Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 536

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelante : T. L.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (442406) datée du 14 décembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 9 février 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 13 février 2023
Numéro de dossier : GE-22-3503

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté pour les deux questions en litige.

[2] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendueNote de bas de page 1 en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). Cela signifie qu’elle est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi pour la période de sa suspension, soit du 19 octobre au 16 décembre 2021.

[3] L’appelante n’a pas prouvé qu’elle était disponible pour travailler. Cela signifie qu’elle est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi à compter du 19 octobre 2021.

Aperçu

[4] L’appelante a été mise en congé sans solde de son emploi parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination de son employeur.

[5] La Commission a décidé que l’appelante avait pris un congé volontaire de son emploi sans justification. Elle a également décidé que l’appelante n’était pas disponible pour travailler le 19 octobre 2021. Pour ces motifs, la Commission a déclaré que l’appelante ne pouvait pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi.

[6] L’appelant n’est pas d’accord avec ces deux décisions. Elle était en désaccord avec la politique de l’employeur. Elle estimait que la politique allait à l’encontre de la loi et de ses droits de la personne. Elle avait le droit de faire un choix personnel concernant la vaccination. Elle a également tenté de trouver un autre emploi, mais elle s’est finalement fait vacciner et est retournée chez son employeur, car elle estimait qu’il s’agissait de sa meilleure option d’emploi.

Questions que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas mis en cause dans l’appel

[7] Le Tribunal a désigné l’employeur de l’appelante comme partie pouvant être mise en cause dans l’appel. Le Tribunal a envoyé une lettre à l’employeur pour lui demander s’il avait un intérêt direct dans l’appel et s’il souhaitait être mis en cause. L’employeur n’a pas répondu. Comme rien dans le dossier n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas le mettre en cause.

Questions en litige

[8] L’appelante était-elle inadmissible pendant qu’elle était en congé sans solde?

  • Avait-elle pris un congé volontaire sans justification?
  • Avait-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

[9] L’appelante était-elle disponible pour travailler?

Analyse

L’appelante était suspendue de son emploi en raison d’une inconduite

[10] J’estime que la preuve confirme que l’appelante était suspendue parce qu’elle n’avait pas le choix de prendre le congé sans solde de son emploi.

[11] Le motif de sa suspension était une inconduite parce que les gestes de l’appelante ont mené à son congédiement. Elle a agi de façon voulue. Elle savait ou aurait dû savoir que le défaut de se conformer à la politique de l’employeur était susceptible d’entraîner sa suspension et elle a choisi de ne pas s’y conformer.

Pourquoi l’appelante a-t-elle cessé de travailler?

[12] Le prestataire qui prend volontairement une période de congé n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi, à moins qu’il puisse prouver qu’il était fondé à prendre un congéNote de bas de page 2.

[13] De même, les prestataires qui ont été suspendus d’un emploi en raison d’une inconduite sont également inadmissiblesNote de bas de page 3.

[14] Il arrive parfois que l’on ne puisse dire avec certitude si un prestataire a pris volontairement un congé ou si l’employeur l’a suspendu. Ces deux notions sont liées dans la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi). Il s’agit de savoir si une personne a causé son propre chômage, soit en mettant fin à son emploi sans justification, soit en perdant son emploi en raison de son inconduite.

[15] Comme les motifs de ces inadmissibilités sont liés, je peux rendre une décision fondée sur l’un ou l’autre de ces motifs. Autrement dit, lorsque le motif de la cessation d’emploi de l’appelante n’est pas clair, j’ai compétence pour décider s’il est fondé sur un congé volontaire ou sur une suspension en raison d’une inconduite.

[16] Dans la présente décision, l’on ne peut dire avec certitude si l’appelante a pris une période de congé volontaire de son emploi. Elle a toujours déclaré à la Commission et au Tribunal que son congé n’était pas volontaire. C’est plutôt l’employeur qui lui a ordonné de prendre une période de congé sans solde. Un congé sans solde obligatoire est une autre façon de dire que l’appelante a été suspendue.

[17] Je conclus que la preuve au dossier confirme que l’employeur est à l’origine de la cessation d’emploi de l’appelante. Manifestement, l’employeur n’a pas permis à l’appelante de travailler plus longtemps parce qu’il a dit qu’elle ne s’était pas conformée à sa politique de vaccination. Elle a pu reprendre le travail lorsqu’elle a satisfait aux exigences de vaccination, ce qu’elle a fait le 16 décembre 2021.

[18] Comme l’appelante a été suspendue, je dois décider si elle l’a été en raison de son inconduite.

[19] Je dois décider si l’appelante a été suspendue de son emploi en raison de son inconduite. Pour ce faire, je dois trancher deux éléments. Premièrement, je dois décider pour quel motif l’appelante a été suspendue. Je dois ensuite décider si la loi considère ce motif comme une inconduite.

Pourquoi l’appelante a-t-elle été suspendue?

[20] Les deux parties conviennent que l’appelante a été suspendue parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination de l’employeur. Rien ne prouve le contraire, de sorte que j’accepte ce fait.

Le motif de sa suspension est‑il une inconduite au sens de la loi?

[21] Le motif de la suspension de l’appelante est une inconduite au sens de la loi.

[22] La Loi ne dit pas ce que signifie une inconduite. Cependant, la jurisprudence explique comment établir si la suspension de l’appelante constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle énonce le critère juridique applicable à l’inconduite, à savoir les questions et les critères à prendre en considération dans l’examen de la question de l’inconduite.

[23] Selon la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. L’inconduite est également une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 5. Il n’est pas nécessaire que l’appelante ait une intention coupable (autrement dit, qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que sa conduite soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 6.

[24] Il y a inconduite lorsque l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers l’employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas de page 7.

[25] La Commission doit prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 8.

[26] J’ai le pouvoir de trancher seulement les questions qui sont prévues dans la Loi. Je ne peux pas décider si l’appelante a d’autres options en vertu d’autres lois. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la question de savoir si l’appelante a été congédiée à tort ou si l’employeur aurait dû mettre en place des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à l’égard de l’appelanteNote de bas de page 9. Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que l’appelante a fait ou a omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.

[27] La Cour d’appel fédérale (CAF) s’est prononcée dans l’affaire intitulée Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 10. M. McNamara a été congédié en application de la politique de dépistage de drogues de son employeur. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que le test de dépistage de drogues n’était pas justifié dans les circonstances, c’est‑à‑dire qu’il n’existait aucun motif raisonnable de penser qu’il n’était pas en mesure de travailler en toute sécurité en raison de sa consommation de drogue et qu’il aurait dû être couvert par le test précédent auquel il s’était soumis.  Essentiellement, M. McNamara a fait valoir qu’il devait toucher des prestations d’assurance‑emploi parce que les mesures prises par son employeur concernant son congédiement étaient inacceptables.  

[28] En réponse aux arguments de M. McNamara, la CAF a affirmé que, selon la jurisprudence constante de la Cour, dans les cas d’inconduite, « il n’appartient pas [au conseil ou au juge‑arbitre] de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt [il leur appartient] de dire si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi ». La Cour a continué en soulignant que, dans l’interprétation et l’application de la Loi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a indiqué que l’employé qui fait l’objet d’un congédiement injustifié « a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance-emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[29] La décision plus récente intitulée Paradis c Canada (Procureur général) suit l’affaire McNamaraNote de bas de page 11. Comme M. McNamara, M. Paradis a été congédié après avoir eu un résultat positif à un test de dépistage de drogues. M. Paradis a fait valoir qu’il avait été congédié à tort, que les résultats des tests montraient qu’il n’avait pas les facultés affaiblies au travail et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et à la législation provinciale sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est fondée sur l’arrêt McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent pour trancher la question de l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 12.

[30] Une autre décision semblable a été rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Mishibinijima c Canada (Procureur général)Note de bas de page 13. M. Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool.  Il a soutenu que, comme la dépendance à l’alcool a été reconnue comme une déficience, son employeur était tenu de lui offrir des mesures d’adaptation. La Cour a encore affirmé que l’accent est mis sur ce que l’employé a fait ou non, et que l’absence de mesures de l’employeur pour aider son employé n’est pas une question pertinenteNote de bas de page 14.

[31] Ces affaires ne concernent pas les politiques de vaccination contre la COVID-19; toutefois, les principes énoncés dans celles-ci demeurent pertinents. Dans une décision très récente, qui avait trait à une politique de vaccination contre la COVID-19, l’appelant a fait valoir qu’aucune réponse satisfaisante n’a été donnée au sujet de l’innocuité et de l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 et des tests antigéniques. Il a ajouté qu’aucun décideur n’avait abordé la façon dont une personne pourrait être forcée de prendre un médicament non testé ou d’effectuer un test lorsqu’il viole l’intégrité corporelle fondamentale et équivaut à de la discrimination fondée sur des choix médicaux personnelsNote de bas de page 15.

[32] Lorsqu’elle a rejeté l’affaire, la Cour fédérale a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Bien que le demandeur soit de toute évidence contrarié du fait qu’aucun des décideurs n’a abordé ce qu’il considère comme les questions juridiques ou factuelles fondamentales qu’il soulève […] le principal problème de l’argument du demandeur est qu’il reproche aux décideurs d’avoir omis de traiter un ensemble de questions qu’ils ne sont pas autorisés à aborder au sens de la loiNote de bas de page 16. 

[33] La Cour a également écrit :

[Traduction]

La [division générale du Tribunal de la sécurité sociale] et la division d’appel ont un rôle important, mais étroit et précis à jouer dans le système juridique. Dans cette affaire, ce rôle consistait à établir pour quel motif le demandeur avait été congédié de son emploi et si ce motif constituait une « inconduite »Note de bas de page 17. 

[34] Selon la jurisprudence, il ne m’appartient pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur et de décider s’il a eu raison de suspendre l’appelante. Je dois plutôt concentrer mon examen sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi

Ce que disent la Commission et l’appelante

[35] La Commission et l’appelante s’entendent sur les principaux faits dans la présente affaire. Les principaux faits sont ceux que la Commission doit établir pour démontrer que la conduite de l’appelante constitue une inconduite au sens de la Loi.

[36] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait une politique de vaccination et l’avait communiquée à l’appelante.
  • La politique de l’employeur exigeait que l’appelante soit vaccinée contre la COVID-19 ou ait une exemption approuvée
  • L’appelante savait ce qu’elle devait faire conformément à la politique.
  • Elle a fait le choix personnel de ne pas se faire vacciner.
  • L’employeur l’a suspendue parce qu’elle n’a pas respecté sa politique de vaccination.

[37] L’appelante affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur n’avait pas le droit de la forcer à se faire vacciner.
  • La politique de vaccination de l’employeur allait au‑delà de ce qui était exigé par la directive provinciale.
  • La vaccination n’était pas raisonnable dans son milieu de travail et n’était pas une exigence professionnelle justifiée.
  • Elle avait des préoccupations valables au sujet de l’innocuité et de l’efficacité du vaccin.
  • L’employeur a refusé ses demandes d’exemption et de mesures d’adaptation.
  • La politique de vaccination n’était pas une condition d’emploi au moment de son embauche et ne faisait pas partie de sa convention collective.

[38] La preuve démontre clairement que l’employeur a mis en œuvre une politique de vaccination obligatoire. L’appelante savait qu’elle serait suspendue si elle n’avait pas reçu au moins une dose de vaccin contre la COVID-19 le 19 octobre 2021.

[39] L’appelante a demandé à son employeur d’effectuer une analyse d’emploi et de démontrer que le vaccin devrait être une exigence de son poste. Elle a demandé une mesure d’adaptation en vertu de la politique et une exemption pour des raisons spirituelles et fondées sur des croyances, mais l’employeur a rejeté ses demandes.

[40] L’employeur a mis l’appelante en congé sans solde à compter du 19 octobre 2022.

[41] L’appelante a déclaré qu’elle a reçu sa première dose de vaccin contre la COVID-19 pour reprendre le travail. Elle a repris son emploi le 16 décembre 2022.

[42] Je conclus que l’appelante savait que son employeur avait instauré une politique de vaccination obligatoire et qu’elle savait ce qui se passerait si elle ne la suivait pas.

[43] L’employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le droit d’élaborer et d’instaurer des politiques en milieu de travail. Quand l’employeur a fait de cette politique une exigence pour l’ensemble de son personnel, elle est devenue du même coup une condition expresse d’emploi pour l’appelanteNote de bas de page 18.

[44] Je comprends que l’appelante a présenté une demande d’exemption et de mesure d’adaptation à l’égard de la politique sur la vaccination obligatoire. L’employeur a cependant rejeté ses demandes. Même si des exemptions étaient disponibles, une exemption n’a jamais été garantie à l’appelante. Elle savait qu’elle n’était pas exemptée des exigences de la politique et a néanmoins choisi de ne pas s’y conformer.

[45] L’appelante soutient que l’employeur n’a pas pu la forcer à se faire vacciner. Elle ressentait des inquiétudes par rapport au vaccin contre la COVID-19 en raison du manque de données à long terme. Elle devrait être autorisée à refuser un vaccin qu’elle estime dangereux ou inefficace.

[46] Dans l’affaire Parmar, la Cour s’est demandé si un employeur avait le droit de suspendre une employée pour non‑respect d’une politique de vaccination obligatoireNote de bas de page 19. La Cour a écrit : 

[Traduction]

Enfin, je reconnais qu’il est extraordinaire pour un employeur d’adopter une politique en milieu de travail qui a une incidence sur l’intégrité corporelle d’un employé, mais dans le contexte des défis sanitaires extraordinaires posés par la pandémie mondiale de COVID-19, de telles politiques sont raisonnables. Elles ne forcent pas un employé à se faire vacciner. Elles le contraignent plutôt à faire un choix entre se faire vacciner et continuer à gagner un revenu, ou rester non vacciné et perdre un revenu. Mme Parmar a fait son choix en se fondant sur ce qui semble avoir été des renseignements conjecturaux sur les risques possibles.

[Non souligné dans l’original.]

[47] En d’autres termes, Mme Parmar avait effectivement le choix : elle pouvait se faire vacciner et continuer de travailler, ou rester non vaccinée et être suspendue de son emploi.

[48] Dans une affaire intitulée Lewis, cela a été pris en compte dans le contexte d’un patient du programme de greffe d’un hôpital albertainNote de bas de page 20. Le programme exigeait que les patients se fassent vacciner contre la COVID-19 avant d’obtenir une greffe. Mme Lewis n’a pas été en mesure d’obtenir une greffe d’organe parce qu’elle a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19. Mme Lewis a soutenu que l’exigence d’une vaccination violait ses droits garantis par la Charte.

[49] La Cour d’appel de l’Alberta a convenu que Mme Lewis avait le droit de refuser d’être vaccinée contre la COVID-19. En tant qu’adulte ayant la capacité juridique, elle avait le droit de décider ce que son corps pouvait absorber. L’exercice de ce choix était cependant assorti de conséquences.

[50] Ces tribunaux ont conclu que la question ne réside pas dans la vaccination forcée, mais bien dans les conséquences du choix d’une personne de ne pas être vaccinée. C’est la question qui se pose également dans la présente affaire.

[51] La politique de vaccination de l’employeur exigeait la vaccination comme condition au maintien de l’emploi. Le personnel, y compris l’appelante, a eu le choix. Il pouvait choisir de ne pas être vacciné, même si cela signifiait être mis en congé.

[52] L’appelante soutient que la politique de l’employeur a enfreint la loi et ses droits de la personne.

[53] Au Canada, un certain nombre de lois protègent les droits d’une personne, comme le droit à la vie privée ou le droit à la non‑discrimination. La Charte fait partie de ces lois. Il y a aussi la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne et d’autres lois fédérales et provinciales, comme le projet de loi C‑45, qui protègent les droits et libertés.

[54] Les différents tribunaux judiciaires et administratifs appliquent ces lois. 

[55] Le Tribunal peut examiner si une disposition de la Loi ou de son règlement, ou d’une loi connexe, porte atteinte aux droits d’un prestataire garantis par la Charte. L’appelante n’a pas mentionné un article de la loi, des règlements ou des lois connexes sur l’assurance‑emploi que j’ai le pouvoir de considérer comme contrevenant à ses droits garantis par la Charte.

[56] Le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider si une mesure prise par un employeur contrevient aux droits fondamentaux d’un prestataire en application de la Charte. Cela dépasse ma compétence. Le Tribunal n’est pas non plus autorisé à rendre des décisions fondées sur la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne ou sur toute loi provinciale qui protège les droits et libertés.

[57] La Cour d’appel fédérale a affirmé que le Tribunal n’a pas à décider si la politique de l’employeur était raisonnable ou si la perte d’emploi d’un prestataire était justifiéeNote de bas de page 21.

[58] L’appelante pourrait avoir d’autres recours pour poursuivre ses prétentions selon lesquelles la politique de l’employeur violait ses droits. Ces questions doivent être traitées par le tribunal judiciaire ou administratif compétent. C’est ce qu’a clairement indiqué la Cour fédérale dans la décision CecchettoNote de bas de page 22.

[59] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur avait une politique de vaccination selon laquelle le personnel devait fournir la preuve qu’il avait reçu sa première dose de vaccination contre la COVID-19 au plus tard le 19 octobre 2021.
  • L’employeur a clairement dit à l’appelante ce qu’il attendait de son personnel en matière de vaccination.
  • L’appelante connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non‑respect de la politique de vaccination de l’employeur.

Donc, l’appelante a-t-elle été suspendue en raison d’une inconduite?

[60] Compte tenu de mes conclusions ci-dessus, je juge que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

L’appelante était-elle disponible pour travailler?

[61] Deux dispositions différentes de la loi exigent que la prestataire démontre qu’elle est disponible pour travailler. La Commission a décidé que l’appelante était inadmissible conformément à ces deux dispositions. Elle doit donc satisfaire aux critères des deux dispositions pour obtenir des prestations.

[62] Premièrement, la Loi prévoit que la prestataire doit prouver qu’elle fait des « démarches habituelles et raisonnables » pour trouver un emploi convenableNote de bas de page 23. Le Règlement sur l’assurance‑emploi (Règlement) énonce des critères qui contribuent à expliquer ce que sont des « démarches habituelles et raisonnables »Note de bas de page 24. Je vais examiner ces critères plus loin.

[63] Deuxièmement, la Loi dispose qu’un prestataire doit prouver qu’il est « capable de travailler et disponible à cette fin », mais qu’il est incapable de trouver un emploi convenableNote de bas de page 25. La jurisprudence énumère trois éléments qu’un prestataire doit prouver pour démontrer qu’il est « disponible » en ce sensNote de bas de page 26. Je vais examiner ces éléments plus loin.

Démarches habituelles et raisonnables pour trouver un emploi

[64] La loi énonce les critères dont je dois tenir compte pour décider si les démarches de l’appelante étaient habituelles et raisonnablesNote de bas de page 27. Je dois établir si ses démarches étaient soutenues et si elles étaient orientées vers l’obtention d’un emploi convenable. Autrement dit, l’appelante doit avoir continué de chercher un emploi convenable.

[65] Je dois également tenir compte des démarches effectuées par l’appelante pour trouver un emploi. Le Règlement dresse une liste de neuf activités de recherche d’emploi dont je dois tenir compte. Voici quelques‑unes de ces activitésNote de bas de page 28 :

  • l’évaluation des possibilités d’emploi;
  • la rédaction d’un curriculum vitae ou d’une lettre de présentation;
  • la présentation de demandes d’emploi.

[66] La Commission affirme que l’appelante n’a pas fait assez de démarches pour tenter de trouver un emploi. L’appelante a dit à la Commission qu’elle prévoyait suivre un cours de cosmétiques médicaux et lancer sa propre entreprise. Selon elle, elle ne pourra peut‑être pas se trouver un autre emploi d’infirmière en raison de l’obligation vaccinale imposée aux travailleurs de la santé.

[67] L’appelante a convenu qu’elle avait dit à la Commission qu’elle fréquenterait l’école et lancerait une entreprise, mais elle a déclaré que ses plans avaient rapidement changé. Le programme éducatif était assez coûteux, et il faudrait beaucoup de temps pour terminer le programme et s’établir dans ce domaine. Elle a décidé qu’elle n’avait pas la capacité financière de poursuivre ce plan. Elle devait plutôt retourner au travail. Elle n’a donc pas suivi les cours et a commencé à chercher un autre emploi.

[68] L’appelante a déclaré qu’elle cherchait activement un autre emploi. Elle s’est inscrite pour recevoir des avis d’emploi par l’entremise du Guichet emplois de Service Canada. Elle a examiné les nouvelles offres d’emploi et évalué si elle était qualifiée et si elles exigeaient qu’elle soit vaccinée. Elle s’est construit un réseau avec d’autres travailleurs de la santé dans des groupes en ligne et a discuté des possibilités d’emploi. Elle a communiqué avec un employeur éventuel au sujet d’un emploi dans une nouvelle clinique. Elle a fait du bénévolat en tant que travailleuse de soutien en santé mentale dans un studio de yoga.

[69] Elle a témoigné qu’elle a éprouvé de la difficulté à trouver un emploi parce qu’elle travaillait dans un domaine très restreint et spécialisé des soins infirmiers. De nombreux employeurs auraient également exigé qu’elle soit vaccinée pour l’embaucher. L’appelante a finalement décidé que sa meilleure option d’emploi était de se faire vacciner et de reprendre son emploi. Elle a repris son poste le 16 décembre 2021.

[70] L’appelante a prouvé que ses démarches pour trouver un emploi étaient raisonnables et habituelles.

[71] Le témoignage de l’appelante démontre qu’elle participait à un certain nombre d’activités de recherche d’emploi. Elle évaluait régulièrement les possibilités d’emploi, elle a établi un réseau avec d’autres travailleurs et travailleuses de la santé au sujet d’emplois éventuels et elle a communiqué avec des employeurs éventuels. Je suis convaincue que ses démarches de recherche d’emploi démontrent qu’elle déployait des efforts soutenus pour trouver un emploi convenable.

Capable de travailler et disponible à cette fin

[72] La jurisprudence énonce trois éléments que je dois prendre en considération pour décider si l’appelante était capable de travailler et disponible à cette fin, mais incapable d’obtenir un emploi convenable. L’appelante doit prouver les trois éléments suivantsNote de bas de page 29 :

  1. a) Elle voulait retourner au travail aussitôt qu’un emploi convenable serait offert.
  2. b) Elle a fait des démarches pour trouver un emploi convenable.
  3. c) Elle n’a pas établi de conditions personnelles qui auraient pu limiter indûment (en d’autres termes, trop) ses chances de retourner au travail.

[73] Lorsque j’examine chacun de ces éléments, je dois me pencher sur l’attitude et la conduite de l’appelanteNote de bas de page 30.

Désir de retourner sur le marché du travail

[74] L’appelante a démontré qu’elle voulait retourner au travail dès qu’un emploi convenable lui serait offert.

[75] La preuve me démontre que l’appelante a fait des démarches raisonnables et continues pour trouver du travail. Elle cherchait un emploi grâce à ses contacts avec d’autres travailleurs et travailleuses de la santé et à des avis d’offres d’emploi sur le Guichet‑Emplois. Elle s’est entretenue avec des employeurs éventuels et s’est portée volontaire dans un rôle de soutien en santé mentale afin d’obtenir un emploi rémunéré.

[76] Son attitude et son comportement sur le plan de la recherche d’un emploi et de la vaccination pour reprendre son emploi démontrent qu’elle voulait retourner au travail dès qu’elle le pouvait.

Démarches effectuées pour trouver un emploi convenable

[77] L’appelante a effectué suffisamment de démarches pour trouver un emploi convenable.

[78] J’ai tenu compte de la liste des activités de recherche d’emploi susmentionnée pour statuer sur ce deuxième élément. Pour cet élément, cette liste est fournie à titre indicatif seulementNote de bas de page 31.

[79] Les efforts déployés par l’appelante pour trouver un nouvel emploi sont suffisants pour satisfaire aux exigences de ce deuxième élément parce qu’elle cherchait activement du travail dans son domaine. Elle a déployé des efforts constants pour trouver un emploi convenable du 19 octobre au 16 décembre 2021.

Conditions pouvant limiter indûment les chances de retourner au travail

[80] L’appelante a établi des conditions personnelles qui auraient pu limiter indûment ses chances de retourner au travail.

[81] La Commission a déclaré que le statut vaccinal de l’appelante et son intention de fréquenter l’école et de travailler à son compte constituaient des restrictions à sa disponibilité pour travailler.

[82] L’appelante a déclaré qu’elle avait l’intention de fréquenter l’école et de démarrer sa propre entreprise lorsqu’elle a été suspendue de son emploi. Elle a toutefois modifié ses plans dans la première semaine suivant son chômage. Elle a décidé qu’elle avait besoin d’un emploi pour assurer sa stabilité financière et a commencé à chercher un autre emploi.

[83] L’appelante a fourni un compte rendu détaillé et complet de ses démarches de recherche d’emploi. Je crois qu’elle cherchait du travail. Je conclus donc que son plan initial de recherche d’un travail indépendant ne constituait pas une restriction de sa disponibilité.

[84] L’appelante a convenu que son statut vaccinal limitait le nombre d’emplois auxquels elle pouvait postuler.

[85] L’appelante n’était pas vaccinée à ce moment‑là. Elle n’a donc pu postuler que pour des emplois qui n’exigeaient pas que le personnel soit vacciné contre la COVID-19. Elle a témoigné qu’il s’agissait d’un obstacle à la recherche d’un emploi parce qu’un certain nombre d’établissements de soins de santé exigeaient la vaccination du nouveau personnel, même si la vaccination n’était pas obligatoire pour le personnel actuel.

[86] Je comprends que l’appelante ne voulait pas être vaccinée. Je reconnais qu’elle avait de bonnes raisons personnelles de ne pas vouloir se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, peu importe les motifs de l’appelante, elle a admis que l’incapacité d’accepter un emploi qui nécessitait la vaccination contre la COVID-19 limitait sérieusement ses chances de retourner au travail.

[87] La Cour d’appel fédérale a donné des directives dans les cas où les prestataires ont de bonnes raisons de ne pas être en mesure d’accepter un travail :

La question de la disponibilité est une question objective; il s’agit de savoir si un prestataire est suffisamment disponible pour occuper un emploi convenable pour avoir droit aux prestations [d’assurance-emploi] et elle ne peut dépendre des raisons particulières des restrictions de disponibilité, mais celles-ci peuvent susciter une préoccupation favorable. Car, si le contraire était vrai, la disponibilité serait une exigence très variable, tributaire qu’elle serait des raisons particulières qu’invoque l’intéressé pour expliquer son manque de disponibilitéNote de bas de page 32.

[88] Le choix de l’appelante de ne pas se faire vacciner constituait un obstacle qui ne lui permettait pas de demander ou d’accepter la majorité des offres d’emploi qu’elle voyait ou de reprendre son emploi. Il s’agissait d’une condition personnelle qu’elle avait, ce qui limitait indûment ses chances de retourner au travail.

Donc, l’appelante est-elle capable de travailler et disponible à cette fin?

[89] D’après mes conclusions relatives aux trois éléments, je conclus que l’appelante n’a pas démontré qu’elle est capable de travailler et disponible à cette fin, mais qu’elle est incapable de trouver un emploi convenable depuis le 19 octobre 2021.

Conclusion

[90] L’appel est rejeté sur les deux questions en litige.

[91] La Commission a prouvé que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. Cela signifie qu’elle est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi du 19 octobre au 16 décembre 2021.

[92] L’appelante n’a pas démontré qu’elle était disponible pour travailler au sens de la loi à compter du 19 octobre 2021. Cela signifie qu’elle est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi à compter du 19 octobre 2021.

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