Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JW c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1726

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelante : J. W.
Intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (464406) datée du 25 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Catherine Shaw
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 27 septembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 25 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1991

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal est en désaccord avec la prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Cela signifie qu’elle est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] La prestataire a perdu son emploi. Son employeur affirme qu’elle a été congédiée parce qu’elle est allée à l’encontre de sa politique de vaccination : elle ne s’est pas fait vacciner.

[4] Même si la prestataire ne conteste pas que cela s’est produit, elle affirme qu’aller à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite. Elle ne pouvait pas être vaccinée en raison de ses croyances religieuses. Elle a demandé une exemption pour motifs religieux, mais la politique de l’employeur n’offrait pas d’exemption pour de tels motifs.

[5] La Commission a accepté le motif du congédiement de l’employeur. Elle a décidé que la prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

Questions que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas une partie au présent appel

[6] Le Tribunal a désigné l’ancien employeur de la prestataire comme mis en cause éventuel dans l’appel de la prestataire. Il a donc envoyé une lettre à l’employeur pour lui demander s’il avait un intérêt direct dans l’appel et s’il souhaitait être mis en cause. L’employeur n’a pas répondu avant la date de la présente décision. Comme rien dans le dossier n’indique que l’employeur a un intérêt direct dans l’appel, j’ai décidé de ne pas le mettre en cause dans le présent appel.

J’ai accepté le document produit après l’audience par la prestataire

[7] À l’audience, la prestataire a déclaré qu’elle avait été congédiée. Elle a fourni sa lettre de licenciement après l’audience. J’ai accepté ce document en preuve parce qu’il est pertinent en ce qui concerne la cessation d’emploi de la prestataire.

Question en litige

[8] La prestataire a‑t‑elle perdu son emploi en raison de son inconduite?

Analyse

[9] Selon la loi, le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance‑emploi s’il perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique lorsque l’employeur a congédié ou suspendu le prestataireNote de bas de page 2.

[10] Pour décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois trancher deux questions. D’abord, je dois établir pourquoi la prestataire a perdu son emploi. Je dois ensuite décider si ce motif constitue une inconduite selon la loi.

Pourquoi la prestataire a‑t‑elle perdu son emploi?

[11] Les deux parties conviennent que la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle est allée à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur : elle ne s’est pas fait vacciner contre la COVID-19. Rien ne prouve le contraire, de sorte que j’accepte ce fait.

La raison du congédiement de la prestataire est‑elle une inconduite au sens de la loi?

[12] Le motif du congédiement de la prestataire est une inconduite au sens de la loi.

[13] La Loi sur l’assurance-emploi (Loi) ne précise pas ce que signifie une inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des tribunaux administratifs et judiciaires) nous montre comment établir si le congédiement de la prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. Elle énonce le critère juridique applicable à l’inconduite, à savoir les questions et les critères à prendre en considération dans l’examen de la question de l’inconduite.

[14] Selon la jurisprudence, pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 3. L’inconduite doit aussi être une conduite si insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 4. La prestataire n’a pas à avoir une intention coupable (autrement dit, elle n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loiNote de bas de page 5.

[15] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas de page 6.

[16] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 7.

[17] J’ai le pouvoir de trancher seulement les questions qui sont prévues dans la Loi. Je ne peux rendre aucune décision quant à savoir si la prestataire a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la question de savoir si la prestataire a été congédiée à tort ou si l’employeur aurait dû adopter des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à l’égard de la prestataireNote de bas de page 8. Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que la prestataire a fait ou a omis de faire constitue une inconduite au sens de la Loi.

[18] La Cour d’appel fédérale (CAF) s’est prononcée dans l’affaire intitulée Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 9. M. McNamara a été congédié en application de la politique de dépistage de drogues de son employeur. Il a soutenu qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que le test de dépistage de drogues n’était pas justifié dans les circonstances, notamment qu’il n’existait aucun motif raisonnable de penser qu’il n’était pas en mesure de travailler en toute sécurité en raison de sa consommation de drogues et qu’il aurait dû être couvert par le test qu’il avait passé précédemment. Essentiellement, M. McNamara a soutenu qu’il devrait toucher des prestations d’assurance‑emploi parce que les mesures prises par son employeur concernant son congédiement étaient inacceptables.  

[19] En réponse aux arguments de M. McNamara, la CAF a déclaré que, selon une jurisprudence de la Cour, dans les cas d’inconduite, la question « [n’est pas] de dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt […] de dire si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi ». La Cour a poursuivi en soulignant que, dans l’interprétation et l’application de la Loi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a indiqué que l’employé qui fait l’objet d’un congédiement injustifié « a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance‑emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[20] La décision plus récente intitulée Paradis c Canada (Procureur général) suit l’affaire McNamaraNote de bas de page 10. Comme M. McNamara, M. Paradis a été congédié après avoir eu un résultat positif à un test de dépistage de drogues. M. Paradis a fait valoir qu’il avait été congédié à tort, que les résultats des tests indiquaient qu’il n’avait pas les facultés affaiblies au travail et que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et à la législation provinciale sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est fondée sur l’arrêt McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent pour trancher la question de l’inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 11.

[21] Une autre décision semblable a été rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Mishibinijima c Canada (Procureur général)Note de bas de page 12. M. Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool.  Il a soutenu que, comme la dépendance à l’alcool a été reconnue comme une déficience, son employeur était tenu de lui offrir des mesures d’adaptation. La Cour a encore affirmé que l’accent est mis sur ce que l’employé a fait ou non, et que le fait que l’employeur n’a pas pris de mesures pour aider son employé n’est pas une question pertinenteNote de bas de page 13.

[22] Ces affaires ne portent pas sur des politiques de vaccination contre la COVID-19. Cependant, les principes établis dans ces affaires demeurent pertinents. Il ne m’appartient pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur et de décider s’il a eu raison de congédier la prestataire. Je dois plutôt concentrer mon examen sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi. 

[23] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination;
  • l’employeur a informé la prestataire en des termes clairs de ses attentes concernant la vaccination;
  • l’employeur a parlé à plusieurs reprises à la prestataire pour lui faire part de ses attentes;
  • la prestataire savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait si elle ne respectait pas la politique.

[24] La prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce qu’elle n’a pas pu se faire vacciner en raison de ses croyances religieuses. Elle a, à plusieurs reprises, posé des questions à l’employeur au sujet de l’obtention d’une exemption pour motifs religieux, mais les communications de l’employeur n’étaient pas claires quant à savoir si la politique s’appliquerait à son égard et si une exemption lui serait offerte.

[25] La prestataire travaillait comme professionnelle de la garde d’enfants. Le 5 octobre 2021, le gouvernement provincial a pris un décret de santé publique exigeant que les employés des « établissements de services de garde » fournissent une preuve de vaccination complète.

[26] La prestataire a déclaré que son employeur avait communiqué cette directive aux membres du personnel, mais qu’il n’était pas certain que le décret de santé publique (le décret) s’appliquerait à leur égard. Elle a parlé au représentant des ressources humaines (RH) de l’employeur et s’est fait dire que s’ils étaient visés par le décret, elle risquerait d’être licenciée si elle n’était pas vaccinée.

[27] Le 22 octobre 2021, la prestataire a pris un congé pour stress de quatre semaines en raison, en partie, de la pression qu’elle ressentait au sujet de l’obligation de se faire vacciner.

[28] Le 25 octobre 2021, l’employeur a mis en place sa propre politique exigeant que les employés soient entièrement vaccinés contre la COVID-19 ou obtiennent une exemption pour des raisons médicales au plus tard le 26 octobre 2021Note de bas de page 14. La prestataire n’a pas reçu ce courriel parce qu’elle était en congé. Toutefois, sa collègue lui a transmis le courriel le 27 octobre 2021. La prestataire a donc été avisée de la politique de l’employeur à cette date.

[29] Le représentant des RH a également appelé la prestataire le 27 octobre 2021 pour lui parler de la politique. Elle lui a demandé une exemption pour motifs religieux et il lui a dit qu’il lui en accorderait une s’il le pouvait, mais que [sic]

[30] Selon la politique de vaccination de l’employeur, les membres du personnel peuvent demander une exemption pour des raisons médicales par l’entremise du Bureau de santé provincial (BSP). Les employés qui ne sont pas au moins partiellement vaccinés ne seront pas autorisés à travailler à compter du 26 octobre 2021. De plus, les employés qui retournent au travail après un congé devraient se conformer à la politique à la date de leur retourNote de bas de page 15. 

[31] La prestataire a présenté une demande d’exemption pour des raisons médicales au BSP peu après l’annonce de la politique de l’employeur. Le BSP a toutefois rejeté sa demande.

[32] La prestataire devait retourner au travail le 22 novembre 2021. Le 17 novembre 2021, le représentant des RH a communiqué avec elle par courriel pour lui rappeler qu’elle aurait besoin de sa preuve de vaccination ou de son exemption pour des raisons médicales au plus tard à cette date.

[33] En réponse à cette communication du représentant des RH, la prestataire a demandé une exemption pour motifs religieux à l’obligation de vaccination. Le représentant des RH déclare cependant qu’il ne peut pas examiner sa demande d’exemption pour motifs religieux. Les exemptions ne peuvent être accordées que par le BSP ou un médecin-hygiéniste. Il affirme que si elle n’est pas vaccinée au plus tard le 22 novembre 2021 et qu’elle n’a pas l’intention de l’être, elle sera [traduction] « licenciée immédiatement »Note de bas de page 16.

[34] La prestataire affirme qu’on lui a refusé la possibilité de demander une exemption pour motifs religieux. Lorsqu’elle a parlé au représentant des RH le 27 octobre 2021, ce dernier a dit qu’il lui accorderait une exemption pour motifs religieux si c’était à lui de décider. Mais il a ensuite refusé d’examiner sa demande d’exemption pour motifs religieux à la politique.

[35] Je ne trouve pas cet argument convaincant. Je comprends que le représentant des RH a dit qu’il accorderait à la prestataire une exemption pour motifs religieux s’il le pouvait, mais la politique de l’employeur prescrit en des termes clairs que seules des exemptions pour raisons médicales peuvent être accordées. La politique précise également que les exemptions doivent être demandées au BSP. Le représentant des RH n’a donc pas été en mesure de demander une exemption pour des motifs religieux, car la politique de l’employeur ne comportait aucune disposition prévoyant des exemptions pour ce motif.

[36] La prestataire connaissait les dispositions de la politique de l’employeur se rapportant aux exemptions. Elle a demandé une exemption au BSP peu après l’entrée en vigueur de la politique. Ce dernier a rejeté sa demande d’exemption. J’en déduis que la prestataire savait qu’elle n’était pas exemptée des exigences de la politique de vaccination de l’employeur.

[37] La prestataire savait ce qu’elle devait faire conformément à la politique de vaccination et ce qui se passerait si elle ne s’y conformait pas. L’employeur a informé la prestataire des exigences de la politique et des conséquences d’une décision de ne pas s’y conformer le 27 octobre et les 17 et 19 novembre 2021.

[38] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination suivant laquelle elle devait être entièrement vaccinée ou avoir une exemption pour raisons médicales;
  • l’employeur a dit à la prestataire en des termes clairs ce qu’il attendait de ses employés en matière de vaccination;
  • l’employeur a parlé à plusieurs reprises à la prestataire pour lui faire part de ses attentes;
  • la prestataire connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.

Par conséquent, la prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[39] Compte tenu des conclusions que j’ai tirées précédemment, j’estime que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[40] Cela s’explique par le fait que les actes de la prestataire ont mené à son congédiement. Elle a agi délibérément. Elle savait qu’elle risquait de perdre son emploi si elle refusait de se faire vacciner.

Conclusion

[41] La Commission a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Pour cette raison, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance‑emploi.

[42] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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