Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : SS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1748

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (461337) datée du 25 mars 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 2 novembre 2022

Personnes présentes à l’audience :

Appelant (prestataire)
Témoin de l’appelant, T. S.
Témoin de l’appelant, R. F.

Date de la décision : Le 7 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1360

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été suspendu et a perdu son emploi en raison d’une inconduite (parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné ce résultat). Par conséquent, le prestataire n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] S. S. est le prestataire dans cette affaire. Il a travaillé comme gardien de sécurité pendant environ sept ans et demi. Son employeur l’a mis en congé administratif sans solde puis l’a congédié parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination contre la COVID-19 au travailNote de bas de page 2. Le prestataire a alors demandé des prestations régulières d’assurance-emploiNote de bas de page 3.

[4] La Commission a décidé que le prestataire n’avait pas droit aux prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait été suspendu et avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduiteNote de bas de page 4.

[5] Le prestataire n’est pas d’accord. Son employeur n’a pris aucune mesure d’adaptation à son égard, ce qui lui a causé des difficultés financièresNote de bas de page 5. Il affirme que l’employeur a ignoré son billet médical qui l’exemptait de la vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 6. Enfin, il soutient qu’il a cotisé à l’assurance-emploi et qu’il devrait avoir droit aux prestations.

Questions que je dois examiner en premier

Une demande d’ordonnance de confidentialité a été rejetée

[6] Le prestataire a fourni un billet médical rédigé par son médecin, qui a été ajouté au dossierNote de bas de page 7. Le prestataire a demandé à la membre du Tribunal (qui s’occupait du dossier avant moi) que ce billet soit gardé confidentielNote de bas de page 8.

[7] La membre a répondu au prestataire et à sa représentante légale (à ce moment-là)Note de bas de page 9. Elle leur a expliqué le principe de la publicité de la justice et a rejeté la demande d’ordonnance de confidentialité. Les motifs précis de sa décision sont énoncés dans une lettreNote de bas de page 10.

Le prestataire a décidé de ne pas faire appel en vertu de la CharteNote de bas de page 11

[8] Ce dossier avait été mis sur pause parce que le prestataire avait affirmé que la décision de la Commission portait atteinte à ses droits garantis par la CharteNote de bas de page 12. Par la suite, le prestataire a informé le Tribunal qu’il ne voulait pas faire appel en vertu de la Charte. Une audience normale a donc eu lieu par téléconférence le 2 novembre 2022Note de bas de page 13.

Le prestataire a déposé des documents

[9] À l’audience, le prestataire a parlé d’une lettre fournie par son médecin et de certains courriels qu’il avait envoyés à son employeur. Le prestataire a aussi fait référence au Guide de la détermination de l’admissibilité de la Commission. J’ai demandé au prestataire de fournir des copies de ces documents au Tribunal pour que je puisse les examiner.

[10] Le prestataire a déposé ses documents au Tribunal, qui les a transmis à la CommissionNote de bas de page 14. À la date de la présente décision, la Commission n’a fourni aucun commentaire à ce sujetNote de bas de page 15.

Question en litige

[11] Le prestataire a-t-il été suspendu et congédié en raison de son inconduite?

Analyse

[12] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique que la personne ait été congédiée ou suspendueNote de bas de page 16.

[13] Pour décider si le prestataire a été suspendu et congédié en raison d’une inconduite, je dois évaluer deux choses. D’abord, je dois établir pour quelle raison il a arrêté de travailler. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il arrêté de travailler?

[14] J’estime que le prestataire a été mis en congé sans solde le 16 octobre 2021, puis congédié le 9 décembre 2021 parce qu’il n’a pas respecté la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19.

[15] Le prestataire a d’abord déclaré qu’il avait été mis en congé le 11 octobre 2021. Mais il a expliqué plus tard que le 11 octobre 2021 était en fait son dernier jour de travail parce qu’il n’avait aucun quart de travail cette semaine-là.

[16] Tout bien considéré, je conclus que le prestataire a seulement été mis en congé sans solde à compter du 16 octobre 2021.

La raison de son congédiement est-elle une inconduite selon la loi?

[17] La Loi sur l’assurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) m’aide décider si le congédiement du prestataire est le résultat d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les facteurs à prendre en compte quand on examine une affaire d’inconduite.

[18] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 17. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 18.

[19] Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite selon la loiNote de bas de page 19.

[20] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 20.

[21] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 21. Je dois plutôt me concentrer sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait et me demander si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 22.

[22] Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options au prestataire. Et ce n’est pas à moi non plus de décider si son employeur l’a congédié injustement ou s’il aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 23. Je peux seulement évaluer une chose : si ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[23] La Commission doit prouver que le prestataire a été suspendu et congédié en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 24.

La politique de vaccination contre la COVID-19

[24] L’employeur a instauré une politique de vaccination contre la COVID-19 qui est entrée en vigueur le 4 octobre 2021. Il affirme que l’entreprise a l’obligation légale de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger son personnel contre les risques en milieu de travail. Il explique que la vaccination diminue les risques de contracter le virus, de le transmettre ou de présenter de graves symptômes de la COVID-19.

[25] Il y a une copie de la politique au dossierNote de bas de page 25.

[26] La politique s’applique au personnel en place. C’est moi qui mets en évidence les passages en gras ci-dessous. Voici quelques sections pertinentes de la politique :

[traduction]

  1. a) L’entreprise est tenue d’aviser le personnel actuel et éventuel de l’obligation vaccinale, après quoi toute personne a jusqu’au 15 octobre 2021 pour fournir une preuve acceptable de vaccination contre la COVID-19 reconnue par l’Organisation mondiale de la santéNote de bas de page 26.
  2. b) Une exemption de la vaccination est accordée pour des raisons médicales, telles que la politique les définit, ou au besoin pour respecter certaines particularités d’une personne qui sont protégées par la loi sur les droits de la personneNote de bas de page 27.
  3. c) Lorsque la preuve médicale, jugée satisfaisante par l’entreprise, montre qu’une personne s’expose à une maladie grave s’il y a vaccination, une exemption peut lui être accordéeNote de bas de page 28. Toute personne qui demande une telle exemption doit :
    1. i) renoncer à la confidentialité des renseignements médicaux et personnels pertinents et autoriser les professionnels de la santé à communiquer directement avec l’entreprise ou sa représentation;
    2. ii) consentir, si on le lui demande, à être examinée par des professionnels de la santé ou tout spécialiste au choix de l’entreprise pour évaluer le risque allégué de la vaccination;
    3. iii) fournir des preuves à jour de ce risque si on le lui demande.
  4. d) Toute personne qui a l’intention de demander une exemption de la vaccination doit fournir une preuve de la raison de sa demande au plus tard le 22 octobre 2021, date à laquelle l’entreprise décidera de son admissibilité à l’exemptionNote de bas de page 29. Tout manquement entraînera un congé administratif sans solde (ADMIN) jusqu’à la réception d’une justification.
  5. e) Lorsqu’une personne ne fournit pas une preuve de vaccination selon les modalités ci-dessus, ou qu’une exemption de la vaccination n’est pas demandée ou ne lui est pas accordée : elle peut être congédiée pour inconduite et insubordination délibéréesNote de bas de page 30.

[27] Je considère que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

[28] Premièrement, le prestataire était au courant de la politique le 4 octobre 2021. Il en a reçu une copie par courriel entre le 7 et le 11 octobre 2021 et dit qu’il l’a consultée.

[29] Je reconnais que le prestataire n’a peut-être pas eu assez de temps pour s’y conformer avant la date limite du 15 octobre 2021 et avant qu’il soit mis en congé le 16 octobre 2021. Toutefois, l’employeur a donné un délai de grâce jusqu’au 22 octobre 2021Note de bas de page 31. De plus, je suis d’avis que le prestataire aurait eu assez de temps pour se conformer à la politique avant son congédiement le 9 décembre 2021.

[30] Deuxièmement, le prestataire n’a pas prouvé qu’il était exempté de la politique parce que sa demande n’a pas été approuvée par son employeur. Le 4 octobre 2021, l’employeur lui a demandé expressément de faire remplir son formulaire d’exemption médicale de deux pages par son fournisseur de soins de santé, mais il ne l’a pas faitNote de bas de page 32.

[31] Le prestataire a plutôt choisi, le 4 octobre 2021, de compter sur un billet médical de son médecin à l’intention de son employeur. Ce billet daté du 9 mars 2021 l’exemptait de la vaccination contre la COVID-19 en raison d’antécédents de réactions allergiques aux vaccinsNote de bas de page 33.

[32] J’ai demandé au prestataire pourquoi ce billet médical était daté du 9 mars 2021, soit avant l’entrée en vigueur de la politique (le 4 octobre 2021). Il a expliqué qu’il est allé voir son médecin en mars 2021 parce qu’il avait eu des réactions allergiques aux vaccins dans le passé. Son médecin lui a donc rédigé ce billet médical l’exemptant de la vaccination contre la COVID-19. Il a gardé son billet médical pendant quelques mois, puis l’a présenté à son employeur dès qu’il a su que la politique était en vigueur.

[33] La politique précise que lorsqu’une personne employée demande une exemption pour des raisons médicales, elle doit faire ce qui suit :

[traduction]

  1. a) Lorsque la preuve médicale, jugée satisfaisante par l’entreprise, montre qu’une personne s’expose à une maladie grave s’il y a vaccination, une exemption peut lui être accordéeNote de bas de page 34. Toute personne qui demande une telle exemption doit :
    1. i) renoncer à la confidentialité des renseignements médicaux et personnels pertinents et autoriser les professionnels de la santé à communiquer directement avec l’entreprise ou sa représentation;
    2. ii) consentir, si on le lui demande, à être examinée par des professionnels de la santé ou tout spécialiste au choix de l’entreprise pour évaluer le risque allégué de la vaccination;
    3. iii) fournir des preuves à jour de ce risque si on le lui demande.

[34] Comme je l’ai mentionné plus haut, la politique prévoyait un formulaire d’exemption médicale de deux pages qui devait être rempli par un fournisseur de soins de santéNote de bas de page 35. Le prestataire a dit qu’il avait reparlé à son médecin, mais que celui-ci n’a pas voulu remplir ce formulaire d’exemption. Son médecin lui a plutôt remis une copie d’une lettre de l’Ordre des médecins et chirurgiens datée du 1er septembre 2021, qui fournissait des renseignements sur la mise à jour relative aux exemptions médicales liées à la COVID-19Note de bas de page 36.

[35] Le prestataire a admis qu’il n’avait pas soumis le formulaire d’exemption médicale de deux pages à son employeur, mais qu’il avait plutôt choisi de compter sur le billet médical du 9 mars 2021. Mais l’employeur ne l’a pas accepté. De plus, le prestataire a convenu qu’il n’était pas prêt à se conformer aux autres critères obligatoires, comme le fait de devoir renoncer à la confidentialité, etc.

[36] Compte tenu de ce que j’ai mentionné, je considère que le prestataire n’avait pas d’exemption médicale approuvée par son employeur. La politique précise que la preuve médicale doit être jugée satisfaisante par l’employeur. Le billet médical ne l’était pas.

[37] Troisièmement, j’estime que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait un congé sans solde et un congédiement. Le témoignage du prestataire ne m’a pas convaincue qu’il ignorait les conséquences parce que la politique les mentionnait et qu’il a reçu une copie de cette politique. Il savait ce que la politique lui demandait et ce qui arriverait s’il ne la respectait pas : un congé sans solde et un congédiement.

[38] Le prestataire s’est fié au Guide de la détermination de l’admissibilité, mais celui-ci n’a pas force de loi. Le Guide explique la façon dont la Commission interprète ses politiques et la loi. Je suis tenue de suivre la loi. Quoi qu’il en soit, la section du Guide à laquelle le prestataire a fait référence ne s’applique pas à sa situation. Son dossier porte sur une inconduite, et non sur un départ volontaire, alors la notion de « modification importante des fonctions » ne s’applique pasNote de bas de page 37.

Alors, le prestataire a-t-il été suspendu et a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[39] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que le prestataire a été suspendu et a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[40] En effet, les actions du prestataire ont mené à son congédiement. Il a agi délibérément. Il savait que le refus de se faire vacciner risquait de lui faire perdre son emploi.

[41] La Cour d’appel fédérale a déjà déclaré qu’une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 38. Même si le prestataire n’avait pas d’intention coupable, il s’agissait tout de même d’une inconduite.

Qu’en est-il des autres arguments du prestataire?

[42] Le prestataire avait deux témoins (T. S. et R. F.) qui ont parlé de sa personnalité et de ses diverses difficultés. Je reconnais que le prestataire est travaillant et que son emploi était sans aucun doute très important pour lui. Toutefois, je n’ai pas le pouvoir de lui accorder des prestations d’assurance-emploi par compassion.

[43] Le prestataire a présenté d’autres arguments : le fait que l’employeur ne lui ait pas accordé de mesure d’adaptation, le harcèlement et l’intimidation de la part de l’employeur, le congédiement injustifié, etc.

[44] Je suis liée par les décisions de la Cour fédérale. La Cour a déjà déclaré que le Tribunal ne peut pas décider si un congédiement ou une sanction est justifié. La responsabilité du Tribunal est d’évaluer si la conduite de la partie prestataire constitue une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 39. Dans la présente affaire, j’ai déjà décidé que la conduite du prestataire constitue une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[45] Je reconnais les arguments supplémentaires du prestataire, mais le recours qui s’offre à lui est d’entreprendre des démarches en cour ou devant tout autre tribunal qui pourrait examiner ses arguments particuliers.

Conclusion

[46] La Commission a prouvé que le prestataire a été suspendu et a perdu son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi il n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi.

[47] Par conséquent, l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.