Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : JS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 469

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Prolongation du délai et décision relative à une demande de permission de faire appel

 

Partie demanderesse : J. S.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 19 décembre 2022
(GE-22-2489)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 19 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-175

Sur cette page

Décision

[1] L’appel de la prestataire était en retard, mais je lui accorde une prolongation de délai. Cependant, je rejette sa demande de permission de faire appel, parce qu’elle n’a pas de cause défendable. Le présent appel n’ira donc pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, J. S., fait appel d’une décision de la division générale, lui refusant des prestations d’assurance-emploi. 

[3] La prestataire travaillait comme représentante du service à la clientèle pour une entreprise de logistique médicale. Le 18 décembre 2021, l’entreprise a suspendu la prestataire après qu’elle a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19 dans un délai précis. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[4] La division générale était d’accord avec la Commission. Elle a conclu que la prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a conclu que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement sa suspension.

[5] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient qu’elle n’est pas coupable d’inconduite et fait valoir que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a agi de façon inéquitable en lui transmettant des documents importants seulement sept jours avant la date de l’audience.
  • Elle a mal interprété le sens du terme « inconduite » dans la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle a ignoré le fait que rien dans la loi n’exigeait que son employeur établisse et applique une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Elle a ignoré le fait que son contrat de travail ne faisait aucune mention d’une exigence de vaccination.
  • Elle a ignoré le fait que son employeur a tenté d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans son consentement.

Questions en litige

[6] Après avoir examiné la demande de permission de faire appel de la prestataire, j’ai dû trancher les questions connexes suivantes :

  • La demande de permission de faire appel de la prestataire a-t-elle été faite en retard?
  • Si oui, dois-je accorder une prolongation de délai à la prestataire?
  • L’appel de la prestataire a-t-il une chance raisonnable de succès?

[7] J’ai conclu que, même si la prestataire a présenté sa demande de permission de faire appel en retard, elle avait une explication raisonnable pour le faire. Cependant, je refuse à la prestataire la permission d’aller de l’avant, parce que son appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Analyse

La demande de permission de faire appel de la prestataire était en retard

[8] La demande de permission de faire appel doit être présentée à la division d’appel dans les 30 jours suivant la date où la décision a été communiquée à la partie demanderesseNote de bas de page 1. La division d’appel peut prolonger le délai pour présenter une demande de permission de faire appel, mais la demande ne peut en aucun cas être présentée plus d’un an après la date où la décision a été communiquée à la partie demanderesse.

[9] Dans la présente affaire, la division générale a rendu sa décision le 19 décembre 2022. Le même jour, le Tribunal a envoyé la décision à la prestataire par courriel et par la poste. Toutefois, la division d’appel a seulement reçu la demande de permission de faire appel de la prestataire le 17 février 2023, soit environ un mois après la date limite pour ce faire. Je conclus que la demande de permission de faire appel de la prestataire était en retard.

La prestataire avait une explication raisonnable pour son retard

[10] Lorsqu’une demande de permission de faire appel est présentée en retard, le Tribunal peut accorder à la partie demanderesse une prolongation de délai si elle a une explication raisonnable justifiant son retardNote de bas de page 2. Pour décider s’il y a lieu d’accorder une prolongation, il faut vérifier si cela serait dans l’intérêt de la justiceNote de bas de page 3.

[11] Juste avant la date limite pour faire appel, la prestataire a communiqué avec le Tribunal pour dire qu’elle essayait de préparer sa demande, mais qu’elle était incapable de le faire en raison de circonstances imprévuesNote de bas de page 4. Elle a demandé 30 jours supplémentaires pour demander la permission de faire appel.

[12] Lorsque la demande a finalement été présentée, la prestataire a expliqué qu’elle était en retard parce qu’elle avait besoin de plus de temps afin de demander de l’aide pour préparer son appelNote de bas de page 5.

[13] Dans les circonstances, j’estime que cette explication est raisonnable. Voilà pourquoi j’examine la demande de la prestataire même si elle est en retard.

L’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès

[14] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale a :

  • agi de façon inéquitable;
  • outrepassé ses pouvoirs, ou refusé de les exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 6.

[15] Avant que l’appel de la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 7. Avoir une chance raisonnable de succès est la même chose qu’avoir une cause défendableNote de bas de page 8. Si la prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

Il est impossible de soutenir que la division générale a agi de façon inéquitable

[16] La prestataire prétend que la division générale n’a pas respecté la procédure régulière. Elle affirme que son audience était prévue pour le 12 décembre 2022, mais que ses documents lui ont seulement été fournis le 5 décembre 2022.

[17] Je ne vois pas d’argument défendable ici.

[18] La prestataire a déposé son avis d’appel à la division générale le 26 juillet 2022. Une semaine plus tard, le 3 août 2022, le Tribunal a transmis le dossier complet de la Commission à l’adresse postale de la prestataire. Le 18 novembre 2022, le Tribunal a envoyé à la prestataire un avis d’audience par courriel et par courrier recommandé. Plus tard dans la journée, la prestataire a envoyé un courriel au Tribunal pour demander des précisionsNote de bas de page 9.

[19] Le 22 novembre 2022, un accompagnateur (un membre du personnel du Tribunal chargé d’aider les parties prestataires tout au long du processus d’appel) a téléphoné à la prestataire pour répondre à ses questions et lui dire à quoi elle pouvait s’attendre le jour de l’audienceNote de bas de page 10. Plus tard, une semaine avant l’audience, l’accompagnateur a laissé deux messages vocaux pour lui rappeler l’audience à venir et lui demander de confirmer qu’elle avait le dossier d’appel completNote de bas de page 11 (trousses de documents étiquetés GD1 à GD7).

[20] La prestataire a répondu par courriel le jour même. Elle a confirmé qu’elle était au courant de l’audience prévue pour le 12 décembre 2022, mais elle a nié avoir reçu un avis officiel d’audience, même si celui-ci lui avait déjà été envoyé par courriel et par courrier recommandéNote de bas de page 12. Trois jours plus tard, la prestataire a confirmé par courriel qu’elle assisterait à l’audience. Elle n’a pas dit qu’il lui manquait des documentsNote de bas de page 13.

[21] D’après ce dossier, je suis convaincu que la prestataire a été avisée de son audience comme il se doit et qu’elle a reçu tous les documents pertinents pour son appel. Je suis d’avis que le Tribunal a fait tout ce qui était raisonnablement possible pour s’assurer que la prestataire était prête pour son audience.

Il est impossible de soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[22] La prestataire soutient qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que rien dans la loi ne l’oblige à se faire vacciner contre la COVID-19. Elle laisse entendre qu’en la forçant à le faire sous la menace d’une suspension ou d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits. Elle affirme qu’elle n’aurait pas dû être exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle n’a rien fait d’illégal.

[23] Je ne vois pas le bien-fondé de cet argument.

[24] La division générale a défini l’inconduite comme suit :

[P]our être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 14.

[25] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre qu’elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[26] La prestataire soutient que rien dans son contrat de travail ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que ce n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employée ou l’employé l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

J’ai seulement le pouvoir de trancher des questions au titre de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si la prestataire a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de décider si la prestataire a été congédiée à tort ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables pour la prestataire (lui offrir des mesures d’adaptation). Je peux seulement examiner une chose : la question de savoir si ce que la prestataire a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 15.

[27] Ce passage fait écho à une affaire intitulée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait dit ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 16.

[28] Dans l’affaire Lemire, la cour a conclu qu’un employeur était justifié de conclure qu’il s’agissait d’une inconduite lorsqu’un de ses livreurs a commencé à vendre des cigarettes à la clientèle. La Cour a conclu que c’était le cas même si l’employeur n’avait pas de politique explicite contre une telle conduite.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la loi par la division générale

[29] Une décision récente a réaffirmé l’approche de la division générale dans le contexte des mandats de vaccination contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, la décision Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 17. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé à répondre à ces questions par la loi. La Cour a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de son employeur, la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres façons que le prestataire pouvait faire progresser ses demandes relatives aux droits de la personne ou au congédiement injustifié sans passer par le processus de traitement des demandes d’assurance-emploi.

[30] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si la prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et si elle était susceptible d’entraîner son congédiement. Dans l’affaire qui nous occupe, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

Il est impossible de soutenir que la division générale a ignoré la preuve

[31] La prestataire soutient que la division générale a ignoré ou déformé des éléments importants de sa preuve. Elle affirme que la division générale s’est trompée lorsqu’elle a conclu qu’elle avait le choix de ne pas suivre la politique de vaccination de son employeur. Elle accuse la division générale d’avoir ignoré le fait qu’elle a été punie pour avoir exercé ses droits.

[32] Encore une fois, je ne vois pas comment ces arguments peuvent réussir étant donné la loi sur l’inconduite. Lorsque la division générale a examiné la preuve disponible, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer une politique de vaccination comme il l’entendait.
  • L’employeur de la prestataire a adopté et communiqué une politique de vaccination obligatoire claire, exigeant que les membres du personnel fournissent la preuve qu’ils avaient été vaccinés.
  • La prestataire savait que le non-respect de la politique à une certaine date entraînerait une perte d’emploi.
  • La prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner dans les délais exigés par son employeur.
  • La prestataire n’a pas réussi à convaincre son employeur qu’elle était visée par l’une des exceptions permises par la politique.

[33] Ces conclusions semblent refléter fidèlement le témoignage de la prestataire ainsi que les documents au dossier. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite aux fins de l’assurance-emploi parce que ses actes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à son congédiement. La prestataire croyait peut-être que son refus de se faire vacciner ne faisait pas de mal à son employeur, mais ce n’était pas à elle d’en décider.

[34] Les employées et les employés subordonnent souvent volontairement leurs droits lorsqu’elles et ils acceptent un emploi. Par exemple, une personne pourrait accepter de se soumettre à des tests de dépistage réguliers. Toutefois, une personne peut sciemment renoncer à un aspect de son droit à la liberté d’expression, comme son droit de critiquer publiquement son employeur. Pendant la durée de son emploi, l’employeur peut tenter d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits des membres de son personnel, mais ceux-ci sont libres de quitter leur emploi s’ils veulent exercer pleinement ces droits. S’ils estiment qu’une nouvelle politique viole leur contrat de travail ou leurs droits fondamentaux, ils peuvent poursuivre leur employeur en justice. Toutefois, le processus de demandes d’assurance-emploi n’est pas le bon endroit pour plaider de tels différends.

Conclusion

[35] Le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre un membre du personnel et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à la prestataire, mais il s’agit d’une interprétation que les tribunaux ont adoptée à maintes reprises et que la division générale était tenue de suivre.

[36] Pour cette raison, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.