Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DA c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 482

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelante : D. A.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante ou représentant : Tiffany Glover

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 14 novembre 2022 (GE-22-2218)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 30 mars 2023
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 20 avril 2023
Numéro de dossier : AD-22-952

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Décision

[1] L’appel est rejeté. La décision de la division générale est maintenue.

Aperçu

[2] Le prestataire, D. A., travaillait comme superviseur à la gestion des matériaux pour X. Le 20 novembre 2021, X a placé le prestataire en congé sans solde après qu’il a refusé de confirmer qu’il avait été vacciné contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi au prestataire parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel du prestataire. Elle a conclu que le prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a conclu que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement une perte d’emploi.

[4] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il nie avoir mal agi et affirme que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a mal interprété le sens d’« inconduite » utilisé dans la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle a ignoré le fait que rien dans la loi n’exigeait que X établisse et applique une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Elle a ignoré le fait que ni son contrat de travail ni sa convention collective ne mentionnaient une exigence relative au vaccin.
  • Elle a ignoré la tradition canadienne de protection du droit à l’intégrité corporelle d’une personne, et du droit de refuser un traitement médical.
  • Elle a ignoré un précédent récent qui a accordé l’assurance-emploi à un prestataire qui refusait de se soumettre à la politique de vaccination obligatoire de son employeur.

[5] En janvier, un de mes collègues de la division d’appel a accordé la permission de faire appel parce qu’il croyait que le prestataire avait soulevé un argument défendable. Le mois dernier, j’ai tenu une audience en personne pour discuter en détail des allégations du prestataire.

[6] Maintenant que j’ai entendu les observations des deux parties, j’ai conclu que la division générale n’avait commis aucune erreur.

Question en litige

[7] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale a :

  • agi de façon injuste;
  • dépassé ses pouvoirs ou refusé de les exercer;
  • mal interprété la loi;
  • fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[8] Dans le présent appel, je devais décider si l’une ou l’autre des allégations du prestataire correspondait à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés et, dans l’affirmative, si elles étaient fondées.

Analyse

[9] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. Je suis d’avis que la décision doit être maintenue.

La division générale n’a pas ignoré ou mal compris la preuve

[10] Le prestataire soutient que la division générale a ignoré des aspects importants de sa preuve. Il soutient qu’il n’a rien fait de mal en refusant de se faire vacciner et qu’il a simplement exercé son droit de ne pas accepter de traitement médical.

[11] D’après ce que je peux voir, la division générale n’a pas ignoré ou mal compris ces points. Elle ne leur a tout simplement pas accordé autant d’importance que l’aurait voulu le prestataire.

[12] Lorsque la division générale a examiné la preuve disponible, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • X était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme bon lui semblait.
  • X a adopté et communiqué une politique claire exigeant que le personnel soit entièrement vacciné au plus tard à une certaine date.
  • Le prestataire savait que le non-respect de la politique à cette date entraînerait une perte d’emploi.
  • Le prestataire a intentionnellement refusé de confirmer qu’il avait été vacciné dans les délais exigés par son employeur.
  • Le prestataire n’a pas convaincu son employeur qu’il relevait de l’une des exceptions permises par la politique.

[13] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier, ainsi que le témoignage du prestataire. La division générale a conclu que le prestataire était coupable d’inconduite parce que ses actes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à son congédiement. Le prestataire a peut-être cru que son refus de suivre la politique de son employeur était raisonnable, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui de faire ce choix.

La division générale n’a pas mal interprété la loi

[14] Lorsqu’il s’agit d’évaluer l’inconduite, le Tribunal ne peut pas évaluer le bien-fondé d’un différend entre employé et employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste au prestataire, mais les tribunaux l’ont adoptée à maintes reprises et la division générale était tenue de la suivre.

On entend par inconduite toute action intentionnelle et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[15] Le prestataire soutient que rien dans la loi n’exigeait que son employeur mette en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Il fait valoir que se faire vacciner n’a jamais été une condition de son emploi. Il affirme qu’en le forçant à le faire sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits.

[16] Je ne trouve pas ces arguments convaincants.

[17] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage quotidien du mot. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

[P]our être condidérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 2.

[18] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle détermine l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[19] Le prestataire soutient que rien dans son contrat de travail et sa convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19.Cependant, la jurisprudence dit que là n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employé l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

Je dois me concentrer seulement sur la Loi sur l’assurance‑emploi. Je n’ai pas le pouvoir de décider si d’autres lois donnent des options différentes au prestataire. Il ne m’appartient pas de décider si le prestataire a été congédié à tort ou si l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation. Je peux examiner une seule chose : si ce que le prestataire a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 3.

[20] Ce passage fait écho à une décision appelée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait dit ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 4.

[21] Dans la décision Lemire, la cour a conclu qu’il était inapproprié pour un livreur d’aliments de mettre sur pied une entreprise secondaire de vente de cigarettes à la clientèle. La cour a tiré cette conclusion même si l’employeur n’avait pas de politique explicite contre une telle conduite.

[22] Une personne subordonne souvent volontairement ses droits lorsqu’elle accepte un emploi. Par exemple, un employé peut accepter de se soumettre régulièrement à des tests de dépistage de drogue. Ou une employée peut sciemment renoncer à une partie de son droit à la liberté d’expression, comme son droit de critiquer publiquement son employeur. Pendant la durée de l’emploi, l’employeur peut tenter d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits des personnes employées, mais celles-ci sont libres de quitter leur emploi si elles veulent exercer pleinement ces droits. Si elles estiment qu’une nouvelle politique viole les termes de leur contrat de travail, elles sont également libres de poursuivre leur employeur en justice. Toutefois, le processus de demandes d’assurance-emploi n’est pas le bon endroit pour régler ces différends.

Une nouvelle affaire valide la façon dont la division générale interprète la loi

[23] Une décision récente de la Cour fédérale a réaffirmé l’approche de la division générale à l’égard de l’inconduite dans le contexte précis de la vaccination obligatoire contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, la décision Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de respecter la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 5. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas autorisé par la loi à évaluer ces questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la Directive 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur le vaccin contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 6.

[24] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres façons dans le système juridique pour le prestataire de faire valoir son congédiement injustifié ou ses revendications en matière de droits de la personne.

[25] Ici, comme dans la décision Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si le prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et si elle était susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas ignoré un précédent contraignant

[26] Le prestataire s’appuie sur la décision AL que la division générale a rendue récemment, où on a décidé qu’une prestataire de l’assurance-emploi avait droit à des prestations même si elle n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 7. Le prestataire semble suggérer que le membre de la division générale qui a jugé son dossier aurait dû suivre une analyse semblable à celle de la décision AL.

[27] Je ne suis pas d’accord.

[28] Premièrement, la décision AL a été rendue cinq semaines après que la division générale a jugé l’appel du prestataireNote de bas de page 8. On ne peut pas reprocher à la membre qui s’est occupée de l’appel du prestataire de ne pas avoir tenu compte d’une décision qui n’existait pas encore.

[29] Deuxièmement, la décision AL et la décision que le prestataire a obtenue ont toutes deux été rendues par la division générale. Même si la membre qui a jugé l’appel du prestataire avait examiné la décision AL, elle n’aurait pas été obligée de suivre le raisonnement de cette décision. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais ils ne sont pas liés par les décisions de leurs pairs.

[30] Finalement, la décision AL ne semble pas accorder aux prestataires de l’assurance-emploi une exemption générale des politiques de vaccination obligatoire de leur employeur, comme le prestataire semble le croire. La décision AL semble avoir porté sur une prestataire dont la convention collective empêchait explicitement son employeur de la forcer à se faire vacciner. J’ai examiné le dossier, et le prestataire n’a jamais mentionné de disposition semblable dans son contrat de travail ou sa convention collective. La décision Cecchetto, que la Cour fédérale a rendue récemment et qui portait sur la vaccination obligatoire imposée par l’employeur, a également examiné la décision AL. Elle a conclu que la décision AL n’avait pas une vaste applicabilité parce qu’elle était fondée sur un ensemble de faits très particuliersNote de bas de page 9.

Conclusion

[31] Je rejette l’appel. La division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le refus du prestataire de divulguer son statut vaccinal constituait une inconduite au sens de la loi. Pour cette raison, le prestataire n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi.

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