l’employeur a informé TC de la politique de vaccination deux jours avant la date limite pour se faire vacciner. TC n’a pas vu de copie de la politique et il ne savait pas quelles étaient les conséquences du non-respect de la politique. Il n’a pas non plus eu l’occasion de demander d’être exempté de la politique. Deux jours plus tard, l’employeur l’a placé en congé. La membre du Tribunal a conclu que l’employeur avait le droit d’élaborer et d’imposer des politiques en milieu de travail, mais que le personnel doit avoir la possibilité de comprendre la politique, de savoir ce qu’il faut faire, d’examiner la politique ou de poser des questions et il faut que le personnel ait assez de temps pour s’y conformer.

[53] L’appel de la prestataire et celui de TC soulèvent la même question de droit : y a‑t‑il eu suspension en raison d’une inconduite? Par contre, les faits importants sont différents. La prestataire a été avisée de la politique de vaccination de l’employeur plusieurs mois avant la date limite à respecter. Elle a vu une copie de la politique et a eu l’occasion de demander une exemption. Elle a aussi eu la possibilité de poser des questions à son employeur et à son syndicat au sujet de la politique. Je comprends qu’elle n’était pas satisfaite des réponses qu’elle a obtenues, mais elle a bel et bien eu l’occasion de les recevoir. De plus, elle a eu amplement le temps de se conformer à la politique et de se faire vacciner, si elle avait voulu le faire.

[54] Étant donné ces différences, je juge que l’affaire TC n’est pas convaincante pour régler la question de savoir si la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Les éléments sur lesquels la membre du Tribunal qui a tranché l’affaire TC s’est fondée pour accueillir l’appel sont absents du dossier de la prestataire.

La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue pour inconduite

[55] Je conclus que la Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue pour inconduite parce qu’elle a démontré les éléments suivants :

  • L’employeur avait une politique de vaccination qui obligeait le personnel à attester de son statut vaccinal et à fournir une preuve de vaccination contre la COVID-19.
  • La prestataire connaissait la politique de vaccination et ce que l’employeur attendait de son personnel à cet égard.
  • Elle savait que l’employeur pouvait la suspendre si elle ne se faisait pas vacciner avant la date limite.
  • Elle a demandé d’être exemptée de la politique, mais l’employeur a refusé.
  • De façon consciente, délibérée et intentionnelle, elle a pris la décision personnelle de ne pas se faire vacciner avant la date limite.
  • Elle a été suspendue parce qu’elle ne respectait pas la politique de vaccination de l’employeur.

Somme toute, la prestataire a‑t‑elle été suspendue en raison d’une inconduite?

[56] Étant donné les conclusions que je viens de tirer, je juge que la prestataire a été suspendue pour inconduite.

[57] En effet, les faits et gestes de la prestataire ont mené à la suspension. Elle a agi de façon délibérée. Elle savait qu’elle se ferait probablement suspendre si elle ne recevait pas le vaccin.

Conclusion

[58] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[59] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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