Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : KS c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 533

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission d’en appeler

Demanderesse : K. S.
Défenderesse : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 6 février 2023
(GE-22-2611)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 28 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-238

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Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La demanderesse (prestataire) a été suspendue de son emploi parce qu’elle ne s’était pas conformée à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur (politique). Elle n’a pas obtenu d’exemption. La prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission) a jugé que la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite, de sorte qu’elle ne pouvait lui verser des prestations. Après le rejet de sa demande de révision, la prestataire a interjeté appel à la division générale.

[4] La division générale a conclu que la prestataire avait été suspendue de son emploi à la suite de son refus de se conformer à la politique de l’employeur. Elle a conclu que la prestataire savait que l’employeur était susceptible de la suspendre dans ces circonstances. La division générale a conclu que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[5] La prestataire demande la permission d’en appeler de la décision de la division générale auprès de la division d’appel. La prestataire soutient que la division générale a fait fi de faits pertinents et a mal appliqué le critère juridique de l’inconduite.

[6] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur susceptible de révision commise par la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[7] Je refuse la permission d’en appeler parce que l’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] La prestataire soulève-t-elle une erreur susceptible de révision commise par la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli?

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énonce les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Les erreurs susceptibles de révision sont les suivantes :

  1. 1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon ou d’une autre.
  2. 2. La division générale ne s’est pas prononcée sur une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. 3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. 4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[10] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audition sur le fond de l’affaire. Il s’agit d’un premier obstacle que la prestataire doit franchir, mais le fardeau est ici inférieur à celui dont elle devra s’acquitter à l’audience relative à l’appel sur le fond. À l’étape de la permission d’en appeler, la prestataire n’a pas à prouver le bien-fondé de ses prétentions. Elle doit plutôt établir que l’appel a une chance raisonnable de succès compte tenu d’une erreur susceptible de révision. En d’autres termes, elle doit établir que l’on peut soutenir qu’il existe une erreur susceptible de révision sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[11] Par conséquent, avant que je puisse accorder la permission d’interjeter appel, je dois être convaincu que les motifs d’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés précédemment et qu’au moins l’un des motifs a une chance raisonnable de succès.

La prestataire soulève-t-elle une erreur susceptible de révision de la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli?

[12] La prestataire soutient que la division générale a fait fi de faits pertinents et a mal appliqué le critère juridique de l’inconduite. Plus précisément, elle soutient ce qui suit :

  1. a) Elle travaillait à domicile et ne représentait aucune menace pour elle-même ou son employeur.
  2. b) Les vaccins contre la COVID-19 n’étaient pas efficaces ou sûrs comme on le prétend.
  3. c) La vaccination n’était pas une condition d’emploi au moment de son embauche. La vaccination n’était pas une condition énoncée dans sa lettre d’offre ni dans sa convention collective.
  4. d) Un employeur ne peut imposer unilatéralement de nouvelles conditions d’emploi.
  5. e) On ne peut conclure que son « choix personnel » de ne pas obéir à un ordre de vaccination, peu importe qu’elle se soit conformée ou non à la politique de son employeur, répond aux critères établis par les tribunaux pour conclure à une « inconduite » au sens de la loi.
  6. f) La Commission n’a fourni aucune preuve que son contrat de travail renfermait une disposition expresse exigeant qu’elle se fasse vacciner ou fasse l’objet de quelque intervention médicale que ce soit lui permettant de conserver son emploi.
  7. g) En l’absence d’une loi exigeant expressément la vaccination et de toute exigence exprimée dans son contrat de travail, rien ne prouve qu’elle était expressément tenue à l’égard de son employeur de se faire vacciner ou de faire l’objet de quelque intervention médicale que ce soit pour conserver son emploi.
  8. h) La Commission n’a fourni aucune preuve et il n’existe aucune preuve dans la jurisprudence démontrant que l’on peut déduire qu’elle avait une obligation implicite de se faire vacciner ou de subir quelque intervention médicale que ce soit pour conserver son emploi.
  9. i) L’obligation de faire l’objet d’une intervention médicale expérimentale afin de conserver un emploi va bien au-delà d’une simple attente de se conformer aux politiques habituelles en matière de sécurité au travail.
  10. j) La division générale s’appuie sur la simple existence d’une politique instaurée unilatéralement par son employeur imposant de nouvelles obligations importantes sans son accord ou son consentement pour rendre incorrectement une décision d’inconduite.
  11. k) Son absence d’accord pour subir une intervention médicale expérimentale ne s’apparente pas à un refus d’exécuter un aspect de ses fonctions et ne constitue pas un manquement qui peut être jugé « grave ».
  12. l) Elle a un droit fondamental au consentement éclairé, le droit à l’autonomie corporelle et le droit de refuser tout traitement médical. L’exercice de ce droit ne peut être considéré comme une inconduite au sens de la loi.

[13] Il est bien établi que pour trancher la demande de permission d’en appeler de la prestataire, je dois me fonder sur la preuve qui a été présentée à la division généraleNote de bas de page 1.

[14] La division générale devait décider si la prestataire avait été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite.

[15] La notion d’inconduite ne signifie pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été délibéré ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a délibérément décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[16] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ou d’établir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée, mais bien de décider si la prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspensionNote de bas de page 2.

[17] Compte tenu de la preuve, la division générale a conclu que la prestataire a été suspendue parce qu’elle a refusé de se conformer à la politique de l’employeur qui s’appliquait au personnel travaillant à domicile. Elle n’a pas obtenu d’exemption. Elle avait été informée de la politique de l’employeur et avait eu du temps pour s’y conformer. La prestataire a refusé intentionnellement; ce refus était volontaire. Il s’agissait de la cause directe de sa suspension. La division générale a conclu que la prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner sa suspension.

[18] La division générale a conclu à partir de la preuve prépondérante que le comportement de la prestataire constituait une inconduite.

[19] Il est bien établi que le non-respect voulu de la politique de l’employeur est considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi)Note de bas de page 3. Le non-respect d’une politique dûment approuvée par un gouvernement ou une industrie est également considéré comme une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 4.

[20] Nul ne conteste que l’employeur est tenu de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de son personnel au travail. Dans la présente affaire, l’employeur a suivi les recommandations de Santé Canada afin d’établir une politique de vaccination visant à protéger la santé de l’ensemble du personnel pendant la pandémieNote de bas de page 5. La politique était en vigueur lorsque la prestataire a été suspendue.

[21] La prestataire soutient qu’elle travaillait à domicile et ne représentait aucune menace pour elle-même ou son employeur. De plus, les vaccins contre la COVID-19 qui, au dire de son employeur, constituaient une exigence d’emploi n’étaient pas efficaces ou sécuritaires comme on le prétendait.

[22] Le Tribunal n’a pas compétence pour décider si les mesures de santé et de sécurité de l’employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables.

[23] Autrement dit, il n’appartient pas au Tribunal de décider si les vaccins bloquaient effectivement la transmission du virus ou s’il était raisonnable pour l’employeur d’élargir sa politique au personnel qui travaille de la maison pendant la pandémie. Statuer sur une question de santé publique dépasse largement la portée de l’expertise du Tribunal en matière d’assurance-emploi et échappe à sa compétence.

[24] Je ne vois aucune erreur dans la décision de la division générale selon laquelle elle n’a pas compétence pour trancher des questions concernant l’efficacité du vaccin ou le caractère raisonnable de la politique de l’employeur qui s’applique aux travailleurs à distance et en télétravail.

[25] La question de savoir si l’employeur a violé ses droits protégés par la convention collective ou si la politique a violé ses droits de la personne et ses droits constitutionnels relève d’une autre instance. Le Tribunal n’est pas l’instance par laquelle la prestataire peut obtenir la réparation qu’elle rechercheNote de bas de page 6.

[26] La Cour fédérale a rendu récemment la décision Cecchetto (en anglais seulement) concernant l’inconduite et le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. Le prestataire a fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur ne constitue pas une inconduite. Il n’a pas été prouvé que le vaccin était sûr et efficace, a-t-il avancé. Le prestataire s’est senti victime de discrimination en raison de son choix médical personnel. Il a fait valoir qu’il a le droit de décider de sa propre intégrité corporelle et que ses droits ont été violés sous le régime du droit canadien et internationalNote de bas de page 7.

[27] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle, en vertu de la loi, le Tribunal n’est pas autorisé à répondre à ces questions. La Cour a convenu qu’en effectuant un choix personnel et voulu de ne pas respecter la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations envers l’employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 8. La Cour a déclaré que le système judiciaire offre au prestataire d’autres recours pour faire valoir ses allégations.

[28] Dans l’affaire Paradis, le prestataire s’est fait refuser des prestations d’assurance-emploi en raison d’une inconduite. Il a soutenu qu’il n’y avait eu aucune inconduite parce que la politique de l’employeur portait atteinte aux droits que lui confère l’Alberta Human Rights Act. La Cour fédérale a conclu que l’affaire relevait d’une autre instance.

[29] La Cour fédérale a affirmé que, pour sanctionner le comportement de l’employeur, il existait d’autres recours qui permettent d’éviter que le programme d’assurance-emploi fasse les frais de ce comportement.

[30] Dans l’arrêt Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite liés à l’assurance-emploi.

[31] Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, le rôle de la division générale n’est pas d’établir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant la prestataire de sorte que sa suspension était injustifiée, mais bien de décider si la prestataire s’est rendue coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension.

[32] La preuve prépondérante dont dispose la division générale montre que la prestataire a fait le choix personnel et voulu de ne pas se conformer à la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, ce qui a entraîné sa suspension.

[33] Selon moi, la division générale n’a commis aucune erreur susceptible de révision lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement selon les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 9.

[34] Je suis tout à fait conscient que la prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établieNote de bas de page 10. Cela ne change rien au fait que, en vertu de la Loi, la Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, la prestataire a été suspendue en raison de l’inconduite.

[35] Dans ses observations, la prestataire s’appuie sur une décision de la division générale qui, selon elle, s’apparente à son cas. Dans cette affaire, la demanderesse a réussi à obtenir des prestations d’assurance-emploi. Elle demande que le Tribunal se conforme à cette décisionNote de bas de page 11.

[36] Il importe de rappeler que la décision de la division générale dont il est question ne lie pas la division d’appelNote de bas de page 12. Celles de la Cour fédérale sont exécutoires et ont été suivies par la division d’appel. De plus, les faits diffèrent en ce sens que la convention collective de la prestataire comportait une disposition précise lui permettant de refuser toute vaccination. La prestataire n’a présenté aucune preuve de ce genre à la division générale. De plus, la décision de la division générale dont il est question a été rendue avant la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Cecchetto.

[37] La prestataire fait valoir que son employeur l’a rappelée au travail. Ce fait ne modifie pas la nature de l’inconduite, qui a initialement mené à la suspension de la prestataireNote de bas de page 13.

[38] Dans sa demande de permission d’en appeler, la prestataire n’a soulevé aucune erreur susceptible de révision, comme la compétence ou le défaut de la division générale d’observer un principe de justice naturelle. Elle n’a pas relevé d’erreurs de droit ni de conclusions de fait erronées que la division générale aurait pu tirer de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance pour en arriver à sa décision.

[39] Après avoir examiné le dossier d’appel, la décision de la division générale et les arguments de la prestataire à l’appui de sa demande de permission d’en appeler, je conclus que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Conclusion

[40] La permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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