Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : PS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 502

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : P. S.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 8 février 2023
(GE-22-3051)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 25 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-246

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Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission de faire appel parce qu’elle n’a pas de cause défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, P. S., travaillait comme préposée au service alimentaire dans un hôpital et un centre de réadaptation. Le 12 janvier 2022, son employeur l’a suspendue après qu’elle ait refusé de se faire vacciner contre la COVID-19Note de bas de page 1. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que son refus de suivre la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a estimé que la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle serait probablement congédiée si elle ne respectait pas la politique de vaccination.

[4] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient qu’elle n’est pas coupable d’inconduite et que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • elle a ignoré le fait que sa convention collective lui permettait de refuser tout vaccin;
  • elle a ignoré un précédent important qui appuie sa position.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale :

  • a agi de façon inéquitable;
  • a outrepassé sa compétence ou a refusé de l’exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[6] Avant que l’appel de la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 3. Une chance raisonnable de succès est l’équivalent d’une cause défendableNote de bas de page 4. Si la prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette première étape, je dois décider s’il est possible de soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. Je conclus que la prestataire n’a pas de cause défendable.

Il est impossible de soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve

[9] À l’audience de la division générale, la prestataire a insisté sur le fait qu’elle n’avait rien fait de mal en refusant de se faire vacciner. Elle a soutenu qu’en l’obligeant à le faire sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits.

[10] Étant donné le droit relatif à l’inconduite, je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments. Après avoir examiné la preuve disponible, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était tenu par le gouvernement provincial d’établir et d’appliquer une politique de vaccination contre la COVID-19.
  • L’employeur de la prestataire a adopté et communiqué une politique claire qui exigeait que chaque personne fournisse une preuve qu’elle était entièrement vaccinée.
  • La prestataire savait qu’elle serait congédiée si elle ne se conformait pas à la politique à une certaine date.
  • La prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner dans les délais exigés par son employeur.
  • La prestataire n’avait pas droit aux exemptions pour raisons des médicales ou religieuses prévues par la politique.

[11] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier et le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses gestes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à sa suspension. La prestataire croyait peut-être que son refus de suivre la politique de vaccination ne causait aucun préjudice à son employeur, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à elle d’en décider.

Il est impossible de soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[12] À l’audience de la division générale, la prestataire a soutenu que les tests de dépistage et la vaccination n’ont jamais été des conditions d’emploi. Elle souligne que sa convention collective contient une disposition qui reconnaît expressément que le personnel n’est pas obligé de se faire vacciner. Elle prétend que la division générale n’a pas tenu compte d’une décision antérieure selon laquelle le refus de suivre une politique de vaccination d’un employeur ne constituait pas une inconduite.

[13] Pour les raisons suivantes, je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

On entend par inconduite toute action intentionnelle et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[14] Le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une personne et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à la prestataire, mais c’est une interprétation que les tribunaux ont adoptée à maintes reprises et que la division générale était tenue de suivre.

[15] Il est important de garder à l’esprit que le terme inconduite a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à sa signification courante. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

[P]our qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelle. Une personne qui perd son emploi en raison d’une inconduite n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi. Dans ce contexte, le terme inconduite fait référence à la violation par la personne d’une règle d’emploi. La Cour d’appel fédérale a déclaré que « l’acte fautif d[oit] avoir été posé, ou l’omission répréhensible faite, volontairement, c’est-à-dire consciemment, délibérément ou intentionnellement ».

Par inconduite, on entend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 5.

[16] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que lorsqu’elle établit l’admissibilité d’une personne à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques de son employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

La convention collective de la prestataire n’est pas pertinente pour évaluer s’il y a eu inconduite

[17] La prestataire a fait valoir que sa convention collective l’exemptait de tout type de vaccination, mais la jurisprudence dit que la question n’est pas là. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur avait une politique de vaccination et si la personne l’a délibérément ignorée.

[18] En août 2021, le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario a émis la directive no 6, qui exigeait que les fournisseurs de soins de santé établissent, mettent en œuvre et appliquent une politique de vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 6. C’est ce que l’employeur de la prestataire a fait en élaborant une politique qui exigeait que tout le personnel se fasse vacciner sous peine de suspension, puis de congédiement.

[19] Il n’appartenait pas à la division générale de décider si la politique contredisait la convention collective. Comme l’a déclaré la division générale :

La prestataire soutient que sa conduite n’était pas une inconduite parce qu’il n’y avait aucune disposition de vaccination obligatoire dans la convention collective qui régissait son emploi depuis son embauche. Cet argument n’est pas convaincant, car il n’y avait pas de pandémie de COVID-19 à l’époque et l’employeur a le droit d’établir des politiques de santé et de sécurité au travail en fonction de l’évolution des circonstances.

Je conviens que la convention collective de la prestataire comporte une clause lui permettant de refuser toute vaccination. Cette clause n’a pas été supprimée. La politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur dit aussi que la prestataire peut également refuser de se faire vacciner.

La convention collective elle-même prévoit des conséquences si une personne refuse un vaccin contre la grippe. Comme je l’ai mentionné plus haut, je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur a enfreint la convention collective de la prestataire ou s’il l’a congédiée injustement. La prestataire doit faire valoir ses plaintes contre l’employeur en déposant un grief par l’entreprise de son syndicatNote de bas de page 7.

[20] Un employeur peut tenter d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits des personnes à son emploi, mais celles-ci sont libres de quitter leur emploi si elles veulent exercer pleinement ces droits. Si une personne croit qu’une politique viole les dispositions de son contrat de travail, elle est également libre de poursuivre son employeur en justice. Toutefois, le processus de demande de prestations d’assurance‑emploi n’est pas le bon endroit pour plaider de telles questions.

[21] Dans la présente affaire, l’employeur de la prestataire a imposé unilatéralement une nouvelle condition d’emploi. Il appartenait à la prestataire de décider si elle voulait respecter la condition ou subir les conséquences de ne pas le faire. Pour évaluer s’il y a eu inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi, il importe peu de savoir si la nouvelle politique d’un employeur viole des droits préexistants en matière d’emploi. Cette question relève d’une autre instance.

Une nouvelle affaire confirme l’interprétation de la loi par la division générale

[22] Une décision récente de la Cour fédérale a réaffirmé l’approche de la division générale à l’égard de la question de l’inconduite dans le contexte précis des obligations vaccinales contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 8. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé par la loi à trancher ces questions :

Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ou de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 9.

[23] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de son employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres façons pour le prestataire de faire valoir ses allégations de congédiement abusif et ses revendications en matière de droits de la personne dans le cadre du système juridique.

[24] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si la prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et vraisemblablement susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. La division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’a pas ignoré un précédent contraignant

[25] À l’audience de la division générale, la prestataire a cité l’affaire AL, dans laquelle une prestataire a été jugée admissible à des prestations d’assurance-emploi même si elle n’avait pas respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 10. La prestataire soutient que la division générale a rejeté cette affaire alors qu’elle s’appliquait à la sienne.

[26] Toutefois, la division générale n’était pas tenue de suivre les décisions du Tribunal. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais ils ne le sont pas par les décisions de leurs pairs.

[27] De plus,la décision AL n’exempte pas totalement les parties prestataires de l’assurance-emploi des politiques de vaccination obligatoire de leurs employeurs comme la prestataire semble le penser. La décision AL semble concerner une prestataire dont la convention collective empêchait explicitement son employeur de l’obliger à se faire vacciner. Selon mon examen du présent dossier, la prestataire n’a jamais mentionné de disposition comparable dans son propre contrat de travail.

[28] De plus, l’affaire AL a été tranchée avant l’affaire Cecchetto, l’affaire récente qui fournit des directives claires sur les obligations vaccinales des employeurs dans le contexte de l’assurance-emploi. Dans l’affaire Cecchetto, la Cour fédérale a examiné la décision AL et a laissé entendre qu’elle ne serait pas applicable de manière générale parce qu’elle reposait sur un ensemble de faits très particuliersNote de bas de page 11.

Conclusion

[29] Pour les raisons que je viens d’énumérer, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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