Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : MH c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 558

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission d'en appel
er

Demanderesse : M. H.
Défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 2 février 2023 (GE-22-3241)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 12 mai 2023
Numéro de dossier : AD-23-267

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Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission d’interjeter appel parce qu’elle n’a pas de cause défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, M. H., travaillait comme ergothérapeute dans un établissement de traitement des dépendances. Le 19 octobre 2021, son employeur l’a mise en congé sans solde après qu’elle a refusé de se faire vacciner contre la COVID-19Note de bas page 1. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada (Commission) a décidé qu’elle n’était pas tenue de verser des prestations d’assurance‑emploi à la prestataire parce que son défaut de se conformer à la politique de vaccination de son employeur équivalait à une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la prestataire avait voulu enfreindre la politique de vaccination de son employeur. Elle a conclu que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le fait de ne pas respecter la politique entraînerait probablement son congédiement.

[4] La prestataire demande maintenant la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Elle soutient qu’elle n’est pas coupable d’inconduite et que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a mal interprété le sens du terme « inconduite » tel qu’il est énoncé dans la Loi sur l’assurance-emploi (Loi);
  • Elle n’a pas tenu compte du fait que son contrat de travail ne disait rien au sujet d’une exigence de vaccination.
  • Elle n’a pas tenu compte du fait que son employeur a tenté d’imposer une nouvelle condition d’emploi sans son consentement.
  • Elle a dit qu’elle ne pouvait pas évaluer l’équité de la politique de son employeur, mais a tout de même conclu que la politique était [traduction] « justifiée ».

Question en litige

[5] Il existe quatre moyens d’appel devant la division d’appel. Un prestataire doit démontrer ce qui suit :

  • la division générale a agi de manière injuste;
  • elle a excédé ses pouvoirs ou a refusé de les utiliser;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait graveNote de bas page 2.

[6] Avant que la prestataire puisse poursuivre, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas page 3. Une chance raisonnable de succès est assimilée à une cause défendable en droitNote de bas page 4. Si la prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prendra fin maintenant.

[7] À l’étape préliminaire, je dois répondre à la question suivante : Peut‑on soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et la preuve qu’elle a invoquée pour rendre cette décision. J’ai conclu que la prestataire n’a pas de cause défendable.

L’argument selon lequel la division générale a mal interprété la loi n’est pas fondé

[9] Le Tribunal ne peut examiner le bien-fondé d’un différend entre un employé et son employeur. Cette interprétation de la Loi peut sembler injuste à la prestataire, mais les tribunaux ont adopté cette interprétation à maintes reprises et la division générale était tenue de la suivre.

L’inconduite est un acte intentionnel pouvant entraîner la perte d’un emploi

[10] Devant la division générale, la prestataire a fait valoir que son employeur n’avait pas à mettre en œuvre une politique de vaccination obligatoire. La prestataire a soutenu que la vaccination n’a jamais été une condition de son emploi. Elle dit qu’elle n’a jamais refusé de se faire vacciner et qu’elle était prête à discuter de possibles mesures d’adaptation avec son employeur.

[11] Je ne vois pas comment la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

[12] Il ne faut pas oublier que l’« inconduite » a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage quotidien du mot. La division générale a défini l’inconduite de la façon suivante :

Pour constituer une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle […]

Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (autrement dit, qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite lorsque la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas page 5.

[13] Ces paragraphes montrent que la division générale a résumé correctement le droit concernant l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que, pour déterminer l’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi, elle n’avait pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement l’inconduite

[14] La prestataire a fait valoir que rien dans son contrat de travail ou sa convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19. Toutefois, selon la jurisprudence, ce n’est pas le problème. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique et si l’employé l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale s’est exprimée ainsi :

Je ne peux rendre aucune décision quant à savoir si la prestataire a d’autres options au titre d’autres lois. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la question de savoir si la prestataire a été suspendue à tort ou si l’employeur aurait dû adopter des mesures raisonnables (mesures d’adaptation) à son égard. Je ne peux examiner qu’une chose : la question de savoir si ce que la prestataire a fait ou a omis de faire constitue une inconduite au sens de la LoiNote de bas page 6.

[15] Ce passage renvoie à une affaire intitulée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer, selon une appréciation objective de la preuve, s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas page 7.

[16] Dans l’affaire Lemire, la Cour a ensuite conclu qu’il s’agissait d’une inconduite de la part d’un employé chargé de la livraison de nourriture de mettre sur pied une entreprise parallèle de vente de cigarettes à des clients. La Cour a conclu que c’était le cas même si l’employeur n’avait jamais eu de politique interdisant de façon explicite une telle conduite.

Une nouvelle affaire valide l’interprétation de la loi par la division générale

[17] Dans une décision récente, la Cour fédérale a confirmé cette approche à l’égard de l’inconduite dans le contexte particulier de la vaccination obligatoire contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto concernaitle refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas page 8. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé par la loi à traiter de ces questions :

[traduction]

Malgré les arguments du demandeur, il n’existe aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ou de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas page 9.

[18] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi. La Cour a précisé qu’il y avait d’autres façons, dans le système juridique, par lesquelles le prestataire aurait pu faire valoir son congédiement injustifié ou ses revendications en matière de droits de la personne.

[19] En l’espèce, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui importent sont celles de savoir si la prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si ce manquement était voulu et vraisemblablement susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

L’argument selon lequel la division générale n’a pas tenu compte de la preuve ou l’a mal comprise n’est pas fondé

[20] Devant la division générale, la prestataire a insisté pour dire qu’elle n’avait rien fait de mal en refusant de se faire vacciner. Elle a soutenu qu’en l’obligeant à le faire sous la menace d’un congédiement son employeur a porté atteinte à ses droits. Elle a dit qu’elle n’avait aucune raison de croire que son emploi était menacé parce qu’elle était convaincue que son employeur reconnaîtrait ses objections religieuses au vaccin.

[21] Compte tenu du droit relatif à l’inconduite, je ne vois pas comment la division générale a commis une erreur en rejetant ces arguments.

La division générale a tenu compte de tous les facteurs pertinents

[22] Lorsque la division générale a examiné la preuve disponible, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer une politique de vaccination comme bon lui semblait.
  • L’employeur de la prestataire a adopté et communiqué une politique de vaccination obligatoire claire exigeant que tout employé fournisse une preuve démontrant qu’il était entièrement vacciné.
  • La prestataire avait des raisons de croire que le défaut de se conformer à la politique avant une certaine date pouvait compromettre son emploi.
  • La prestataire a intentionnellement refusé de se faire vacciner dans les délais raisonnables établis par son employeur.
  • La prestataire n’a pas convaincu son employeur qu’elle était visée par l’une des exceptions de nature religieuse permises par la politique.

[23] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier ainsi que le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses actes étaient voulus et qu’ils ont vraisemblablement mené à sa suspension. La prestataire a peut-être cru que son refus de suivre la politique de vaccination de son employeur ne lui causait aucun préjudice, mais, du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à elle d’en décider.

La division générale ne s’est pas contredite

[24] Selon la loi, l’inconduite est essentiellement ce que l’employeur en dit. Si l’employeur a une politique et que l’employé y désobéit en sachant que son emploi peut être compromis, la Loi considère une telle désobéissance comme une « inconduite » et l’exclut du bénéfice des prestations.

[25] La prestataire ne comprend pas pourquoi sa convention collective, qui contient une clause permettant aux employés de refuser la vaccination, ne remplace pas la politique obligatoire de l’employeur sur la COVID-19Note de bas page 10. Elle voit une contradiction entre ce qu’elle considère comme l’approbation apparente de la politique de l’employeur par la division générale et ses déclarations répétées selon lesquelles elle ne pouvait pas déterminer si la politique est raisonnable ou justifiéeNote de bas page 11.

[26] Toutefois, je ne vois pas de contradiction. La division générale n’a pas approuvé la politique de l’employeur sur la COVID-19; elle a simplement dit que l’employeur avait le droit d’établir une telle politique comme l’exige l’évolution des circonstances. Mais il n’appartenait ni à la Commission ni à la division générale de trancher la question de savoir si cette politique entrait en conflit avec une entente contractuelle préexistante.

[27] Les employés subordonnent souvent volontairement leurs droits lorsqu’ils acceptent un emploi. Par exemple, un employé peut accepter de se soumettre régulièrement à des tests de dépistage de drogues. Ou encore, un employé peut sciemment renoncer à un aspect de son droit à la liberté d’expression, comme son droit de critiquer publiquement son employeur. Pendant la durée de l’emploi, l’employeur peut tenter d’imposer des politiques qui empiètent sur les droits de ses employés, mais les employés sont libres de quitter leur emploi s’ils veulent exercer pleinement ces droits. S’ils estiment qu’une nouvelle politique contrevient à leur convention collective ou à leurs droits fondamentaux, ils peuvent déposer un grief ou intenter une poursuite contre leur employeur devant une cour de justice ou un autre tribunal. Toutefois, le processus de demande d’assurance-emploi n’est pas le bon moyen de régler ce genre de différend.

Conclusion

[28] Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincu que le présent appel a une chance raisonnable de succès. La permission d’en appeler est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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