Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : PP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 462

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : P. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (512848) datée du 18 août 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Audrey Mitchell
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 11 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 27 janvier 2023
Numéro de dossier : GE-22-3095

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas d’accord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). Ainsi, la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a été suspendue de son emploi. Son employeur affirme qu’elle a été suspendue parce qu’elle a agi contre sa politique de vaccination : elle ne s’est pas fait vacciner.

[4] Bien que la prestataire ne conteste pas ce qui s’est passé, elle affirme qu’agir contre la politique de vaccination de son employeur n’est pas une inconduite.

[5] La Commission a accepté la raison de la suspension que l’employeur a fournie. Elle a conclu que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] La prestataire a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] La loi prévoit qu’une partie prestataire ne peut pas recevoir des prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendueNote de bas de page 2.

[8] Pour décider si la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a été suspendue de son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère ce motif comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle été suspendue de son emploi?

[9] J’estime que la prestataire a été suspendue de son emploi parce qu’elle a agi contre la politique de vaccination de son employeur.

[10] La prestataire dit que son employeur exigeait que tous les membres de son personnel soient entièrement vaccinés pour pouvoir travailler. Elle affirme qu’elle ne voulait pas se faire vacciner à cause de ses croyances religieuses. Son employeur l’a donc mise en congé forcé.

[11] La Commission affirme que la prestataire n’a pas respecté la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. Elle a conclu que la suspension de la prestataire était la conséquence directe de cette décision.

[12] L’employeur de la prestataire a émis un relevé d’emploi. À la section des commentaires, il dit avoir mis la prestataire en congé involontaire pour non-conformité à sa politique de vaccination contre la COVID-19.

[13] Bien qu’elle affirme avoir été obligée de le prendre, la prestataire ne conteste pas la raison pour laquelle son employeur l’a mise en congé. J’estime que le congé involontaire équivaut à une suspension. La prestataire n’a pas fait ce que son employeur exigeait. Bien qu’elle affirme que ce dernier a violé ses droits de la personne, je conclus que la prestataire a été suspendue de son emploi parce qu’elle a agi contre la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

La raison de la suspension de la prestataire est-elle une inconduite selon la loi?

[14] Selon la loi, la raison de la suspension de la prestataire est une inconduite.

[15] La Loi sur lassurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) aide à décider si le congédiement de la prestataire constitue une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en considération quand on examine la question de l’inconduite.

[16] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 4. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 5.

[17] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 6.

[18] La loi ne dit pas que je dois tenir compte de la façon dont l’employeur s’est comportéNote de bas de page 7. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou a omis de faire et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 8.

[19] La Commission doit prouver que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 9.

[20] Je peux trancher les questions au titre de la Loi sur l’assurance-emploi seulement. Je ne peux rendre aucune décision sur la question de savoir si la prestataire a d’autres options au titre d’autres lois. De plus, ce n’est pas à moi de décider si son employeur l’a congédiée à tort (ou l’a suspendue à tort ici) ou s’il aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 10. Je peux seulement évaluer une chose : la question de savoir si ce que la prestataire a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[21] Dans une décision de la Cour d’appel fédérale intitulée McNamara, un prestataire a affirmé qu’il devrait recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que son employeur l’a injustement congédiéNote de bas de page 11. Il avait perdu son emploi à cause de la politique de son employeur sur le dépistage des drogues. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié, car le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances. Il a dit qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de croire qu’il était incapable de travailler de façon sécuritaire parce qu’il aurait consommé de la drogue. De plus, les résultats de son test de dépistage précédent auraient dû être toujours valides.

[22] La Cour d’appel fédérale a répondu en faisant remarquer qu’elle a toujours affirmé que, dans les dossiers d’inconduite, la question est de savoir si l’acte ou l’omission de la personne employée constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, que la personne ait été injustement congédiée ou nonNote de bas de page 12.

[23] La Cour d’appel fédérale a aussi dit que l’interprétation et l’application de la loi se concentrent sur le comportement de la personne employée, et non sur celui de l’employeur. Elle a fait remarquer qu’il y avait d’autres solutions pour les personnes injustement congédiées. Ces solutions pénalisent le comportement de l’employeur au lieu de faire en sorte que les actes de l’employeur coûtent de l’argent aux contribuables en versements de prestationsNote de bas de page 13.

[24] Dans une affaire plus récente intitulée Paradis, un prestataire a été congédié pour avoir échoué à un test de dépistage de droguesNote de bas de page 14. Le prestataire a soutenu qu’il avait été injustement congédié, car les résultats du test montraient qu’il n’avait pas travaillé avec les facultés affaiblies. Il a affirmé que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à sa politique et à la loi provinciale sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est appuyée sur la décision McNamara et a dit que le comportement de l’employeur n’était pas un facteur pertinent pour évaluer s’il y avait eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 15.

[25] Dans une autre affaire semblable intitulée Mishibinijima, un prestataire a perdu son emploi en raison de son trouble lié à la consommation d’alcoolNote de bas de page 16. Le prestataire a soutenu que son employeur devait lui offrir des mesures d’adaptation parce que le trouble lié à la consommation d’alcool est considéré comme une déficience. La Cour d’appel fédérale a encore une fois affirmé qu’il fallait se concentrer sur ce que la personne employée a fait ou n’a pas fait. Le fait que l’employeur ne lui avait pas offert de mesures d’adaptation n’était pas pertinent.Note de bas de page 17.

[26] Ces dossiers ne portent pas sur les politiques de vaccination contre la COVID-19. Mais ce qu’ils disent est tout de même pertinent. Mon rôle n’est pas d’évaluer le comportement ou les politiques de l’employeur et d’établir s’il a eu raison de congédier la prestataire. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou a omis de faire et décider s’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[27] La prestataire affirme qu’il n’y a pas eu inconduite pour plusieurs raisons, notamment :

  • Santé Canada et la province n’ont pas exigé les vaccins; ils les ont seulement recommandés;
  • il n’y a pas de ségrégation entre les personnes vaccinées et non vaccinées en public;
  • son employeur a ignoré les recommandations de son médecin et la preuve de son chef religieux à l’appui de sa demande de mesures d’adaptation;
  • son syndicat la soutient et demande qu’elle obtienne des prestations d’assurance-emploi.

[28] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que la prestataire a volontairement décidé de ne pas se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. La Commission dit que la prestataire était au courant de la politique et des conséquences possibles si elle ne s’y conformait pas.

[29] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite, parce que la prestataire savait qu’elle serait suspendue de son emploi si elle agissait contre la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. Cependant, elle a choisi de ne pas se faire vacciner même après le rejet de sa demande de mesures d’adaptation par son employeur.

[30] La prestataire a joint une copie de la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur à son avis d’appel. Elle a dit que son employeur avait commencé à en parler à l’automne 2021. La politique précise ce qui suit :

  • les personnes employées devaient fournir une preuve de vaccination complète contre la COVID-19 au plus tard le 25 février 2022;
  • les personnes employées doivent demander des mesures d’adaptation avant le 25 février 2022, si elles le désirent;
  • les personnes qui refusent de fournir leur statut vaccinal seront considérées comme non vaccinées;
  • les personnes qui ne sont pas entièrement vaccinées ou qui ne disent pas si elles sont vaccinées ne peuvent pas entrer sur les lieux de travail; elles seront également placées en congé administratif sans solde pour une période indéterminée et feront l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.

[31] La prestataire a dit à la Commission qu’elle ne voulait pas se faire vacciner à cause de ses croyances religieuses. Elle a demandé à son employeur de l’exempter de recevoir le vaccin contre la COVID-19. Elle a fourni une lettre de son chef religieux à l’appui de sa demande. La lettre précise que la religion de la prestataire l’empêche d’accepter des produits en lien avec les soins en matière d’avortement ou d’autres produits dérivés relatifs à la santé reproductive. La lettre mentionne également ce qui suit : [traduction] « Vous trouverez ci-après une déclaration qui interdit formellement le vaccin contre la COVID-19 et recommande de ne pas le recevoir ».

[32] La prestataire a dit que son employeur avait rejeté sa demande de mesures d’adaptation. Elle a dit que son employeur avait choisi de faire preuve de discrimination à l’égard de ses croyances religieuses sincères.

[33] La prestataire a également envoyé à son employeur une lettre de son médecin. Elle a déclaré qu’elle avait eu la COVID-19, mais qu’elle n’avait pas fait de test officiel à ce moment-là. Plus tard, son médecin l’a envoyée faire un test précis qui permet de mesurer les anticorps. Les résultats ont montré que son niveau d’anticorps était 30 fois plus élevé que la normale. Selon la prestataire, cela prouvait qu’elle n’était pas un danger. Cependant, elle a dit que son employeur avait également rejeté ces résultats.

[34] Je considère comme un fait que l’employeur de la prestataire a rejeté sa demande de mesures d’adaptation. Je comprends qu’elle est en désaccord avec la décision de son employeur de rejeter sa demande fondée sur la religion. Elle affirme que celui-ci n’a pas prouvé qu’elle n’avait pas de croyance religieuse sincère. Je comprends également qu’elle est en désaccord avec la décision de son employeur de ne pas tenir compte de l’immunité à la COVID-19 qu’elle avait acquise d’une infection antérieure.

[35] Comme je l’ai mentionné plus haut, mon rôle n’est pas de décider si l’employeur de la prestataire aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation ni de décider si son employeur a fait preuve de discrimination à son égard en raison de ses croyances religieuses. Je peux seulement examiner ce que la prestataire a fait et s’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Je remarque que la prestataire a déposé un grief auprès de son syndicat et qu’elle a amorcé une demande auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, où elle pourra soulever ses préoccupations concernant la discrimination et sa suspension injustifiée.

[36] J’ai demandé à la prestataire ce que la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur disait au sujet des personnes qui ne sont pas entièrement vaccinées ou qui ne divulguent pas leur statut vaccinal. Elle a dit qu’elle savait ce qui se passerait si elle ne se faisait pas vacciner, mais elle était convaincue qu’on lui offrirait des mesures d’adaptation parce que les motifs qu’elle a présentés le justifiaient.

[37] Le témoignage de la prestataire me permet de constater qu’elle était au courant de la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. Elle connaissait les dates limites et les conséquences de la non-conformité à la politique. Bien qu’elle dise qu’elle était convaincue que son employeur lui accorderait des mesures d’adaptation, ce dernier a rejeté sa demande. J’estime donc qu’elle aurait dû savoir que le fait de ne pas se faire vacciner entraînerait sa suspension.

[38] La prestataire n’est pas d’accord avec la politique de son employeur sur le vaccin contre la COVID-19. Elle a déclaré que la pandémie peut avoir été forte lorsque son employeur a créé la politique. Cependant, elle a dit qu’à la fin avril 2022, au moment de sa suspension, les restrictions avaient été levées parce qu’il n’y avait plus urgence. Elle a également dit qu’elle travaillait en ligne à ce moment-là, alors peut-être que son employeur aurait pu la suspendre au moment de la reprise du travail en personne.

[39] Encore une fois, ce n’est pas à moi de décider si l’employeur de la prestataire a eu raison de créer et de mettre en œuvre une politique pour lutter contre la COVID-19 sans mandat gouvernemental qui l’oblige à le faire. Il ne m’appartient pas non plus de décider si son employeur a eu tort de la suspendre à un moment où les restrictions liées à la COVID-19 pour le public étaient levées.

[40] La prestataire a également parlé de son expérience de mère monoparentale d’une fille ayant des problèmes de santé mentale. Elle a dit être la seule à subvenir à ses besoins, à ceux de sa fille et à ceux de sa mère à la retraite. Selon elle, il n’est pas juste qu’elle se trouve dans cette situation et qu’elle ne puisse plus recevoir de prestations d’assurance-emploi en raison d’une exigence arbitraire de son employeur et de décisions que celui-ci a prises.

[41] J’éprouve de la compassion à l’égard de la prestataire dans cette situation. Je reconnais que la dernière année a dû être très difficile pour elle et sa famille. Cependant, la Loi sur l’assurance-emploi a pour objet d’indemniser des personnes dont l’emploi s’est involontairement terminé et qui se retrouvent sans travailNote de bas de page 18. L’assurance-emploi est un régime d’assurance et, comme pour tout autre régime d’assurance, il faut satisfaire à des conditions pour pouvoir recevoir des prestationsNote de bas de page 19. Dans la présente affaire, je suis d’avis que la prestataire ne l’a pas fait.

[42] Je conclus que le geste de la prestataire, à savoir d’avoir agi contre la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur, était délibéré. Elle a fait le choix conscient, voulu et intentionnel de ne pas se faire vacciner. Elle l’a fait en sachant qu’on la placerait en congé sans solde. J’estime que cela signifie qu’elle a été suspendue. C’est pourquoi je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite.

Somme toute, la prestataire a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite?

[43] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[44] En effet, les actes de la prestataire ont mené à sa suspension. Elle a agi délibérément. Elle savait que le refus de se faire vacciner était susceptible d’entraîner sa suspension.

Conclusion

[45] La Commission a prouvé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi la prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[46] Par conséquent, l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.