Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : TE c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 541

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : T. E.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 9 février 2023 (GE-22-2951)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 27 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-237

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Décision

[1] Je refuse au prestataire la permission de faire appel parce qu’il n’a pas de cause défendable. Le présent appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le prestataire, T. E., travaillait comme gérant pour une entreprise nationale de messagerie. Le 7 janvier 2022, l’employeur du prestataire l’a mis en congé sans solde après qu’il a refusé de fournir la preuve qu’il avait été vacciné contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à lui verser de prestations d’assurance-emploi parce que le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel du prestataire. Elle a conclu que le prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a également jugé que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement une perte d’emploi.

[4] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a mal interprété le sens du mot « inconduite » dans la Loi sur l’assurance-emploi.
  • Elle n’a pas tenu compte du fait qu’au titre de la common law canadienne, chaque personne a le droit de contrôler ce qui arrive à son corps.
  • Elle a ignoré le fait que rien dans la loi n’exigeait que son employeur établisse et applique une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • Elle a ignoré le fait que son contrat de travail ne disait rien au sujet d’une exigence de vaccination.
  • Elle a ignoré le fait que son employeur a tenté d’imposer unilatéralement une nouvelle condition d’emploi sans son consentement.
  • Elle a ignoré le fait qu’il était capable de travailler de la maison (où il ne représentait aucune menace pour la clientèle ou ses collègues) et disposé à le faire.
  • Elle a ignoré le fait que son employeur n’avait pas pris sa demande d’exemption religieuse ou médicale au sérieux.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale a :

  • a agi de façon injuste;
  • outrepassé ses pouvoirs ou refusé de les exercer;
  • mal interprété la loi;
  • fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas page 1.

[6] Avant que le prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas page 2. Avoir une chance raisonnable de succès est la même chose qu’avoir une cause défendableNote de bas page 3. Si le prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que le prestataire n’a pas de cause défendable.

Il est impossible de soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] Le prestataire maintient qu’il n’a rien fait de mal en refusant de se faire vacciner. Il laisse entendre qu’en le forçant à le faire sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits.

[10] Compte tenu du droit relatif à l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

[11] Lorsque la division générale a examiné la preuve disponible, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur du prestataire était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur du prestataire a adopté et communiqué une politique claire exigeant que les membres du personnel fournissent la preuve qu’ils avaient été entièrement vaccinés.
  • Le prestataire savait, ou aurait dû savoir, que le non-respect de la politique à une certaine date entraînerait une perte d’emploi.
  • Le prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner dans les délais raisonnables exigés par son employeur.
  • Le prestataire n’a pas réussi à convaincre son employeur qu’il était visé par une des exceptions permises par la politique.

[12] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier, ainsi que le témoignage du prestataire. La division générale a conclu que le prestataire était coupable d’inconduite parce que ses actes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à sa suspension. Le prestataire croyait peut-être que son refus de suivre la politique ne ferait pas de mal à son employeur, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui d’en décider.

Il est impossible de soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[13] Lorsqu’il s’agit d’évaluer l’inconduite, le Tribunal ne peut pas examiner le bien‑fondé d’un différend entre une employée ou un employé et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste au prestataire, mais il s’agit d’une interprétation que les tribunaux ont adoptée à maintes reprises et que la division générale était tenue de suivre.

On entend par inconduite toute action intentionnelle et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[14] Le prestataire soutient que rien dans la loi n’exigeait que son employeur mette en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Il soutient que se faire tester ou se faire vacciner n’a jamais été une condition de son emploi.

[15] Je ne vois pas le bien-fondé de ces arguments.

[16] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage quotidien du mot. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

[P]our être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée.

Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si la partie prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il y avait une possibilité réelle qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas page 4.

[17] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que, lorsqu’elle détermine l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[18] Le prestataire soutient que rien dans son contrat de travail ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Cependant, la jurisprudence dit que ce n’est pas la question. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employé l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

Je dois me concentrer uniquement sur la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si le prestataire a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de décider si le prestataire a été congédié à tort ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables pour le prestataire (lui offrir des mesures d’adaptation). Je peux seulement examiner une chose : si ce que le prestataire a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas page 5.

[19] Ce passage fait écho à une affaire appelée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait dit ceci :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas page 6.

[20] Dans l’affaire Lemire, la cour a conclu qu’un employeur était justifié de conclure à une inconduite lorsqu’un de ses employés a mis sur pied une entreprise parallèle de vente de cigarettes à des clientes et clients. La Cour a conclu que c’était le cas même si l’employeur n’avait pas de politique explicite contre une telle conduite.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la loi par la division générale

[21] Une décision récente de la Cour fédérale a réaffirmé cette approche à l’égard de l’inconduite dans le contexte précis des mandats de vaccination contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, Cecchetto impliquait le refus d’un prestataire de suivre la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas page 7. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé à répondre à ces questions par la loi :

[traduction]

Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur le vaccin contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas page 8.

[22] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres façons, dans le système juridique, par lesquelles le prestataire aurait pu faire valoir son congédiement injustifié ou ses revendications en matière de droits de la personne.

[23] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si le prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et si elle était susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

Conclusion

[24] Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que le présent appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Cela signifie que l’appel n’ira pas de l’avant.

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