Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : LF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 651

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission de faire appel

Partie demanderesse : L. F.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 7 mars 2023
(GE-22-3658)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 29 mai 2023
Numéro de dossier : AD-23-299

Sur cette page

Décision

[1] Je refuse d’accorder au prestataire la permission de faire appel parce qu’il n’a pas de cause défendable. Le présent appel n’ira donc pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le prestataire, L. F., travaillait comme chauffeur d’autobus pour la X. Le 21 novembre 2021, la X a placé le prestataire en congé sans solde après qu’il a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19Note de bas de page 1. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi au prestataire parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel du prestataire. Elle a conclu que le prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a également conclu que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement une perte d’emploi.

[4] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il prétend que celle-ci a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a fait preuve de partialité en adoptant un ton qui laissait croire que l’audience était une formalité et qu’une décision avait déjà été rendue.
  • Elle n’a pas tenu compte de la preuve montrant qu’il avait été victime de discrimination en raison de sa religion.
  • Elle a ignoré le fait que, comme il avait satisfait à chacune des demandes de X, il ne pouvait pas être coupable d’inconduite.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. L’appelant doit démontrer que la division générale a :

  • agi de façon injuste;
  • outrepassé ses pouvoirs ou refusé de les exercer;
  • mal interprété la loi;
  • fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[6] Avant que le prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 3. Avoir une chance raisonnable de succès est la même chose qu’avoir une cause défendableNote de bas de page 4. Si le prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que le prestataire n’a pas de cause défendable.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a fait preuve de partialité

[9] Le prestataire accuse la division générale de partialité, mais il n’offre aucune preuve autre que le fait que son appel a été rejeté.

[10] La partialité suggère un esprit fermé qui est prédisposé à un résultat particulier. Le critère permettant de conclure à l’existence d’une partialité est élevé, et le fardeau de l’établir incombe à la partie qui prétend qu’elle existe.

[11] La Cour suprême du Canada a énoncé le critère de la partialité comme suit : « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question […] de façon réaliste et pratique? Note de bas de page 5 » Une allégation de partialité ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressions Note de bas de page 6.

[12] J’ai lu la décision de la division générale et j’ai écouté son audience. Je n’ai rien entendu ou vu qui m’a porté à croire que le membre a abordé l’affaire du prestataire avec autre chose qu’un esprit ouvert. Comme nous le verrons, la loi fait en sorte qu’il est difficile pour les parties prestataires de l’assurance-emploi de réfuter les allégations d’inconduite. La division générale n’a pas tiré la conclusion que le prestataire voulait, mais cela ne signifie pas qu’elle avait un parti pris contre lui.

Il est impossible de soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[13] Lorsqu’il s’agit d’évaluer l’inconduite, le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre un employé et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste au prestataire, mais les tribunaux l’ont adoptée à maintes reprises et la division générale était tenue de la suivre.

On entend par inconduite toute action intentionnelle et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[14] Le prestataire soutient qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que rien dans la loi ne l’obligeait à se faire vacciner. Il laisse entendre qu’en le forçant à le faire sous la menace d’une suspension ou d’un congédiement, la X a porté atteinte à ses droits. Il soutient que son employeur tentait de lui imposer contre son gré un vaccin potentiellement dangereux et inefficace.

[15] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[16] La division générale a défini l’inconduite comme suit :

Pour être considérée comme une inconduite au sens de la loi, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal).

Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une réelle possibilité qu’il soit congédié pour cette raison Note de bas de page 7.

[17] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre qu’elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[18] Le prestataire soutient que la politique de vaccination obligatoire de la X a porté atteinte à ses droits fondamentaux, mais il ne s’agit pas de la question en litige dans la présente affaire. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employé l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

La question n’est pas de savoir si celui-ci s’est rendu coupable d’inconduite en procédant à un congédiement injuste, mais plutôt d’établir si le demandeur s’est rendu coupable d’inconduite […] [l]e Tribunal n’a pas le pouvoir de trancher ces questions dans le cadre d’un appel en matière d’inconduite. Le Tribunal n’a pas non plus le pouvoir de se prononcer sur les allégations selon lesquelles le vaccin est expérimental ni sur l’efficacité ou les risques du vaccin. Les recours de l’appelant appartiennent aux tribunaux, et non au Tribunal Note de bas de page 8.

[19] Comme la loi l’a forcée à se concentrer sur des questions précises, la division générale n’avait pas le pouvoir de décider si la politique de la X contredisait le contrat de travail du prestataire, ou si elle violait ses droits fondamentaux ou constitutionnels. La division générale n’avait pas non plus le pouvoir de décider si la X aurait pu d’une façon ou d’une autre répondre aux préoccupations du prestataire, ou si le processus de demande d’exemption était équitable.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la loi par la division générale

[20] Une décision récente de la Cour fédérale a réaffirmé cette approche à l’égard de l’inconduite dans le contexte précis des mandats de vaccination contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un appelant de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur Note de bas de page 9. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé à répondre à ces questions par la loi :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur le vaccin contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale Note de bas de page 10.

[21] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré que le système juridique prévoyait d’autres moyens par lesquels M. Cecchetto aurait pu faire valoir ses prétentions en matière de congédiement injustifié ou de droits fondamentaux.

[22] C’est également vrai dans la présente affaire. Ici, les seules questions qui étaient importantes étaient de savoir si le prestataire avait enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et si elle était susceptible d’entraîner vraisemblablement sa suspension ou son congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

Il est impossible de soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[23] Devant la division générale, le prestataire a maintenu qu’il n’avait enfreint aucune des règles de son employeur. Il a souligné des éléments de preuve montrant que le vaccin n’avait pas été essayé et testé. Il a insisté sur le fait qu’il était exempté de l’obligation de se faire vacciner pour des motifs religieux.

[24] D’après ce que je peux voir, la division générale n’a pas ignoré ces points. Elle ne leur a tout simplement pas accordé autant d’importance que le demandeur aurait espéré. Compte tenu du droit applicable en matière d’inconduite, je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur dans la façon dont elle a évalué la preuve disponible.

[25] La division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • La X était libre d’établir et d’appliquer une politique de vaccination comme elle l’entendait.
  • La X a adopté et communiqué une politique claire le 7 septembre 2021, exigeant que les membres du personnel fournissent la preuve qu’ils avaient été entièrement vaccinés au plus tard le 20 octobre 2021.
  • La X a prolongé la date limite de vaccination à deux reprises, d’abord jusqu’au 20 novembre 2021, puis jusqu’au 31 décembre 2021.
  • Le prestataire savait, ou aurait dû savoir, que le non-respect de la politique de la X dans les délais prescrits entraînerait une perte d’emploi.
  • Le prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner avant les dates limites fixées par la X.
  • La X n’était pas obligée de donner suite à la demande de prolongation du délai présentée par le prestataire pour qu’il ait plus de temps pour recevoir le vaccin de Johnson & Johnson.
  • Le prestataire n’a pas convaincu la X qu’il remplissait les conditions requises pour bénéficier d’une exemption religieuse au titre de la politique.

[26] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier, ainsi que le témoignage du prestataire. Dans son rôle de juge des faits, la division générale avait le pouvoir de conclure que, malgré ses protestations, le prestataire ne s’était pas entièrement conformé à la politique de la X. Dans ce contexte, la division générale a conclu que le prestataire était coupable d’inconduite parce que son non-respect était délibéré et qu’il a vraisemblablement entraîné sa suspension. Le prestataire croyait peut-être que le non-respect de la politique ne ferait pas de mal à son employeur, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui d’en décider.

Conclusion

[27] Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que le présent appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Cela signifie que l’appel n’ira pas de l’avant.

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