Assurance-emploi (AE)

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Citation : AP c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 760

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : A. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 24 mars 2023 (GE-22-3771)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 12 juin 2023
Numéro de dossier : AD-23-375

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Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le demandeur (prestataire) a été suspendu de son emploi parce qu’il a refusé de respecter la politique de vaccination contre la COVID-19 (politique) adoptée par l’employeur. Il n’a pas obtenu d’exemption. Le prestataire a ensuite présenté une demande de prestations régulières d'assurance-emploi.

[3] La défenderesse (Commission) a conclu que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison de son inconduite. Elle l’a donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Le prestataire a demandé la révision de la décision. La Commission a maintenu sa décision initiale. Le prestataire a interjeté appel devant la division générale.

[4] La division générale a déterminé que le prestataire a refusé de se conformer à la politique de l’employeur. Il n’a pas obtenu d’exemption. Elle a conclu que le prestataire savait que l’employeur était susceptible de le suspendre dans ces circonstances. La division générale a conclu que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison de son inconduite.

[5] Le prestataire demande à la division d’appel la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Il soutient que l’employeur lui a imposé une nouvelle condition d’emploi qui ne découlait pas de son contrat initial d’emploi. Il soutient qu’aucune loi n’a rendu la vaccination obligatoire au Canada. Le prestataire fait valoir que d’imposer la vaccination excède la sphère du droit de gérance de l’employeur. Il soutient que le refus de se faire vacciner ne l’empêchait pas d’effectuer son travail.

[6] Je dois décider si on peut soutenir que la division générale a commis une erreur révisable qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[7] Je refuse la permission d’en appeler puisqu’aucun des moyens d’appel soulevés par le prestataire ne confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[8] Est-ce que le prestataire soulève, dans ses moyens d’appel, une erreur révisable qu’aurait commise la division générale et qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès? 

Analyse

[9] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, spécifie les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale.  Ces erreurs révisables sont que :

  1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une certaine façon.
  2. La division générale n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question sans pouvoir de le faire.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a commis une erreur de droit dans sa décision.

[10] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond de l'affaire. C'est une première étape que le prestataire doit franchir, mais le fardeau est ici inférieur à celui auquel il devra rencontrer à l'audience de l'appel sur le fond. À l’étape de la demande permission d’en appeler, le prestataire n’a pas à prouver sa thèse mais il doit établir que son appel a une chance raisonnable de succès. En d’autres mots, il doit établir que l’on peut soutenir qu’il y a eu erreur révisable sur laquelle l’appel peut réussir.

[11] La permission d’en appeler sera en effet accordée si je suis convaincu qu’au moins l’un des moyens d’appel soulevé par le prestataire confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

Est-ce que le prestataire soulève, dans ses moyens d’appel, une erreur révisable qu’aurait commise la division générale et qui confère à l’appel une chance raisonnable de succès?

[12] Le prestataire soutient que l’employeur lui a imposé une nouvelle condition d’emploi qui ne découlait pas de son contrat initial d’emploi. Il soutient qu’aucune loi n’a rendu la vaccination obligatoire au Canada. Le prestataire fait valoir que d’imposer la vaccination excède la sphère du droit de gérance de l’employeur. Il soutient que le refus de se faire vacciner ne l’empêchait pas d’effectuer son travail.

[13] La division générale devait décider si le prestataire a été suspendu de son emploi en raison de son inconduite.

[14] La notion d’inconduite ne prévoit pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que la personne a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[15] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ni de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant le prestataire de sorte que sa suspension serait injustifiée, mais bien de savoir si le prestataire s’est rendu coupable d’inconduite et si celle-ci a entraîné sa suspension.

[16] La division générale a déterminé que le prestataire a été suspendu de son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de l’employeur. Le prestataire a été informé de la politique mise en place par l’employeur et a eu le temps de s’y conformer. Il n’a pas obtenu d’exemption. La division générale a déterminé que le prestataire a volontairement refusé de suivre la politique. C’est ce qui a directement entraîné sa suspension. La division générale a déterminé que le prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pourrait mener à sa suspension. La division générale a conclu de la preuve prépondérante que le comportement du prestataire constituait une inconduite.

[17] Il est bien établi que le non-respect délibéré de la politique d’un employeur est considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).Note de bas de page 1 Est également considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l'AE le non-respect d'une politique dûment approuvée par un gouvernement ou une industrie.Note de bas de page 2

[18] Il n’est pas vraiment contesté qu'un employeur a l'obligation légale de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés sur leur lieu de travail. Dans le cas présent, l'employeur a suivi les recommandations du Gouvernement du Canada afin de mettre en œuvre sa politique de protection de la santé de tous les employés pendant la pandémie.Note de bas de page 3 La politique était en vigueur lorsque le prestataire a été suspendu.

[19] Il n’appartenait pas à la division générale de trancher les questions concernant l’efficacité du vaccin ou le caractère raisonnable de la politique de l’employeur. En d'autres termes, le Tribunal n'a pas la compétence pour décider si les mesures imposées par l'employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables.

[20] La question de savoir si la politique de l’employeur a enfreint les droits constitutionnels du prestataire relève d'un autre forum. Ce Tribunal n'est pas le forum approprié par lequel le prestataire peut obtenir la réparation qu'il demande.Note de bas de page 4

[21] La Cour fédérale du Canada a récemment rendu une décision dans Cecchetto concernant l'inconduite et le refus d'un prestataire de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de l'employeur. Le prestataire a fait valoir qu'il n'a pas été prouvé que le vaccin était sûr et efficace. Il s'est senti discriminé en raison de son choix médical personnel. Le prestataire a soutenu qu'il a le droit de contrôler sa propre intégrité corporelle et que ses droits ont été violés en vertu du droit canadien et international.

[22] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d'appel selon laquelle, en vertu de la loi, le Tribunal n'est pas autorisé à traiter de ces questions. La Cour a convenu qu'en faisant le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l'employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations envers son employeur et avait perdu son emploi en raison d'une inconduite en vertu de la Loi sur l'AE. La Cour fédérale a déclaré qu'il existe d'autres moyens juridiques par lesquels les réclamations du prestataire peuvent se faire entendre.

[23] Dans l’affaire Paradis, le prestataire a demandé le contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel du Tribunal lui refusant la permission d’en appeler. Il a fait valoir qu’il n’y avait pas eu d’inconduite puisque la politique de l’employeur contrevenait à l’Alberta Human Rights Act.

[24] La Cour fédérale du Canada a confirmé qu’il en revenait à une autre instance de régler cette question. Elle a souligné qu’il existe d’autres recours disponibles pour sanctionner le comportement d'un employeur que par le truchement du programme d’assurance-emploi.Note de bas de page 5

[25] La preuve prépondérante devant la division générale démontre que la politique de l'employeur s'appliquait au prestataire. Il a refusé de se conformer à la politique. Il n’a pas demandé une exemption. Il savait que l'employeur était susceptible de le suspendre dans ces circonstances et son refus était volontaire, conscient et délibéré.

[26] Le prestataire a fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l'employeur en réponse aux circonstances uniques créées par la pandémie et cela a entraîné la suspension de son emploi.

[27] Je ne vois aucune erreur révisable commise par la division générale lorsqu'elle a tranché la question de l'inconduite uniquement selon les paramètres établis par la Cour d'appel fédérale, qui a défini l'inconduite en vertu de la Loi sur l'AE.Note de bas de page 6

[28] Je suis pleinement conscient que le prestataire peut demander réparation devant une autre instance, si une violation est établie.Note de bas de page 7 Cela ne change rien au fait qu'en vertu de la Loi sur l'AE, la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités que le prestataire a été suspendu en raison de son inconduite.

[29] Après examen du dossier d’appel, de la décision de la division générale et des arguments au soutien de la demande de permission d’en appeler, je suis d’avis que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Le prestataire ne soulève aucune question dont la réponse pourrait mener à l’annulation de la décision contestée.

Conclusion

[30] La permission d’en appeler est refusée. L’appel n’ira pas de l’avant.

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