Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : RL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 470

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Parties demanderesse : R. L.
Représentant : J. T.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 18 janvier 2023 (GE-22-3083)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 20 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-180

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Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission de faire appel parce que sa cause n’est pas défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] R. L., la prestataire, travaillait comme préposée pour une organisation régionale fournissant des services de soutien à domicile. Le 13 septembre 2021, son employeuse l’a placée en congé sans solde après qu’elle a refusé de dire si elle avait reçu le vaccin contre la COVID-19Note de bas de page 1. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeuse constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que cette dernière avait enfreint délibérément la politique de vaccination de son employeuse. Elle a conclu que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement la perte de son emploi.

[4] La prestataire cherche maintenant à obtenir la permission de porter la décision de la division générale en appel. Elle soutient qu’elle n’est pas coupable d’inconduite. Elle avance que la division générale a fait les erreurs suivantes :

  • Elle a mal interprété le sens du mot « inconduite » tel qu’il est énoncé dans la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle a affirmé ne pas avoir la compétence nécessaire pour décider si le refus de la prestataire de se conformer à la politique de vaccination de son employeuse constituait une inconduite.
  • Elle a ignoré la décision de son employeuse de modifier son relevé d’emploi pour tenir compte du fait qu’elle avait été suspendue en raison d’une pénurie de travail, et non d’une inconduite.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie demanderesse doit démontrer l’une des choses suivantes :

  • la division générale a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou refusé de les exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[6] Avant que l’appel de la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 3. Une chance raisonnable de succès est l’équivalent d’une cause défendableNote de bas de page 4. Si la prestataire n’a pas d’argument défendable, l’affaire prend fin sur‑le‑champ.

[7] À cette étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : est‑il possible de soutenir que la division générale a fait une erreur lorsqu’elle a conclu que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit applicable et les éléments de preuve qui l’ont menée à cette décision. J’ai conclu que la cause de la prestataire n’est pas défendable.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] À la division générale, la prestataire a insisté sur le fait qu’elle n’avait rien fait de mal en refusant de se faire vacciner. Elle a maintenu qu’en la forçant à faire une telle chose sous la menace d’un congédiement, son employeuse a porté atteinte à ses droits.

[10] Compte tenu du droit entourant l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale aurait fait une erreur lorsqu’elle a rejeté ces arguments.

La division générale a examiné tous les éléments pertinents

[11] Après avoir examiné les éléments de preuve à sa disposition, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeuse de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme elle l’entendait.
  • L’employeuse a adopté une politique claire qu’elle a communiquée à son personnel : chaque personne devait fournir la preuve qu’elle était entièrement vaccinée.
  • La prestataire savait que le non-respect de la politique à compter d’une certaine date entraînerait la perte de son emploi.
  • La prestataire a refusé de façon intentionnelle de se faire vacciner dans les délais fixés par son employeuse.
  • La prestataire n’a pas tenté de remplir les conditions requises pour obtenir l’exception médicale ou religieuse permise par la politique.

[12] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier ainsi que le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses faits et gestes étaient délibérés et, comme on pouvait s’y attendre, ils ont mené à une suspension. La prestataire croyait peut‑être que refuser de suivre la politique de vaccination ne faisait pas de mal à son employeuse, mais au regard de l’assurance-emploi, ce n’était pas à la prestataire d’en décider.

La division générale n’a pas ignoré le relevé d’emploi modifié

[13] La prestataire prétend que la division générale a choisi d’ignorer le fait que son employeuse a modifié son relevé d’emploi en sa faveur. Elle fait remarquer que son employeuse a rétracté sa déclaration voulant qu’elle ait été « congédiée » et qu’elle a fait une nouvelle déclaration selon laquelle la prestataire a été renvoyée en raison d’un « manque de travailNote de bas de page 5 ».

[14] Je ne vois pas le bien-fondé de cet argument.

[15] La division générale n’a pas ignoré le relevé d’emploi modifié. En fait, elle a carrément abordé le sujet dans sa décision. Elle a conclu que, peu importe ce que l’employeuse pouvait en dire, essentiellement, la prestataire a été suspendue parce qu’elle n’était pas vaccinée, et non parce qu’il manquait de travail :

Je comprends que, comme la prestataire l’a expliqué, son relevé d’emploi a été modifié pour indiquer qu’elle a été mise à pied. Toutefois, le 14 octobre 2021, la raison pour laquelle la prestataire avait été mise en congé sans solde puis congédiée était qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination de l’employeuse. Je suis d’accord avec la Commission sur ce point : la démarche du syndicat de la prestataire (qui a entraîné la modification du relevé d’emploi) ne m’oblige à rienNote de bas de page 6.

[16] À titre de juge des faits, la division générale a droit à une certaine latitude dans la façon dont elle choisit d’évaluer la preuve portée à sa connaissanceNote de bas de page 7. Dans la présente affaire, la division générale a examiné les circonstances entourant la suspension de la prestataire avant de conclure qu’elle avait été renvoyée pour non‑respect de la politique de vaccination, et non pour une autre raison. En l’absence d’une erreur de fait importante, je ne vois aucune raison de remettre en question cette conclusionNote de bas de page 8.

On ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[17] Le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une personne et l’organisation pour laquelle elle travaille. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à la prestataire, mais c’est celle que les cours ont adoptée à maintes reprises et que la division générale était obligée de suivre.

Une inconduite est tout geste intentionnel qui est susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[18] À la division générale, la prestataire a fait valoir que son employeuse n’avait pas à adopter une politique de vaccination obligatoire. Elle a affirmé que le dépistage et la vaccination n’ont jamais été des conditions d’emploi pour elle.

[19] Je ne vois pas en quoi la division générale aurait fait une erreur lorsqu’elle a rejeté ces arguments.

[20] Il est important de garder à l’esprit qu’aux fins de l’assurance-emploi, le terme « inconduite » a un sens précis qui ne correspond pas nécessairement à celui du mot qu’on utilise au quotidien. Voici comment la division générale a défini l’inconduite :

Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il faut que la conduite soit délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est cependant pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeuse et que la possibilité d’être [suspendue et] congédiée pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 9.

[21] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. Elle a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle détermine l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’une employeuse ou d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir l’inconduite de façon explicite

[22] La prestataire a fait valoir que rien dans son contrat de travail et sa convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, selon la jurisprudence, là n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’organisation a une politique et si la personne employée l’a ignorée de façon délibérée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

[L]a prestataire a soutenu que le refus de recevoir un vaccin expérimental n’était pas une inconduite. Toutefois, la question de savoir si la politique de vaccination de l’employeuse était juste ou raisonnable dépassait ma compétence. Bref, la prestataire avait d’autres voies de recours pour faire valoir ces argumentsNote de bas de page 10.

[23] Ce passage reprend un principe tiré d’une affaire appelée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a affirmé ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 11.

[24] Dans l’affaire Lemire, la Cour a conclu qu’il y avait eu inconduite quand un employé affecté à la livraison de denrées alimentaires avait organisé en parallèle la vente de cigarettes à sa clientèle. La Cour a conclu que c’était une inconduite même si l’employeur n’avait pas de politique interdisant de façon explicite une telle conduite.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la division générale

[25] Dans une décision récente, la Cour fédérale a confirmé cette approche pour évaluer l’inconduite dans le contexte précis de l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire CecchettoNote de bas de page 12portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle la loi n’autorise pas le Tribunal à régler ces questions :

[traduction]

Malgré les arguments du demandeur, le fait que la division d’appel n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet ne justifie pas l’annulation de sa décision. Ce genre de conclusion ne relevait ni du mandat ni de la compétence du Tribunal de la sécurité sociale, que ce soit à la division d’appel ou à la division généraleNote de bas de page 13.

[26] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a précisé que le système juridique offrait d’autres voies par lesquelles le prestataire aurait pu porter plainte pour congédiement injustifié ou atteinte aux droits de la personne.

[27] Dans la présente affaire, tout comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont : la prestataire a‑t‑elle enfreint la politique de vaccination de son employeuse et, si oui, l’infraction était‑elle délibérée et pouvait‑on prévoir qu’elle soit susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement? Dans la présente affaire, la division générale a bien fait de répondre « oui » aux deux questions.

Conclusion

[28] Pour les motifs que je viens d’expliquer, je ne suis pas convaincu que le présent appel ait une chance raisonnable de succès. Par conséquent, la permission de faire appel est refusée. Cela met donc un terme à l’appel.

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