Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MV c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 671

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Appelante : M. V.
Intimée : Commission de l’assurance‑emploi du Canada
Représentante : Isabelle Thiffault

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 5 juillet 2022
(GE-22-879)

Membre du Tribunal : Janet Lew
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 7 novembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 31 mai 2023
Numéro de dossier : AD-22-451

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, M. V. (la prestataire) interjette appel de la décision de la division générale.

[3] La division générale a conclu que la prestataire avait été mise en congé sans solde parce qu’elle avait refusé de se conformer à la pratique de vaccination de son employeur, même si elle savait qu’il y aurait des conséquences en cas de non-conformité. La division générale a conclu que cela constituait une inconduite. Par conséquent, la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[4] La prestataire fait valoir que la division générale a commis plusieurs erreurs de droit et de fait. Elle nie que sa conduite constituait une inconduite. Elle soutient qu’elle n’était pas assujettie à une pratique de vaccination obligatoire, qu’elle avait rempli toutes ses obligations, qu’elle n’aurait pu prévoir qu’elle serait mise en congé (car son employeur lui a accordé des congés par le passé), qu’elle n’avait pas eu assez de temps pour se faire vacciner et que la politique de son employeur était inefficace et déraisonnable.

[5] La prestataire demande à la division d’appel d’accueillir l’appel et de conclure qu’elle est admissible à des prestations.

[6] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), nie que la division générale ait commis des erreurs. Elle demande à la division d’appel de rejeter l’appel.

Questions préliminaires : nouveaux éléments de preuve

[7] La prestataire a présenté une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP) auprès de son employeur. Elle affirme avoir finalement reçu une réponse à sa demande. La prestataire mentionne que certains des documents qu’elle a reçus à la suite de sa demande d’AIPRP appuient sa demande. La prestataire soutient que la réponse à la demande d’AIPRP montre qu’elle bénéficie d’une exemption de devoir se conformer à la pratique de vaccination de son employeur pour des motifs religieux.

[8] Certains des documents reçus par la prestataire à la suite de sa demande d’AIPRP constituent de nouveaux éléments de preuve.

[9] La prestataire a également préparé une vidéo de 30 secondes. Elle l’a partagée pendant l’audience de la division d’appel. Des parties de la vidéo présentaient de nouveaux éléments de preuve. Ceux-ci démontraient les prix et la reconnaissance que la prestataire a reçus de son employeur. Il ne fait aucun doute que l’employeur de la prestataire la considérait comme une employée exceptionnelle.

[10] La prestataire a également fait référence à sa convention collective (convention). Toutefois, la prestataire n’a pas fourni de copie de la convention intégrale à la division générale. Elle renvoyait à des parties de celle-ci. Les parties conviennent que la preuve présentée à la division générale établissait que la convention n’exigeait pas la vaccination et indiquait qu’elle visait l’ensemble de la relation employeur-employée.

[11] La Commission affirme que la division d’appel ne devrait pas examiner de nouveaux éléments de preuve.

[12] De façon générale, la division d’appel ne le fait pas. Il serait inapproprié d’accepter de nouveaux éléments de preuve aux fins de réévaluation et de nouvelle appréciation de la preuve dont la division générale était saisie. Comme l’a précisé la Cour d’appel fédérale, la division d’appel peut accueillir de nouveaux éléments de preuve s’ils aident à fournir des renseignements généraux ou [traduction] « peut-être exceptionnellement »Note de bas de page 1 dans les cas où les deux parties ont convenu que la division d’appel devrait examiner un document important. Tel n’est toutefois pas le cas ici. Je ne pourrai donc pas tenir compte de cette nouvelle preuve.

Questions en litige

[13] Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle mal interprété ce que signifie l’inconduite?
  2. b) La division générale a-t-elle commis des erreurs de fait?

Analyse

[14] La division d’appel peut intervenir dans les décisions de la division générale si elles renferment des erreurs de compétence, de procédure, de droit ou certains types d’erreurs de faitNote de bas de page 2.

[15] Dans le cas d’erreurs de fait, la division générale doit avoir fondé sa décision sur une erreur commise de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle est saisie.

La division générale a-t-elle mal interprété ce que signifie l’inconduite?

[16] La prestataire soutient que la division générale a mal interprété la signification de l’inconduite. La prestataire affirme que le critère en matière d’inconduite est rigoureux. Elle ajoute que l’inconduite ne survient que lorsqu’il y a manquement aux obligations envers son employeur et que l’employé doit être conscient des conséquences qui peuvent découler d’un manquement à ces obligations.

[17] La prestataire nie avoir manqué à ses obligations. Elle a affirmé qu’elle s’était acquittée de toutes les obligations requises en vertu des modalités de sa convention.

[18] La prestataire affirme également qu’elle n’aurait pas pu savoir qu’elle pourrait faire l’objet d’une suspension ou d’un congé si elle n’avait pas respecté la pratique de vaccination de son employeur (la prestataire nie qu’elle ne s’était pas conformée, car elle affirme qu’elle bénéficiait d’une exemption pour des motifs religieux. Je traiterai de cette question dans la section qui suit).

[19] La prestataire soutient qu’elle ignorait qu’elle pourrait faire l’objet d’une suspension ou d’un congé parce que, s’il y avait eu inconduite, elle aurait fait l’objet d’un processus disciplinaire progressif.

Définition de l’inconduite

[20] La prestataire fait valoir que la division générale a utilisé la mauvaise définition de l’inconduite.

[21] La division générale a conclu que pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite est aussi une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré. La division générale a conclu que l’intention fautive n’était pas nécessaireNote de bas de page 3.

[22] La division générale a conclu qu’il y a inconduite si un prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait nuire à l’exécution de ses obligations envers son employeur et qu’il existait une véritable possibilité que cela puisse alors entraîner une suspension ou un congédiementNote de bas de page 4.

[23] La division générale a renvoyé à plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale.

[24] Bien que la prestataire n’affirme pas que la définition d’inconduite donnée par la Cour d’appel est erronée, elle prétend qu’il doit y avoir inconduite grave, manquement habituel au devoir, incompétence, conduite incompatible avec les fonctions ou quelque chose de préjudiciable aux activités de l’employeurNote de bas de page 5. Elle affirme que le seuil de l’inconduite doit être élevé pour qu’il y ait effectivement inconduite. Elle renvoie à l’opinion dissidente de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Port Arthur Shipbuilding Co. c Arthurs et autresNote de bas de page 6 (en anglais seulement).

[25] Toutefois, cette décision ne traite pas d’inconduite dans le contexte de l’assurance-emploi. La décision porte sur la question de savoir si l’employeur était fondé à congédier trois employés. La décision n’est pas pertinente pour la question de l’inconduite aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[26] La prestataire renvoie également à l’arrêt McKinley c BC TelNote de bas de page 7, dans lequel la Cour suprême du Canada a fait référence à l’exposé du juge de première instance au jury. Les directives du juge étaient les suivantes : la conduite de l’employé devait être « de nature à miner ou à ébranler sérieusement la confiance que l’employeur a le droit d’avoir en son employé dans les circonstances particulières de leur relation ». Toutefois, l’exposé du juge portait sur la question du congédiement avec justification fondé sur la malhonnêteté d’un employé. La décision ne portait pas non plus sur l’inconduite dans le contexte de l’assurance-emploi, de sorte qu’elle n’est d’aucune aide.

[27] La prestataire invoque également la décision Canada (Procureur général) c TuckerNote de bas de page 8, qui portait sur une inconduite au sens de la Loi. La Cour fédérale a examiné la décision du juge-arbitre (le prédécesseur de la division d’appel).

[28] Le juge-arbitre a déclaré que Mme Tucker n’a pas commis d’inconduite, car ses facultés étaient involontairement affaiblies. Le juge-arbitre avait décidé que :

[…] Pour constituer de l’inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail.

[29] La Cour a approuvé cette définition à la majorité. Toutefois, elle n’est pas incompatible avec la définition d’inconduite de la division générale. Je conclus que la division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a défini l’inconduite parce qu’elle s’est fondée sur la définition d’inconduite que les tribunaux ont établie depuis longtemps.

[30] Il semble qu’en fait, la prestataire conteste la façon dont la division générale a appliqué la définition ou le droit aux faits de son cas.

[31] Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt QuadirNote de bas de page 9, l’application de principes établis aux faits est une question mixte de fait et de droit et ne constitue pas une erreur de droit. La division d’appel n’a pas compétence pour intervenir dans les décisions de la division générale sur des questions mixtes de fait et de droit.

La prestataire affirme que la convention n’exigeait pas la vaccination

[32] La prestataire soutient qu’il y a inconduite seulement si elle a fait quelque chose ou omis de faire quelque chose qui était exigé par sa convention.

[33] La prestataire convient qu’elle est demeurée non vaccinée et qu’elle ne s’est pas conformée à la pratique de vaccination de son employeur. Elle affirme toutefois que son employeur ne pouvait pas la contraindre à se faire vacciner parce que la vaccination n’était pas visée par sa convention.

[34] La prestataire fait valoir que la convention couvrait l’ensemble de la relation employeur-employée, de sorte que si la convention ne disait mot de la nécessité de se faire vacciner, elle n’avait pas à le faire.

[35] La prestataire soutient également que son employeur ne pouvait tout simplement pas modifier ou instaurer de nouvelles modalités de cette relation, par exemple en introduisant une nouvelle pratique ou politique de vaccination.

[36] La prestataire prétend donc qu’elle n’avait pas à se conformer à la politique de vaccination parce qu’elle n’était pas déjà incluse dans sa convention. Elle fait valoir que son employeur n’était pas autorisé à introduire une nouvelle politique sans son consentement. Elle soutient en outre que si elle n’avait pas à se conformer à la nouvelle politique, il ne pouvait pas y avoir d’inconduite, car elle se conformait par ailleurs aux modalités de sa convention.

[37] C’est le même argument qui a été soulevé dans une affaire intitulée Cecchetto v Canada (Procureur général)Note de bas de page 10 (en anglais seulement). Le contrat de travail de M. Cecchetto n’exigeait pas la vaccination. Il a commencé à travailler pour son employeur en 2017, bien avant le début de la pandémie. Son employeur a par la suite adopté la directive provinciale en matière de santé qui l’obligeait à mettre en place la vaccination ou des tests réguliers. L’employeur a adopté unilatéralement la politique, sans le consentement de M. Cecchetto.

[38] La Cour a pris note de cette preuve. Elle savait à quel moment M. Cecchetto a commencé à travailler et elle savait que son employeur avait adopté la directive provinciale en matière de santé. M. Cecchetto s’est opposé à cette politique. La Cour a accepté que, même si la vaccination ne faisait pas partie du contrat de travail initial de M. Cecchetto, son employeur puisse par la suite instaurer une politique qui exigeait la vaccination. La Cour n’a pas examiné le caractère raisonnable de la politique de vaccination de l’employeur ni la conformité de celle-ci au contrat de travail.

[39] La Cour a conclu que la division générale avait raisonnablement décidé que M. Cecchetto avait commis une inconduite en raison de son non-respect d’une politique qui ne faisait pas partie de son contrat de travail initial.

[40] Ainsi, même si le contrat de travail initial du prestataire n’exigeait pas la vaccination, il ressort clairement de l’affaire Cecchetto qu’un employeur peut instaurer une nouvelle politique, pratique ou règle, même si un employé n’est pas d’accord avec celle-ci et n’y consent pas.

[41] Par ailleurs, il est bien établi que, dans un milieu syndiqué, un employeur peut adopter unilatéralement de nouvelles politiques ou règles, même si le syndicat n’est pas d’accord. Un employeur peut le faire s’il satisfait à ce que l’on appelle généralement le « critère de la décision KVP ». Le critère découle de la décision de l’arbitre Robinson dans l’Affaire de l’Union des bûcherons et employés de scieries, section locale 2537, et KVP Co.Note de bas de page 11 (en anglais seulement).

[42] Dans le cadre du « critère de la décision KVP », la nouvelle règle ou politique doit satisfaire à certaines exigences. Selon une de ces exigences, la nouvelle règle ou politique ne peut être déraisonnable.

[43] Dans l’affaire Cecchetto, la Cour n’a ni abordé ni pris en compte le « critère de la décision KVP ». La Cour a statué qu’il n’était pas de la compétence ou de l’autorité de la division générale (et de la division d’appel) d’examiner le bien-fondé, la légitimité et la légalité de la politique d’un employeur. Par conséquent, si la Cour décidait que la division générale ne pouvait pas tenir compte de la légalité d’une politique, il serait peu logique que la division générale ait le pouvoir d’examiner son caractère raisonnable.

[44] La Cour a brièvement abordé la décision AL, rendue par la division générale. Dans cette affaire, la division générale a conclu que l’employeur d’AL avait instauré unilatéralement une politique de vaccination. AL ne l’a pas respectée. La division générale a quand même conclu qu’il n’y avait pas eu inconduite. Entre autres choses, la division générale a conclu que la convention collective dans cette affaire permettait expressément à AL de se soustraire à la vaccination.

[45] La Cour a distingué la décision AL en fonction de ses faits. Elle a noté que la division générale a conclu que certaines dispositions particulières dans la convention collective d’AL concernaient la vaccination.

[46] Dans la présente affaire, la division générale ne disposait pas d’une copie complète de la convention de la prestataire pour décider si des dispositions portaient sur la vaccination ou sur d’autres questions. Donc, même si je devais être d’accord avec le raisonnement énoncé dans la décision AL, la preuve ne permet pas de prétendre que cette décision s’applique.

La prestataire affirme qu’elle s’est acquittée de toutes les obligations prévues dans sa convention

[47] La prestataire soutient que l’inconduite ne survient que s’il y a violation de ses modalités d’emploi. La prestataire affirme qu’elle s’est acquittée de toutes les obligations et responsabilités attendues d’elle, de sorte qu’il n’y a pas eu d’inconduite.

[48] La division générale a décidé qu’une inconduite survient lorsque la partie prestataire savait ou aurait dû savoir que « sa conduite était de nature à entraver l’exécution de [ses] obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiée (ou suspendue) [renvoi omis] »Note de bas de page 12. (Mis en évidence par la soussignée.)

[49] La prestataire soutient que son non-respect de la politique de vaccination de son employeur n’a pas entravé l’exécution de ses obligations envers son employeur. Elle affirme qu’elle s’est acquittée de toutes les obligations qui lui incombaient en vertu de sa convention. Elle soutient donc que, compte tenu de la définition d’inconduite énoncée par la division générale, il n’y a pas eu d’inconduite dans son cas.

[50] Toutefois, il est clair que l’employeur de la prestataire a jugé que la vaccination constituait une condition essentielle de son emploi. Compte tenu du raisonnement énoncé dans la décision Cecchetto, il est clair que l’employeur pourrait instaurer une nouvelle politique ou pratique à laquelle le personnel devait se conformer.

La prestataire affirme qu’il n’y a pas eu de mesures disciplinaires progressives

[51] La prestataire fait également valoir que s’il y avait eu inconduite, son employeur aurait pris des mesures disciplinaires progressives contre elle, conformément aux modalités de la convention. La convention énonce les mesures disciplinaires. Celles-ci comprendraient notamment des avertissements verbaux et écrits ainsi qu’une suspension, allant d’un jour à un maximum de cinq jours.

[52] Comme son employeur ne lui a pas imposé de mesures disciplinaires en lui donnant d’abord des avertissements ou en la suspendant pendant des périodes plus courtes, la prestataire affirme qu’il s’agit d’une preuve de l’absence d’inconduite. Elle affirme donc que si son employeur n’a pas adopté ces mesures, il ne l’a manifestement pas considérée comme ayant commis une inconduite.

[53] Toutefois, la décision ou l’évaluation subjective de l’employeur pour vérifier si un prestataire a commis une inconduite ne définit pas l’inconduite aux fins de la LoiNote de bas de page 13.

[54] De même, les attentes d’un prestataire ne définissent pas l’inconduite. Dans l’arrêt Jolin, la Cour d’appel fédérale a déclaré que ce n’est pas parce que la sanction disciplinaire se révèle plus sévère que celle prévue par le prestataire que son comportement ne constituait pas de l’inconduiteNote de bas de page 14.

[55] La division générale n’était pas autorisée à se fonder sur la décision de l’employeur ou de l’employé quant à savoir s’il y a eu inconduite à l’égard des objets de la Loi. La division générale devait plutôt analyser elle-même objectivement la question de savoir s’il y avait eu inconduite, ce qu’elle a fait.

La prestataire affirme que la politique de son employeur était inefficace, illégale et déraisonnable

[56] La prestataire soutient également que la politique de vaccination de son employeur était inefficace, illégale et déraisonnable. Elle affirme qu’elle enfreignait le Code canadien du travail et la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Elle soutient que pour ces raisons, elle n’avait pas à se conformer à la politique, de sorte qu’il n’y a pas eu d’inconduite.

[57] La Cour fédérale a abordé cette question dans la décision CecchettoNote de bas de page 15. M. Cecchetto soutient que la Cour fédérale devrait annuler la décision de la division d’appel dans son cas. Il a déclaré que la division d’appel avait omis de répondre à ses questions sur la légalité d’exiger des employés qu’ils se soumettent à des procédures médicales, y compris la vaccination et les tests.

[58] M. Cecchetto a soutenu que comme l’efficacité et la sécurité de ces procédures n’étaient pas prouvées, il ne devrait pas avoir à se faire vacciner. Selon lui, il existait des raisons légitimes de refuser la vaccination. Pour cette raison, il affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite s’il a choisi de ne pas se faire vacciner.

[59] La Cour a écrit ce qui suit :

[Traduction]
[46] Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur [Cecchetto] trouve probablement ce résultat frustrant, car mes motifs ne traitent pas des questions juridiques, éthiques et factuelles fondamentales qu’il soulève. Cela s’explique par le fait que bon nombre de ces questions ne relèvent tout simplement pas de cette affaire. Il n’est pas déraisonnable pour un décideur de ne pas traiter d’arguments juridiques qui ne relèvent pas de son mandat juridique.

[47] La DG du TSS et la division d’appel ont un rôle important, mais étroit et précis à jouer dans le système juridique. En l’espèce, le rôle consistait à déterminer pourquoi le demandeur avait été congédié de son emploi et si ce motif était constitutif d’une « inconduite ». […]

[48] Malgré les arguments du prestataire, il n’y a aucune raison d’infirmer la décision de la division d’appel en raison de son défaut d’évaluer le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de Directive 6 ou de statuer sur celles-ci. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la DG du TSS. [Renvoi omis]

(Mis en évidence par la soussignée.)

[60] La division d’appel n’a tiré aucune conclusion dans l’affaire Cecchetto au sujet du bien-fondé, de la légitimité ou de la légalité de la politique de vaccination. La Cour a déclaré que cela ne relevait tout simplement pas de la division d’appel. La Cour a décidé que la division d’appel ne peut jouer qu’un rôle limité. Elle se limite à établir pourquoi un prestataire est congédié et si ce motif est constitutif d’une inconduite.

[61] Il ressort clairement de cette affaire que les arguments de M. Cecchetto au sujet de la légalité de la politique de vaccination de son employeur n’étaient pas pertinents à la question de l’inconduite.

[62] De même, je conclus que la division générale n’a commis aucune erreur en s’abstenant d’examiner si la politique de l’employeur de la prestataire était inefficace et déraisonnable. Les questions relatives à l’efficacité et au caractère raisonnable de la politique n’étaient pas pertinentes quant à l’inconduite. Compte tenu de ce qui précède, la division générale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a décidé qu’elle pouvait se concentrer uniquement sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela était constitutif d’une inconduite au sens de la Loi.

La division générale a-t-elle commis des erreurs de fait?

[63] La prestataire soutient que la division générale a commis trois erreurs de fait principales, soit les suivantes : (1) La prestataire était visée par une pratique de vaccination obligatoire. (2) Elle savait que son employeur la mettrait en congé. (3) Elle n’avait pas d’exemption pour des motifs religieux de devoir se conformer à la pratique de vaccination de son employeur.

La preuve a-t-elle démontré que la prestataire était assujettie à la pratique de vaccination obligatoire de son employeur?

[64] La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a décidé que la prestataire était assujettie à la pratique de vaccination obligatoire de son employeur.

[65] La prestataire travaille pour la Société canadienne des postes, une société d’État fédérale. À l’automne 2021, le gouvernement du Canada a adopté une nouvelle politique qui exigeait la vaccination des fonctionnaires fédéraux dans l’administration publique centrale. L’administration publique centrale est composée de ministères et d’organismes nommés aux annexes I et IV de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[66] La prestataire nie qu’elle était assujettie à la politique de vaccination de l’administration publique centrale. Elle affirme que cette politique ne s’appliquait pas à elle parce qu’elle n’est pas une employée fédérale ou une fonctionnaire. Elle cite l’article 3 et les annexes I et IV de la Loi sur la gestion des finances publiques. L’employeur de la prestataire figure à la partie I de l’annexe III (section 3). Elle affirme que son employeur ne fait pas partie de l’administration publique centrale.

[67] L’employeur de la prestataire n’est pas considéré comme faisant partie de l’administration publique centrale. Par conséquent, la politique de vaccination de l’administration publique centrale ne s’appliquait pas à la prestataire.

[68] Toutefois, l’employeur de la prestataire a adopté sa propre politique de vaccination, qu’il a décrite comme étant « conforme »Note de bas de page 16 à la politique de vaccination de l’administration publique centrale du gouvernement fédéral.

[69] La prestataire n’était pas assujettie à la politique de vaccination de l’administration publique centrale, mais elle est demeurée assujettie à la politique de vaccination de son employeur.

La prestataire n’avait-elle pas été en mesure de prévoir que son employeur la placerait en congé?

[70] La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a décidé qu’elle aurait dû savoir que son employeur la placerait en congé.

[71] La prestataire nie qu’elle savait que son employeur la placerait en congé. Elle explique que son employeur lui avait accordé des congés par le passé (pour des raisons non apparentées) et que les pratiques de vaccination de son employeur ont continué de changer, ce qui lui a laissé peu de temps pour se faire vacciner. Elle affirme également que son employeur n’a pas dissipé ses préoccupations en matière de protection de la vie privée, de sorte qu’elle ne s’attendait pas à devoir se conformer à sa pratique de vaccination.

La prestataire croyait qu’elle pouvait prendre un congé payé prolongé pour soins aux aînés plutôt que de se conformer à la politique de son employeur

[72] La prestataire fait valoir que la division générale a commis une erreur de fait au sujet des options de congé que son employeur lui a offertes. Elle affirme que si la division générale n’avait pas commis cette erreur, elle aurait accepté qu’il n’y ait pas eu d’inconduite.

[73] La prestataire affirme qu’au début de la pandémie, son employeur l’a placée en congé payé prolongé pour soins aux aînés. Elle soutient qu’elle croyait raisonnablement que son employeur lui offrirait de nouveau ce congé payé comme solution de rechange à la vaccination. Si cette solution de rechange avait été disponible, la prestataire n’aurait peut-être pas su qu’elle pourrait être mise en congé si elle ne se conformait pas à la politique de vaccination de son employeur.

[74] La prestataire fait état des courriels de son employeur. Dans un courriel daté du 23 mars 2020, l’on mentionne : [traduction] « D’autres options rémunérées pourraient être actuellement disponibles pour le congé pour soins aux aînés en raison de ces circonstances inhabituelles. Je vérifie et je vous tiens au courant »Note de bas de page 17. De plus, il est mentionné dans un courriel daté du 9 avril 2020 : [traduction] « À titre d’information, les soins aux aînés ont été prolongés, aucune date de fin n’est donnée »Note de bas de page 18.

[75] La preuve n’établit pas clairement à quel moment le congé pour soins aux aînés de la prestataire a pris fin. Toutefois, rien n’indique que la prestataire est demeurée en congé pour soins aux aînés lorsque son employeur l’a placée en congé. En effet, selon des courriels échangés avec son employeur, elle n’était plus en congé pour soins aux aînés et elle travaillait. Par exemple, dans un courriel, elle a déclaré qu’elle cherchait à obtenir des mesures d’adaptation afin de pouvoir continuer à travaillerNote de bas de page 19. Cela montre qu’elle travaillait à l’époque, plutôt que de prendre un congé prolongé pour s’occuper des aînés.

[76] La preuve suggère également que l’employeur de la prestataire a fourni ce que l’on pourrait décrire comme une page ou une fiche d’information de type « FAQ » (foire aux questions). L’une des questions posées était la suivante : [traduction] « Si je ne me suis pas conformé à la pratique de vaccination en date du 26 novembre, puis-je avoir accès à d’autres congés plutôt que d’être mise en congé sans solde »Note de bas de page 20? Voici la réponse : [traduction] « Non. Vous serez mis en congé sans solde et ne pourrez pas obtenir d’autres congés avec ou sans solde »Note de bas de page 21.

[77] La fiche d’information ne comporte aucune date. Elle fait cependant référence à la pratique de vaccination de l’employeur. On peut donc supposer que l’employeur a fourni la fiche d’information à peu près au moment où il a annoncé sa pratique de vaccination. Autrement dit, la fiche d’information a probablement été produite au milieu ou à la fin de 2021, soit bien après les courriels de l’employeur datés du 23 mars 2020 et du 9 avril 2020.

[78] Aucun de ces éléments de preuve ultérieurs ne montre que la prestataire ou l’employeur envisageait qu’elle continuerait de demander un congé pour soins aux aînés ou d’y avoir accès en 2021. Je ne suis pas convaincue que la division générale ait commis une erreur au sujet de la croyance de la prestataire selon laquelle un congé pour soins aux aînés lui était toujours offert comme solution de rechange à la vaccination.

La prestataire soutient que la politique de vaccination de son employeur changeait constamment

[79] La prestataire soutient que la politique de vaccination de son employeur changeait constamment, ce qui ne lui laissait pas assez de temps pour se faire vacciner à temps avant la date limite établie par l’employeur.

[80] Il n’y a pas assez d’éléments de preuve pour démontrer que la politique de vaccination de l’employeur du prestataire changeait constamment. La preuve comprend l’annonce par l’employeur de sa nouvelle pratique de vaccination. Dans l’annonce datée du 28 octobre 2021, il est mentionné que l’employeur a exigé une pleine conformité après le 26 novembre 2021Note de bas de page 22.

[81] La prestataire soutient qu’elle n’avait pas assez de temps pour se faire vacciner avant la date limite du 26 novembre 2021. Toutefois, aucune preuve n’étaye cette prétention. En fait, la preuve démontre que la prestataire n’entendait pas se conformer à la politique de l’employeur. Il n’importerait donc pas de savoir de combien de temps le personnel disposait pour se faire vacciner.

La prestataire avait des préoccupations en matière de protection de la vie privée

[82] La prestataire avait des préoccupations en matière de protection de la vie privée au sujet de la politique de vaccination. Elle affirme avoir déjà fait l’objet d’atteintes à sa vie privée. Elle nie donc qu’il y ait eu inconduite alors qu’elle essayait simplement de protéger sa vie privée.

[83] La division générale a reconnu les arguments de la prestataire au sujet de ses droits à la protection de la vie privée. Aux paragraphes 1 et 29, la division générale a noté que la préoccupation principale de la prestataire était qu’elle ne voulait pas attester de son statut vaccinal au moyen d’une ligne téléphonique automatisée. La division générale a statué qu’elle n’avait pas le pouvoir de décider si l’employeur de la prestataire avait ou non porté atteinte à ses droits.

[84] La division générale a bien cerné la portée de son pouvoir. Comme je l’ai mentionné précédemment, la division générale pouvait seulement décider si la conduite de la prestataire était constitutive d’une inconduite au sens de la Loi. Ainsi, pendant que la prestataire tentait de protéger ses droits à la vie privée, son employeur a continué d’exiger le respect de sa politique de vaccination.

[85] La division générale devait se concentrer sur les questions suivantes :

  • Qu’est-ce que la politique de vaccination de l’employeur exigeait de la prestataire?
  • La prestataire a-t-elle satisfait aux exigences de son employeur en vertu de cette politique?
  • Le comportement de la prestataire constituait-il une inconduite?

Les préoccupations de la prestataire en matière de protection de la vie privée n’étaient pas pertinentes à la question de l’inconduite.

[86] Cela ne signifie pas que la prestataire n’a aucun recours en ce qui concerne sa vie privée. La prestataire pourrait bien avoir des recours contre son employeur pour toute violation de ses droits à la vie privée ou parce qu’il n’a pas pris de mesures appropriées pour protéger sa vie privée. Cette question relève cependant d’une autre tribune.

La prestataire a demandé une exemption pour des motifs religieux

[87] La prestataire fait valoir que la division générale a négligé le fait qu’elle avait obtenu ou avait le droit d’obtenir une exemption pour des motifs religieux de la pratique de vaccination de son employeur. Elle soutient donc que, si elle disposait d’une exemption pour des motifs religieux ou avait le droit d’en obtenir une, elle se conformait à la pratique de vaccination de l’employeur. Il n’y aurait donc pas eu d’inconduite.

[88] Un échange de courriels a eu lieu 19 janvier 2022. Le gestionnaire des projets en santé et sécurité a soulevé des questions au sujet de la demande de mesures d’adaptation de la prestataire. Le gestionnaire a demandé comment la prestataire pouvait être en congé sans solde depuis le 26 novembre 2021 si elle avait attesté avoir demandé une mesure d’adaptationNote de bas de page 23.

[89] Le gestionnaire a écrit que si la prestataire avait produit une attestation, il serait démontré qu’elle se conformait à la politique. Le gestionnaire a décidé qu’une enquête plus approfondie était nécessaireNote de bas de page 24.

[90] La division générale ne s’est pas reportée à cet élément de preuve. Malgré tout, elle était consciente des arguments de la prestataire selon lesquels son employeur n’avait pas pris de mesures d’adaptation à son égard. La division générale n’a donc pas négligé le fait que la prestataire a demandé une mesure d’adaptation. La division générale a simplement conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir de décider si l’employeur de la prestataire avait ou non répondu à ses besoins.

[91] La décision de la division générale à cet égard est conforme à la jurisprudence. Dans l’arrêt MishibinijimaNote de bas de page 25, la Cour d’appel fédérale a statué que la question de savoir si un employé aurait dû bénéficier de certaines mesures n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de la question de l’inconduite.

[92] Par conséquent, la division générale a conclu à juste titre qu’elle n’avait pas le pouvoir de décider si la prestataire aurait dû recevoir une exemption de la politique de vaccination de l’employeur, afin de décider s’il y a eu inconduite.

[93] En clair, je ne rends aucune décision, dans un sens ou dans l’autre, sur le droit de la prestataire à une exemption pour des motifs religieux. Cependant, le recours de la prestataire contre son employeur pour tout défaut de prendre des mesures d’adaptation appropriées réside ailleurs.

Conclusion

[94] La division générale n’a pas mal interprété ce qu’est une « inconduite ». Elle se conformait au droit établi pour interpréter ce que signifie l’inconduite.

[95] La convention de la prestataire n’exigeait pas la vaccination. Malgré tout, son employeur a fait des exigences de sa pratique de vaccination une condition essentielle de l’emploi de la prestataire. La prestataire devait donc se conformer à la nouvelle pratique de l’employeur. Il n’était pas pertinent de savoir si la pratique de vaccination était inefficace, illégale ou déraisonnable pour décider s’il y avait eu ou non une inconduite. La division générale n’avait tout simplement pas le pouvoir d’examiner ces facteurs.

[96] La division générale n’avait pas non plus commis les erreurs de fait invoquées par la prestataire. Soit la preuve n’étayait pas les prétentions de la prestataire, soit les faits (que la division générale aurait négligés, selon la prestataire) n’étaient pas pertinents à la question de l’inconduite.

[97] L’appel est rejeté.

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