Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation :VS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 419

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : V. S.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 23 janvier 2023
(GE-22-2800)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 12 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-187

Sur cette page

Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission de faire appel parce qu’elle n’a pas présenté d’argument défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, V. S., travaillait pour X. Le 23 novembre 2021, X l’a mise en congé sans solde après qu’elle a refusé de fournir une preuve qu’elle avait été vaccinée contre la COVID-19Note de bas de page 1. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que son refus de suivre la politique de vaccination de X constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de X. Elle a estimé que la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle serait congédiée si elle ne respectait pas la politique de vaccination.

[4] La prestataire cherche maintenant à obtenir la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a ignoré le fait que rien dans la loi n’obligeait X à établir et à appliquer une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Elle a ignoré le fait que ni son contrat de travail ni sa convention collective ne mentionnaient une exigence de vaccination.
  • Elle a mal interprété le sens du terme « inconduite » dans la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle n’a pas tenu compte d’une décision récente de la division générale qui a accordé des prestations d’assurance-emploi à un prestataire qui a refusé de se soumettre à la politique de vaccination obligatoire de son employeur.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale :

  • a agi de façon inéquitable;
  • a outrepassé sa compétence ou a refusé de l’exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[6] Avant que l’appel de la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 3. Une chance raisonnable de succès est l’équivalent d’un argument défendableNote de bas de page 4. Si la prestataire n’a pas présenté d’argument défendable, l’affaire est close.

[7] À cette étape préliminaire, je dois décider s’il est possible de soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que la prestataire n’a pas présenté d’argument défendable.

Il est impossible de soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] La prestataire maintient qu’elle n’a rien fait de mal en refusant de se faire vacciner. Elle laisse entendre qu’en la forçant à le faire sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits.

[10] Étant donné le droit relatif à l’inconduite, je ne vois en quoi la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

[11] Après avoir examiné la preuve disponible, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur de la prestataire a adopté et communiqué une politique claire exigeant que les employés fournissent une preuve qu’ils avaient été entièrement vaccinés.
  • La prestataire savait qu’elle serait congédiée si elle ne se conformait pas à la politique à une certaine date.
  • La prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner dans les délais raisonnables exigés par son employeur.

[12] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier et le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses actes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à sa suspension. La prestataire croyait peut-être que son refus de suivre la politique de X ne causait aucun préjudice à son employeur, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à elle d’en décider.

Il est impossible de soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[13] Le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre un employé et son employeur. Il ne s’agit pas de savoir si le différend découle d’une clause contractuelle explicite ou implicite. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste pour la prestataire, mais c’est une interprétation que les tribunaux ont adoptée à maintes reprises et que la division générale était tenue de suivre.

On entend par inconduite toute action intentionnelle susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[14] La prestataire soutient que rien dans la loi n’obligeait son employeur à mettre en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Elle dit que les tests de dépistage et la vaccination n’ont jamais été des conditions d’emploi.

[15] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[16] Il est important de comprendre que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi, qui ne correspond pas nécessairement à sa signification courante. Dans sa décision, la division générale a défini l’inconduite comme suit :

[P]our qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelle. Par inconduite, on entend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle fasse l’objet de mesures disciplinaires [sic] pour cette raisonNote de bas de page 5.

[17] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que pour évaluer l’admissibilité de la prestataire à l’assurance-emploi, elle n’avait pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement le terme inconduite

[18] La prestataire soutient que rien dans son contrat de travail et sa convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que la question n’est pas là. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employé l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale s’est exprimée en ces termes :

Je dois me concentrer seulement sur la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si d’autres lois offrent d’autres options à la prestataire. Je n’ai pas à décider si son employeur l’a congédiée injustement ou s’il aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnables. Je peux seulement évaluer si ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 6.

[19] Ce passage fait écho à une affaire intitulée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait déclaré ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 7.

[20] Dans la décision Lemire, la Cour a conclu qu’un employeur était fondé à considérer comme une inconduite le fait qu’un de ses employés chargés de la livraison de nourriture ait exploité une entreprise parallèle de vente de cigarettes. La Cour a conclu qu’il en était ainsi même si l’employeur n’avait pas de politique explicite à l’encontre d’une telle conduite.

Une nouvelle affaire confirme l’interprétation de la loi par la division générale

[21] Une décision récente de la Cour fédérale a confirmé de la division générale à l’égard de l’inconduite dans le contexte précis des obligations vaccinales contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 8. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé par la loi à trancher ces questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la Directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ou de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 9.

[22] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres façons pour le prestataire de faire valoir ses allégations de congédiement abusif et ses revendications en matière de droits de la personne dans le cadre du système juridique.

[23] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si la prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et vraisemblablement susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. La division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas ignoré un précédent contraignant

[24] La prestataire s’appuie sur la décision AL récemment rendue par la division générale dans laquelle un prestataire a été jugé admissible à des prestations d’assurance-emploi même s’il n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 10. La prestataire semble suggérer que la membre de la division générale qui a instruit son appel aurait dû suivre une analyse semblable à celle de la décision AL.

[25] Je ne suis pas d’accord.

[26] Premièrement, il ne semble pas que la prestataire ait invoqué la décision AL devant la division généraleNote de bas de page 11. On ne peut donc pas reprocher à la membre qui a instruit l’appel de la prestataire de ne pas avoir tenu compte d’une décision qui ne lui a pas été présentée.

[27] Deuxièmement, l’affaire AL, comme celle de la prestataire, a été tranchée par la division générale. Même si la membre qui a instruit l’appel de la prestataire avait examiné la décision AL, elle n’aurait pas été obligée de la suivre. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais ils ne le sont pas par les décisions de leurs pairs.

[28] Finalement, la décision AL n’exempte pas totalement, comme la prestataire semble le croire, les prestataires de l’assurance-emploi des politiques de vaccination obligatoire de leurs employeurs. La décision AL semble avoir impliqué une prestataire dont la convention collective empêchait explicitement son employeur de la forcer à se faire vacciner. Selon mon examen du dossier, la prestataire n’a jamais mentionné de disposition comparable dans son propre contrat de travail. Dans sa récente décision Cecchetto où elle a examiné la politique de vaccination obligatoire d’un employeur, la Cour fédérale a également pris en compte la décision AL et conclu qu’elle n’avait pas une grande portéeNote de bas de page 12.

Conclusion

[29] Pour les raisons que je viens d’énumérer, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.