Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 574

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : D. S.
Représentante ou représentant : A. C.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 27 février 2023
(GE-22-3598)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 4 mai 2023
Numéro de dossier : AD-23-230

Sur cette page

Décision

[1] Je refuse d’accorder à l’appelant la permission de faire appel parce qu’il n’a pas de cause défendable. Le présent appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] L’appelant, D. S., travaillait comme gestionnaire de projet pour une municipalité régionale. Le 3 janvier 2022, son employeur l’a mis en congé sans solde après qu’il a refusé de fournir la preuve qu’il avait été vacciné contre la COVID-19Note de bas de page 1. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à l’appelant parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel de l’appelant. Elle a jugé que l’appelant avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a conclu qu’il savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement la perte de son emploi.

[4] L’appelant demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il soutient qu’il n’a rien fait de mal et fait valoir que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a mal interprété ce qu’est une « inconduite » au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle n’a pas exercé sa compétence en examinant si la politique de vaccination de l’employeur était légale.
  • Elle a ignoré le fait que son contrat de travail ne disait rien au sujet d’une obligation de vaccination.
  • Elle a ignoré le fait que l’employeur de l’appelant a tenté d’imposer unilatéralement une nouvelle condition d’emploi sans son consentement.
  • Elle n’a pas tenu compte du fait qu’en vertu de la législation relative aux droits de l’homme et à la santé et à la sécurité au travail, il avait le droit de refuser de travailler dans des conditions dangereuses.
  • Elle a ignoré le fait qu’il était capable de travailler de la maison, où il ne représentait aucune menace pour sa clientèle ou ses collègues de travail, et qu’il était disposé à le faire.
  • Elle a ignoré le fait qu’il avait obtenu une exemption pour motif religieux de la part des responsables de son église.
  • Elle a ignoré la tentative de la Commission de l’induire en erreur en insistant sur le fait qu’il n’avait pas reçu d’exemption pour motif religieux, même s’il avait des éléments de preuve le prouvant.
  • Elle a ignoré un précédent important qui permettait à une partie prestataire de toucher des prestations d’assurance-emploi, même si elle avait été suspendue pour avoir refusé de se faire vacciner contre la COVID-19.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. L’appelant doit démontrer que la division générale a commis l’une des erreurs suivantes :

  • elle a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[6] Avant que l’appelant puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 3. Avoir une chance raisonnable de succès est la même chose qu’avoir une cause défendableNote de bas de page 4. Si l’appelant n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que l’appelant n’a pas de cause défendable.

Rien ne prouve que la division générale a mal interprété la loi

[9] Au moment d’évaluer une inconduite, le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une employée ou un employé et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à l’appelant, mais c’est une interprétation que les tribunaux ont adoptée à maintes reprises et que la division générale était tenue de suivre.

On entend par inconduite toute action intentionnelle et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[10] L’appelant souligne que rien dans la loi n’exigeait que son employeur mette en place une politique de vaccination obligatoire. Il soutient que se faire tester ou se faire vacciner n’a jamais été une condition de son emploi. Il affirme qu’il ne peut pas s’agir d’une inconduite si une employée ou un employé refuse de suivre une politique qui est illégale ou contraire aux conditions contractuelles.

[11] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[12] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage quotidien du mot. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelle. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal).

Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas de page 5.

[13] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle détermine l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[14] L’appelant fait valoir que rien dans son contrat de travail ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que ce n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si la personne employée l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

Le Tribunal n’a pas le pouvoir de trancher ces questions dans le cadre d’un appel pour inconduite. Les recours du prestataire relèvent des cours, et non du Tribunal.

Les cours ont établi que la prestation de services dans le cadre d’un contrat de travail est une condition d’emploi essentielle. Elles ont également jugé qu’une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite.

Selon les principes énoncés dans ces décisions judiciaires, l’appelant a manqué à ses obligations envers l’employeur. Le Tribunal n’a pas le pouvoir de se prononcer sur un congédiement injustifié ou injuste ni sur la légalité de la politiqueNote de bas de page 6.

[15] Ce passage fait écho à une affaire appelée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait dit ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiement […]Note de bas de page 7.

[16] Dans l’affaire Lemire, la cour a déclaré qu’un employeur était fondé à conclure à une inconduite, car l’un de ses employés avait mis sur pied une entreprise auxiliaire consistant à vendre des cigarettes à la clientèle. La Cour a jugé qu’une telle conclusion pouvait être tirée même si l’employeur n’avait pas de politique explicite contre une telle conduite.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la loi par la division générale

[17] Une décision récente de la Cour fédérale a réaffirmé cette approche à l’égard d’une inconduite dans le contexte précis des mandats de vaccination contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, la décision Cecchetto portait sur le refus d’un appelant de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 8. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé à traiter ces questions selon la loi :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce qu’elle n’aurait pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce type de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 9.

[18] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, Mr Cecchetto avait perdu son emploi pour inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres moyens, dans le système juridique, par lesquels Mr Cecchetto aurait pu faire valoir ses prétentions en matière de congédiement injustifié ou de droits de la personne.

[19] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui importent sont celles de savoir si l’appelant a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » à ces deux questions.

La division générale n’a pas ignoré un précédent contraignant

[20] Devant la division générale, l’appelant a cité l’affaire AL, dans laquelle il a été établi que la prestataire d’assurance-emploi était admissible aux prestations même si elle n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 10. L’appelant fait valoir que la division générale a ignoré cette affaire alors qu’elle était applicable à la sienne.

[21] Toutefois, la division générale n’était pas tenue de suivre les décisions de son propre tribunal. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais elles et ils ne le sont pas par les décisions de leurs collègues.

[22] L’affaire AL n’accorde pas aux prestataires d’assurance-emploi une exemption générale des politiques de vaccination obligatoire de leur employeur, comme l’appelant semble le croire. L’affaire AL semble concerner une prestataire dont la convention collective empêchait explicitement son employeur de la forcer à se faire vacciner. Selon mon examen du présent dossier, l’appelant n’a jamais mentionné une disposition comparable dans son propre contrat de travail.

[23] De plus,l’affaire AL a été rendue avant l’affaire Cecchetto, l’affaire récente qui fournissait des directives claires sur les mandats de vaccination des employeurs dans le contexte de l’assurance-emploi. Dans l’affaire Cecchetto, la Cour fédérale a examiné brièvement l’affaire AL et a laissé entendre qu’elle n’aurait pas une application générale parce qu’elle était fondée sur un ensemble de faits très particuliersNote de bas de page 11.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[24] L’appelant affirme qu’il n’a rien fait de mal en refusant de se faire vacciner. Il laisse entendre qu’en le forçant à le faire sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits. Il insiste sur le fait qu’il était exempté de l’obligation de se faire vacciner pour des raisons médicales et religieuses.

[25] La division générale n’a pas ignoré ces arguments. Elle ne leur a tout simplement pas accordé autant d’importance que ce que le prestataire pensait qu’ils valaient. Étant donné le droit applicable en matière d’inconduite, je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur dans son évaluation.

La division générale a examiné tous les facteurs pertinents

[26] Lorsque la division générale a examiné la preuve disponible, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de l’appelant était libre d’établir et d’appliquer les politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur de l’appelant a adopté et communiqué une politique claire obligeant le personnel à fournir une preuve de vaccination complète.
  • L’appelant savait, ou aurait dû savoir, que le non-respect de la politique à compter d’une certaine date causerait la perte de son emploi.
  • L’appelant a intentionnellement refusé de se faire vacciner dans les délais raisonnables exigés par son employeur.
  • L’appelant n’a pas réussi à convaincre son employeur que son cas relevait de l’une ou l’autre des exceptions permises par la politique.

[27] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier, ainsi que le témoignage de l’appelant. La division générale a conclu que l’appelant était coupable d’inconduite parce que ses actions étaient délibérées et qu’elles ont vraisemblablement mené à sa suspension. L’appelant a peut-être cru que son refus de suivre la politique ne faisait pas de mal à son employeur, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui de prendre une telle décision.

La division générale n’a pas ignoré le fait que l’appelant travaillait de la maison

[28] L’appelant affirme que la division générale a ignoré son argument selon lequel il n’avait pas besoin de se faire vacciner puisqu’il travaillait de la maison.

[29] Je ne suis pas d’accord. Comme le montre sa décision, la division générale était bien au courant des modalités de travail de l’appelantNote de bas de page 12. Toutefois, elle ne pensait pas que celles-ci étaient pertinentes pour décider si le prestataire avait enfreint la politique de son employeur. Comme nous l’avons vu, la loi n’exigeait pas de la part de la division générale qu’elle établisse si les règles de l’employeur étaient raisonnables ou si l’employeur en avait fait assez pour répondre aux préoccupations de l’appelant au sujet du caractère sécuritaire du vaccin.

La division générale n’a pas mal interprété les démarches du prestataire pour obtenir une exemption

[30] L’appelant soutient que la division générale a ignoré le fait qu’il a obtenu une exemption pour motif religieux de la part des représentants de son église.

[31] Je ne vois pas le bien-fondé de cette allégation. Comme la division générale l’a souligné, l’appelant a tenté de se faire exempter de la politique de vaccination, mais il n’a pas réussi parce que son employeur a rejeté sa demande. Contrairement à l’accusation de l’appelant, la Commission n’a pas tenté d’induire la division générale en erreur en lui faisant croire que l’appelant n’a jamais reçu d’exemption pour motif religieux. Car en réalité, l’appelant n’a jamais bénéficié d’une telle exemption.

[32] Dans sa décision, la division générale a décrit ce qui s’est passé :

L’appelant a également demandé une exemption pour des motifs religieux à la mi-janvier 2022. Il a appuyé sa demande par une lettre du curé de son église catholique. Cette lettre indiquait que l’appelant faisait de son mieux pour suivre sa conscience éclairée dans cette affaire, selon les enseignements de l’Église. L’appelant a également fourni une lettre de Transformational Ministerial Fellowship [ordre pastoral transformationnel], signée par l’appelant et par un révérend docteur. La lettre expose la position de l’appelant en se fondant sur l’interprétation de nombreux passages de la Bible. L’employeur n’a pas approuvé la demande parce qu’elle était fondée sur une préférence personnelle et qu’elle n’était pas liée de manière précise à une doctrineNote de bas de page 13.

[33] Ce passage reflète fidèlement la preuve disponible. Il ne fait aucun doute que l’appelant s’est donné beaucoup de mal pour appuyer sa demande d’exemption religieuse. Toutefois, son employeur a rejeté la demande, ce qui était son droit selon les règles régissant l’assurance-emploi. Il n’appartenait pas à la division générale de décider si ce rejet était juste ou raisonnable. Si l’appelant voulait contester le rejet, il était libre de poursuivre son employeur en justice ou devant un tribunal des droits de la personne. Toutefois, le processus de demande d’assurance-emploi n’était pas la façon appropriée pour régler un tel différend.

Conclusion

[34] Pour les motifs mentionnés plus haut, je ne suis pas convaincu que le présent appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Cela signifie que l’appel n’ira pas de l’avant.

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