Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 455

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : D. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (481504) rendue le 23 août 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Amanda Pezzutto
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 18 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 25 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-3261

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Décision

[1] D. P. est la prestataire dans ce dossier. Selon la Commission de l’assurance-emploi du Canada, elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi parce qu’elle a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La prestataire porte cette décision en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[2] Je rejette l’appel de la prestataire. Je conclus qu’elle a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] La prestataire travaillait dans le domaine de la santé. À la suite d’une ordonnance du gouvernement provincial, son employeur a mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19. Aux termes de la politique, l’employeur s’attendait à ce que chaque membre du personnel présente une preuve de vaccination contre la COVID-19 ou obtienne une exemption approuvée. La politique disait que l’employeur finirait par congédier toute personne qui ne respectait pas la politique.

[4] La prestataire a choisi de ne pas suivre la politique de son employeur. Elle lui a dit qu’elle n’était pas vaccinée contre la COVID-19 et elle ne lui a pas demandé d’exemption. L’employeur l’a donc congédiée le 2 décembre 2021. La prestataire a demandé des prestations d’assurance-emploi, mais la Commission a refusé de les lui verser.

[5] La Commission affirme ne pas pouvoir verser de prestations d’assurance-emploi. Elle explique que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission dit que cette dernière connaissait la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Elle savait qu’elle pouvait perdre son emploi si elle ne respectait pas la politique. Malgré cela, selon la Commission, la prestataire a agi de façon délibérée lorsqu’elle a choisi de ne pas suivre la politique de l’employeur.

[6] La prestataire n’est pas d’accord. Elle affirme que l’employeur aurait dû lui offrir d’autres solutions plutôt que la vaccination. Elle affirme que l’ordonnance provinciale de santé publique n’obligeait pas son employeur à la congédier si elle ne respectait pas la politique. Elle ajoute qu’elle a le droit de refuser tout médicament ou traitement médical.

Question en litige

[7] La prestataire a‑t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] Pour savoir si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a‑t-elle perdu son emploi?

[9] Selon la Commission, l’employeur a congédié la prestataire le 2 décembre 2021 parce qu’elle ne respectait pas sa politique de vaccination. La Commission affirme que la prestataire n’était toujours pas vaccinée à la date limite fixée par l’employeur et ce dernier ne l’avait pas exemptée de la vaccination.

[10] La prestataire est d’accord. À l’audience, elle a dit que son employeur l’avait congédiée en raison de la politique de vaccination contre la COVID-19. Elle a expliqué qu’elle avait dit à son employeur qu’elle n’était pas vaccinée et qu’il ne lui avait pas donné d’exemption à la politique.

[11] Le dossier d’appel contient aussi une lettre de congédiement provenant de l’employeur de la prestataire. La lettre indique que l’employeur congédie la prestataire le 2 décembre 2021 parce qu’elle n’a pas respecté sa politique de vaccination contre la COVID-19.

[12] Ainsi, la prestataire et la Commission sont d’accord sur un point : l’employeur a congédié la prestataire parce qu’elle n’a pas suivi la politique de vaccination contre la COVID-19. La preuve au dossier d’appel me montre aussi que c’est la raison pour laquelle la prestataire a perdu son emploi. Rien dans le dossier d’appel ne me porte à croire que la prestataire a perdu son emploi pour autre chose.

[13] Je dois maintenant décider si les faits et gestes de la prestataire – le non-respect de la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19 – constituent une inconduite au sens de la loi.

La raison du congédiement est‑elle une inconduite au sens de la loi?

[14] Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il faut que la conduite soit délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 1. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 2. Il n’est pas cependant nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 3.

[15] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et que la possibilité d’être congédiée pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 4.

[16] Il faut que la Commission prouve que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 5.

[17] Selon la Commission, la raison pour laquelle la prestataire a perdu son emploi est une inconduite. La Commission affirme que la prestataire était au courant de la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Elle savait qu’elle perdrait son emploi si elle ne respectait pas la politique. Et elle a agi de façon délibérée lorsqu’elle a décidé de ne pas suivre la politique.

[18] La prestataire n’est pas d’accord. Elle dit que son employeur aurait dû lui offrir d’autres solutions au lieu de la vaccination, comme des tests de dépistage réguliers. Elle affirme que la politique de l’employeur va au‑delà de l’ordonnance provinciale de santé publique, qui ne dit pas que l’employeur devait la congédier. Elle ajoute qu’elle a le droit de prendre ses propres décisions sur ses traitements médicaux.

[19] Je suis d’accord avec la Commission. Je conclus que la raison pour laquelle la prestataire a perdu son emploi est une inconduite au sens de la loi.

[20] La prestataire et la Commission sont d’accord sur bon nombre des faits essentiels dans le présent appel, mais elles ne sont pas d’accord sur la façon dont la loi s’applique à ces faits.

[21] La prestataire a toujours affirmé que son employeur avait mis en place une politique de vaccination contre la COVID-19. Elle a dit avoir appris l’existence de la politique en août 2021. La prestataire savait que, suivant la politique, son employeur s’attendait à ce que chaque membre du personnel se fasse vacciner contre la COVID-19 ou obtienne une exemption approuvée.

[22] À l’audience, la prestataire a admis que la politique mentionnait que l’employeur la congédierait si elle ne la respectait pas. Elle a précisé qu’au départ, la date limite pour se conformer à la politique était en octobre 2021, mais que l’employeur l’a ensuite repoussée jusqu’en novembre 2021.

[23] La prestataire convient qu’elle n’a pas respecté la politique de l’employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Elle lui a dit qu’elle n’avait pas reçu le vaccin contre la COVID-19. Elle ne lui a pas demandé d’exemption. Son employeur ne lui a pas dit qu’elle était exemptée de la politique.

[24] La politique de l’employeur se trouve dans le dossier d’appel. Elle précise que tout le personnel doit se faire vacciner contre la COVID-19 ou obtenir une exemption approuvée. La politique mentionne que l’employeur imposera des mesures disciplinaires aux personnes qui ne la respecteront pas. Le congédiement est l’une des mesures possibles.

[25] Le dossier d’appel contient aussi des lettres que l’employeur a adressées à la prestataire. L’employeur lui a envoyé les lettres en septembre, en octobre et en novembre 2021. Dans chacune, il lui rappelle la politique de vaccination contre la COVID-19. Les lettres indiquent que l’employeur congédiera la prestataire si elle ne respecte pas la politique de vaccination.

[26] La prestataire fait valoir que la division générale du Tribunal a rendu récemment une décision qui décrit une situation très semblable à la sienneNote de bas de page 6. Dans cette décision, le membre de la division générale a conclu qu’en adoptant une politique de vaccination contre la COVID-19, l’employeur de la travailleuse avait ajouté de façon unilatérale une nouvelle exigence à son contrat de travail. Le membre de la division générale a conclu que ni la travailleuse ni son syndicat n’avaient consenti à cette nouvelle condition d’emploi. Il a fait remarquer que leur convention collective ne prévoyait aucune obligation de vaccination contre la COVID-19. Il a conclu que la Commission n’avait pas prouvé que la travailleuse avait perdu son emploi en raison d’une inconduite, car elle n’avait pas démontré que la travailleuse n’avait pas respecté de façon expresse ou implicite son contrat de travail.

[27] La prestataire croit que je devrais suivre cette décision de la division générale. Elle affirme que les éléments présentés dans cette affaire sont très semblables à sa situation.

[28] Je ne suis pas d’accord avec la prestataire. Je ne suivrai pas les conclusions de cette décision de la division générale.

[29] Le Tribunal essaie de rendre des décisions cohérentes. Autrement dit, les membres du Tribunal devraient essayer de suivre les décisions de leurs collègues. Mais certaines décisions sont aberrantes. Il arrive que la loi y soit interprétée différemment. Il arrive même qu’elles se fondent sur la même jurisprudence pour arriver à une nouvelle conclusion. C’est l’une des raisons pour lesquelles les membres du Tribunal n’ont pas l’obligation de suivre les autres décisions du Tribunal. Par contre, les décisions rendues par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale font partie de la loi et je suis obligée de les suivre.

[30] De plus, les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale affirment constamment que je ne peux pas me pencher sur les actions de l’employeur lorsque je rends une décision au sujet d’une inconduite. Je ne peux pas regarder si l’employeur aurait dû offrir à la prestataire d’autres solutions au lieu de la vaccination. Je ne peux pas décider si la politique de l’employeur était équitable ou justifiée. Je ne peux pas vérifier si la décision de l’employeur de congédier la prestataire était trop sévère. Je peux seulement examiner les faits et gestes de la prestataire et décider si les raisons pour lesquelles elle a perdu son emploi remplissent le critère de l’inconduiteNote de bas de page 7.

[31] Et même si les autres décisions du Tribunal ne font pas partie de la loi, je tiens à souligner que, dans de nombreuses affaires, la division générale et la division d’appel ont examiné des situations semblables et ont décidé que le refus de se faire vacciner contre la COVID-19 peut constituer une inconduite. Plus précisément, de nombreuses décisions de la division d’appelNote de bas de page 8 conviennent qu’il y a inconduite dans les circonstances suivantes :

  • L’employeuse ou l’employeur a adopté une politique claire sur la vaccination contre la COVID-19.
  • L’employeuse ou l’employeur avise son personnel de la politique et lui donne assez de temps pour s’y conformer.
  • La politique précise clairement les conséquences que subiront les personnes qui refusent de la respecter.
  • Par conséquent, les membres du personnel savent ou devraient raisonnablement savoir que les personnes qui ne respectent pas la politique de vaccination contre la COVID-19 perdront probablement leur emploi.
  • Malgré cela, la personne fait le choix délibéré de ne pas suivre la politique.

[32] Je juge que toutes ces circonstances sont réunies dans le présent appel.

[33] La prestataire admet qu’elle connaissait la politique de son employeur sur la COVID-19. Elle convient que l’employeur l’a avisée de la politique de nombreuses semaines d’avance. Et le dossier d’appel contient au moins trois lettres que l’employeur a fait parvenir à la prestataire pour l’aviser de la politique, de la date limite pour se faire vacciner et des conséquences si elle refusait de suivre la politique. La prestataire confirme que la politique précisait que l’employeur la congédierait si elle ne respectait pas la politique. Je conclus donc que la prestataire savait qu’elle allait probablement perdre son emploi. Enfin, la prestataire a choisi délibérément de ne pas suivre la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. Ses gestes étaient délibérés.

[34] En conséquence, je conclus que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Ma décision est conforme à la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. Elle concorde aussi avec de nombreuses décisions rendues par la division générale et la division d’appel.

Conclusion

[35] Je conclus que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, elle ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi.

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