Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SV c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 591

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. V.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de révision (554004) rendue le 15 novembre 2022 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Gary Conrad
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 février 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 24 février 2023
Numéro de dossier : GE-23-234

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante a présenté sa demande de révision en retard.

[3] En refusant de lui donner plus de temps pour qu’elle puisse demander une révision, la Commission de l’assurance-emploi du Canada n’a pas agi de façon judiciaire parce qu’elle n’a pas tenu compte de tous les éléments pertinents.

[4] Je rends la décision que la Commission aurait dû rendre. Je conclus que l’appelante ne remplit pas tous les critères prévus par la loi pour faire prolonger le délai pour demander une révision.

[5] Par conséquent, la Commission ne révisera pas ses décisions initiales.

Aperçu

[6] L’appelante affirme avoir demandé des prestations d’assurance-emploi en mars 2012, mais sa demande a été refusée parce qu’elle n’avait pas accumulé assez d’heures d’emploi assurable.

[7] Elle explique qu’elle a eu un accident de voiture en juin 2012. Elle en a parlé à la Commission, qui lui a offert des prestations de maladie. Elle raconte qu’elle a accepté de toucher ces prestations et qu’elle en a reçu pendant plusieurs semaines.

[8] En octobre 2022, elle a demandé à la Commission de réviser la demande pour laquelle son nombre d’heures était insuffisant (celle déposée en mars 2012) ainsi que la somme des prestations de maladie qu’elle avait reçues.

[9] La Commission a décidé de ne pas réviser les demandes de l’appelante. Elle a conclu que sa demande de révision dépassait le délai de 30 jours prévu pour présenter ce genre de demande. Elle a aussi conclu que l’explication fournie par l’appelante pour justifier son retard ne remplissait pas les exigences établies par la loi pour la révision d’une décision après le délai de 30 jours.

Question que je dois examiner en premier

[10] La Commission a déposé ses observations en retard. Je les ai acceptées et prises en considération pour rendre ma décision, car la Commission n’aurait pas pu les envoyer plus tôt. En effet, ses observations portaient sur des documents qu’elle avait tout juste reçus la veille.

Questions en litige

[11] La demande de révision de l’appelante était-elle en retard?

[12] Si oui, la Commission a-t-elle agi de façon judiciaire en refusant de donner plus de temps à l’appelante pour qu’elle puisse déposer une demande de révision?

Analyse

La demande de révision est-elle en retard?

[13] L’appelante peut demander à la Commission de réviser une décision qu’elle a rendue dans son dossier à tout moment dans les 30 jours suivant la date où elle en a reçu communicationNote de bas de page 1.

[14] Ainsi, il me faut décider quand l’appelante a reçu communication des décisions qu’elle conteste.

Décisions que l’appelante veut faire réviser

[15] L’appelante a déclaré que son but premier était que la Commission révise la décision rendue à la suite de sa demande de mars 2012, c’est-à-dire que l’appelante n’avait pas accumulé assez d’heures de travail pour remplir les conditions requises et recevoir des prestations. Elle se demande également si elle avait droit aux prestations de maladie pendant un plus grand nombre de semaines.

[16] Dans ses observations, la Commission mentionne seulement sa décision sur les prestations de maladie. Toutefois, quand elle a révisé la demande de prestations, elle a parlé à l’appelante des démarches que celle‑ci avait faites jusqu’en 2014Note de bas de page 2. L’appelante affirme que ces démarches visaient le nombre insuffisant d’heures d’emploi assurable.

[17] Dans son rapport de décision, la Commission précise que l’appelante était en contact avec elle de 2013 à 2014 au sujet d’un manque d’heures d’emploi assurable dans le cadre d’une demande de prestations précédenteNote de bas de page 3.

[18] Dans son rapport de décision, la Commission ajoute que l’appelante n’a pas fourni plus de renseignements médicaux pour la demande de prestations de maladieNote de bas de page 4.

[19] J’estime qu’il me faut examiner la décision sur les prestations de maladie ainsi que la décision sur la demande de prestations que l’appelante a présentée en mars 2012, celle qui a été rejetée parce qu’elle n’avait pas accumulé un nombre d’heures suffisant. 

[20] J’en arrive à cette conclusion parce que, de toute évidence, l’appelante a demandé la révision des deux questions dans sa demande de révision. Je conclus aussi que la lettre estampillée en 2014 a un lien avec la question de savoir si l’appelante a accumulé assez d’heures de travail pour remplir les conditions requises, car elle provient de la Division des appels en matière d’assurance-emploi de l’Agence du revenu du Canada, ce qui appuie l’idée qu’elle est liée à une demande d’assurance-emploi, et l’Agence est responsable de déterminer les heures d’emploi.

[21] Je remarque que, dans son rapport de décision, la Commission mentionne aussi que l’appelante a été en contact avec elle en 2013 et en 2014 pour discuter des heures qu’il lui manquait pour une demande de prestations précédente. Cet élément appuie aussi le fait que la lettre de 2014 se rapporte à cette question.

[22] J’estime également qu’il est évident que la Commission s’est penchée sur les deux décisions (celle sur le nombre d’heures insuffisant et celle sur les prestations de maladie), car durant sa révision, elle a examiné la lettre de 2014, les prestations de maladie et les démarches que l’appelante a faites pour communiquer avec elle au sujet du nombre d’heures insuffisant. En conséquence, sa décision de révision vise les deux décisions.

[23] Comme mon pouvoir découle de la décision de révisionNote de bas de page 5, que la Commission s’est penchée sur les deux décisions et que sa décision de révision aborde les deux décisions, j’ai la compétence nécessaire pour examiner les deux décisions.

Date de communication des décisions

[24] La Cour d’appel fédérale a affirmé que la décideuse, c’est-à-dire la Commission, a la responsabilité de prouver que sa décision a été communiquée à l’appelanteNote de bas de page 6.

[25] La communication d’une décision ne se résume pas au simple fait de dire à une personne qu’une décision a été prise au sujet de quelque chose.

[26] La communication d’une décision exige que l’appelante connaisse le contenu de la décision et ses conséquencesNote de bas de page 7.

[27] L’appelante affirme qu’elle était au courant de la décision à l’origine des prestations de maladie qu’elle a touchées en octobre 2012.

[28] Je juge que la lettre de décision sur les prestations de maladie, qui est datée du 27 septembre 2012, lui a été communiquée au plus tard le 8 octobre 2012, car j’estime qu’il est raisonnable de compter 10 jours pour la livraison par la poste. Le fait que, durant son témoignage, l’appelante a dit avoir pris connaissance en octobre 2012 de la décision sur ses prestations de maladie confirme que le 8 octobre 2012 est une date raisonnable.

[29] Quant à la décision concernant la demande de prestations qu’elle a présentée en mars 2012, celle qui selon ses dires a été rejetée parce que le nombre d’heures de travail assurable était insuffisant, l’appelante affirme avoir reçu une décision à ce sujet en janvier 2014, mais avoir continué à téléphoner à la Commission pour voir si quelque chose avait changé jusqu’à la fin de 2016.

[30] L’appelante explique qu’elle a reçu la lettre estampillée le 14 janvier 2014Note de bas de page 8. La lettre lui demandait d’appeler quelqu’un. C’est ce qu’elle a fait. Elle a discuté avec cette personne des heures qui, selon elle, n’étaient pas inscrites pour l’un de ses employeurs et elle a appris que la seule option qui restait à ce moment‑là était de porter la question en appel devant un tribunal. L’appelante explique qu’elle a refusé d’assister à une audience où le Tribunal se pencherait sur cette question. On lui a dit qu’elle devrait attendre pour voir si la Commission approuverait quand même sa demande de prestations.

[31] L’appelante raconte qu’à partir de ce moment-là, elle téléphonait de temps à autre à la Commission pour vérifier l’état de sa demande de prestations, mais on lui disait toujours que rien ne bougeait. Elle dit avoir fait cela jusqu’à la fin de 2016, puis elle a cessé d’appeler parce qu’elle recevait des prestations d’invalidité et n’avait donc plus d’intérêt pour l’assurance-emploi.

[32] Selon moi, la lettre du 14 janvier 2014 montre que l’appelante traitait alors avec l’Agence du revenu du Canada, et non avec le régime d’assurance-emploi.

[33] Toutefois, comme la question des heures accumulées par l’appelante ne semblait toujours pas réglée, du moins jusqu’à ce qu’elle refuse d’aller plus loin en rejetant l’idée d’aller devant un tribunal, et comme le rapport de décision montre que l’appelante était en contact avec la Commission jusqu’en 2014 au sujet de ses heures manquantes, je juge que l’appelante n’a pas reçu communication de la décision sur le nombre d’heures insuffisant avant la fin de janvier 2014.

[34] À compter de la date où elle a reçu communication des décisions, l’appelante avait seulement 30 jours pour déposer une demande de révision.

[35] La Commission a reçu sa demande de révision le 24 octobre 2022, c’est­‑à‑dire longtemps après la fin du délai prévu (30 jours après la réception de chaque décision).

[36] Ainsi, sa demande de révision n’est pas simplement en retard, elle est plusieurs années en retard.

La Commission a-t-elle agi de façon judiciaire en refusant de donner plus de temps à l’appelante pour qu’elle puisse déposer une demande de révision?

[37] Comme la demande de révision de l’appelante est en retard, c’est à la Commission de décider si elle veut lui donner plus que 30 jours pour qu’elle présente sa demande de révision.

[38] En ce qui concerne les demandes de révision, la décision de la Commission d’accorder ou non un délai supplémentaire est discrétionnaireNote de bas de page 9. Autrement dit, c’est à la Commission de voir si elle veut le faire, ce n’est pas quelque chose qu’elle doit faire.

[39] La Commission a décidé qu’elle ne donnerait pas plus de temps à l’appelante pour déposer une demande de révision.

[40] Même si l’appelante n’est pas d’accord avec la décision de la Commission, je ne peux pas modifier une décision discrétionnaire à moins qu’elle ait été rendue de façon non judiciaire.

[41] Une décision discrétionnaire est rendue « judiciairement » quand la personne qui décide (ici, la Commission) n’a pas agi de mauvaise foi ni dans un but ou pour un motif irrégulier, qu’elle n’a pas pris en compte un élément non pertinent ni ignoré un élément pertinent et qu’elle n’a pas agi de façon discriminatoire. Les décisions discrétionnaires qui ne sont pas rendues « judiciairement » doivent être annuléesNote de bas de page 10.

[42] Je juge que la Commission n’a pas agi de façon judiciaire, car elle n’a pas tenu compte de tous les éléments pertinents. Elle n’a pas considéré que, même après 2014, l’appelante essayait toujours de lui téléphoner pour vérifier l’état de son dossier.

[43] Les appels téléphoniques de l’appelante à la Commission sont pertinents, car l’une des choses dont il faut tenir compte pour savoir si l’appelante devrait obtenir plus de temps pour demander une révision est si elle avait l’intention constante de demander la révision. Ainsi, les efforts qu’elle a faits pour communiquer avec la Commission témoignent d’une telle intention.

[44] Comme la Commission n’a pas rendu sa décision de façon judiciaire, car elle n’a pas tenu compte de tous les éléments pertinents, je vais rendre la décision qu’elle aurait dû rendreNote de bas de page 11.

La décision que la Commission aurait dû rendre

[45] La loi prévoit que, si la demande de révision est présentée plus de 30 jours après la date où l’appelante a reçu communication de la décision, il faut d’abord prendre deux choses en considération pour savoir s’il est possible de prolonger le délai, qui est normalement de 30 jours, pour faire la demande. Voici les deux questions à se poser en premier :

  • Existe-t-il une explication raisonnable qui appuie la demande de prolongation du délai pour présenter la demande de révision?
  • L’appelante a-t-elle manifesté l’intention constante de demander la révisionNote de bas de page 12?

[46] Toutefois, si l’appelante a présenté sa demande plus de 365 jours après la date où elle a reçu communication de la décision, il faut alors tenir compte de deux autres éléments, que voici :

  • La demande de révision a-t-elle une chance raisonnable de succès?
  • L’autorisation du délai supplémentaire pour faire une demande de révision porterait-elle préjudice à la Commission ou à une autre partieNote de bas de page 13?

[47] Je conclus que je dois tenir compte des quatre éléments, car l’appelante a présenté sa demande de révision huit ans après avoir reçu communication de la dernière décisionNote de bas de page 14.

Explication raisonnable justifiant le retard

[48] L’appelante n’a pas expliqué son retard de façon raisonnable.

[49] J’admets que l’appelante a continué à essayer de communiquer avec la Commission jusqu’à la fin de 2016 pour savoir ce qui se passait avec sa demande de prestations. Mais de 2017 à 2022, elle affirme n’avoir fait aucune démarche pour communiquer avec la Commission au sujet de ses demandes. Elle explique qu’en 2017, quand elle s’est mise à recevoir des prestations d’invalidité, elle n’était plus intéressée par l’assurance-emploi.

[50] J’admets que l’appelante composait avec des problèmes de santé, des problèmes personnels et des problèmes familiaux et qu’elle avait aussi des problèmes financiers et tous les problèmes qui en découlent, comme trouver un endroit où vivre et se payer le nécessaire, mais je juge qu’elle n’a fourni aucune explication raisonnable qui dit pourquoi, pendant toute la période allant de 2017 à octobre 2022, elle n’a pas été en mesure de téléphoner à la Commission, de faire une demande de révision ou de se présenter dans un Centre Service Canada pour s’occuper de ses demandes de prestations.

[51] Le fait qu’elle a dit s’être rendue dans un Centre Service Canada en 2017 pour régler une autre questionNote de bas de page 15 et avoir réussi à demander des prestations d’invalidité confirme qu’elle aurait pu communiquer d’une façon quelconque avec la Commission pour s’occuper de ces demandes plus tôt, mais elle a tout simplement choisi de ne pas le faire.

Intention constante de demander une révision

[52] L’appelante n’a pas manifesté l’intention constante de demander une révision.

[53] Je peux accepter que l’appelante ait continué à téléphoner à la Commission jusqu’à la fin de 2016 pour voir ce qui se passait avec son dossier. Mais je juge que deux choses montrent que son intention de demander une révision n’était pas constante : elle n’a fait aucune démarche de 2017 à 2022 et elle a dit qu’elle ne pensait plus à l’assurance-emploi et ne souhaitait plus en recevoir parce qu’elle touchait des prestations d’invalidité.

[54] L’appelante affirme avoir déposé une demande de révision seulement parce qu’elle a appris qu’elle recevrait moins d’argent du Régime de pensions du Canada que ce qu’elle pensait toucher en raison de la récupération de ses prestations d’invalidité. Elle a donc décidé de vérifier ce qui se passait du côté de sa demande d’assurance-emploi, car il pouvait s’agir d’une autre source d’argent.

[55] J’estime que cette explication appuie davantage le fait qu’elle n’avait pas l’intention constante de demander une révision et que son intention s’est plutôt formée quand elle s’est mise à chercher d’autres sources de revenu après s’être rendu compte que sa pension serait plus petite que ce qu’elle pensait.

Chance raisonnable de succès

[56] Je juge que l’appelante n’aurait aucune chance raisonnable de succès pour les deux questions.

[57] Rien ne prouve qu’elle aurait droit à d’autres prestations de maladie. Rien ne prouve non plus qu’elle a accumulé assez d’heures pour remplir les conditions requises en 2012, car elle a dit qu’il lui manquait sept heures et qu’elle n’avait jamais pu convaincre son employeur de les lui donner.

[58] Le fait qu’elle semble avoir épuisé toutes les voies de recours offertes par l’Agence du revenu du Canada pour trouver les heures manquantes, sans succès apparent, appuie davantage le fait que sa demande de révision n’a aucune chance raisonnable de succès.

Préjudice causé à une partie

[59] J’estime qu’accorder plus de temps pour une révision causerait un préjudice à la Commission.

[60] Je juge qu’il y aurait préjudice, car la Commission aurait beaucoup de difficultés à vérifier le nombre d’heures auprès d’un employeur qui n’est peut-être plus en activité ou dont les dossiers remontant à 2012 ou à plus loin n’existent peut-être plus. De telles vérifications seraient nécessaires pour confirmer les heures de travail de l’appelante.

Résumé

[61] En bref, l’appelante a présenté sa demande de révision en retard, car elle l’a déposée plus de 30 jours après avoir reçu communication des décisions.

[62] Lorsqu’elle a décidé de ne pas donner à l’appelante une prolongation du délai de 30 jours pour qu’elle puisse faire une demande de révision, la Commission n’a pas agi de façon judiciaire parce qu’elle a ignoré certains éléments pertinents.

[63] Par conséquent, j’annule sa décision et je rends celle qu’elle aurait dû rendre.

[64] Lorsque je prends en considération les quatre éléments prévus par la loi pour autoriser la prolongation du délai de 30 jours pour déposer une demande de révision, je constate que l’appelante n’en remplit aucun.

[65] Par conséquent, je ne peux pas lui donner plus de temps que le délai de 30 jours pour déposer une demande de révision. Ainsi, la Commission n’a pas besoin de réviser ses décisions initiales.

Conclusion

[66] L’appel est rejeté.

[67] Je conclus que l’appelante a présenté sa demande de révision après le délai de 30 jours prévu pour faire une telle demande.

[68] Je conclus aussi que, quand la Commission a refusé de donner à l’appelante un délai supplémentaire pour qu’elle présente sa demande de révision, elle n’a pas pris sa décision de façon judiciaire, car elle n’a pas tenu compte de tous les éléments pertinents.

[69] Ainsi, je rends la décision que la Commission aurait dû rendre : je conclus que l’appelante ne remplit pas les critères prévus par la loi et ne peut donc pas obtenir la prolongation du délai de 30 jours pour présenter une demande de révision.

[70] Par conséquent, la Commission n’a pas à réviser ses décisions initiales.

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