[TRADUCTION]
Citation : JP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 637
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Appelant : | J. P. |
Représentante : | P. C. |
Intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentant : | Daniel McRoberts |
Décision portée en appel : | Décision de la division générale datée du 29 novembre 2022 (GE-22-2053) |
Membre du Tribunal : | Neil Nawaz |
Mode d’audience : | Par écrit |
Date de la décision : | Le 29 mai 2023 |
Numéro de dossier : | AD-23-8 |
Sur cette page
Décision
[1] Il est fait droit à l’appel. La division générale a agi injustement en ne donnant pas au prestataire la possibilité de présenter une décision d’arbitrage à venir. J’ai décidé de renvoyer cette affaire à la division générale pour qu’une nouvelle audience soit tenue.
Aperçu
[2] Le prestataire, J. P., interjette appel d’une décision de la division générale de lui refuser des prestations d’assurance‐emploi.
[3] Le prestataire travaillait comme technicien en gestion des eaux usées pour X. Le 8 novembre 2021, son employeur l’a mis en congé sans solde après qu’il eut refusé de fournir la preuve qu’il avait été vacciné contre la COVID-19 (il a par la suite été congédié tout simplement). La Commission de l’assurance‐emploi du Canada a décidé qu’elle n’était pas tenue de verser des prestations d’assurance‐emploi au prestataire parce que son défaut de se conformer à la politique de vaccination de son employeur équivalait à une inconduite.
[4] La division générale a dit être en accord avec la Commission. Elle a conclu que le prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur, et qu’il savait ou aurait dû savoir que le fait de ne pas tenir compte de la politique entraînerait probablement la prise de mesures disciplinaires.
[5] Le prestataire demande maintenant la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale. Il fait valoir que la division générale a commis les erreurs suivantes :
- Elle n’a pas tenu compte du fait que rien dans les lois fédérales ou provinciales n’oblige quiconque à se soumettre à la vaccination contre la COVID-19;
- Elle n’a pas compris que, par application de la Déclaration canadienne des droits, tout individu a le droit de refuser un traitement médical;
- Elle n’a pas tenu compte du fait que son employeur a tenté d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans son consentement;
- Elle n’a pas tenu compte du fait qu’aux termes de son contrat de travail et de sa convention collective, il n’a rien fait de mal en refusant le vaccin.
[6] Plus tôt cette année, j’ai accordé au prestataire la permission d’interjeter appel parce que je croyais qu’il pouvait soutenir que la division générale lui avait refusé la possibilité de présenter la meilleure preuve possible. À la demande du prestataire, j’ai entendu son appel en examinant le dossier documentaire existant.
[7] Maintenant que j’ai pris connaissance des observations des deux parties, j’ai conclu que la décision de la division générale ne peut être maintenue.
Question en litige
[8] Il y a quatre moyens d’appel devant la division d’appel. Un prestataire doit démontrer que la division générale :
- a agi de manière injuste;
- a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
- a mal interprété la loi;
- a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.
[9] Mon travail consistait à déterminer si la division générale a commis une erreur relevant d’un ou de plusieurs des moyens d’appel susmentionnés.
Analyse
[10] Je suis convaincu que la division générale a agi d’une manière qui n’était pas équitable pour le prestataire. Comme la décision de la division générale doit être annulée pour ce seul motif, je ne vois pas la nécessité d’examiner les autres allégations du prestataire.
La division générale n’a pas offert au prestataire une audience complète et équitable
[11] La pièce maîtresse de la demande de permission d’en appeler du prestataire est une décision d’arbitrage de 61 pages. À première vue, cette décision appuie sa thèse selon laquelle il n’a rien fait de mal en désobéissant à la politique de vaccination obligatoire de son employeurNote de bas de page 2. La décision est l’aboutissement d’un processus qui a pris naissance lorsque le syndicat du prestataire a déposé un grief contre X pour avoir exigé de ses employés qu’ils présentent une preuve de vaccination, à défaut de quoi ils s’exposaient à des mesures disciplinaires.
Je ne pouvais pas tenir compte de la décision d’arbitrage
[12] Comme il en a été question lors de la conférence de cas avec les parties, je ne peux pas tenir compte de cette décision d’arbitrage sur le fondNote de bas de page 3. C’est qu’elle n’a jamais été soumise à la division générale. Le prestataire m’a dit que, bien que la décision d’arbitrage ait été rendue une semaine avant la décision de la division générale, il n’en a pris connaissance que plus tard.
[13] Le prestataire me demande d’examiner la décision d’arbitrage et de le déclarer non coupable d’inconduite. Or, ce n’est pas ainsi que fonctionne la division d’appel. En matière d’assurance‐emploi, la division d’appel n’est autorisée à examiner que les erreurs, et on ne peut reprocher à la division générale de ne pas avoir tenu compte d’un élément qui n’a jamais été porté à sa connaissance.
[14] Jusqu’à tout récemment, une disposition de la loi permettait à la division générale d’annuler ou de modifier l’une de ses décisions sur la base de faits nouveauxNote de bas de page 4. Malheureusement pour le prestataire, cette disposition a été abrogée quelques semaines seulement avant qu’il ne présente sa décision d’arbitrage. Donc, tout comme il ne m’a jamais été possible d’examiner les nouveaux éléments de preuve du prestataire, il n’est maintenant pas possible à la division générale de revoir sa décision à la lumière de ce nouvel élément de preuve.
La division générale n’a pas tenu compte du fait que le prestataire avait présenté un grief
[15] Malgré tout, je suis convaincu que l’argument du prestataire est fondé. Cela s’explique par le fait que la division générale ne lui a pas donné pleinement l’occasion de se faire entendre.
[16] À la demande du prestataire, la division générale a tenu l’audience par la voie de questions et réponses écritesNote de bas de page 5. Je peux comprendre pourquoi la division générale voulait tenir compte des souhaits du prestataire. Toutefois, il s’agissait d’une occasion pour elle d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’imposer un mode d’audience qui aurait permis davantage la collecte de renseignements auprès d’une partie non représentéeNote de bas de page 6.
[17] Dans les observations qu’il a présentées à la division générale, le prestataire a déclaré que son syndicat avait déposé un grief de principe contre XNote de bas de page 7. La division générale devait donc savoir que le prestataire avait pris des mesures actives pour défendre le droit que, à son avis, il avait de refuser le vaccin contre la COVID-19 sans compromettre son emploi. Néanmoins, il n’est apparemment pas venu à l’esprit de la division générale d’offrir au prestataire la possibilité de retarder l’instance pour permettre à la procédure de règlement des griefs de se dérouler.
[18] Le grief du prestataire est ce qui distingue son cas de nombreux autres cas semblables. Lorsqu’il s’agit de conclure à une inconduite, les tribunaux appliquent un seuil peu exigeant. Selon la jurisprudence, les seules questions qui importent sont celles de savoir si un prestataire d’assurance‐emploi a enfreint la politique de son employeur et, dans l’affirmative, si ce manquement était délibéré et vraisemblablement susceptible d’entraîner un congédiementNote de bas de page 8.
[19] La division générale a conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont justes ou raisonnables :
Je ne peux rendre aucune décision quant à savoir si le prestataire a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la question de savoir si le prestataire a été congédié à tort ou si l’employeur aurait dû adopter des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à l’égard du prestataire.Note de bas de page 9
[20] La division générale a ensuite conclu que le prestataire devrait s’adresser à « un autre tribunal administratif ou à un tribunal judiciaire » s’il voulait contester la légalité ou la constitutionnalité de la politique de son employeur sur la COVID-19Note de bas de page 10.
[21] Toutefois, il s’agit en l’espèce d’une affaire où, selon la preuve au dossier, le prestataire était en train de faire exactement ce que la division générale lui avait suggéré de faire contester la politique de son employeur devant une autre instance, plus précisément dans le cadre du processus d’arbitrage prévu par la convention collective conclue entre le SCFP et X.
[22] Dans ses questions écrites au prestataire, la membre de la division générale qui présidait l’audience ne lui a pas posé de questions au sujet du griefNote de bas de page 11. À mon avis, la commissaire aurait dû savoir que la procédure de règlement des griefs pourrait fournir une réponse à la question de savoir si, en fait, le prestataire avait fait quoi que ce soit pour justifier son congédiement. Pour cette raison, je suis convaincu que la division générale est allée de l’avant sans d’abord lui donner la possibilité de demander un ajournement en attendant la réception de renseignements importants.
Réparation
[23] Lorsque la division générale commet une erreur dans le contexte d’une affaire d’assurance‐emploi, la division d’appel peut remédier à la situation de deux façons : elle peut (i) renvoyer l’affaire à la division générale pour nouvelle audience ou (ii) rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 12.
[24] En l’espèce, je n’ai d’autre choix que de renvoyer cette affaire à la division générale pour nouvelle audience. C’est que je ne crois pas que le dossier soit suffisamment complet pour me permettre de prendre une décision éclairée sur le fond des arguments du prestataire. Lorsque je substitue ma décision à celle de la division générale, je ne peux tenir compte que du dossier dont elle disposait à la date de l’audience. En l’espèce, en raison d’un manquement à l’équité procédurale, ce dossier ne contient pas la décision d’arbitrage qui, selon le prestataire, prouverait qu’il n’était pas coupable d’inconduite.
[25] Contrairement à celui de la division d’appel, le mandat principal de la division générale consiste à soupeser la preuve et à tirer des conclusions de fait. Par conséquent, cette dernière est intrinsèquement mieux placée que moi pour examiner la décision d’arbitrage et explorer les pistes de réflexion qui pourraient en découler.
[26] Je suis renforcé dans ma décision par le fait que la Commission, bien qu’elle ne concède pas que la division générale a agi injustement, ne s’est pas opposée à ce que cette affaire soit renvoyée à la division généraleNote de bas de page 13. Pour sa part, le prestataire est heureux que son appel soit réglé de cette façonNote de bas de page 14.
Conclusion
[27] Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la division générale a commis un manquement à l’équité procédurale. Étant donné que le dossier n’est pas suffisamment complet pour me permettre de trancher cette affaire sur le fond, je renvoie celle‐ci à la division générale pour qu’elle tienne une nouvelle audience.
[28] Il est fait droit à l’appel.