Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : PL c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 681

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance‑emploi

Décision

Appelant : P. L.
Intimée : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (530548) datée du 15 septembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 9 février 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 27 février 2023
Numéro de dossier : GE-22-3334

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Décision

[1] Je rejette l’appel avec modification. Le Tribunal est en désaccord avec l’appelant. Selon la modification, l’inadmissibilité devrait commencer le 1er février 2022. Il s’agit de la première journée de sa suspension sans soldeNote de bas de page 1.

[2] Son employeur l’a suspendu parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination obligatoire.

[3] Dans le présent appel, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’employeur de l’appelant l’a suspendu en raison d’une inconduite. En d’autres mots, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension de son emploi.

[4] Cela signifie que l’appelant n’a pas droit à l’assurance-emploi après sa suspensionNote de bas de page 2. Telle est la décision de la Commission. Autrement dit, la Commission a pris la bonne décision relativement à sa demande d’assurance-emploi.

Aperçu

[5] Son employeur l’a mis en congé sans solde involontaire à compter du 1er février 2022. La Commission affirme que l’employeur l’a mis en congé parce qu’il n’a pas respecté sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID (politique de vaccination).

[6] La Commission a décidé que l’appelant avait été suspendu de son emploi pour une raison que la Loi sur l’assurance-emploi (Loi) considère comme une inconduite. C’est pourquoi la Commission n’a pu lui verser des prestations d’assurance-emploi à compter du 31 janvier 2022Note de bas de page 3.

[7] Je dois décider si l’appelant a été suspendu de son emploi pour inconduite en vertu de la Loi.

Question que je dois examiner en premier

L’audience a été ajournée une fois

[8] L’audience devait d’abord avoir lieu le 4 janvier 2023 avec un autre membre du Tribunal. L’appel a commencé comme prévu. On discute de la présentation récente de documents supplémentairesNote de bas de page 4. Ces documents comprenaient l’offre d’emploi de l’appelant en 2019 ainsi qu’un échange de courriels en décembre 2021 et janvier 2022 entre l’appelant et l’employeur. Ils comportaient également une décision récente du Tribunal.

[9] Comme l’offre d’emploi et l’échange de renseignements comprenaient du texte en français, l’appelant et le Tribunal ont pris ensemble une décision. Il a été décidé que l’audience serait ajournée afin qu’un membre bilingue du Tribunal puisse examiner les documents et tenir l’audience reportée de l’appelant.

[10] Le dossier du Tribunal m’a été confié et une nouvelle audience a été fixée au 9 février 2023. L’audience a eu lieu comme prévu en présence de l’appelant.

Question en litige

[11] L’appelant a-t-il été suspendu et s’agissait-il d’une inconduite au sens de la Loi?

Analyse

[12] Selon la loi, le prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi s’il perd son emploi en raison d’une inconduite. Cette règle s’applique lorsque l’employeur a congédié ou suspendu le prestataire.

[13] Je dois trancher deux questions :

  • Pour quelle raison l’appelant a-t-il été suspendu de son emploi?
  • La Loi considère-t-elle que cette raison constitue une inconduite?

La raison pour laquelle l’appelant a été suspendu

[14] Je conclus que l’employeur de l’appelant l’a suspendu parce qu’il ne s’est pas conformé à sa politique de vaccination.

[15] L’appelant et la Commission conviennent que l’appelant a été suspendu le 1er février 2022. Cette suspension découle du non-respect de la nouvelle politique de vaccination obligatoire. Les parties ne s’entendent pas sur le volet relatif à l’inconduite. L’appelant affirme qu’il s’agit d’une suspension abusive et déraisonnable.

[16] Je n’ai aucune raison de croire qu’il existe une autre raison pour laquelle l’appelant ne travaille plus. Rien dans le dossier ou dans les témoignages ne m’amène à douter de cette conclusion. D’après la preuve dont je dispose, je conclus que le non-respect de la politique de vaccination constitue la raison pour laquelle l’appelant ne travaille plus chez l’employeur.

La raison est une inconduite au sens de la loi

[17] Le défaut de l’appelant de se conformer à la politique de vaccination de son employeur constitue une inconduite au sens de la Loi.

Que signifie l’inconduite au sens de la Loi?

[18] La Loi ne dit pas ce que signifie une inconduite. Les décisions des tribunaux énoncent le critère juridique en matière d’inconduite. Le critère juridique m’indique les types de faits et les questions dont je dois tenir compte au moment de prendre ma décision.

[19] La Commission doit prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite et non pour une autre raisonNote de bas de page 5.

[20] Je dois m’attarder à ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait, et à la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la LoiNote de bas de page 6. Je ne peux pas décider si la politique de l’employeur est raisonnable ou si une suspension ou un licenciement constitue une sanction raisonnableNote de bas de page 7.

[21] L’appelant n’a pas à avoir une intention fautive. Autrement dit, il n’a pas à vouloir faire quelque chose de mal pour que je décide que sa conduite est une inconduiteNote de bas de page 8. Pour constituer une inconduite, sa conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 9. De plus, l’inconduite doit être une conduite à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéréNote de bas de page 10.

[22] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et s’il savait ou aurait dû savoir que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 11.

[23] Je peux seulement décider s’il y a eu inconduite au sens de la Loi. Je ne peux pas prendre ma décision en me fondant sur d’autres loisNote de bas de page 12. Je ne peux pas décider si l’appelant a fait l’objet d’un congédiement déguisé ou abusif en vertu du droit du travail. Je ne peux pas interpréter un contrat de travail ni décider si un employeur a contrevenu à une convention collectiveNote de bas de page 13. L’appelant a déclaré qu’il n’avait pas de convention collective, mais bien un contrat de travail. Je ne peux pas non plus décider si un employeur a fait preuve de discrimination à l’égard de l’appelant ou s’il aurait dû prendre des mesures d’adaptation en vertu du droit en matière de droits de la personneNote de bas de page 14. Et je ne peux pas décider si un employeur a violé les droits à la vie privée ou d’autres droits de l’appelant dans le contexte de l’emploi ou autrement.

Ce que disent la Commission et l’appelant

[24] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite au sens de la Loi parce que la preuve démontre ce qui suit :

  • L’employeur avait une politique de vaccination et l’avait communiquée à tout le personnel.
  • En vertu de la politique de vaccination, l’appelant devait être entièrement vacciné ou obtenir une exemption de son employeur, sinon il devait faire face à un congé sans solde à compter du 1er février 2022Note de bas de page 15.
  • Il savait ce qu’il devait faire en vertu de la politique.
  • Il savait également que son employeur pouvait le suspendre en vertu de la politique s’il ne fournissait pas de preuve de vaccination (ou n’obtenait pas d’exemption) avant la date limite.
  • Il a fait un choix personnel conscient et voulu de ne pas se faire vacciner avant la date limite.
  • L’employeur l’a suspendu le 1er février 2022 parce qu’il ne s’est pas conformé à sa politique de vaccination.

[25] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite au sens de la Loi pour les raisons suivantes :

  • La politique de vaccination était abusive et déraisonnableNote de bas de page 16.
  • La politique de Bell ne prévoyait aucune mesure d’adaptation raisonnable et équivalait à un congédiement déguiséNote de bas de page 17.
  • Toute l’équipe faisait du télétravail à temps plein, ce qui signifie un risque de transmission nul entre collègues ou clientsNote de bas de page 18.
  • Son contrat de travail avec son employeur ne comportait aucune exigence médicale. Son employeur lui demande de mettre quelque chose dans son corpsNote de bas de page 19.
  • Le Tribunal devrait se conformer à la décision AL c CAEC, déjà rendue par ce TribunalNote de bas de page 20. Son cas est semblable à celui de l’appelant dans cette décision.
  • Il était disposé à subir les tests exigés comme solution de rechange.
  • Chacun a la liberté de choisir ce que son corps peut recevoir.

[26] Les éléments de preuve dans cet appel sont cohérents et simples. Je crois et j’accepte la preuve de l’appelant et celle de la Commission.

[27] Je n’ai aucune raison de douter de la preuve produite par l’appelant (ce qu’il a dit à la Commission, écrit dans sa demande de révision et son avis d’appel, et son témoignage à l’audience). Son témoignage est cohérent. Et aucune preuve ne contredit ses propos.

[28] J’accepte la preuve de la Commission parce qu’elle est conforme à celle de l’appelant. Et aucune preuve ne la contredit.

Les motifs pour lesquels je n’ai pas suivi la décision AL c CAEC du Tribunal

[29] L’appelant soutient que je devrais suivre la décision AL c CAEC, une décision du Tribunal. AL travaillait dans le domaine de l’administration hospitalière. L’hôpital l’a suspendue, puis l’a congédiée parce qu’elle n’avait pas respecté sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19.

[30] Je n’ai pas à suivre d’autres décisions du Tribunal. Je peux m’appuyer sur elles pour me guider si je les trouve convaincantes et utilesNote de bas de page 21.

[31] Je ne suivrai pas la décision AL c CAEC. Cette décision va à l’encontre des règles énoncées par la Cour fédérale dans ses décisions concernant l’inconduiteNote de bas de page 22. Le Tribunal n’a pas le pouvoir légal (en droit, ce que nous appelons la « compétence ») de faire deux choses que le membre a faites dans sa décision :

  • Premièrement, il n’aurait pas dû interpréter et appliquer la convention collective pour conclure que l’employeur n’avait pas le pouvoir d’obliger le personnel à se faire vacciner contre la COVID-19Note de bas de page 23.
  • Deuxièmement, il n’aurait pas dû conclure que l’appelant avait le droit — dans le contexte de l’emploi — de refuser de se conformer à la politique de vaccination de l’employeur en se fondant sur le droit en matière de consentement éclairé au traitement médicalNote de bas de page 24. En d’autres termes, il n’avait pas le pouvoir légal d’ajouter à la convention collective le droit absolu pour un travailleur de choisir d’ignorer la politique de vaccination de l’employeur fondée sur une règle importée d’un domaine du droit distinct.

[32] Les raisons pour lesquelles je n’ai pas suivi la décision AL c CAEC découlent de la compétence du Tribunal. Mes motifs ne sont pas fondés sur les faits précis de cet appel par rapport à l’appel de l’appelant. Mes motifs ne se limitent donc pas aux circonstances et aux arguments avancés par l’appelante dans l’affaire AL c CAEC Note de bas de page 25. Je dois décider si la conduite d’un appelant est une inconduite. Je ne possède pas le pouvoir légal d’interpréter et d’appliquer un contrat de travail, des lois sur la protection de la vie privée, des lois sur les droits de la personne, le droit international, le Code criminel ou d’autres lois. Si l’une ou l’autre de ces lois était enfreinte, le recours en appel devrait être exercé auprès du tribunal judiciaire ou administratif compétent.

[33] Nous commettons une erreur de droit si nous nous concentrons sur la conduite de l’employeur et l’analysons en vertu d’autres lois, parce que nous n’avons pas le pouvoir légal (la compétence) de le faire. D’un point de vue plus large, les législatures ont conféré à d’autres décideurs spécialisés, en vertu d’autres lois, le pouvoir de décider si les politiques, les décisions et la conduite des employeurs sont déraisonnables ou contraires à la loi. Le Tribunal possède une expertise dans l’interprétation de la Loi et dans son application à la situation des appelants et aux décisions de la Commission. La Cour fédérale a donc dit que nous devrions continuer de le faire.

Les autres arguments de l’appelant

[34] J’ai expliqué pourquoi le Tribunal ne peut pas tenir compte de la décision AL c CAEC. La liste qui figure au paragraphe 26 comprenait d’autres arguments.

[35] Malheureusement pour l’appelant, je ne peux pas prendre en compte ces arguments.

[36] Le critère à respecter est la Loi. Ce critère juridique correspond à ce que le Tribunal doit examiner. La Commission a prouvé que l’appelant a été informé de la politique, qu’il connaissait les conséquences de la non-conformité et qu’il a poursuivi dans cette voie en sachant que cela pourrait mener à sa suspension. Son comportement était volontaire. Ses actions étaient conscientes, voulues ou intentionnelles.

[37] Je ne peux que décider s’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi. Je ne peux pas prendre ma décision en me fondant sur d’autres loisNote de bas de page 26. Je ne peux donc pas décider si la politique de son employeur ou la sanction infligée par celui-ci est raisonnable ou légale en vertu d’autres lois. Il s’agit notamment de décider si les politiques de vaccination contre la COVID sont étayées par les données scientifiques sur les vaccins contre la COVID.

[38] Des affaires judiciaires plus récentes appuient cette position. Dans une affaire récente appelée ParmarNote de bas de page 27, la question soumise à la Cour était la suivante : un employeur avait-il le droit de mettre une employée en congé sans solde pour non-respect d’une politique de vaccination obligatoire? Mme Parmar s’est opposée à la vaccination parce qu’elle s’inquiétait de l’efficacité à long terme et des répercussions négatives possibles sur la santé.

[39] Dans cette affaire, la Cour a reconnu qu’il était [traduction] « extraordinaire d’adopter une politique qui a une incidence sur l’intégrité corporelle d’une employée », mais a statué que la politique de vaccination en question était raisonnable, compte tenu des [traduction] « défis sanitaires extraordinaires posés par la pandémie mondiale de COVID-19 ». La Cour a ensuite poursuivi en affirmant :

[Traduction]
[154] […] [Les politiques de vaccination obligatoire] ne forcent pas un employé à se faire vacciner. Elles contraignent plutôt à faire un choix entre se faire vacciner et continuer à gagner un revenu, ou rester non vacciné et perdre un revenu […]

[40] Dans une autre affaire récente datant de janvier 2023, la Cour fédérale convient que le pouvoir du Tribunal est limitéNote de bas de page 28. L’affaire a commencé à la Commission, puis a été présentée à la division générale du Tribunal. La division d’appel a ensuite maintenu la décision. La Cour fédérale a ensuite examiné la décision. Le paragraphe 32 est ainsi rédigé :

[Traduction]
[32] « Bien que le demandeur soit manifestement frustré qu’aucun des décideurs n’ait abordé ce qu’il considère comme les questions juridiques ou factuelles fondamentales qu’il soulève – par exemple en ce qui concerne l’intégrité corporelle, le consentement aux tests médicaux, l’innocuité et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 ou des tests antigéniques –, cela ne rend pas déraisonnable la décision de la division d’appel. Le problème principal de l’argument du demandeur est qu’il reproche aux décideurs de ne pas traiter un ensemble de questions qu’ils ne sont pas autorisés à aborder en vertu de la loi. »

[41] Je ne tire donc aucune conclusion concernant la validité de la politique ou toute violation des droits de l’appelant en vertu d’autres lois.

[42] Je conviens que l’appelant peut refuser la vaccination. C’est sa décision personnelle. C’est son droit. Je conviens également que l’employeur doit gérer les activités quotidiennes du lieu de travail. Cela comprend l’élaboration et l’application de politiques liées à la santé et à la sécurité au travail.

[43] L’employeur a la responsabilité de fournir un milieu de travail sécuritaire. Il était en train de tenter de ramener le personnel sur les lieux de travail dans le cadre de son planNote de bas de page 29. La vaccination du personnel faisait partie de ce plan.

[44] Compte tenu de la preuve, je conclus que la Commission a prouvé que la conduite de l’appelant était une inconduite parce qu’elle a démontré ce qui suit :

  • Il était au courant de la politique de vaccination.
  • Il savait qu’il était tenu de se faire entièrement vacciner et de fournir une preuve (ou d’obtenir une exemption) avant la date limite.
  • Il savait que son employeur le suspendrait s’il ne se conformait pas à la politique.
  • Il a personnellement pris la décision consciente, voulue ou intentionnelle de ne pas se conformer à la date limite.
  • Il a été suspendu de son emploi parce qu’il ne respectait pas la politique de vaccination de son employeur.

[45] Selon ce que je comprends, l’appelant pourrait être en désaccord avec cette décision. Malgré tout, selon la Cour d’appel fédérale, je ne peux suivre que le sens ordinaire de la loi. Je ne peux pas réécrire la loi ou y ajouter de nouveaux éléments pour produire un résultat qui semble plus juste pour l’appelantNote de bas de page 30.

Conclusion

[46] La Commission a prouvé que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi.

[47] Pour cette raison, l’appelant est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 1er février 2022Note de bas de page 31.

[48] Cela signifie que la Commission a pris la bonne décision relativement à sa demande d’assurance-emploi.

[49] Je rejette donc son appel avec une modification.

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