Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KD c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 519

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale — Section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : K. D.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (525772) datée du 1er septembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 1er février 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 27 février 2023
Numéro de dossier : GE-22-3063

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Décision

[1] L’appel est rejeté sous réserve de modifications. Le Tribunal n’est pas d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, le prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 5 mars 2022.Note de bas de page 1

[3] Je modifie la raison pour laquelle on ne verse pas de prestations à compter du 29 mai 2022. Ce changement s’explique par la démission du prestataire le 3 juin 2022.Note de bas de page 2

[4] L’inadmissibilité prend fin le 2 juin 2022. Une inadmissibilité en raison de suspension est imposée jusqu’à ce qu’une partie prestataire quitte volontairement son emploi. Il faut ensuite décider si la partie prestataire était fondée à quitter son emploi. S’il n’y a pas de justification, la personne est exclue du bénéfice des prestations.

[5] Je conclus que le prestataire est exclu à compter du 29 mai 2022, puisqu’il est parti sans justification. Cette modification ne change rien au versement des prestations; cela ne fait que changer la raison pour laquelle aucune prestation ne peut être versée.

Aperçu

[6] Le prestataire a été suspendu de son emploi. La Commission affirme que le prestataire a été suspendu parce qu’il n’a pas respecté une politique de vaccination obligatoire.

[7] Même si le prestataire ne conteste pas que cela s’est produit, il estime qu’il ne s’agit pas d’une inconduite. Il ne croyait pas qu’il serait suspendu étant donné sa situation concernant l’exemption religieuse.

[8] La Commission a accepté la raison de la suspension. Elle a conclu que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, la Commission a décidé qu’il était inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[9] Voici les deux questions qu’il faut aborder :

  1. 1) Le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?
  2. 2) Le prestataire a-t-il quitté volontairement son emploi le 3 juin 2022? Si c’est le cas, était-il fondé à le faire?

Analyse

[10] Pour décider si le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider de deux choses. D’abord, je dois décider pourquoi le prestataire a été suspendu de son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère ce motif comme une inconduite.

[11] Pour répondre à la question du départ volontaire, la Commission doit prouver que le prestataire a quitté volontairement son emploi le 3 juin 2022. Il incombe ensuite au prestataire de prouver qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi.

Pourquoi le prestataire a-t-il été suspendu?

[12] Je conclus que le prestataire a été suspendu de son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination obligatoire.

[13] Le prestataire et la Commission s’entendent sur la raison de la suspension.

[14] Mes conclusions sont fondées sur la preuve non contestée dont je dispose. Les deux parties sont d’accord.

La raison du congédiement du prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[15] Oui. La raison de la suspension du prestataire est une inconduite au sens de la loi.

[16] Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle.Note de bas de page 3 L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée.Note de bas de page 4 Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal).Note de bas de page 5

[17] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’il soit congédié pour cette raison.Note de bas de page 6

[18] La Commission doit prouver que le prestataire a été suspendu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.Note de bas de page 7

[19] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi parce que la preuve démontre ce qui suit :

  • L’employeur avait une politique de vaccination et il l’a communiquée à tout le personnel.Note de bas de page 8
  • Aux termes de la politique de vaccination, le prestataire devait divulguer son statut vaccinal et être entièrement vacciné, sinon demander une exemption de son employeur (au plus tard le 15 novembre 2021).
  • Il savait ce qu’il devait faire aux termes de la politique.
  • Il savait également que son employeur pouvait le suspendre en vertu de la politique s’il ne divulguait pas son statut vaccinal (ou s’il n’obtenait pas une exemption) dans le délai prévu.
  • Il a demandé une exemption fondée sur des motifs religieux,Note de bas de page 9 mais son employeur a rejeté sa demande.
  • Il a fait un choix personnel conscient et délibéré de ne pas se faire vacciner avant la date limite après le rejet de sa demande d’exemption.
  • Son employeur l’a suspendu parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination.

[20] Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • Il estime avoir une exemption religieuse valide.
  • Son employeur avait l’obligation de lui fournir des mesures d’adaptation.
  • Il avait une raison médicale valable pour travailler de la maison. Cela date de 2018. En fait, il travaillait de la maison et n’avait pas besoin d’aller au bureau.
  • Ses libertés et droits fondamentaux ont été violés.
  • Il est disposé et capable de travailler depuis le début de sa suspension.

[21] Les éléments de preuve dans le présent appel sont cohérents et directs. Je crois et j’accepte la preuve du prestataire et la preuve de la Commission.

[22] Je n’ai aucune raison de douter de la preuve du prestataire (ce qu’il a dit à la Commission, ce qu’il a écrit dans sa demande de révision et son avis d’appel, et son témoignage à l’audience). Sa preuve est cohérente. Rien ne vient contredire sa preuve.

[23] J’accepte la preuve de la Commission parce qu’elle concorde avec la preuve du prestataire. Et rien ne vient contredire sa preuve.

[24] Je peux seulement décider si la conduite du prestataire est une inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas rendre ma décision en me fondant sur d’autres lois.Note de bas de page 10 Je ne peux donc pas décider si la politique de son employeur ou la pénalité qu’il lui a imposée est raisonnable ou légale au regard d’autres lois. Cela comprend notamment le fait de vérifier si les politiques de vaccination sont appuyées par les preuves scientifiques concernant les vaccins contre la COVID-19.

[25] Il y a eu aussi des affaires judiciaires plus récentes qui confirment cela. Dans une affaire récente appelée Parmar,Note de bas de page 11 la question dont la Cour était saisie était de savoir si un employeur était autorisé à placer un employé en congé sans solde parce qu’il ne respectait pas une politique de vaccination obligatoire. Mme Parmar s’est opposée à la vaccination parce qu’elle s’inquiétait de l’efficacité à long terme et des répercussions négatives potentielles sur sa santé.

[26] Dans cette affaire, la Cour a reconnu qu’il était [traduction] « très inhabituel d’adopter une politique qui a une incidence sur l’intégrité corporelle d’un employé », mais elle a décidé que la politique de vaccination en question était raisonnable, compte tenu des [traduction] « défis extraordinaires en matière de santé découlant de la pandémie mondiale de COVID-19 ». La Cour a ajouté ce qui suit :

[traduction] [154]… [Les politiques de vaccination obligatoire] n’obligent pas un employé à se faire vacciner. Elles imposent plutôt un choix : soit l’employé se fait vacciner et continue à gagner un revenu, ou bien il reste non vacciné, et perd son revenu…

[27] Dans une autre affaire récente de janvier 2023, la Cour fédérale a convenu que le Tribunal a un pouvoir limité.Note de bas de page 12 Le paragraphe 32 énonce ce qui suit :

[traduction] [32] Même si le demandeur est clairement frustré par le fait qu’aucun des décideurs n’a abordé ce qu’il estime être les questions de droit ou de fait fondamentales qu’il soulève — par exemple, l’intégrité corporelle, le consentement aux tests médicaux, l’innocuité et l’efficacité des vaccins et les tests antigéniques — cela ne rend pas la décision de la division d’appel déraisonnable. Le problème principal de l’argument du demandeur est qu’il reproche aux décideurs de ne pas avoir traité un ensemble de questions qu’ils ne sont pas autorisés à aborder en vertu de la loi.

[28] Par conséquent, je ne tire aucune conclusion quant à la validité de la politique et à toute violation des droits de la personne garantis au titre d’autres lois. Un employé peut déposer un grief si l’employeur a contrevenu à la convention collective. Et si l’employeur a contrevenu à ses droits de la personne, le prestataire peut demander réparation devant un autre tribunal ou une autre cour.

[29] Je conviens que le prestataire peut refuser la vaccination. Il peut prendre sa propre décision. Dans son cas, il a des motifs religieux et médicaux. C’est son droit. Je conviens également que l’employeur doit gérer les activités quotidiennes du milieu de travail. Cela comprend l’élaboration et l’application de politiques liées à la santé et à la sécurité au travail.

[30] À la lumière de la preuve, je conclus que la Commission a prouvé que la conduite du prestataire était une inconduite parce qu’elle a démontré ce qui suit :

  • Il connaissait la politique de vaccination.
  • Il savait qu’il était obligé de se faire entièrement vacciner et de fournir une preuve (ou d’obtenir une exemption) dans le délai prévu.
  • Il savait que son employeur pouvait le suspendre s’il ne se faisait pas vacciner.
  • Il a consciemment, délibérément ou intentionnellement pris la décision personnelle de ne pas se faire vacciner avant la date limite.
  • Il a été suspendu puis congédié parce qu’il n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeur.

[31] Je comprends que le prestataire n’est peut-être pas d’accord avec cette décision. Malgré cela, la Cour d’appel fédérale indique que je peux seulement suivre le sens ordinaire de la loi. Je ne peux pas réécrire la loi ni y ajouter quelque chose pour obtenir un résultat qui semble plus équitable pour le prestataire.Note de bas de page 13

La Commission a-t-elle prouvé que le prestataire a quitté volontairement son emploi le 3 juin 2022?

[32] Je conclus que le prestataire a démissionné de son emploi le 3 juin 2022. Cela est fondé sur la preuve non contestée dont je dispose. Je ne vois aucune raison de tirer une conclusion autre que celle-là. Le prestataire a fourni ces renseignements à la Commission le 5 juillet 2022.Note de bas de page 14 Son témoignage à l’audience concordait avec cette conclusion.

Le prestataire était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

[33] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justification.Note de bas de page 15 Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver qu’on était fondé à le faire.

[34] La loi explique ce qu’on entend par « être fondé à » quitter son emploi. Selon la loi, une personne est fondée à quitter son emploi si son départ était la seule solution raisonnable dans son cas. Elle indique qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances présentes au moment de la démission.Note de bas de page 16

[35] Il incombe au prestataire de prouver qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.Note de bas de page 17

[36] Après avoir déterminé les circonstances qui s’appliquent au prestataire, il doit ensuite démontrer que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas à ce moment-là.Note de bas de page 18

Les circonstances présentes quand le prestataire a démissionné

[37] Certaines circonstances présentées par le prestataire sont prévues par la loi et peuvent s’appliquer. Plus précisément, il souffrait d’anxiété et l’employeur a ajouté une nouvelle condition d’emploi. L’article 29(c)(xiv) de la Loi sur l’assurance-emploi permet de tenir compte de toute autre circonstance raisonnable.

[38] Je crois ce que dit le prestataire. Rien ne vient contredire ce qu’il a dit. Je conclus que ces deux circonstances doivent être prises en considération lors de l’examen des solutions raisonnables.

Des solutions raisonnables s’offraient au prestataire

[39] Après avoir conclu qu’il avait quitté volontairement son emploi, il incombe au prestataire de prouver qu’il était fondé à quitter son emploi. Je vais examiner les circonstances présentes au moment de sa démission.

[40] Lors de l’audience, le prestataire a déclaré ce qui suit :

  • Il a fait le choix irrationnel de démissionner parce qu’il voulait chercher du travail ailleurs.
  • Il souffrait d’anxiété.
  • Il ne voyait pas la lumière au bout du tunnel.
  • Il n’a pas parlé à son employeur ni posé de questions pour savoir s’il pouvait chercher du travail ailleurs.
  • Il n’a pas demandé conseil à un médecin avant de démissionner.

[41] La Commission a déclaré qu’une solution raisonnable aurait été de se conformer à la politique de vaccination.Note de bas de page 19

[42] J’ajoute qu’une autre solution raisonnable aurait été de rester en congé. La Commission n’en a pas fait mention. Il faut considérer comme une solution raisonnable le fait de demander un congé lorsqu’on songe sérieusement à quitter son emploi. Dans le cas du prestataire, il n’avait pas besoin de demander un congé, car on lui en avait imposé un.

[43] Je ne vois pas pourquoi il était nécessaire de démissionner. Une solution raisonnable aurait été de communiquer avec l’employeur pour connaître ses droits. Le prestataire a déclaré qu’il n’a pas demandé s’il avait le droit de chercher du travail ailleurs. La plupart des employés sont libres de chercher un autre emploi, même lorsqu’ils sont employés. À moins que certaines clauses d’un contrat de travail l’interdisent, il s’agit d’un principe généralement accepté. Le prestataire n’a pas dit qu’il en existait dans son cas.

[44] La Commission a déclaré qu’une option aurait été de se conformer à la politique. Elle a aussi fait référence à ses croyances religieuses. Je ne suis pas d’accord. Cela ne veut pas dire qu’il était fondé à quitter son emploi.

[45] Le fait que l’employeur n’a pas accepté sa demande d’exemption après examen ne signifie pas que ses croyances ne sont pas pertinentes.Note de bas de page 20 Il avait déjà été en chômage pendant environ trois mois pour non-respect de la politique. De toute évidence, il a de sincères croyances religieuses. Plusieurs personnes n’accepteraient même pas de commencer un emploi avec une politique de vaccination. Étant donné la mise en œuvre d’une telle politique, je dirais que demander un congé aurait été une solution raisonnable. Dans son cas, il était déjà en congé.

[46] J’estime que le prestataire avait d’autres solutions raisonnables. Il aurait pu rester en congé pendant qu’il cherchait du travail ailleurs.

Donc, le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

[47] Oui. À la lumière de mes conclusions précédentes, je conclus que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

Alors, le prestataire était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

[48] Non. Il avait d’autres solutions raisonnables. Il aurait pu rester en congé sans solde pendant qu’il cherchait du travail. Il n’était pas obligé de démissionner immédiatement.

Conclusion

[49] La Commission a prouvé que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, le prestataire est inadmissible jusqu’au 3 juin 2022. Il est ensuite exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 29 mai 2022.

[50] Cela signifie l’appel est rejeté sous réserve de modifications.

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