Assurance-emploi (AE)

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Citation : CC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1786

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. C.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (485469) datée du 20 mai 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Normand Morin
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 18 octobre 2022
Personne présente à l’audience : L’appelant
Date de la décision : Le 10 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2068

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Je conclus que la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, en décidant de vérifier et de réexaminer la demande de prestations d’assurance-emploi de l’appelantNote de bas de page 1. La Commission ne pouvait donc pas déterminer, rétroactivement, que l’appelant n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[2] En septembre 2019, l’appelant entreprend une formation à temps plein à l’Université X de X menant à l’obtention d’un baccalauréat en développement international. Il a effectué sa session d’hiver 2021, du 7 janvier au 30 avril, sa session d’automne 2021, du 1er septembre au 20 décembre et sa session d’hiver 2022, du 5 janvier au 15 avrilNote de bas de page 2. À l’automne 2022, il a poursuivi sa formation, à temps plein, à la même institution et dans le même programme d’études.

[3] Du 17 juin 2020 au 22 janvier 2021, l’appelant a travaillé comme animateur pour l’employeur X et a cessé de travailler pour cet employeur en raison d’un manque de travailNote de bas de page 3.

[4] Le 17 janvier 2021, il présente une demande initiale de prestations d’assurance-emploi (prestations régulières)Note de bas de page 4. Une période de prestations a été établie à compter du 17 janvier 2021Note de bas de page 5.

[5] Le 14 août 2021, il présente une demande de renouvellement de sa période de prestationsNote de bas de page 6. Sa période de prestations a été renouvelée à compter du 8 août 2021Note de bas de page 7.

[6] Le 10 janvier 2022, il présente une autre demande de renouvellement de sa période de prestationsNote de bas de page 8. Sa période de prestations a été renouvelée à compter du 26 décembre 2021Note de bas de page 9.

[7] Le 28 mars 2022, la Commission l’informe qu’elle ne peut pas lui verser de prestations d’assurance-emploi à partir du 17 janvier 2021, car il suit une formation de sa propre initiative et n’a pas démontré qu’il était disponible à travaillerNote de bas de page 10.

[8] Le 20 mai 2022, à la suite d’une demande de révision, la Commission l’avise que la décision rendue à son endroit en date du 28 mars 2022 a été remplacée par une nouvelle décision. Elle lui précise que selon cette nouvelle décision, elle ne peut pas lui payer de prestations pour les périodes du 18 janvier 2021 au 30 avril 2021, du 1er septembre 2021 au 20 décembre 2021 et à compter du 21 décembre 2021, car il ne démontre pas qu’il est disponible à travailler durant sa formationNote de bas de page 11.

[9] L’appelant explique que suivant la fin de son emploi chez X, le 17 janvier 2021, il a consulté le site Internet de la Commission (Service Canada) pour vérifier s’il pouvait être admissible au bénéfice des prestations. Il précise avoir communiqué avec la Commission vers la mi-janvier 2021 et avoir rempli sa demande de prestations avec l’aide d’un représentant de celle-ci. L’appelant explique que lorsqu’il a rempli sa demande, il a déclaré qu’il suivait une formation, qu’il y consacrait 25 heures par semaine et qu’il était disponible à travailler. Il fait valoir que le représentant de la Commission ne lui a jamais indiqué qu’il ne pourrait pas recevoir de prestations, étant donné les réponses qu’il avait fournies sur sa formation ni que sa demande allait être traitée par un système informatique en raison de la pandémie de COVID-19Note de bas de page 12. L’appelant explique qu’après avoir perdu son emploi au X (X) en août 2021, il a effectué les mêmes étapes qu’en janvier 2021 pour demander des prestations. Il précise avoir répondu aux mêmes questions qu’en janvier 2021 concernant sa formation et avoir obtenu les mêmes réponses de la part de la Commission. L’appelant mentionne avoir reçu des prestations pour les périodes de janvier 2021 à avril 2021 et de septembre 2021 jusqu’à la fin de décembre 2021. Il explique que c’est après avoir présenté une demande renouvelée de prestations en janvier 2022, qu’il a appris qu’il n’avait pas le droit d’en recevoir, et ce, depuis la présentation de sa demande en janvier 2021. L’appelant fait valoir qu’il a toujours déclaré qu’il étudiait à temps plein, qu’il a répondu correctement aux questions qui lui étaient posées en lien avec sa formation et que des prestations lui ont été versées. Il soutient que la Commission a commis une erreur dans l’analyse et le traitement de son dossier. L’appelant dit trouver injuste de devoir rembourser la somme d’argent que lui réclame la Commission pour des prestations versées en trop, étant donné les erreurs administratives qu’elle a commises. Il affirme ne pas avoir les moyens d’acquitter la somme d’argent qui lui est réclamée. Le 17 juin 2022, l’appelant conteste la décision en révision de la Commission. Cette décision fait l’objet de son recours devant le Tribunal.

Questions préliminaires

[10] Dans le présent dossier, l’appelant explique qu’il conteste principalement le fait qu’il doive rembourser la somme d’argent représentant les prestations qui lui ont été versées en trop, alors qu’il a déclaré qu’il suivait une formation à temps plein et les heures qu’il y consacraitNote de bas de page 13. Il soutient que la décision de la Commission selon laquelle il ne peut recevoir de prestations doit être renversée, étant donné les erreurs qu’elle a commises dans l’analyse et le traitement de son dossierNote de bas de page 14.

[11] De son côté, la Commission soutient qu’en vertu de l’article 153.161(2) de la Loi, elle peut imposer à un prestataire une inadmissibilité au bénéfice des prestations d’assurance-emploi de façon rétroactiveNote de bas de page 15. Elle précise qu’en vertu de cet article, elle peut vérifier, à tout moment après le versement des prestations, si le prestataire était bien admissible aux prestations en exigeant la preuve qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestationsNote de bas de page 16.

[12] La Commission spécifie que le trop-payé en prestations au dossier de l’appelant découle exclusivement de l’imposition rétroactive de l’inadmissibilité de non-disponibilité qui lui a été imposée en vertu de l’article 153.161(2) de la LoiNote de bas de page 17.

[13] Je vais donc effectuer mon analyse et rendre ma décision en tenant compte de cette situation.

Questions en litige

[14] Je dois déterminer si la Commission avait le pouvoir de décider, de façon rétroactive, si l’appelant était admissible au bénéfice des prestations et le cas échéant, déterminer si elle a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, en décidant de vérifier et de réexaminer la demande de prestations de ce dernierNote de bas de page 18.

[15] Si tel est le cas, je dois également déterminer si au cours de la période du 18 janvier 2021 au 30 avril 2021 et à compter du 1er septembre 2021, pendant sa formation, l’appelant démontre sa disponibilité à travaillerNote de bas de page 19.

[16] Je dois également déterminer si les prestations versées en trop à l’appelant, qui lui sont réclamées par la Commission, doivent être rembourséesNote de bas de page 20.

Analyse

Exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission dans sa décision de vérifier et de réexaminer une demande de prestations

Question no 1 : La Commission avait-elle le pouvoir de vérifier et d’examiner rétroactivement la demande de prestations de l’appelant?

[17] Concernant le « nouvel examen » d’une demande de prestations, la Loi prévoit que la Commission dispose d’un délai de 36 mois pour réexaminer toute demande au sujet de prestations payées ou payables à un prestataire, et que ce délai est de 72 mois si elle estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestationsNote de bas de page 21.

[18] Si la Commission décide qu’une personne a reçu une somme d’argent en prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible, elle calcule la somme payée et notifie sa décision au prestataireNote de bas de page 22.

[19] En raison de la pandémie de COVID-19, des modifications ont été apportées à la Loi pour faciliter l’accès aux prestations avec la mise en œuvre de « mesures temporaires ».

[20] L’article 153.161 de la partie VIII.5 de la Loi représente une de ces modifications. Cet article a été en vigueur du 27 septembre 2020 au 25 septembre 2021.

[21] Cet article permet à la Commission de vérifier, à tout moment, après le versement des prestations, que le prestataire y est admissible en exigeant la preuve qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestationsNote de bas de page 23.

[22] Dans l’une de ses décisions, la Division d’appel du Tribunal (la Division d’appel) a déterminé que la Division générale du Tribunal (la Division générale) ne pouvait refuser d’exercer sa compétence afin de déterminer si la Commission avait le pouvoir de juger le prestataire inadmissible aux prestations de façon rétroactiveNote de bas de page 24.

[23] Dans une autre de ses décisions, la Division d’appel a conclu qu’il y avait lieu de retourner un dossier à la Division générale afin que celle-ci tranche la question visant à déterminer si la Commission avait le pouvoir de déclarer qu’une prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations, de façon rétroactiveNote de bas de page 25. Dans cette décision, la Division d’appel a précisé que si la Division générale conclut que la Commission avait ce pouvoir, elle doit aussi déterminer si celle-ci l’a exercé de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer la demande de prestations de la prestataireNote de bas de page 26.

[24] Dans le cas présent, l’appelant a présenté une demande initiale de prestations le 17 janvier 2021 et une période de prestations a été établie à compter du 17 janvier 2021 égalementNote de bas de page 27. Il a présenté une demande de renouvellement de ses prestations le 14 août 2021 et sa demande a été renouvelée le 8 août 2021Note de bas de page 28.

[25] L’appelant a reçu des prestations au cours de la période échelonnée du 17 janvier 2021 au 25 décembre 2021Note de bas de page 29.

[26] Il n’a pas reçu de prestations à la suite de la présentation de sa demande renouvelée de prestations le 10 janvier 2022.

[27] Le 28 mars 2022, la Commission l’a informé de la décision rendue à son endroit sur la question de la disponibilité à travaillerNote de bas de page 30.

[28] La Commission fait valoir les éléments suivants :

  1. a) L’article 153.161 de la partie VIII.5 de la Loi a fait en sorte d’apporter une modification à la Loi concernant la disponibilité à travailler d’un prestataire suivant un cours de formationNote de bas de page 31 ;
  2. b) En vertu de l’article 153.161(1) de la Loi, un prestataire suivant une formation de sa propre initiative est inadmissible au bénéfice des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestation pour lequel il ne peut prouver qu’il était capable de travailler et disponible à cette finNote de bas de page 32 ;
  3. c) L’article 153.161(2) de la Loi permet à la Commission d’imposer rétroactivement une telle inadmissibilité, et ce, à tout moment après le versement de prestationsNote de bas de page 33.

[29] Pour sa part, dans ses demandes de prestations présentées les 17 janvier 2021,14 août 2021 et 10 janvier 2022, de même que dans les questionnaires sur la formationNote de bas de page 34 qu’il a remplis les 30 avril 2021 et 7 janvier 2022, l’appelant indique suivre une formation à temps pleinNote de bas de page 35. Il précise consacrer 15-24 heures par semaine pour sa session d’hiver 2021Note de bas de page 36 et 25 heures ou plus par semaine pour ses sessions d’automne 2021 et d’hiver 2022Note de bas de page 37.

[30] Pour les sessions d’hiver 2021, d’automne 2021 et d’hiver 2022, il dit devoir obligatoirement suivre ses cours selon un horaire précis ou participer à des sessions (en personne, en ligne ou par téléphone)Note de bas de page 38. Il indique aussi que toutes les obligations de son cours se déroulent à l’extérieur de ses heures normales de travailNote de bas de page 39.

[31] Pour les trois sessions en cause, l’appelant déclare être disponible et capable de travailler dans le même genre d’emploi et dans les mêmes conditions ou de meilleures conditions (ex. heures de travail, genre de travail) qu’il l’était avant le début de son cours ou de son programmeNote de bas de page 40.

[32] Pour chacune de ces trois sessions, il indique avoir fait des efforts pour se trouver un emploi depuis le début de sa formation ou depuis qu’il est en chômageNote de bas de page 41. Il a transmis au Tribunal des documents indiquant ses démarches pour trouver du travailNote de bas de page 42.

[33] Pour ses sessions d’hiver 2021 et d’hiver 2022, l’appelant déclare que s’il obtenait un emploi à temps plein, mais que cet emploi entrait en conflit avec sa formation, il modifierait son horaire de cours pour accepter l’emploiNote de bas de page 43. Pour ce qui est de sa session d’automne 2021, il indique que s’il obtenait un emploi à temps plein, mais que cet emploi entrait en conflit avec sa formation, il finirait son coursNote de bas de page 44.

[34] L’appelant explique avoir communiqué avec la Commission en janvier 2021, avant de présenter sa demande de prestations pour donner des renseignements sur sa formation et le nombre d’heures qu’il y consacrait. Il a effectué la même démarche en août 2021, avant de présenter sa demande renouvelée de prestations le 14 août 2021.

[35] Il affirme que lorsqu’il a rempli ses déclarations du prestataire, il a toujours indiqué qu’il était aux études.

[36] Dans le cas présent, pour sa demande initiale de prestations présentée le 17 janvier 2021 et sa demande renouvelée de prestations du 14 août 2021, l’appelant était assujetti à la fois aux dispositions prévues à l’article 153.161(2) de la partie VIII.5 de la Loi, malgré la nature temporaire de cet article, de même qu’à celles de l’article 52 de la Loi.

[37] Je considère que la décision rendue par la Commission s’appuie sur les articles 52 et 153.161(2) de la Loi.

[38] J’estime que même si la Commission soutient s’être appuyée sur l’article 153.161(2) de la Loi pour rendre sa décisionNote de bas de page 45, les dispositions prévues à l’article 52 de la Loi continuent tout de même de s’appliquer malgré celles prévues à l’article 153.161(2) de la Loi.

[39] L’article 52 de la Loi démontre le pouvoir discrétionnaire que détient la Commission pour procéder au nouvel examen d’une demande de prestations.

[40] L’article 153.161(2) de la Loi donne à la Commission un pouvoir analogue à celui qu’elle détient en vertu de l’article 52(1) de la Loi. La seule différence entre ces deux articles est que selon les dispositions prévues à l’article 153.161(2) de la Loi, le pouvoir de la Commission n’est pas limité dans le temps, alors qu’il l’est dans le cas d’un réexamen en vertu de l’article 52(1) de la Loi.

[41] En effet, pour l’application de l’article 153.161(2) de la Loi, la Commission peut vérifier, à tout moment après le versement des prestations, que le prestataire est admissible aux prestationsNote de bas de page 46. Cet article démontre également le pouvoir discrétionnaire de la Commission de décider de vérifier une demande de prestations.

[42] Pour ce qui est de l’application de l’article 52 de la Loi, la Commission dispose dans ce cas d’un délai de 36 mois suivant le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, pour examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations ou de 72 mois si elle estime qu’une affirmation fausse ou trompeuse a été faiteNote de bas de page 47.

[43] Même si l’article 153.161(2) a une portée plus étendue dans le temps que l’article 52 de la Loi, il faut quand même se demander si la Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire de réexamen de façon conforme à la norme judiciaire.

[44] Pour rendre sa décision, la Commission a utilisé les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 153.161(2) de la Loi. À la suite de la vérification qu’elle a effectuée, la Commission a changé sa décision en déterminant que l’appelant n’était pas admissible au bénéfice des prestations. Elle a rendu une nouvelle décision conformément à la procédure prévue à l’article 52(2) de la Loi.

[45] Je souligne également que même si l’article 153.161(2) de la Loi prévoit que la Commission peut « vérifier à tout moment » après le versement des prestations, si un prestataire est admissible au bénéfice des prestations, cet article précise qu’elle peut le faire, mais « en exigeant la preuve » que celui-ci était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestationsNote de bas de page 48.

[46] J’estime que dans le cas de l’appelant, la Commission n’a pas vérifié l’admissibilité de ce dernier au bénéfice des prestations en fonction de l’article 153.161(2) de la Loi. La Commission n’a pas appliqué les dispositions de cet article à cet égard. La Commission n’a pas demandé à l’appelant de prouver son admissibilité à recevoir des prestations en fonction de l’article 153.161(2) de la Loi.

[47] Je considère qu’avant de rendre sa décision le 28 mars 2022Note de bas de page 49, soit plus d’un an après que l’appelant ait présenté sa demande de prestations, la Commission ne l’a pas informé des recherches qu’il devait faire pour démontrer sa disponibilité à travailler ou des preuves qu’il devait fournir à cet effet, avant de lui imposer une inadmissibilité au bénéfice des prestations, de façon rétroactive.

[48] Puisque j’ai établi que la Commission a fait le réexamen de la demande de prestations de l’appelant selon l’article 52 de la Loi, tout en s’étant prévalue des dispositions prévues à l’article 153.161(2) de la Loi, je dois maintenant déterminer si elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, lorsqu’elle a décidé de vérifier rétroactivement cette demande, d’en faire le réexamen et de changer sa décision.

Question no 2 : La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, lorsqu’elle a décidé de vérifier rétroactivement la demande de prestations de l’appelant, d’en faire le réexamen et de changer sa décision?

[49] La Cour d’appel fédérale (la Cour) a établi que les décisions discrétionnaires de la Commission ne peuvent être modifiées à moins qu’il soit démontré que cette dernière a « exercé son pouvoir discrétionnaire de manière non conforme à la norme judiciaire ou qu’elle a agi de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance »Note de bas de page 50.

[50] Il appartient à la Commission de démontrer qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. En d’autres termes, la Commission doit démontrer qu’elle a agi de bonne foi, tenu compte de tous les facteurs pertinents et laissé de côté ceux qui ne l’étaient pasNote de bas de page 51.

[51] Puisque le pouvoir de réexamen de la Commission est un pouvoir discrétionnaire, les décisions qu’elle rend ne peuvent être modifiées que si elle n’a pas exercé ce pouvoir d’une manière judiciaireNote de bas de page 52.

[52] La Cour a reconnu à diverses reprises que le fait pour la Commission de se doter de lignes directrices ou de guides en présence d’un pouvoir discrétionnaire permet de rendre ce pouvoir cohérentNote de bas de page 53.

[53] Le Guide de la détermination de l’admissibilité, un document produit par la Commission, énonce des conditions de réexamen permettant de déterminer si la Commission a pris en compte tous les facteurs pertinents dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[54] Ce document prévoit que la Commission procédera au réexamen d’une demande de prestations dans les cas suivants :

  • Il y a un moins-payé de prestations ;
  • Des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi ;
  • Des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse ;
  • Le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droitNote de bas de page 54.

Moins-payé de prestations

[55] Je considère que l’élément relatif au « moins-payé » de prestations ne s’applique pas au cas de l’appelant.

[56] En fonction des documents présentés par la Commission et des calculs qu’elle a effectués à la suite de la révision du dossier de l’appelant, celui-ci a reçu des prestations en trop pour une somme de 15 765,00 $ (trop-payé)Note de bas de page 55. Il n’est pas question d’un « moins-payé de prestations » dans le cas présent.

[57] Le Guide de la détermination de l’admissibilité précise que la Commission procède toujours au réexamen des demandes pour lesquelles le prestataire s’est vu refuser des prestations qui pourraient devenir payables à la suite d’un nouvel examenNote de bas de page 56.

[58] Dans le cas d’un trop-payé, la Commission peut réexaminer une demande de prestations, comme le prévoit la LoiNote de bas de page 57.

[59] Les dispositions prévues à l’article 52 de la Loi confirment le caractère discrétionnaire des décisions de la Commission portant sur le réexamen des périodes de prestations dans le délai qui lui est imparti.

[60] Les dispositions prévues à l’article 153.161 de la Loi confirment aussi le caractère discrétionnaire du pouvoir de la Commission de décider de vérifier une demande de prestations.

Des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi

[61] Je considère que l’établissement d’une période de prestations au profit de l’appelant et le versement de prestations a ce dernier ont été faits en conformité avec la « structure de la Loi », soit en fonction des éléments essentiels de la Loi.

[62] Bien que le Guide de la détermination de l’admissibilité indique qu’une « période de non-disponibilité » ne représente pas un élément faisant partie de la structure de la Loi, ce document précise que cet élément peut faire l’objet d’un nouvel examen s’il respecte l’une des conditions énoncées dans la politique prévue à cet effet (politique de réexamen la Commission)Note de bas de page 58.

[63] Je considère que la Commission n’a pas rendu une décision contraire à la structure de la Loi.

Des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse

[64] Lorsque des prestations ont été versées à la suite de déclarations fausses ou trompeuses, la Commission peut procéder à un nouvel examen de la demande de prestations.

[65] La Commission dispose d’un délai de 36 mois suivant le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables à un prestataire, pour examiner de nouveau, toute demande au sujet de ces prestationsNote de bas de page 59. Si la Commission estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, celle-ci bénéficie alors d’un délai de 72 mois pour réexaminer la demande, suivant la date à laquelle les prestations ont été payées ou sont devenues payablesNote de bas de page 60.

[66] La Commission explique ne reprocher aucune fausse déclaration à l’appelant et précise que celui-ci a effectivement déclaré sa formationNote de bas de page 61. Elle spécifie que le trop-payé à son dossier découle exclusivement de l’imposition rétroactive de l’inadmissibilité de non-disponibilité en application des dispositions prévues à l’article 153.161(2) de la LoiNote de bas de page 62.

[67] L’appelant fait valoir qu’il a répondu correctement aux questions qui lui ont été posées relativement à sa formation et à sa disponibilité à travaillerNote de bas de page 63.

[68] J’estime que le critère selon lequel des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse ne s’applique pas dans le cas de l’appelant. Je considère que l’appelant a tout le temps fait preuve d’honnêteté dans ses déclarations à la Commission, que ce soit dans ses demandes de prestations, en répondant aux questions sur sa formation et en remplissant ses déclarations du prestataire.

[69] Je considère que malgré cette situation, la Commission pouvait réexaminer ou vérifier la demande de prestations de l’appelant.

Le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit (conscient de l’inadmissibilité)

[70] Je considère que rien ne démontre que l’appelant aurait dû savoir qu’il n’avait pas droit aux prestations qui lui ont été versées et qu’il était ainsi « conscient » qu’il n’y était pas admissible.

[71] La Commission fait valoir les éléments suivants :

  1. a) Des « arrêtés provisoires » ont été émis par le gouvernement les 28 août 2020 et 25 septembre 2020 afin de faciliter la transition de la prestation d’assurance-emploi d’urgence vers le programme normal de l’assurance-emploiNote de bas de page 64 ;
  2. b) L’objectif des « arrêtés provisoires » avait pour but d’éviter des délais dans le versement des prestations. Des mesures ont été mises en place afin d’assurer qu’il n’y ait pas de délai dans le versement des prestations seulement parce que les prestataires ont déclaré une formation. Même si des prestations étaient versées, il n’en demeure pas moins que les prestataires suivant une formation non autorisée par une autorité désignée étaient toujours tenus par la Loi de démontrer qu’ils étaient capables et prêts à travaillerNote de bas de page 65 ;
  3. c) Bien que ces mesures aient permis à des milliers de prestataires de recevoir les prestations auxquelles ils étaient admissibles dans des délais raisonnables, il y a nécessairement eu des situations où des personnes, comme l’appelant, auront malheureusement été rendues inadmissibles aux prestations ultérieurementNote de bas de page 66 ;
  4. d) Même si les demandes incluant une formation étaient établies et que des prestations étaient versées, il n’en demeure pas moins que les prestataires suivant une formation non autorisée par une autorité désignée, étaient toujours tenus par la Loi de démontrer qu’ils étaient capables et prêts à travailler. L’article 153.161(2) de la partie VIII.5 de la Loi a justement été ajouté afin de permettre à la Commission d’imposer rétroactivement les inadmissibilitésNote de bas de page 67 ;
  5. e) Concernant l’argument de l’appelant selon lequel les « agents attitrés au service » ne lui ont pas indiqué qu’il n’avait pas droit aux prestations, la Commission précise que les agents du centre d’appel ou les agents de services aux citoyens n’ont pas le mandat ni les compétences pour rendre des décisions quant à la disponibilité des prestataires ou pour tout autre litige. Ils peuvent fournir des renseignements généraux ou apporter leur soutien pour une foule de formalités administratives, mais ils ne peuvent pas déterminer l’admissibilité aux prestationsNote de bas de page 68 ;
  6. f) Bien que l’appelant trouve injuste de devoir rembourser la somme d’argent représentant les prestations lui ayant été versées en trop (trop-payé) et qu’il n’a pas les moyens d’acquitter cette somme, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas démontré sa disponibilité à travailler pendant sa formation à temps plein. La Loi doit être appliquée sans distinction afin d’être juste et impartiale envers l’ensemble des prestatairesNote de bas de page 69 ;
  7. g) Ni la Commission ni le Tribunal n’ont la compétence pour statuer sur l’obligation de rembourser des prestations. La responsabilité de l’appelant à l’égard du remboursement d’un trop-payé ne découle pas d’une décision de la Commission. L’appelant assume cette responsabilité à titre de « débiteur » et non pas à titre de « prestataire ». Le recours de l’appelant sur ce litige est de déposer une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale du Canada. L’appelant peut également conclure une entente de remboursement avec l’Agence de revenu du Canada (l’ARC) qui est responsable du recouvrement des dettes au nom d’Emploi et développement social Canada (EDSC)Note de bas de page 70.

[72] Le témoignage et les déclarations de l’appelant indiquent les éléments suivants :

  1. a) L’appelant a présenté une demande de prestations après avoir perdu son emploi, le 17 janvier 2021, suivant la fin de son contrat de travailNote de bas de page 71;
  2. b) Il a consulté le site de la Commission (Service Canada) et a communiqué avec elle pour vérifier s’il pouvait être admissible au bénéfice des prestationsNote de bas de page 72 ;
  3. c) Il a rempli sa demande de prestations, avec l’aide de la Commission, en indiquant qu’il suivait une formation à temps plein, qu’il y consacrait 25 heures par semaine et qu’il était prêt et disposé à travaillerNote de bas de page 73 ;
  4. d) Lorsqu’il a présenté sa demande de prestations, aucun représentant de la Commission ne lui a indiqué qu’il n’aurait pas le droit de recevoir des prestations, étant donné les renseignements qu’il lui a fournisNote de bas de page 74 ;
  5. e) Il ne savait pas non plus qu’en raison d’un changement apporté par la Commission dans le traitement des demandes de prestations en raison de la pandémie de COVID-19, sa demande de prestations allait être traitée par des « systèmes informatiques »Note de bas de page 75 ;
  6. f) Lorsqu’il a présenté sa demande renouvelée de prestations après avoir cessé de travailler en août 2021, il a refait la même procédure que celle faite en janvier 2021. Il a fourni les mêmes réponses que celles de janvier 2021 et a obtenu les mêmes réponses de la part de la CommissionNote de bas de page 76 ;
  7. g) Il a répondu correctement aux questions sur sa formation en indiquant qu’il étudiait à temps plein et des prestations lui ont été versées jusqu’à la fin de décembre 2021Note de bas de page 77 ;
  8. h) Il a effectué des recherches d’emploi durant sa formationNote de bas de page 78 ;
  9. i) Il est injuste qu’il ait à rembourser les prestations qui lui ont été versées en trop en raison des erreurs administratives de la CommissionNote de bas de page 79 ;
  10. j) La Commission lui a suggéré de contester la décision rendue à son endroitNote de bas de page 80.

[73] J’estime que la Commission ne démontre pas que l’appelant pouvait présumer qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit.

[74] Je considère que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, en décidant de vérifier la demande de prestations de l’appelant et en procédant au réexamen de cette demande.

[75] Je suis d’avis que la Commission ne démontre pas que l’appelant aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit ou qu’il aurait dû être « conscient » qu’il n’y était pas admissible, une des règles prévues au Guide de la détermination de l’admissibilité démontrant qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.

[76] J’estime que la Commission n’a pas respecté la « politique de réexamen » qu’elle a élaborée afin d’assurer une application uniforme et juste de l’article 52 de la Loi et d’empêcher la création de trop-payés lorsque le prestataire a touché des prestations en trop pour une raison indépendante de sa volonté, comme le précise cette politiqueNote de bas de page 81.

[77] Je suis d’avis que la Commission était en présence de tous les éléments nécessaires pour établir une demande de prestations au profit de l’appelant et lui verser des prestations.

[78] Je souligne que la Commission a eu l’occasion de vérifier à plusieurs reprises les déclarations de l’appelant lorsqu’il a présenté ses demandes de prestations, lorsqu’il a rempli les questionnaires sur sa formation et lorsqu’il a rempli ses déclarations du prestataire. Dès le moment où l’appelant a présenté sa demande de prestations en janvier 2021, la Commission savait qu’il suivait une formation à temps plein et les conditions à partir desquelles il pouvait travailler.

[79] Je considère que l’appelant a fait preuve de transparence concernant sa formation et sa disponibilité à travailler. Il a été constant dans ses déclarations à la Commission.

[80] Je suis d’avis que l’appelant pouvait raisonnablement croire que lorsque ses demandes de prestations ont été acceptées et que des prestations lui ont été versées, cela signifiait qu’il y avait droit.

[81] En résumé, compte tenu des éléments de preuve présentés et des circonstances particulières au présent dossier, je considère que la Commission n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, en décidant de vérifier la demande de prestations de l’appelant et en procédant à un nouvel examen de cette demande.

[82] J’estime que la Commission n’a pas pris en compte tous les facteurs pertinents pour le faire. Ces facteurs réfèrent à l’ensemble des renseignements fournis par l’appelant au sujet de sa formation lorsqu’il a présenté ses demandes de prestations et lorsqu’il a rempli les questionnaires s’y rapportant, de même que lorsqu’il a rempli ses déclarations du prestataire.

[83] Je suis d’avis que la Commission a omis de mettre en pratique ses propres règles dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. J’estime qu’elle a manqué de cohérence et a agi de façon abusive à cet égard.

[84] Je considère qu’il n’y a pas lieu de procéder au réexamen de la demande de prestations de l’appelant, et ce, même si ce réexamen avait lieu dans le délai prévu par la Loi.

[85] En conséquence, je ne réexaminerai pas la décision initialement rendue à l’endroit de l’appelant ayant fait en sorte de lui accorder des prestations.

Disponibilité à travailler et remboursement des prestations versées en trop

[86] Puisque j’ai déterminé que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, en décidant de vérifier la demande de prestations de l’appelant et en procédant à un nouvel examen de cette demande, il n’y a pas lieu de procéder à un réexamen de la décision initialement rendue à son endroitNote de bas de page 82.

[87] Il n’y a donc pas lieu de déterminer si au cours de la période du 18 janvier 2021 au 30 avril 2021 et à compter du 1er septembre 2021, pendant sa formation, l’appelant démontre sa disponibilité à travaillerNote de bas de page 83.

[88] Il n’y a pas lieu non plus de déterminer si l’appelant doit rembourser les prestations qui lui ont été versées en trop et qui lui sont réclamées par la CommissionNote de bas de page 84.

Conclusion

[89] Je conclus que la Commission n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire, de façon judiciaire, en décidant de vérifier et de réexaminer la demande de prestations de l’appelant. La Commission ne pouvait donc pas déterminer, d’une façon rétroactive, que l’appelant n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[90] Il n’y a donc pas lieu de déterminer si au cours de la période du 18 janvier 2021 au 30 avril 2021 et à compter du 1er septembre 2021, pendant sa formation, l’appelant démontre sa disponibilité à travailler et s’il est admissible au bénéfice des prestations.

[91] Il n’y a pas lieu non plus de décider si l’appelant doit rembourser la somme d’argent que lui réclame la Commission pour des prestations versées en trop.

[92] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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