Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : PP c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 528

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission d’en appeler

Demanderesse : P. P.
Défenderesse : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 25 janvier 2023
(GE-22-2526)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 27 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-201

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Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été suspendue de son emploi parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur (politique). Elle n’a pas obtenu d’exemption. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse a statué que la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite, de sorte qu’elle n’était pas en mesure de lui verser des prestations. La prestataire a interjeté appel de la décision en révision devant la division générale.

[4] La division générale a conclu que la prestataire avait été suspendue de son emploi à la suite de son refus de se conformer à la politique de l’employeur. Elle a conclu que la prestataire savait que l’employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances. La division générale a conclu que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[5] La prestataire demande la permission d’en appeler de la décision de la division générale auprès de la division d’appel. La prestataire soutient que la division générale a fait fi de faits pertinents et a mal appliqué le critère juridique de l’inconduite.

[6] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur susceptible de révision commise par la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[7] Je refuse la permission d’en appeler parce que l’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève-t-elle une erreur susceptible de révision commise par la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énonce les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Les erreurs susceptibles de révision sont les suivantes :

  1. 1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. 2. La division générale ne s’est pas prononcée sur une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[10] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audition sur le fond de l’affaire. Il s’agit d’un premier obstacle que la prestataire doit franchir, mais le fardeau est ici inférieur à celui dont elle devra s’acquitter à l’audience relative à l’appel sur le fond. À l’étape de la permission d’en appeler, la prestataire n’a pas à prouver le bien-fondé de ses prétentions. Elle doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès compte tenu d’une erreur susceptible de révision. En d’autres termes, elle doit établir que l’on peut soutenir qu’il existe une erreur susceptible de révision sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[11] Par conséquent, avant que je puisse accorder la permission d’interjeter appel, je dois être convaincu que les motifs d’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés précédemment et qu’au moins l’un des motifs a une chance raisonnable de succès.

La prestataire soulève-t-elle une erreur susceptible de révision de la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli?

[12] La prestataire soutient que la division générale a fait fi de faits pertinents et a mal appliqué le critère juridique de l’inconduite. Plus précisément, elle soutient ce qui suit :

  1. a) Son employeur ne l’a jamais accusée d’inconduite.
  2. b) L’employeur l’a mise en congé administratif et n’a pas infligé de suspension disciplinaire.
  3. c) Elle n’a pas demandé de congé; les seuls congés qu’elle a acceptés sont ceux qui sont mentionnés dans sa conventioncollective.
  4. d) La division générale a fait fi de la loi et n’a pas considéré qu’elle était fondée à refuser de suivre la politique de l’employeur.
  5. e) La politique de l’employeur contrevient entièrement au Code canadien du travail et à sa convention collective.
  6. f) L’employeur lui a refusé toute mesure d’adaptation en lui permettant d’effectuer des tests ou d’autres solutions possibles.
  7. g) On ne peut conclure que son « choix personnel » de ne pas obéir à un ordre de vaccination, peu importe qu’elle se soit conformée ou non à la politique de son employeur, répond aux critères établis par les tribunaux pour conclure à une « inconduite » au sens de la loi.
  8. h) La Commission n’a fourni aucune preuve que son contrat de travail renfermait une disposition expresse exigeant qu’elle se fasse vacciner ou fasse l’objet de quelque intervention médicale que ce soit lui permettant de conserver son emploi.
  9. i) En l’absence d’une loi exigeant expressément la vaccination et de toute exigence exprimée dans son contrat de travail, rien ne prouve qu’elle était expressément tenue à l’égard de son employeur de se faire vacciner ou de faire l’objet de quelque intervention médicale que ce soit pour conserver son emploi.
  10. j) La Commission n’a fourni aucune preuve et il n’existe aucune preuve dans la jurisprudence démontrant que l’on peut déduire qu’elle avait une obligation implicite de se faire vacciner ou de subir quelque intervention médicale que ce soit pour conserver son emploi.
  11. k) L’obligation de faire l’objet d’une intervention médicale expérimentale afin de conserver un emploi va bien au-delà d’une simple attente de se conformer aux politiques habituelles en matière de sécurité au travail.
  12. l) La division générale s’appuie sur la simple existence d’une politique instaurée unilatéralement par son employeur imposant de nouvelles obligations importantes sans son accord ou son consentement pour rendre incorrectement une décision d’inconduite.
  13. m) Son absence d’accord pour subir une intervention médicale expérimentale ne s’apparente pas à un refus d’exécuter un aspect de ses fonctions et ne constitue pas un manquement qui peut être jugé « grave ».
  14. n) Elle a un droit fondamental au consentement éclairé, le droit à l’autonomie corporelle et le droit de refuser tout traitement médical. L’exercice de ce droit ne peut être considéré comme une inconduite au sens de la loi.

[13] La prestataire soutient que la division générale a écarté les mots « sans justification » dans son analyse de l’inconduite. Elle prétend qu’une analyse honnête de nature juridique aurait dû inclure la partie la plus importante de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[14] L’article 30(1) de la Loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification.

[15] La preuve démontre que l’employeur a empêché la prestataire de travailler à compter du 31 octobre 2021. La prestataire a reconnu qu’elle n’avait pas demandé de congé et qu’elle aurait continué de travailler n’eût été la politique. L’employeur a empêché la prestataire de travailler même s’il y avait du travail.

[16] Il ressort clairement de la preuve que la prestataire n’avait pas demandé de congé et qu’elle n’avait pas quitté volontairement son emploi. Par conséquent, il n’appartenait pas à la division générale de décider si la prestataire a quitté son emploi sans justification.

[17] La division générale devait décider si la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[18] Même si l’employeur n’avait pas accusé la prestataire d’inconduite, il incombait à la division générale de vérifier et d’interpréter les faits de la présente affaire et d’effectuer sa propre évaluation de la question dont elle était saisie.

[19] La notion d’inconduite ne signifie pas que le comportement fautif doit découler d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été délibéré ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a délibérément décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[20] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ou d’établir si l’employeur a été coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée, mais bien de décider si la prestataire s’était rendue coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspensionNote de bas de page 1.

[21] Compte tenu de la preuve, la division générale a conclu que la prestataire a été suspendue (empêchée de travailler) parce qu’elle a refusé de se conformer à la politique. Elle avait été informée de la politique de l’employeur et avait eu du temps pour s’y conformer. La prestataire a refusé intentionnellement; ce refus était volontaire. Il s’agissait de la cause directe de sa suspension. La division générale a conclu que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner sa suspension.

[22] La division générale a conclu à partir de la preuve prépondérante que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[23] Il est bien établi que le non-respect voulu de la politique de l’employeur est considéré comme une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 2. Le non-respect d’une politique dûment approuvée par un gouvernement ou une industrie est également considéré comme une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 3.

[24] Il n’était pas nécessaire que la division générale décide si l’employeur pouvait, en vertu de la convention collective, mettre la prestataire en « congé sans solde » pour avoir refusé de se conformer à sa politique. Il n’appartenait pas non plus à la division générale de décider si l’employeur avait placé la prestataire en congé administratif plutôt qu’en suspension disciplinaire. Il est bien établi que la procédure disciplinaire d’un employeur n’est pas pertinente pour décider de l’inconduite en vertu de la LoiNote de bas de page 4.

[25] Nul ne conteste que l’employeur est tenu de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de son personnel au travail. Dans la présente affaire, l’employeur était tenu par le gouvernement du Canada d’établir une politique de vaccination visant à protéger la santé de l’ensemble du personnel pendant la pandémieNote de bas de page 5. La politique était en vigueur lorsque la prestataire a été suspendue.

[26] Le Tribunal n’a pas compétence pour décider si les mesures de santé et de sécurité de l’employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables.

[27] La question de savoir si l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la prestataire, si la politique de l’employeur a violé ses droits à l’emploi ou si la politique a violé ses droits de la personne et ses droits constitutionnels relève d’une autre instance. Le Tribunal n’est pas l’instance par laquelle la prestataire peut obtenir la réparation qu’elle rechercheNote de bas de page 6.

[28] La Cour fédérale a rendu récemment la décision Cecchetto (en anglais seulement) concernant l’inconduite et le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. Le prestataire a fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur ne constitue pas une inconduite. Il n’a pas été prouvé que le vaccin était sûr et efficace, a-t-il avancé. Le prestataire s’est senti victime de discrimination en raison de son choix médical personnel. Il a fait valoir qu’il a le droit de décider de sa propre intégrité corporelle et que ses droits ont été violés sous le régime du droit canadien et internationalNote de bas de page 7.

[29] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle, en vertu de la loi, le Tribunal n’est pas autorisé à répondre à ces questions. La Cour a convenu qu’en faisant un choix personnel et voulu de ne pas respecter la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 8. La Cour a déclaré que le système judiciaire offre au prestataire d’autres recours pour faire valoir ses allégations.

[30] Dans l’affaire Paradis, le prestataire s’est fait refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Il a soutenu qu’il n’y avait eu aucune inconduite parce que la politique de l’employeur portait atteinte aux droits que lui confère l’Alberta Human Rights Act. La Cour fédérale a conclu que l’affaire relevait d’une autre instance.

[31] La Cour fédérale a affirmé que, pour sanctionner le comportement de l’employeur, il existait d’autres recours qui permettent d’éviter que le programme d’assurance-emploi fasse les frais de ce comportement.

[32] Dans l’arrêt Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite liés à l’assurance-emploi.

[33] Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, le rôle de la division générale n’est pas d’établir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée, mais bien de décider si la prestataire s’était rendue coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[34] La preuve prépondérante dont dispose la division générale montre que la prestataire a fait le choix personnel et voulu de ne pas se conformer à la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, ce qui a entraîné sa suspension.

[35] Selon moi, la division générale n’a commis aucune erreur susceptible de révision lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement selon les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 9.

[36] Je suis tout à fait conscient que la prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établieNote de bas de page 10. Cela ne change rien au fait qu’en vertu de la Loi, la Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire ait été suspendue en raison de l’inconduite.

[37] Dans ses observations, la prestataire s’appuie sur une décision de la division générale qui selon elle s’apparente à son cas. Dans cette affaire, la demanderesse a réussi à obtenir des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 11.

[38] Il importe de rappeler que la décision de la division générale dont il est question ne lie pas la division d’appelNote de bas de page 12. Celles de la Cour fédérale sont exécutoires et ont été suivies par la division d’appel. De plus, les faits diffèrent en ce sens que la convention collective de la prestataire comportait une disposition précise lui permettant de refuser toute vaccination. La prestataire n’a présenté aucune preuve de ce genre à la division générale. De plus, la décision de la division générale dont il est question a été rendue avant la décision de la Cour fédérale dans l’affaire CecchettoNote de bas de page 13 (en anglais seulement).

[39] La prestataire fait valoir que son employeur l’a rappelée au travail dès que les obligations gouvernementales ont été levées. Ce fait ne change pas la nature de l’inconduite, qui a mené au départ à la suspension de la prestataireNote de bas de page 14.

[40] Dans sa demande de permission d’en appeler, la prestataire n’a soulevé aucune erreur susceptible de révision, comme la compétence ou le défaut de la division générale d’observer un principe de justice naturelle. Elle n’a pas relevé d’erreurs de droit ni de conclusions de fait erronées que la division générale aurait pu tirer de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance pour en arriver à sa décision.

[41] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments de la prestataire à l’appui de sa demande de permission d’en appeler, je conclus que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Conclusion

[42] La permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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