Assurance-emploi (AE)

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Citation : SS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1788

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : S. S.
Représentante : L. P.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (473920) datée du 26 mai 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Charline Bourque
Mode d’audience : Vidéoconférence
Dates des audiences : Le 4 octobre 2022
Le 18 octobre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelante
Date de la décision : Le 3 novembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-2141

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire. Elle ne pouvait donc pas réexaminer rétroactivement la demande de la prestataire. L’appel est donc accueilli et la prestataire a droit aux prestations d’assurance-emploi à partir du 27 septembre 2020.

Aperçu

[3] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé que la prestataire était inadmissible au bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi à partir du 27 septembre 2020, parce qu’elle n’était pas disponible pour travailler.

[4] Pour recevoir des prestations régulières d’assurance-emploi, la partie prestataire doit être disponible pour travailler. La disponibilité est une exigence continue. Cela signifie que la partie prestataire doit être à la recherche d’un emploi.

[5] Je dois décider si la prestataire a prouvé qu’elle était disponible pour travailler. La prestataire doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle était disponible pour travailler.

[6] La Commission affirme que la prestataire n’était pas disponible parce qu’elle était aux études à temps plein.

[7] La prestataire n’est pas d’accord et affirme qu’elle était disponible pour travailler à temps plein et que son horaire d’études lui permettait de continuer à travailler. La prestataire explique qu’elle a cessé de travailler en raison de la COVID-19 et qu’elle suivait déjà sa formation en même temps qu’elle travaillait.

[8] De plus, la prestataire explique ne pas avoir compris pourquoi ses prestations d’assurance-emploi avaient été coupées rétroactivement. Elle explique avoir toujours répondu franchement aux questions de la Commission concernant sa formation, qu’elle était disponible pour travailler et à la recherche d’un emploi.

Question en litige

[9] La Commission pouvait-elle réexaminer rétroactivement la demande de prestations de la prestataire ?

[10] La prestataire était-elle disponible pour travailler pendant qu’elle était aux études ?

Analyse

Question en litige no. 1 : La Commission avait-elle le pouvoir d’examiner rétroactivement la demande de prestations de la prestataire ?

[11] La Commission indique que la décision relative à l’admissibilité en vertu du paragraphe 153.161(2) de la Loi est rendue après le versement des prestations. Cette approche modifiée pendant la pandémie de Covid-19 a facilité le versement de prestations d’assurance-emploi aux prestataires qui suivaient une formation non dirigée. Cependant, l’évaluation de la disponibilité restait la même et les prestataires qui suivaient un cours de formation non dirigée devaient prouver leur disponibilité. Le paragraphe 153.161(2) de la Loi permettait à la Commission de vérifier l’admissibilité aux prestations à un moment ultérieur. Dans le cas de la prestataire, des prestations lui ont été versées, car elle en a fait la demande, et qu’elle se déclarait disponible. Même si la prestataire a complété sa demande et ses déclarations de bonne foi, la Commission est arrivée à la conclusion qu’elle n’était pas disponible au sens des articles 18 et 153.161 de la LoiNote de bas de page 1.

[12] Je constate en effet que dans le présent dossier, la prestataire a établi une demande de prestations à partir du 12 mars 2020. À la suite du versement des prestations d’urgence, une demande de prestations régulières d’assurance-emploi a été établie le 27 septembre 2020 et la prestataire a reçu des prestations jusqu’au 22 mai 2021.

[13] La Commission a rendu une décision rétroactive sur la question de la disponibilité du prestataire le 1er avril 2022Note de bas de page 2, soit à l’intérieur d’un délai de 36 mois.

La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé la demande de prestations de la prestataire ?

[14] La Division d’appel du présent Tribunal a déterminé que la Division générale du Tribunal ne pouvait refuser d’exercer sa compétence afin de déterminer si la Commission avait le pouvoir de juger le prestataire inadmissible aux prestations de façon rétroactiveNote de bas de page 3. Ainsi, je dois déterminer si la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire lorsqu’elle a réexaminé la demande de prestations du prestataire.

Pouvoir discrétionnaire de la Commission

[15] De façon générale, l’article 52 de la Loi accorde à la Commission le pouvoir de procéder à un nouvel examen de toute demande de prestations dans les 36 mois où elles ont été payées ou sont devenues payables. De plus, si la Commission estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d’un délai de 72 mois pour réexaminer la demandeNote de bas de page 4.

[16] Dans le présent dossier, la Commission a réexaminé la demande de prestations dans un délai de 36 mois. Ce délai n’est pas remis en question.

[17] La Cour a établi que les décisions discrétionnaires de la Commission ne peuvent être modifiées à moins qu’il puisse être démontré que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière non judiciaire ou qu’elle a agi de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 5.

[18] De plus, il incombe à la Commission de démontrer qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaireNote de bas de page 6.

[19] En résumé, je suis d’avis qu’en raison du fait que le pouvoir de réexamen de la Commission est un pouvoir discrétionnaire, je ne peux modifier la décision de la Commission que si je conclus que celle-ci n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière judiciaire, c’est-à-dire qu’elle n’a pas agi de bonne foi, en prenant en compte tous les facteurs pertinents et ne tenant pas compte des facteurs non pertinentsNote de bas de page 7.

Lignes directrices de la Commission

[20] La Cour d’appel fédérale a reconnu l’utilité que la Commission se dote de lignes directrices afin d’encadrer l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. La Cour d’appel fédérale a réitéré à diverses reprises que la Commission était justifiée de se donner des lignes directrices pour assurer une certaine cohérence à l’échelle nationale et éviter des décisions arbitrairesNote de bas de page 8.

[21] Ces lignes directrices se retrouvent dans le Guide de la détermination de l’admissibilité. Je précise que je ne suis pas liée par ces lignes directrices puisqu’elles n’ont pas la force de loi. Néanmoins, je suis d’avis que celles-ci sont un outil indispensable à la Commission dans sa prise de décision en matière d’assurance-emploi. Ainsi, j’estime que ces lignes directrices réduisent le risque de décision arbitraire et que la Commission doit fournir une explication si elle choisit de ne pas suivre les directives qu’elle a elle-même élaborées.

[22] La Loi prévoit que lorsqu’un prestataire n’a pas reçu les prestations auxquelles il avait droit ou qu’il a reçu des prestations auxquelles il n’avait pas droit, la Commission peut examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations, dans les 36 mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payablesNote de bas de page 9.

[23] La prestataire explique ne pas avoir compris pourquoi ses prestations d’assurance-emploi avaient été coupées. Elle explique avoir toujours répondu franchement aux questions de la Commission concernant sa formation et sur le fait qu’elle était disponible pour travailler et à la recherche d’un emploi.

Situations donnant droit au réexamen

[24] Je me rapporte à nouveau au Guide de détermination de l’admissibilité dans lequel la Commission a déterminé, dans sa politique de réexamen, qu’elle ne procèderait au nouvel examen d’une demande que dans les situations suivantes :

  • il y a un moins payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit.Note de bas de page 10

[25] Je conclus donc que la Commission a évalué qu’elle procédait au réexamen du dossier du prestataire et que, par le fait même, elle a déterminé que les renseignements présentés justifiaient un nouvel examen et qu’elle respectait le délai. Elle a donc rendu une décision selon ses propres lignes directrices, calculé le montant à être remboursé (trop payé) et a informé le prestataire de sa décision.

[26] Je vais donc examiner les 4 critères pris en considération par la Commission.

Moins payé

[27] Selon le premier critère, un trop payé de 17 000$ a été crééNote de bas de page 11.

[28] Il ne s’agit donc pas d’un moins payé.

Structure de la Loi

[29] Pour ce qui est de la structure de la Loi, l’article 17.3.3.2 du Guide de détermination de l’admissibilité indique clairement qu’une période de non-disponibilité ne fait pas partie de la structure de la LoiNote de bas de page 12.

[30] Néanmoins, la Commission peut réexaminer un élément qui ne fait pas partie de la structure de la Loi s’il respecte l’une des conditions énoncées dans la politique. Je suis d’avis que ce n’est pas le cas dans le présent dossier.

Déclarations fausses ou trompeuses

[31] Le troisième critère selon lequel la Commission procèdera au nouvel examen de décisions antérieures concerne le versement de prestations à la suite de déclarations fausses ou trompeuses.

[32] La Commission dispose d’un délai de 36 mois à partir du moment où les prestations ont été payées pour réexaminer toute demande de prestations. Si la Commission estime qu’une fausse déclaration a été faite, ce délai peut être prolongé à 72 moisNote de bas de page 13.

[33] Je reconnais que la Commission n’est pas tenue à un fardeau aussi strict pour déterminer si une déclaration fausse ou trompeuse a été faite par rapport au fardeau qu’elle a pour l’imposition d’une pénalité. En autres, la Commission n’a pas à démontrer que les fausses déclarations ont été faites sciemmentNote de bas de page 14. Je suis d’avis que ce raisonnement est valide tant pour le réexamen pour la période de 36 mois que pour celui pour la période allant jusqu’à 72 mois. Cependant, l’opinion de la Commission ne saurait à lui seul suffire pour conclure que les prestations ont été versées à la suite de déclarations fausses ou trompeuses.

[34] Dans son argumentaire, la Commission indique que le motif de fin d’emploi, lié à la COVID-19, n’a pas de lien avec la décision sur la disponibilité. Le contexte de la pandémie de Covid-19 a déjà pris en considération puisque les mesures temporaires s’appliquent à la demande de prestations en cause. La décision relative à l’admissibilité en vertu du paragraphe 153.161(2) de la Loi est rendue après le versement des prestations. Cette approche modifiée pendant la pandémie de Covid-19 a facilité le versement de prestations d’assurance-emploi aux prestataires qui suivaient une formation non dirigée. Cependant, l’évaluation de la disponibilité restait la même et les prestataires qui suivaient un cours de formation non dirigée devaient prouver leur disponibilité. Le paragraphe 153.161(2) de la Loi permettait à la Commission de vérifier l’admissibilité aux prestations à un moment ultérieur. Dans le cas de la prestataire, des prestations lui ont été versées, car elle en a fait la demande, et qu’elle se déclarait disponible. Même si la prestataire a complété sa demande et ses déclarations de bonne foi, la Commission est arrivée à la conclusion qu’elle n’était pas disponible au sens des articles 18 et 153.161 de la LoiNote de bas de page 15.

[35] Le 1er avril 2022, la Commission a donc déterminé que la prestataire n’était pas disponible pour travailler à partir du 27 septembre 2020 puisqu’elle suivait un cours de formation de sa propre initiativeNote de bas de page 16.

[36] Je constate que la prestataire a rempli le formulaire sur sa formation le 28 août 2020 ainsi que le 5 décembre 2020Note de bas de page 17. La prestataire a aussi déclaré sa formation dans sa déclaration du 23 août 2020 ainsi que le fait d’avoir des restrictions quant aux heures qu’elle peut travaillerNote de bas de page 18. Je constate que les déclarations de la prestataire n’ont pas été incluses au dossier de la Commission.

[37] La Commission a donc établi la demande de prestations en ayant connaissance de ces informations. Je suis d’avis que le fait que la Commission a rendu une décision automatisée sur la base d’une évaluation incomplète des informations fournies par le prestataire au sujet de sa disponibilité ne change rien au fait qu’une décision a été prise.

[38] Je conclus sur la balance des probabilités que les déclarations de la prestataire ne constituaient pas des déclarations fausses ou trompeuses. La prestataire a déclaré le fait qu’elle était aux études à temps plein dès qu’elle a présenté sa demande de prestations. La Commission ne pouvait ignorer ces faits et justifier son réexamen sur des faits qu’elle connaissait déjà.

[39] Je tiens à mentionner que le Guide de détermination de l’admissibilité prend même en considération ce type de situation. En effet, le Guide établit que :

« Une erreur est imputable à la Commission si cette dernière disposait de tous les renseignements nécessaires pour prendre une décision, mais qu’elle n’en a pas tenu compte au moment de rendre sa décision finale. L’erreur peut avoir été commise dans le cadre du processus de règlement d’une demande, ou résulter de l’omission de consigner une décision dans le système informatique.

Si la Commission commet une erreur en refusant de verser des prestations, ces dernières seront payées. Si la Commission a autorisé à tort le versement de prestations, l’erreur sera corrigée sans toutefois créer un trop payé. La seule exception concerne les cas où l’erreur de la Commission donne lieu à une décision qui se veut contraire à la structure de la Loi. La Commission devra alors corriger son erreur de façon rétroactive, même si cela entraîne un trop-payé »Note de bas de page 19. [mon soulignement]

[40] Je souligne que la question de disponibilité ne fait pas partie de la structure de la LoiNote de bas de page 20.

La prestataire aurait dû savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droit

[41] La dernière situation énoncée par le Guide de détermination de l’admissibilité est lorsqu’un prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit. En l’espèce, rien ne démontre que la prestataire aurait dû savoir qu’elle ne pouvait recevoir de prestations d’autant qu’elle a mentionné être étudiante à temps plein dès le départ.

[42] En conclusion, je suis d’avis que la Commission n’a pas appliqué ses propres lignes directrices en matière de réexamen. J’estime qu’elle a arbitrairement exercé son pouvoir discrétionnaire, et ce, de manière non judiciaire. Je suis d’avis que la Commission n’a pas agi de bonne foi, en prenant en compte tous les facteurs pertinents et en ne tenant pas compte des facteurs non pertinentsNote de bas de page 21.

[43] Je suis d’avis que la Commission n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et qu’elle n’a pas pris en considération des éléments importants. Selon moi, une des circonstances atténuantes à considérer est la difficulté de rembourser une dette aussi élevée.

[44] De plus, la Commission avait toute l’information pertinente à la situation de la prestataire dès le moment où elle a présenté sa demande d’assurance-emploi. Je suis d’avis que le prestataire ne pouvait pas savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droit. De plus, la Commission avait toute l’information nécessaire pour rendre sa décision dès septembre 2020 alors qu’elle a pris 17 mois avant de le faire, soit seulement en avril 2022.

[45] En conclusion, j’estime que considérant l’ensemble de la preuve et les circonstances présentées, la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire dans l’application des articles 52 et 153.16 (2) de la Loi. Ayant de mon côté examiné l’ensemble des circonstances de la prestataire comme indiqué ci-haut, je conclus qu’il n’y a pas lieu de procéder au réexamen de la demande de prestations, et ce, même si le réexamen avait lieu dans un délai inférieur à 36 mois.

[46] Par conséquent, je suis d’avis que je n’ai pas à me prononcer sur la question de la disponibilité de la prestataire.

Conclusion

[47] La Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire. Elle ne pouvait donc pas réexaminer rétroactivement la demande de la prestataire. L’appel est donc accueilli et le prestataire a droit aux prestations d’assurance-emploi à partir du 27 septembre 2020.

[48] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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