Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 588

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : J. M.
Représentante : H. M.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 23 février 2023 (GE-22-3332)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 10 mai 2023
Numéro de dossier : AD-23-271

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Décision

[1] Je refuse à l’appelant la permission de faire appel parce que sa cause n’est pas défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] L’appelant, J. M., travaillait comme chauffeur-livreur pour X. En janvier 2022, X l’a placé en congé sans solde après qu’il a refusé de fournir la preuve qu’il s’était fait vacciner contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à lui verser de prestations d’assurance-emploi parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel de l’appelant. Elle a conclu qu’il avait enfreint délibérément la politique de vaccination de son employeur. Elle a jugé que l’appelant savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement la perte de son emploi.

[4] L’appelant cherche maintenant à obtenir la permission de porter la décision de la division générale en appel. Il soutient qu’il n’a rien fait de mal et fait valoir que la division générale a fait les erreurs suivantes :

  • Elle a mal interprété le sens du mot « inconduite » tel qu’il est énoncé dans la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle n’a pas tenu compte de ses droits à l’intégrité physique et à la liberté de religion.
  • Elle a ignoré le fait que ni son contrat de travail ni sa convention collective ne mentionnaient l’obligation de se faire vacciner.
  • Elle a ignoré le fait que X a tenté d’imposer de façon unilatérale et sans son consentement une nouvelle condition d’emploi.
  • Elle a ignoré le fait que, comme la politique de vaccination de X ne prévoyait aucune mesure disciplinaire progressive, rien dans celle‑ci ne permettait au personnel de croire que le non-respect de la politique entraînerait un congédiement immédiat.
  • Elle a excédé sa compétence en rendant une décision contraire au Code canadien du travail et au code canadien des droits de la personne [sic].
  • Elle n’a pas tenu compte du fait que, dans son relevé d’emploi, X n’a pas inscrit la véritable raison pour laquelle il l’avait placé en congé.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie appelante doit démontrer l’une des choses suivantes :

  • la division générale a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que l’appel de l’appelant puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Une chance raisonnable de succès est l’équivalent d’une cause défendableNote de bas de page 3. Si l’appelant n’a pas d’argument défendable, l’affaire prend fin sur‑le‑champ.

[7] À cette étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : est-il possible de soutenir que la division générale a fait une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit applicable et les éléments de preuve qui l’ont menée à cette décision. J’ai conclu que la cause de l’appelant n’est pas défendable.

On ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[9] Lorsqu’il s’agit d’évaluer une inconduite, le Tribunal ne peut pas examiner le bien‑fondé d’un différend entre une personne et l’organisation pour laquelle elle travaille. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à l’appelant, mais c’est celle que les cours ont adoptée à maintes reprises et que la division générale était obligée d’appliquer.

Une inconduite est tout geste intentionnel qui est susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[10] L’appelant soutient que rien dans la loi n’obligeait son employeur à mettre en place une politique de vaccination obligatoire. Il maintient que la vaccination n’a jamais été une condition d’emploi pour lui. Il affirme qu’il ne peut pas s’agir d’une inconduite si une employée ou un employé refuse de suivre une politique qui est illégale ou contraire aux conditions de son contrat.

[11] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[12] Il est important de garder à l’esprit qu’aux fins de l’assurance-emploi, le terme « inconduite » a un sens précis qui ne correspond pas nécessairement à celui du mot qu’on utilise au quotidien. Voici comment la division générale a défini l’inconduite :

[P]our qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. En d’autres termes, elle doit être consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers l’employeur et que la possibilité de se faire renvoyer pour cette raison était bien réelleNote de bas de page 4.

[13] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. Elle a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle détermine l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’une employeuse ou d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir l’inconduite de façon explicite

[14] L’appelant soutient que rien dans son contrat de travail ou sa convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, selon la jurisprudence, là n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’organisation a une politique et si la personne employée l’a ignorée de façon délibérée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

J’ai le pouvoir de trancher uniquement les questions mentionnées dans la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si d’autres lois donnent d’autres options à l’appelant. Il ne m’appartient pas de décider si le congédiement de l’appelant est injuste ou si l’employeur aurait dû mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables pour lui. Je peux me pencher sur une seule question : ce que l’appelant a fait ou omis de faire est‑il une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 5?

[15] Ce passage reprend un principe tiré d’une affaire appelée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a affirmé ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 6.

[16] Dans l’affaire Lemire, la Cour a jugé qu’un employeur avait raison de conclure à une inconduite lorsqu’un membre de son personnel avait organisé en parallèle la vente de cigarettes à sa clientèle. La Cour a conclu que c’était une inconduite même si l’employeur n’avait pas de politique interdisant de façon explicite une telle conduite.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la division générale

[17] Dans une décision récente, la Cour fédérale a confirmé cette approche pour évaluer l’inconduite dans le contexte précis de l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire CecchettoNote de bas de page 7portait sur le refus d’un appelant de se conformer à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle la loi n’autorise pas le Tribunal à régler ces questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, le fait que la division d’appel n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet ne justifie pas l’annulation de sa décision. Ce genre de conclusion ne relevait ni du mandat ni de la compétence du Tribunal de la sécurité sociale, que ce soit à la division d’appel ou à la division généraleNote de bas de page 8.

[18] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a précisé que le système juridique offrait d’autres voies par lesquelles M. Cecchetto aurait pu porter plainte pour congédiement injustifié ou atteinte aux droits de la personne.

[19] Dans la présente affaire, tout comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui importent sont : l’appelant a‑t‑il enfreint la politique de vaccination de son employeur et, si la réponse est oui, l’infraction était‑elle délibérée et pouvait‑on prévoir qu’elle puisse entraîner sa suspension ou son congédiement? Dans la présente affaire, la division générale a bien fait de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas dépassé sa compétence

[20] L’appelant avance que la division générale n’avait pas le droit de rendre une décision qui allait à l’encontre de la législation canadienne du travail et des droits de la personne. Cependant, comme j’ai tenté de le démontrer, cet argument interprète la loi à l’inverse. Si la division générale avait fait ce que l’appelant souhaitait et conclu que la politique de vaccination de X contrevenait à la politique du travail et des droits de la personne, elle aurait alors excédé son pouvoir.

[21] Les personnes qui acceptent un emploi font souvent passer leurs droits en deuxième, et ce, de façon volontaire. Par exemple, elles peuvent accepter de se soumettre régulièrement à des tests de dépistage. Ou elles peuvent, en toute connaissance de cause, renoncer à une partie de leur droit à la liberté d’expression, comme le droit de critiquer publiquement leur employeuse ou employeur. Pendant la durée de l’emploi, l’organisation peut tenter d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits de son personnel, mais chaque personne est libre de quitter son emploi si elle souhaite exercer pleinement ces droits. Si elle estime qu’une nouvelle politique viole sa convention collective ou ses droits de la personne, elle peut déposer un grief ou porter plainte devant la cour ou un autre tribunal contre l’organisation pour laquelle elle travaille. Mais le régime d’assurance-emploi n’offre pas les recours juridiques qui permettraient de régler de tels différends.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[22] L’appelant dit qu’il n’a rien fait de mal en refusant de se faire vacciner. Il laisse entendre qu’en le forçant à recevoir le vaccin sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits. Il maintient qu’il était exempté de l’obligation de se faire vacciner à la fois pour des raisons médicales et religieuses.

[23] La division générale n’a pas ignoré ces arguments. Elle leur a tout simplement accordé moins d’importance que ce que l’appelant croyait qu’ils méritaient. Compte tenu des dispositions juridiques sur l’inconduite, je ne vois pas en quoi l’examen de la division générale contiendrait une erreur.

La division générale a examiné tous les éléments pertinents

[24] Après avoir examiné les éléments de preuve à sa disposition, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • X était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme bon lui semblait.
  • X a adopté une politique claire qu’il a communiquée à son personnel : chaque personne devait fournir la preuve qu’elle était entièrement vaccinée.
  • L’appelant savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique à compter d’une certaine date entraînerait la perte de son emploi.
  • L’appelant a refusé de façon intentionnelle de se faire vacciner dans les délais raisonnables fixés par son employeur.
  • L’appelant n’a pas réussi à convaincre son employeur que l’une ou l’autre des exceptions permises par la politique s’appliquait à lui.

[25] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier ainsi que le témoignage de l’appelant. La division générale a conclu que l’appelant était coupable d’inconduite parce que ses faits et gestes étaient délibérés et, comme on pouvait s’y attendre, ils ont mené à une suspension. L’appelant croyait peut-être que refuser de suivre la politique ne faisait pas de mal à son employeur, mais au regard de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui d’en décider.

[26] L’appelant insiste sur le fait que, comme la politique de vaccination de X ne contenait aucune mesure disciplinaire progressive, on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il comprenne que le refus de se faire vacciner dans un délai donné mènerait à une suspension. Toutefois, la politique précisait clairement que les personnes qui n’étaient pas vaccinées au plus tard le 10 janvier 2022 seraient [traduction] « placées en congé sans soldeNote de bas de page 9 ». Selon la division générale, c’était suffisant pour conclure que l’appelant savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique pouvait entraîner la perte de son emploi. Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

La division générale n’a ignoré aucun élément important dans le relevé d’emploi

[27] [L’appelant] prétend que la division générale a choisi d’ignorer la façon [traduction] « malhonnête » dont le relevé d’emploi produit par X décrivait la raison du renvoi de l’appelant. Il laisse entendre que le fait que X a utilisé le code « M » (congédiement ou suspension) au lieu du code « N » (congé), comme le recommandait le gouvernement du Canada, a porté atteinte à ses intérêtsNote de bas de page 10.

[28] Je ne vois pas la pertinence de cet argument.

[29] Il est vrai que la décision de la division générale ne mentionne pas le relevé d’emploi spécifiquement, mais on ne peut pas s’attendre à ce que la personne qui rend la décision aborde chacun des éléments de preuve dans ses motifs écritsNote de bas de page 11. Quoi qu’il en soit, la division générale avait de bonnes raisons de ne pas examiner les codes utilisés par X. En effet, ce n’était pas vraiment utile pour savoir si l’appelant avait commis une inconduite aux fins de l’assurance-emploi. Peu importe si le prestataire a été suspendu ou placé en congé, le résultat est le même : l’appelant a été renvoyé contre sa volonté et il ne recevait plus son salaire.

[30] La division générale a malgré tout tiré une conclusion sur les circonstances entourant le départ de l’appelant. Elle les a décrites en ces termes : « L’employeur de l’appelant l’a placé en congé sans solde. Comme c’est l’employeur qui est à l’origine de la cessation d’emploi, elle est considérée comme une suspensionNote de bas de page 12. » Par la suite, elle a établi que la suspension était due à une inconduite.

[31] À titre de juge des faits, la division générale a droit à une certaine latitude dans la façon dont elle choisit d’évaluer la preuve portée à sa connaissanceNote de bas de page 13. Dans la présente affaire, la division générale a examiné les circonstances entourant la suspension [de l’appelant] avant de conclure qu’il avait été renvoyé pour non-respect de la politique de vaccination, et non pour une autre raison. Comme il n’y a aucune erreur de fait importante, je ne vois aucune raison de remettre en question cette conclusionNote de bas de page 14.

Conclusion

[32] Pour les motifs que je viens d’expliquer, je ne suis pas convaincu que le présent appel ait une chance raisonnable de succès. Par conséquent, la permission de faire appel est refusée. Cela met donc un terme à l’appel.

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