Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : PS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 501

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : P. S.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (512006) datée du 17 août 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 19 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 8 février 2023
Numéro de dossier : GE-22-3051

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Je ne suis pas d’accord avec l’appelante (prestataire).

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, la prestataire est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

Aperçu

[3] La prestataire a d’abord été suspendue, puis congédiée. Son employeur a dit à la Commission qu’elle a été suspendue sans solde parce qu’elle a agi contre sa politique de vaccination : elle a refusé de se faire vacciner.

[4] La prestataire convient que c’est la raison pour laquelle elle ne travaille plus. Cependant, elle n’est pas d’accord pour dire qu’il s’agit d’une inconduite.

[5] La Commission a accepté la raison de la suspension que l’employeur a fournie. La prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle pouvait être mise en congé sans solde si elle ne suivait pas la politique de vaccination de l’employeur. La Commission a estimé que la prestataire a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. Elle a donc conclu qu’elle est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas obtenir de prestations d’assurance‑emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendueNote de bas de page 1.

[8] Une personne qui perd son emploi en raison d’une inconduite n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi. Dans ce contexte, le terme inconduite fait référence à la violation par la personne d’une règle d’emploi.

[9] Pour décider si la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison la prestataire a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite.

Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[10] Je conclus que la prestataire a été mise en congé obligatoire sans solde à compter du 12 janvier 2022, puis congédiée le 27 janvier 2022 parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination de son employeur.

[11] La Commission affirme que l’employeur de la prestataire l’a mise en congé sans solde (suspendue) à compter du 12 janvier 2022 parce qu’elle n’a pas respecté la politique de vaccination. L’employeur l’a ensuite congédiée le 27 janvier 2022 parce qu’elle ne s’était toujours pas conformée à la politique. L’employeur l’avait informée qu’elle serait congédiée si elle continuait de ne pas se conformer à la politique de vaccination.

[12] La prestataire convient que c’est la raison pour laquelle elle ne travaille plus à cet endroit. Cependant, elle n’est pas d’accord qu’il s’agit d’une inconduite et estime qu’elle devrait être admissible à des prestations d’assurance-emploi.

La raison de la suspension de la prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[13] Oui, je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite. Voici les éléments que j’ai pris en considération.

Ce qu’est une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi

[14] La Loi sur lassurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) aide à décider si la suspension de la prestataire est le résultat d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est‑à‑dire les questions et les éléments à prendre en considération quand on examine la question de l’inconduite.

[15] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 2. Une personne qui perd son emploi en raison d’une inconduite n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi. Dans ce contexte, le terme inconduite fait référence à la violation par la personne d’une règle d’emploi. La Cour d’appel fédérale a déclaré que « l’acte fautif d[oit] avoir été posé, ou l’omission répréhensible faite, volontairement, c’est-à-dire consciemment, délibérément ou intentionnellementNote de bas de page 3. ».

[16] Par inconduite, on entend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 4. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour qu’il y ait inconduite au sens de la loiNote de bas de page 5.

[17] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 6.

[18] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 7. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploiNote de bas de page 8.

[19] Je dois me concentrer uniquement sur la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas décider si d’autres lois offrent d’autres options à la prestataire. Je n’ai pas à décider si l’employeur l’a suspendue injustement ou s’il aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 9. Je peux seulement évaluer si ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[20] La Commission doit prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 10.

Ce que la Commission et la prestataire ont dit

[21] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination qui prévoyait que les personnes qui ne s’y conformaient pas seraient mises en congé sans solde et congédiées;
  • l’employeur a communiqué la politique à tout le personnel;
  • la communication de l’employeur informait clairement la prestataire de ses attentes concernant la vaccination;
  • la prestataire savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait si elle ne respectait pas la politique.

[22] À l’audience, la prestataire a convenu de ce qui précède. Elle a convenu que la politique avait été mise en œuvre et communiquée et qu’elle pouvait entraîner une suspension ou un congédiement. Toutefois, la prestataire n’est pas d’accord pour dire qu’elle a commis une inconduite. Elle n’aurait pas dû être mise en congé sans solde et congédiée.

[23] La prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • elle a rempli ses obligations;
  • elle a été une employée remarquable pendant près de 20 ans;
  • l’employeur a modifié une condition d’emploi et elle n’aurait pas accepté le poste si sa politique de vaccination avait été en place lorsqu’elle a commencé à travailler;
  • elle accorde beaucoup d’importance à son autonomie corporelle;
  • le vaccin était encore expérimental;
  • sa convention collective reconnaît que le personnel a le droit de refuser toute vaccination recommandée ou obligatoireNote de bas de page 11;
  • son syndicat n’a pas été consulté sur ce changement unilatéral;
  • la division générale du Tribunal a récemment accordé des prestations d’assurance-emploi à une partie prestataire qui se trouvait dans une situation semblable dans le dossier GE-22-1889Note de bas de page 12.

[24] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le Tribunal n’a pas à décider si la politique d’un employeur était raisonnable. Je ne peux pas non plus évaluer si le congédiement ou la suspension d’une partie prestataire était justifié. Le Tribunal doit décider si la conduite de la prestataire constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 13.

[25] Le principe énoncé dans les paragraphes précédents s’applique aux croyances religieuses et aux exemptions fondées sur celles-ci. Je peux seulement évaluer si ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. Le fait que l’employeur ait rejeté ses demandes d’exemption pour raisons religieuses ne relève pas de la compétence du Tribunal. La prestataire doit s’adresser à l’instance appropriée ou de déposer un grief ayant trait à sa convention collective.

[26] La prestataire affirme que le seuil permettant de conclure à une inconduite n’a pas été atteint puisqu’elle a tout fait pour se conformer à la politique de vaccination de l’employeur. J’admets que la prestataire n’a jamais eu d’intention coupable. Rien dans le dossier ne le suggère et je suis convaincu que c’est le cas. Toutefois, les tribunaux ont décidé au fil des ans qu’une personne n’a pas à avoir une intention coupable pour qu’il y ait inconduiteNote de bas de page 14. Il suffit que la conduite soit consciente, voulue ou intentionnelle.

[27] La prestataire a également fait référence à une décision récente du Tribunal. Je l’appellerai la décision AL. Dans cette décision, le membre du Tribunal a infirmé la conclusion d’inconduite tirée par la Commission et a déclaré que la prestataire (A. L.) n’était pas inadmissible aux prestations d’assurance-emploi. La prestataire a soutenu que je devrais suivre la décision AL.

[28] Les faits dans l’affaire AL sont semblables à ceux de la présente affaire en ce sens qu’A. L. travaillait dans un hôpital et qu’elle a été suspendue puis congédiée pour ne pas avoir respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de son employeur.

[29] Je ne suis pas lié par les autres décisions des membres du Tribunal, mais je peux m’appuyer sur elles pour me guider lorsque je les trouve convaincantes et utilesNote de bas de page 15.

[30] Je ne trouve pas la décision AL convaincante et je ne le suivrai pas. En effet, la décision AL va à l’encontre de la jurisprudence contraignante de la Cour fédérale en matière d’inconduite.

[31] Le Tribunal n’a pas compétence pour interpréter ou appliquer une convention collective ou un contrat de travailNote de bas de page 16. Le Tribunal n’a pas non plus le pouvoir juridique d’interpréter les lois sur la protection de la vie privée, les lois sur les droits de la personne, le droit international, le Code criminel ou d’autres lois et de les appliquer aux décisions rendues au titre de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 17.

[32] Autrement dit, le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider si la politique de vaccination de l’employeur était raisonnable ou équitable ou si elle constituait une violation de la convention collective. Le Tribunal ne peut pas non plus décider si la pénalité d’un congé sans solde et d’un congédiement par la suite était trop sévère. Le Tribunal doit se concentrer sur la raison pour laquelle la prestataire a perdu son emploi et décider si la conduite qui a entraîné sa suspension et son congédiement constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[33] La prestataire soutient que sa conduite n’était pas une inconduite parce qu’il n’y avait aucune disposition de vaccination obligatoire dans la convention collective qui régissait son emploi depuis son embauche. Cet argument n’est pas convaincant, car il n’y avait pas de pandémie de COVID-19 à l’époque et l’employeur a le droit d’établir des politiques de santé et de sécurité au travail en fonction de l’évolution des circonstances.

[34] Je conviens que la convention collective de la prestataire comporte une clause lui permettant de refuser toute vaccination. Cette clause n’a pas été supprimée. La politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur dit aussi que la prestataire peut refuser de se faire vacciner.

[35] La convention collective elle-même prévoit des conséquences si une personne refuse un vaccin contre la grippe. Comme je l’ai mentionné plus haut, je n’ai pas le pouvoir de décider si l’employeur a enfreint la convention collective de la prestataire ou s’il l’a congédiée injustement. La prestataire doit faire valoir ses plaintes contre l’employeur en déposant un grief par l’entremise de son syndicat.

[36] Dans une décision récente datant de janvier 2023, la Cour fédérale reconnaît que le Tribunal a un pouvoir limitéNote de bas de page 18. Le paragraphe 32 se lit comme suit :

[traduction]

[32] Même si le demandeur est visiblement qu’aucune des décisions n’ait abordé ce qu’il considère comme les questions de droit ou de fait fondamentales qu’il soulève – par exemple, l’intégrité corporelle, le consentement aux tests médicaux, l’innocuité et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 ou les tests antigéniques – cela ne rend pas la décision de la division d’appel déraisonnable. La principale faille de l’argument du demandeur est qu’il critique les personnes qui ont rendu ces décisions parce qu’elles n’ont pas abordé un ensemble de questions qu’elles ne peuvent pas légalement examiner.

[37] Je ne tire donc aucune conclusion quant à la validité de la politique de vaccination de l’employeur ou à toute violation des droits de la prestataire au titre de sa convention collective ou de ses autres droits. Elle est libre de présenter ces arguments devant les organismes syndicaux ou décisionnels appropriés et d’y demander réparation.

[38] Toutefois, aucun des arguments de la prestataire ne change le fait que la Commission a prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’elle a été suspendue et congédiée en raison d’une conduite considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[39] Je comprends pourquoi la prestataire n’est peut-être pas d’accord avec ma décision. Je n’aborde pas les questions fondamentales de droit ou de fait qu’elle soulève, par exemple en ce qui concerne sa convention collective. Cela ne rend pas ma décision déraisonnable. Le principal problème que posent ces arguments est que la loi ne m’autorise pas à les aborder.

[40] J’ai déjà conclu que la conduite qui a mené à la suspension et au congédiement de la prestataire était son refus de fournir la preuve de vaccination exigée par la politique de vaccination (à défaut d’obtenir une exemption).

[41] La preuve de la Commission ainsi que les éléments de preuve et le témoignage de la prestataire à l’audience me permettent de tirer les conclusions suivantes :

  • La prestataire a été informée de la politique et on lui a donné le temps de s’y conformer.
  • Son refus de se conformer à la politique était intentionnel. C’était un refus délibéré. J’admets qu’elle a des raisons personnelles de ne pas vouloir se faire vacciner.
  • Elle savait ou aurait dû savoir que son refus de suivre à la politique, à défaut d’obtenir une exemption, pouvait entraîner sa suspension, puis son congédiement.
  • Son refus de suivre la politique de vaccination est la cause directe de sa suspension et de son congédiement subséquent.
  • La prestataire savait ou aurait dû savoir quelles étaient les conséquences si elle ne respectait pas la politique de vaccination de l’employeur.

[42] Pour les raisons exposées dans la présente décision, je conclus que la prestataire savait ou aurait dû savoir quelles étaient les conséquences de ne pas respecter la politique de vaccination de l’employeur. La prestataire a accusé réception de la politique et a déclaré qu’elle l’avait lue.

[43] Je conviens que la prestataire peut refuser la vaccination. C’est sa décision personnelle. Je reconnais aussi que l’employeur doit gérer les activités quotidiennes du milieu de travail. Cela comprend l’élaboration et l’application de politiques liées à la santé et à la sécurité au travail.

[44] Je juge que la prestataire est très crédible. Ses déclarations étaient cohérentes et rien dans les déclarations de la Commission ne laisse croire qu’il y avait un problème de crédibilité. Je n’ai aucun doute que la prestataire était une très bonne employée. Elle a déclaré qu’elle avait d’excellents antécédents de travail et qu’elle n’avait pas de dossier disciplinaire. Rien dans le dossier ne contredit cela.

[45] Je comprends que la prestataire n’est peut-être pas d’accord avec cette décision. Malgré cela, la Cour d’appel fédérale me dit que je peux seulement suivre le sens ordinaire de la loi. Je ne peux pas réécrire la loi ou y ajouter quoi que ce soit de nouveau pour obtenir un résultat qui semble plus équitable pour la prestataireNote de bas de page 19.

[46] La preuve dont je dispose montre que la prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur.

La prestataire a-t-elle donc perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[47] Selon mes conclusions précédentes, je juge que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Ses actions ont mené à sa suspension sans solde. Elle a agi délibérément et elle savait que son refus de se conformer à la politique de vaccination de l’employeur allait probablement lui faire perdre son emploi.

Conclusion

[48] La Commission a prouvé que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite et qu’elle est donc inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

[49] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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