Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1742

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : D. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (484487) datée du 16 juin 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 21 décembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 30 décembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2302

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a mené à sa suspension). Par conséquent, le prestataire est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi pour la période où il n’a pas pu travailler en raison de sa suspension (du 22 novembre 2021 au 19 juin 2022)Note de bas de page 1.

Aperçu

[3] D. S. est le prestataire dans cette affaire. Il travaillait comme pilote pour X. Le 22 novembre 2021, le prestataire a été mis en congé sans solde. Son employeur affirme qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination obligatoire au travailNote de bas de page 2. Le prestataire a alors demandé des prestations régulières d’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[4] La Commission a d’abord conclu que le prestataire n’était pas admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi parce qu’il avait quitté volontairement son emploi et qu’il n’était pas disponible pour travailler. Le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision. Il a fait valoir que son congé sans solde lui avait été imposé par l’employeur et qu’il avait trouvé un emploi de pilote à temps partiel ailleursNote de bas de page 4.

[5] Après révision, la Commission a modifié sa décision. Elle a convenu que le prestataire était disponible pour travailler et a annulé sa décision sur cette question. Elle a aussi décidé que le prestataire n’avait pas quitté volontairement son emploi, mais qu’il avait plutôt été suspendu pour inconduiteNote de bas de page 5. La Commission l’a déclaré inadmissible aux prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 6.

[6] Le prestataire affirme qu’il a été victime d’un congédiement déguisé et qu’il s’attendait à ce que l’employeur respecte son contrat de travail et sa convention collectiveNote de bas de page 7. De plus, il ne veut pas transmettre ses renseignements médicaux personnels à son employeur, c’est-à-dire son statut vaccinal concernant la COVID-19.

Question en litige

[7] Le prestataire a-t-il été suspendu en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique que la personne ait été congédiée ou suspendueNote de bas de page 8.

[9] Pour décider si le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite, je dois décider deux choses. D’abord, je dois établir pour quelle raison il a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il arrêté de travailler?

[10] J’estime que le prestataire a arrêté de travailler parce qu’il a été mis en congé sans solde le 22 novembre 2021Note de bas de page 9. Ce congé a eu lieu parce que le prestataire n’a pas voulu fournir une preuve de vaccination contre la COVID-19 à son employeur dans le délai prévu par la politique. Le prestataire ne conteste pas cette conduite.

[11] Je n’ai pas été convaincue par l’argument du prestataire selon lequel il y a eu une modification importante de ses fonctions ou une pression excessive de la part de l’employeur pour qu’il quitte son emploi. Le prestataire s’appuie sur un article de loi qui traite du départ volontaire d’un emploi et sur le Guide de la détermination de l’admissibilitéNote de bas de page 10.

[12] Je considère que l’article de loi auquel le prestataire fait référence ne s’applique pas à sa situation. Cet article impose une exclusion au bénéfice des prestations d’assurance-emploi à une personne qui quitte volontairement son emploi sans justification. De plus, le Guide est un outil de référence publié par la Commission, et non une loi.

[13] La preuve dans cette affaire montre que le prestataire n’a pas quitté volontairement son emploi; son employeur l’a plutôt mis en congé sans solde. Le prestataire n’avait pas le choix. L’employeur a avisé le prestataire qu’il ne pouvait plus accéder à la propriété de l’aéroport et qu’il devait rendre son équipement de travail (téléphone, iPad, clefs et casque d’écoute).

[14] J’estime que l’article de loi approprié dans cette affaire est celui sur la suspension pour inconduiteNote de bas de page 11. Il en résulte une inadmissibilité aux prestations d’assurance-emploi jusqu’à ce que certaines conditions soient remplies, comme la fin de la suspension, la perte de l’emploi ou le départ volontaire, ou encore l’accumulation d’un nombre suffisant d’heures chez un autre employeurNote de bas de page 12. Le prestataire a été mis en congé sans solde et empêché de travailler en raison de son manquement à la politique. Il est retourné au travail vers le 20 juin 2021. Par conséquent, l’inadmissibilité aux prestations d’assurance-emploi s’applique seulement à sa période de suspensionNote de bas de page 13.

[15] Le prestataire affirme que la suspension est une mesure disciplinaire que l’employeur peut imposer conformément à la convention collective. Il fait valoir que l’employeur n’a jamais été autorisé à lui imposer un congé sans solde parce qu’il ne l’a pas demandé ni accepté.

[16] Je comprends que le prestataire n’est pas d’accord avec le choix de l’employeur de le mettre en congé sans solde sans son consentement. Toutefois, son recours consiste à déposer un grief et à suivre le processus d’arbitrage (ou celui des tribunaux s’il y a lieu) pour aborder la conduite de l’employeur et régler cette question.

[17] La Loi sur l’assurance-emploi est claire : la question de savoir si une personne a été suspendue ou congédiée injustement par son employeur n’est pas pertinente pour évaluer s’il y a eu inconduiteNote de bas de page 14. Je remarque que le prestataire a déjà déposé un grief et qu’il est censé aller en arbitrage en janvier 2023.

La raison de son congédiement est-elle une inconduite selon la loi?

[18] La Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) m’aide à décider si la perte d’emploi du prestataire est le résultat d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les facteurs à prendre en compte quand on examine une affaire d’inconduite.

[19] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 15. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 16.

[20] Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite selon la loiNote de bas de page 17.

[21] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 18.

[22] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 19. Je dois plutôt me concentrer sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait et me demander si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 20.

[23] Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options au prestataire. Et ce n’est pas à moi non plus de décider si son employeur l’a congédié injustement ou s’il aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 21. Je peux seulement évaluer une chose : si ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[24] La Commission doit prouver que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il a été suspendu en raison d’une inconduiteNote de bas de page 22.

La politique

[25] À l’audience, j’ai demandé au prestataire de me parler de la politique.

[26] Il a dit qu’il travaillait pour X comme pilote. Il devait alors piloter régulièrement des aéronefs pour se rendre à divers aéroports de différentes villes. Vers septembre 2021, son employeur a mis en place une politique (une directive sur la sécurité au travail liée à la COVID-19). Le prestataire a fait remarquer qu’il a toujours respecté la politique provinciale parce qu’elle était moins restrictive (elle permettait d’être entièrement vacciné ou de fournir la preuve d’un résultat négatif à un test de dépistage de la COVID-19). Il respectait cette politique parce qu’il avait accepté de se soumettre aux tests de dépistage de la COVID-19.

[27] Le prestataire a dit que les choses ont changé au travail lorsque la politique fédérale a été mise en place pour les services aériens vers le 6 octobre 2021Note de bas de page 23. Il a expliqué que Transports Canada avait pris un arrêté d’urgence. Celui-ci obligeait tout employeur à s’assurer que ses employés avaient fourni une preuve de vaccination complète contre la COVID-19 avant de pouvoir piloter des aéronefs en direction de divers aéroports. Contrairement à la politique provinciale, il n’y avait aucune possibilité de faire des tests de dépistage de la COVID-19 dans la politique fédérale.

[28] Pour cette raison, l’employeur a mis le prestataire en congé sans solde le 22 novembre 2021. En effet, le prestataire ne respectait pas la politique fédérale, car il n’avait pas fourni de preuve de vaccination complète contre la COVID-19.

[29] Pour faciliter la compréhension de la présente décision, quand j’utilise seulement le mot « politique », je veux dire la politique fédérale, puisque c’est celle qui a amené l’employeur à mettre le prestataire en congé sans solde pour non-respect.

[30] Le 12 novembre 2021, une copie de la politique a été envoyée par courriel au prestataire et à tout le personnelNote de bas de page 24. Voici un résumé des parties pertinentes (c’est moi qui mets en évidence) :

  1. a) Le 15 novembre 2021, tous les membres du personnel des services aériens visés doivent avoir reçu une première dose de vaccin contre la COVID-19, excepté toute personne exemptée.
  2. b) Toute personne qui est toujours non conforme au 15 novembre 2021 ne pourra accéder à aucun aérodrome et sera invitée à discuter de la distribution de ses tâches avec la direction.
  3. c) Le 22 novembre 2021, toute personne qui n’a pas reçu une première dose de vaccin contre la COVID-19 ou qui n’a pas obtenu d’exemption approuvée de nature médicale ou religieuse s’expose à un congé sans solde et à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.
  4. d) Toute personne qui a besoin d’une exemption de nature médicale ou religieuse doit soumettre sa demande à la direction.
  5. e) La confirmation de la preuve de vaccination sera effectuée au moyen du processus d’attestation dans « WIN » conformément aux procédures en place.
  6. f) Les membres du personnel des services aériens n’ont pas à présenter une preuve de vaccination à leur entrée dans une installation de services aériens, puisque toute preuve est obtenue en amont au moyen du processus d’attestation.

[31] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes.

[32] Premièrement, je considère que la politique a été communiquée au prestataire et qu’il aurait eu assez de temps pour s’y conformer. Le prestataire se souvenait d’avoir reçu quelques courriels et une copie de la politique fédérale.

[33] Je reconnais que la preuve montre un court délai entre le courriel sur la politique envoyé le 12 novembre 2021 et la date limite pour fournir la preuve d’une première dose de vaccin, soit le 15 novembre 2021Note de bas de page 25. Toutefois, la politique prévoyait un délai supplémentaire, jusqu’au 22 novembre 2021, pour recevoir une première dose et ainsi éviter un congé sans solde.

[34] J’estime que le prestataire a eu une dizaine de jours. À mon avis, c’était suffisant pour obtenir une première dose de vaccin et fournir la preuve de vaccination. Et si le délai avait été trop court, le prestataire aurait pu demander plus de temps à son employeur.

[35] Deuxièmement, je considère que le prestataire a fait le choix conscient et délibéré de ne pas se conformer à la politique pour ses propres raisons. Il a réfléchi et a pris une décision personnelle. Il a choisi de ne pas fournir à son employeur son statut vaccinal concernant la COVID-19 parce que, selon lui, il s’agissait de renseignements personnels.

[36] Le prestataire a convenu qu’il n’était pas exempté de la politique. Il savait que la politique prévoyait des exemptions de nature médicale et religieuse, mais il n’en a pas demandé à son employeur.

[37] Même si une personne désapprouve la politique de son employeur, cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas à la suivre ou que son opposition n’entraînera pas de conséquences.

[38] J’admets que le prestataire n’avait pas d’intention coupable, mais son choix de ne pas se conformer à la politique constituait tout de même une inconduite. La Cour d’appel fédérale a déjà déclaré qu’une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 26.

[39] Troisièmement, je considère que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique mènerait à un congé sans solde le 22 novembre 2021. Le prestataire a convenu qu’il savait ce qu’il devait faire pour respecter la politique et ce qui se passerait s’il ne la respectait pas dans les délais prescrits.

[40] La Cour fédérale a déclaré qu’une inconduite peut être un manquement à une obligation résultant explicitement ou implicitement d’un contrat de travailNote de bas de page 27. Au début, la vaccination contre la COVID-19 n’était pas une obligation explicite de l’emploi. Mais elle l’est devenue quand l’employeur a imposé une politique qui exigeait la confirmation du statut vaccinal et une preuve de vaccination contre la COVID-19 (excepté pour les personnes exemptées).

[41] En général, j’estime que les employeurs peuvent décider d’instaurer des politiques au travail. Dans cette affaire, l’employeur devait suivre la politique fédérale. Le prestataire n’était pas en mesure de travailler comme pilote (pour cet employeur) parce qu’il ne pouvait pas piloter des aéronefs en direction de divers aéroports à moins d’avoir fourni une preuve de vaccination contre la COVID-19.

Alors, le prestataire a-t-il été suspendu en raison d’une inconduite?

[42] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite.

[43] En effet, ses actions ont mené à sa suspension. Il a agi délibérément. Il savait que son refus de fournir une preuve de vaccination avant la date limite pouvait entraîner sa suspension.

Qu’en est-il des autres arguments du prestataire?

[44] Voici quelques autres arguments du prestataire à l’appui de sa position :

  1. a) Il y a eu une modification importante et unilatérale de ses fonctions.
  2. b) L’employeur a enfreint la convention collective lorsqu’il l’a mis en congé sans solde.
  3. c) Il s’attendait à ce que l’employeur respecte son contrat de travail.
  4. d) Il a été victime d’un congédiement déguisé.
  5. e) L’employeur n’était pas disposé à offrir d’autres tâches ou mesures d’adaptation.
  6. f) L’employeur a exercé une pression excessive, car il a retenu certains paiements qu’il devait au prestataire.
  7. g) Sur le plan médical, le prestataire est resté apte à piloter des aéronefs.

[45] Je n’ai pas le pouvoir de décider si la politique était raisonnable, si l’employeur aurait dû accorder une mesure d’adaptation au prestataire ou si la sanction imposée par l’employeur aurait dû être différenteNote de bas de page 28.

[46] Je peux seulement évaluer si ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. J’ai déjà décidé que sa conduite constitue une inconduite. Le recours du prestataire consiste à intenter une action en justice ou devant tout autre tribunal pour obtenir la réparation qu’il souhaite.

[47] Le prestataire a déclaré qu’il est syndiqué et qu’il a déjà déposé un grief. Comme je l’ai mentionné plus haut, il s’attend à aller en arbitrage fin janvier 2023.

Conclusion

[48] La Commission a prouvé que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite. C’est pourquoi il n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi.

[49] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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