Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MV c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1795

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelante : M. V.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance emploi du Canada (459405) datée du 26 février 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 juin 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 5 juillet 2022
Numéro de dossier : GE-22-879

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal est en désaccord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été mise en congé en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné sa mise en congé). Par conséquent, la prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Aperçu

[3] M. V. est la prestataire dans la présente affaire. La prestataire travaillait comme agente de dotation. Elle a été au service du même employeur pendant environ 37 ans. L’employeur l’a mise en congé sans solde le 26 novembre 2021 parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 au travailNote de bas de page 1. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance‑emploiNote de bas de page 2.

[4] La Commission a décidé que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi parce qu’elle avait été suspendue de son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 3.

[5] La prestataire est en désaccord parce que selon ses dires, l’employeur l’a illégalement mise en congé sans solde. Elle ne veut pas attester de son statut vaccinal au moyen de la ligne téléphonique d’attestation de l’employeur parce que celui‑ci a déjà porté atteinte à sa vie privée.  L’employeur a également agi de mauvaise foi et n’a pas pris de mesures d’adaptation à son égardNote de bas de page 4. 

Questions que je dois examiner en premier

La prestataire a présenté des documents après l’audience

[6] À l’audience, la prestataire a mentionné qu’elle avait fait avec son employeur un enregistrement audio au sujet de sa situation d’emploi. Elle a fait entendre l’enregistrement audio à l’audience et en a envoyé une copie par la suite pour qu’il soit ajouté au dossier. Une copie a été transmise à la CommissionNote de bas de page 5.

[7] La prestataire a également déclaré qu’elle s’appuyait sur un arrêt de la Cour suprême du Canada pour étayer sa positionNote de bas de page 6. Je lui ai demandé d’en produire une copie. Elle l’a présenté après l’audience et il a été communiqué à la CommissionNote de bas de page 7. Celle‑ci n’a fourni aucune réplique à la date de la présente décision.

Autres arguments soulevés par la prestataire

[8] La prestataire a soulevé certains arguments fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés (Charte)Note de bas de page 8. J’ai expliqué que le processus du Tribunal différait pour les dossiers de la Charte et que je pouvais lui fournir plus de renseignementsNote de bas de page 9.

[9] La prestataire a décidé de ne pas interjeter appel en se fondant sur la Charte. Par conséquent, elle ne s’appuie pas sur ses arguments fondés sur la Charte à l’audience.

Question en litige

[10] Pourquoi la prestataire ne travaille-t-elle plus? Est‑ce en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 10?

Analyse

[11] Le prestataire qui perd son emploi en raison d’une inconduite ou qui quitte volontairement son emploi sans justification n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 11.

[12] Le prestataire suspendu de son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance‑emploi. Sauf si sa période de suspension prend fin, s’il perd son emploi ou s’il quitte celui‑ci volontairement ou accumule assez d’heures chez un autre employeur après le début de la suspensionNote de bas de page 12.

[13] De plus, un prestataire qui prend volontairement une période de congé de son emploi sans justification est inadmissible à des prestations d’assurance‑emploi jusqu’à la reprise de son emploi, la perte de son emploi ou son départ volontaire ou jusqu’au cumul d’un nombre d’heures suffisant chez un autre employeurNote de bas de page 13.

 Pourquoi la prestataire ne travaille-t-elle plus pour son employeur?

[14] Je conclus que la prestataire a été mise en congé sans solde obligatoire le 27 novembre 2021 parce qu’elle n’a pas respecté la pratique de l’employeur sur la vaccination. Dans la présente décision, je vais qualifier la pratique de « politique » de l’employeur. 

[15] La prestataire n’était pas autorisée à poursuivre son travail à distance. De plus, il lui était interdit de se présenter au travail. Elle est en congé administratif sans solde jusqu’à ce qu’elle se conforme à la politique. Cela concorde également avec son relevé d’emploi et avec la lettre de l’employeur datée du 27 novembre 2021Note de bas de page 14.

[16] La prestataire a déclaré que l’employeur avait émis deux relevés d’emploi et que l’un d’eux mentionnait qu’elle était congédiée. Toutefois, rien n’indique que l’employeur l’a congédiée ou qu’il existait un deuxième relevé d’emploi. Par conséquent, je me fonde sur le relevé d’emploi au dossier, selon lequel elle était en congé pour non-respect de la pratique de vaccination, ainsi que sur d’autres documents connexes au dossierNote de bas de page 15.

Quelle était la politique de l’employeur?

[17] L’employeur a mis en œuvre une « pratique de vaccination obligatoire » (politique) prenant effet le 29 octobre 2021Note de bas de page 16. Selon la politique, l’employeur s’engage à offrir un environnement sain et sécuritaire à tout le personnel. Les membres du personnel doivent être entièrement vaccinés contre la COVID-19.

[18] La politique exige que le personnel atteste d’abord son statut vaccinal pour la COVID-19 d’ici le 12 novembre 2021. Elle fournit au personnel un numéro de téléphone vers un système automatisé d’attestation. Le personnel doit être entièrement vacciné contre la COVID-19 d’ici le 26 novembre 2021.

La politique a-t-elle été communiquée à la prestataire?

[19] Je conclus que l’employeur a communiqué la politique à la prestataire à plusieurs reprises et que celle‑ci a eu un préavis suffisant pour se conformer.

[20] La prestataire a témoigné qu’elle était au courant de la politique de l’employeur parce qu’il y avait eu des réunions à ce sujet, qu’elle avait reçu des avis et que son superviseur le lui avait dit. Elle était également au courant des délais, plus précisément qu’elle devait attester de son statut vaccinal au plus tard le 12 novembre 2021 et être entièrement vaccinée au plus tard le 26 novembre 2021.

Quelles ont été les conséquences du non‑respect de la politique?

[21] La politique prévoit que [traduction] « la présentation d’une attestation fausse ou trompeuse au sujet du statut vaccinal ou toute autre violation de cette pratique est considérée comme une inconduite majeure et entraînera des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement »Note de bas de page 17.

[22] Le 25 novembre 2021, l’employeur a envoyé à la prestataire une lettre mentionnant que si elle n’attestait pas immédiatement de son statut vaccinal, elle serait mise en congé administratif sans solde à compter du 27 novembre 2021Note de bas de page 18.

[23] La prestataire a témoigné qu’elle ne s’attendait pas à être mise en congé obligatoire parce qu’elle n’avait pas attesté de son statut vaccinal au moyen de la ligne téléphonique de l’employeur. Elle a dit que l’employeur avait écrit qu’il s’agissait seulement d’un « congé administratif ».

[24] La prestataire s’est appuyée sur une capture d’écran d’une page mentionnant : [traduction] « Si le personnel ne se conforme pas à la pratique de vaccination, il sera mis en congé sans solde jusqu’à ce qu’il reçoive sa première dose. La pratique actuelle est une mesure administrative et non disciplinaire »Note de bas de page 19.

[25] La prestataire a ensuite expliqué que plusieurs mois avant un congé administratif, vers mars 2021, elle était en congé sans solde pour prendre un congé pour soins aux aînésNote de bas de page 20.

Y a-t-il une raison pour laquelle la prestataire ne peut se conformer à la politique de l’employeur?

[26] La politique prévoit des mesures d’adaptation pour le personnel fondées sur des motifs médicaux et religieux ou sur d’autres motifs de distinction illicite en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personneNote de bas de page 21.

[27] Selon la politique, le personnel doit d’abord attester de son statut vaccinal sur son téléphone automatisé comme suit : [traduction] « je suis entièrement vacciné, je suis partiellement vacciné et j’ai l’intention d’être entièrement vacciné, ou je suis incapable de l’être ». Le personnel doit ensuite fournir certains documents à l’appui de sa demande, conformément à la politique.

[28] La prestataire a témoigné qu’elle a demandé à l’employeur une exemption pour des motifs religieux le 15 novembre 2021 et qu’elle a présenté sa demande par courriel plutôt qu’au moyen de la ligne téléphonique automatiséeNote de bas de page 22.

[29] La prestataire ne voulait pas attester de son statut vaccinal au moyen d’une ligne téléphonique automatisée pour des raisons de confidentialité. Il s’agissait là de sa préoccupation principale. Elle voulait présenter les renseignements à l’employeur sur papier. Elle a expliqué que l’employeur a porté atteinte à sa vie privée lorsqu’il a accidentellement envoyé une lettre qui devait lui être adressée à quelqu’un d’autre dans l’organisationNote de bas de page 23.

[30] La prestataire a également fourni à la Commission des renseignements supplémentaires sur sa demande d’exemption pour des motifs religieuxNote de bas de page 24.

La conduite de la prestataire est-elle considérée comme une inconduite au sens de la loi?

[31] Pour qu’il y ait une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 25. L’inconduite est aussi une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 26.

[32] La prestataire n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, elle n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 27.

[33] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’en conséquence, son congédiement ou sa suspension était une possibilité bien réelleNote de bas de page 28.

[34] La Commission doit prouver que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a été suspendue en raison de son inconduiteNote de bas de page 29.

[35] Je conclus que la Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue en raison d’une inconduite pour les motifs suivants.

[36] Premièrement, la prestataire a été mise en congé sans solde le 27 novembre 2021 parce qu’elle a refusé d’attester de son statut vaccinal avant la date limite fixée dans la politique le 12 novembre 2021. Elle avait été informée de la politique de l’employeur en réponse à la pandémie de COVID-19 et avait eu le temps de s’y conformer.

[37] La prestataire ne conteste pas qu’elle n’avait pas attesté de son statut vaccinal au moyen de la ligne téléphonique automatisée au 12 novembre 2021, comme l’exigeait la politiqueNote de bas de page 30. Bien que la prestataire ait préféré faire plutôt son attestation sur papier, la politique ne prévoyait pas cette option.

[38] Deuxièmement, l’argument de la prestataire selon lequel l’employeur avait reçu et accepté son attestation après qu’elle lui eut envoyé un courriel lui demandant une exemption de la politique pour des motifs religieux ne m’avait pas convaincueNote de bas de page 31. Bien que je reconnaisse qu’elle a envoyé le courriel à l’employeur le 15 novembre 2021, elle n’a pas suivi les étapes requises par la politique, qui était d’attester au moyen de la ligne téléphonique automatiséeNote de bas de page 32.

[39] L’employeur l’a informée à la même date que tout le personnel est tenu d’attester au moyen de la ligne d’attestation, mais elle a choisi de ne pas le faireNote de bas de page 33. Un courriel de l’employeur daté du 24 février 2022 mentionne que son exemption pour des motifs religieux ne sera pas évaluée parce que ses dossiers précisent qu’elle n’a pas rempli son attestation téléphonique. Les étapes de cette démarche lui ont été décritesNote de bas de page 34. Cela confirme en outre que l’employeur n’a pas reçu ou accepté sa demande par courriel.

[40] À mon avis, la prestataire savait exactement ce que l’on attendait d’elle parce que cela était énoncé dans la politique et dans la lettre de l’employeur. Si elle voulait une exemption de la politique, elle devait d’abord attester de son statut vaccinal en utilisant la ligne téléphonique automatisée. Il s’agissait de la première étape avant de faire sa demande d’exemption de la politique pour des motifs religieux.

[41] Troisièmement, l’argument de la prestataire selon lequel elle ignorait que sa conduite mènerait à un congé sans solde obligatoire et croyait que cela mènerait à un congé administratif ne m’a pas convaincue.

[42] La politique prévoit clairement que [traduction] « la présentation d’une attestation fausse ou trompeuse au sujet du statut vaccinal ou toute autre violation de cette pratiqueNote de bas de page 35 est considérée comme une inconduite majeure et entraînera des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement ». L’employeur a également fait parvenir une lettre exigeant des mesures immédiates. Cette lettre mentionne que la prestataire fera l’objet d’une mise en congé administratif sans solde si elle ne se conforme pas au plus tard le 26 novembre 2021Note de bas de page 36. 

[43] La Commission parle de « suspension » et je suis d’accord avec elleNote de bas de page 37. Dans la présente affaire, la prestataire n’avait pas l’autorisation de reprendre le travail au bureau ou à distance. La prestataire s’est fondée sur le Guide de la détermination de l’admissibilité pour confirmer qu’elle était en congé autorisé (en conséquence d’une mise à pied), mais aucun élément de preuve n’étaye cette prétentionNote de bas de page 38. Il est clair que la prestataire n’avait pas le choix de continuer à travailler. Elle n’a donc pas pris le congé volontairement. Aucune date de reprise de son emploi n’était prévue parce que son congé était à durée indéterminée, jusqu’à ce qu’elle se conforme.

[44] Quatrièmement, j’admets que l’employeur a le droit d’élaborer et d’imposer des politiques en milieu de travail en réponse à la pandémie de COVID-19. J’admets également que la prestataire a le droit de choisir si elle veut attester de sa vaccination ou se faire vacciner contre la COVID-19.

[45] Je conclus que la prestataire a fait le choix conscient et voulu de ne pas se conformer à la politique même si elle savait ou aurait dû savoir que ce choix entraînerait un congé administratif sans solde. C’était son choix et il a entraîné des conséquences indésirables, comme un congé administratif sans solde.

[46] Enfin, l’objectif de la Loi est d’indemniser les personnes dont l’emploi s’est involontairement terminé et qui se retrouvent sans travail. La perte d’emploi ou la suspension assurée doit être involontaireNote de bas de page 39. La conduite de la prestataire n’était pas involontaire, car c’est sa conduite qui l’a amenée à cesser de travailler.

La conduite de la prestataire est-elle une inconduite?

[47] Oui, compte tenu des conclusions que j’ai tirées précédemment, j’estime que la prestataire a été mise en congé sans solde ou suspendue en raison d’une inconduite.

Qu’en est-il des autres arguments de la prestataire?

[48] La prestataire a soulevé plusieurs arguments à l’appui de son appel, dont certains des suivants :

  1. a) L’employeur a enfreint la convention collective par mauvaise foi.
  2. b) Il s’agissait d’une violation du Code canadien du travail.
  3. c) Ses droits à la vie privée ont été violés par l’employeur.
  4. d) L’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation.
  5. e) Des arguments sur l’efficacité du vaccin.
  6. f)  Elle éprouve des difficultés financières depuis qu’elle est incapable de travailler.

[49] La prestataire a déclaré qu’elle avait déposé un grief et une plainte par l’entremise de son syndicat auprès de la Commission canadienne des droits de la personneNote de bas de page 40.

[1] Je reconnais les arguments supplémentaires de la prestataire, mais je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur a violé ses droits à l’emploi en la mettant en congé sans solde.

[50] La cour a dit que le Tribunal n’a pas à décider si le congédiement était justifié ou si la pénalité était justifiée. Il doit décider si la conduite du prestataire constituait une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 41. J’ai décidé que sa conduite constituait une inconduite.

[51] Le recours de la prestataire consiste à intenter cette action en justice, ou à s’adresser à tout autre tribunal qui pourrait traiter ces questions particulières.

Conclusion

[52] La Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités (il est plus probable que le contraire), que l’employeur l’a mise en congé ou l’a suspendue en raison d’une inconduite au sens de la Loi.

[53] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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