Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : SM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 621

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Appelant : S. M.
Représentant : C. M.
Intimée : Commission de l’assurance emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance emploi du Canada (519353) datée du
5 août 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Solange Losier
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 12 janvier 2023
Participants à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Date de la décision : Le 2 février 2023
Numéro de dossier : GE-22-2944

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le Tribunal est d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) n’a pas prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. En conséquence, le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance‑emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] S. M. est le prestataire dans la présente affaire. Il était employé d’une entreprise pour laquelle il conduisait des camions toute l’année. Le prestataire a été accusé de conduite avec facultés affaiblies. Cet incident a eu lieu en dehors de ses heures de travail.

[4] Le prestataire a cessé de travailler parce qu’il était incapable de travailler pour des raisons médicales pendant la période du 15 novembre 2021 au 15 février 2022. À peu près au même moment, il a présenté une demande et affirme avoir reçu des prestations de maladie de l’assurance-emploi. Une fois qu’il s’est rétabli, il a demandé à la Commission de convertir sa demande en prestations régulières d’assurance-emploi parce que son employeur ne pouvait pas lui offrir de mesure d’adaptationNote de bas de page 2.

[5] Le prestataire a convenu qu’il a eu la conduite reprochée et a plaidé coupable aux accusations de conduite avec facultés affaiblies. Son permis de conduire a été suspendu pendant trois mois. Il pouvait conduire à la condition qu’un antidémarreur (dispositif) soit installé dans tout véhicule qu’il conduisait pendant une période d’un an.

[6] Le prestataire s’est finalement rétabli et était prêt à retourner au travail. Toutefois, l’employeur ne pouvait pas lui offrir de mesure d’adaptation parce qu’il ne pouvait pas installer des dispositifs dans tous les véhicules qu’il pourrait avoir besoin de conduire au travail.

[7] La Commission a parlé à son employeur, puis a décidé qu’elle ne pouvait pas lui verser des prestations régulières d’assurance-emploi parce qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 3. 

[8] Même si le prestataire ne conteste pas la conduite, il soutient qu’il n’a pas été licencié, suspendu ou mis en congé par son employeurNote de bas de page 4. Il soutient qu’il ne s’agissait pas d’une inconduite et qu’il ne travaille plus en raison d’une maladie. Par ailleurs, il affirme qu’il a cessé de travailler en raison d’un congé, lequel était involontaire.

Question en litige

[9] Pourquoi le prestataire a-t-il cessé de travailler? Était-ce à cause d’une inconduite?

Analyse

[10] Je dois trancher deux questions. D’abord, je dois établir pourquoi le prestataire a cessé de travailler. Si le prestataire a été congédié, je dois ensuite décider si la loi considère ce motif comme une inconduite.

[11] La Commission doit prouver que le prestataire a cessé de travailler en raison de son inconduite. Donc, après avoir évalué l’ensemble de la preuve, je dois être convaincue que l’inconduite était le motif et non l’excuse du congédiementNote de bas de page 5.

Pourquoi le prestataire a-t-il cessé de travailler?

[12] Le prestataire et la Commission ne s’entendent pas sur la raison pour laquelle le prestataire a cessé de travailler.

[13] Je vais d’abord passer en revue ce que chacun d’eux en dit. Je déciderai ensuite pourquoi le prestataire a cessé de travailler et si c’était en raison d’une inconduite.

La position du prestataire

[14] Le prestataire soutient que l’employeur ne l’a jamais congédié, mais qu’il était toujours un employé. Il affirme qu’il a cessé de travailler d’abord parce qu’il était en congé médical ou de maladie. Une fois qu’il s’est rétabli et qu’il a tenté de retourner au travail, l’employeur ne pouvait pas lui offrir de mesure d’adaptation, car il n’était pas en mesure d’installer les dispositifs dans plusieurs véhicules au travail. 

[15] J’ai demandé au prestataire de me raconter ce qui s’est passé depuis le début.

[16] Le prestataire a témoigné que l’incident de conduite avec facultés affaiblies s’est produit après le travail le 28 octobre 2021. Il a appelé au travail pour dire qu’il était malade le lendemain, soit le vendredi 29 octobre 2021.

[17] Il a parlé de l’incident à son patron qui lui a dit qu’il pourrait se présenter au travail le lundi 1er novembre 2021. Il est un voisin de son patron immédiat et ils avaient des liens d’amitié. Ce jour-là, il a été affecté au [traduction] « poste de signaleur » au lieu de son poste habituel de chauffeur de camion. À un moment donné au cours de la journée de travail, il a rencontré son patron et d’autres supérieurs, ainsi qu’un représentant syndical et ils ont discuté de l’incident de conduite avec facultés affaiblies. Les supérieurs ont dit qu’ils envisageaient de le congédier, mais ont accepté d’attendre deux semaines pour parler à un avocat de sa situation.

[18] Le prestataire a parlé à un avocat la semaine suivante parce qu’il était préoccupé par les accusations. Les accusations de conduite avec facultés affaiblies voulaient dire qu’il perdrait son permis de conduire pendant environ trois mois. Toutefois, compte tenu du coût de la représentation juridique, du temps qu’il lui faudrait pour être entendu en cour et des conseils juridiques qu’il a obtenus, il a finalement décidé de plaider coupable aux accusations.

[19] Le prestataire a admis qu’il avait un problème d’alcool et qu’il était aux prises avec l’alcoolisme à ce moment-là. Il a rencontré son médecin qui a déterminé que, pour la période du 15 novembre 2021 au 15 février 2022, il était incapable de travailler en raison d’une maladie. Cela est étayé par la note médicale au dossierNote de bas de page 6. Le médecin l’a ensuite dirigé vers la réadaptation et un traitement contre l’alcoolisme.

[20] Le prestataire a parlé de l’aiguillage à son patron immédiat. Il s’attendait à une autre rencontre de suivi avec ses supérieurs et son représentant syndical vers le 23 novembre 2021, mais elle n’a pas eu lieu parce qu’il était en congé de maladie. Le dossier indique que l’employeur a établi un relevé d’emploi (relevé) le 30 novembre 2021 dans lequel il a indiquant le code « D » pour « Maladie ou blessureNote de bas de page 7 ».

[21] Le prestataire a confirmé qu’il a suivi un programme de réadaptation et de traitement pour son alcoolisme dans un centre pendant exactement 54 jours. Il a terminé le programme avec succès vers le 7 janvier 2022.

[22] Le prestataire a ensuite communiqué avec son employeur lorsqu’il s’est rétabli, quelque temps après le 15 février 2022, pour retourner au travail. À ce moment-là, il avait déjà récupéré son permis de conduire et était prêt à retourner au travail. Toutefois, il devait tout de même avoir un dispositif dans tout véhicule qu’il conduisait pendant un an.

[23] Le prestataire est allé voir son patron immédiat chez lui et lui a dit qu’il était prêt à retourner au travail. Son patron lui a dit qu’ils ne pouvaient pas lui offrir de mesure d’adaptation et mettre des dispositifs dans chaque chasse-neige. Il a souligné qu’en hiver les employés s’échangent souvent les chasse-neige.

[24] Le prestataire lui a demandé s’ils pouvaient lui accorder une mesure d’adaptation en lui donnant un autre emploi, mais son patron a répondu que ce n’était pas possible parce qu’il ne pouvait pas être affecté au [traduction] « poste de signaleur » tous les jours. Le prestataire lui a ensuite dit qu’il avait de la difficulté à obtenir des prestations d’assurance-emploi parce qu’il n’avait pas de relevé à jour de l’employeur.

[25] Le prestataire a expliqué qu’on ne lui a jamais dit qu’il avait été congédié verbalement ou par écrit. Il n’a pas reçu de relevé à jour indiquant que son statut d’emploi avait changé.

[26] Le prestataire a déclaré que son employeur a récemment communiqué avec lui au sujet de son retour au travail et qu’il voulait savoir quand le dispositif ne lui serait plus une condition pour conduire. Le prestataire lui a dit qu’il n’était plus tenu d’avoir le dispositif pour conduire à partir de la fin de janvier 2022.

[27] À son avis, le prestataire croit qu’il est toujours un employé de l’entreprise parce qu’il n’a pas été congédié, suspendu ou mis en congé.

La position de la Commission

[28] La Commission affirme qu’il n’est pas contesté que le prestataire a cessé de travailler pour des raisons médicales et a reçu des traitements médicaux jusqu’à ce qu’il se rétablisse en février 2022. Elle affirme que la question en litige est la raison pour laquelle le prestataire n’a pas été en mesure de retourner au travail et n’a pas repris son emploi une fois qu’il s’était rétabli.

[29] La Commission a parlé à l’employeurNote de bas de page 8. L’employeur lui a dit qu’à partir du 2 novembre 2021 le prestataire n’était plus considéré comme un employé de l’entreprise.

[30] L’employeur a admis qu’il ne lui avait pas remis de lettre de licenciement, mais a dit que le prestataire avait été avisé verbalement qu’il n’était pas un employé de l’entreprise. Il a souligné que le licenciement du prestataire n’a été confirmé qu’en février 2022 lorsqu’il a voulu retourner au travail.

[31] L’employeur a dit qu’il était un bon travailleur et qu’ils allaient le réembaucher, mais qu’il n’était pas en mesure de le faire parce que son travail consistait à conduire et qu’il était incapable de s’acquitter de ses fonctions. Il ne pouvait pas lui offrir de mesure d’adaptation en installant un dispositif dans ses véhicules.

[32] La Commission a d’abord décidé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite, de sorte qu’il a été exclu du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi à partir du 2 novembre 2021Note de bas de page 9. Toutefois, la Commission affirme maintenant que l’exclusion du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi a été établie à tort à compter du dernier jour de travail et qu’elle n’aurait dû être appliquée qu’à compter de la date à laquelle les actes (déclaration de culpabilité) du prestataire ont nui à sa capacité de retourner au travail, et ont mis fin à la relation d’emploi le 20 février 2022Note de bas de page 10.

[33] Enfin, la Commission soutient que le fait que le prestataire a conduit lorsque ses facultés étaient affaiblies a entraîné l’imposition de cette restriction sur son permis de conduireNote de bas de page 11. Elle soutient que [traduction] « l’acte de conduire en état d’ébriété est un acte délibéré ». Elle fait valoir que l’incapacité du prestataire de conduire sans l’utilisation d’un dispositif a une incidence directe sur la relation d’emploi, ce qui nuit à sa capacité d’exécuter ses fonctions professionnelles et l’a donc placé dans une position de chômage.

La Commission n’a pas prouvé que le prestataire a été congédié

[34] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 12.

[35] Je conclus que le dernier jour de travail du prestataire était vers le 2 novembre 2021. Le prestataire a été en congé du 15 novembre 2021 au 15 février 2022 pour des raisons médicales et a reçu des prestations de maladie de l’assurance-emploi. Les parties ne contestent pas ces faits.

[36] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Commission n’a pas prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[37] Premièrement, j’estime qu’il est plus probable que le contraire que le prestataire est demeuré un employé après son retour de son congé de maladie en février 2022. J’ai retenu le témoignage du prestataire plutôt que la discussion de la Commission avec l’employeurNote de bas de page 13.

[38] À l’audience, le prestataire a fourni de nombreux détails sur ce qui s’est passé et à quel moment. Je le crois lorsqu’il dit qu’il n’a été congédié à aucun moment non plus avant de commencer son congé de maladie en novembre 2021 ou après son retour de son congé de maladie en février 2022.

[39] Deuxièmement, l’employeur a dit à la Commission qu’il n’était plus un employé à compter du 2 novembre 2021, mais cela contredisait le relevé établi par l’employeurNote de bas de page 14. Le relevé au dossier établi le 30 novembre 2021 indique qu’il a cessé de travailler en raison d’une « maladie ou blessureNote de bas de page 15 ».

[40] Si l’employeur avait eu l’intention de le congédier à compter du 2 novembre 2021 et qu’il n’était plus un employé comme il a été mentionné, on peut supposer que le relevé aurait indiqué qu’il avait été congédié. Au 30 novembre 2021, le prestataire avait déjà remis la note médicale à l’employeur, était en congé de maladie et son patron immédiat savait qu’il allait en réadaptationNote de bas de page 16.

[41] Troisièmement, le prestataire a déclaré qu’il avait rencontré son patron, ses supérieurs et son représentant syndical le 2 novembre 2021 et qu’il avait obtenu deux semaines supplémentaires afin de retenir les services d’un avocat pour s’occuper des accusations de conduite avec facultés affaiblies. Comme il a été mentionné précédemment, la deuxième réunion de suivi de novembre 2021 n’a jamais eu lieu. Même lorsque le prestataire s’est rétabli et a voulu retourner au travail, une rencontre officielle avec son employeur et son représentant syndical n’a jamais eu lieu pour discuter du statut de son emploi.

[42] J’ai également tenu compte du fait que, lorsque la Commission a parlé à l’employeur, celui-ci n’a fourni aucun détail précis sur le moment où il a été licencié ou sur la personne qui lui a dit qu’il était licenciéNote de bas de page 17. C’est pourquoi je n’ai pas été convaincue qu’on n’a jamais dit au prestataire qu’il était congédié et qu’on ne lui a jamais fourni la raison de son congédiement.

[43] Enfin, aucune lettre de licenciement n’a été envoyée et l’employeur n’a pas fourni au prestataire ou à la Commission un relevé à jour indiquant qu’il avait été congédié.

[44] Après la discussion du prestataire avec son patron en février 2022, il a compris qu’il ne pouvait pas obtenir de mesure d’adaptation à ce moment-là. Même s’il a dit à son patron qu’il n’avait pas reçu de relevé à jour, aucun relevé indiquant qu’il avait été congédié, suspendu ou mis en congé sans solde n’a été établi.

[45] À mon avis, l’employeur ne l’a pas congédié, mais il ne pouvait pas lui offrir de mesure d’adaptation après son congé de maladie. Plus précisément, il n’a pas été en mesure de mettre un ou des dispositifs dans ses véhicules pour permettre au prestataire de faire son travail de camionneur ou de lui donner un autre emploi. Toutefois, le fait que l’employeur ne pouvait pas lui offrir de mesure d’adaptation après son congé pour raisons médicales ne signifie pas nécessairement qu’il a été congédié en raison d’un incident de conduite avec facultés affaiblies survenu plusieurs mois auparavant.

[46] Je remarque que l’employeur a tenté d’appeler le prestataire récemment pour voir s’il était en mesure de conduire sans dispositif. Cela peut appuyer le fait qu’il était encore un employé, mais peut-être en congé sans solde.

[47] Après avoir soupesé l’ensemble de la preuve, je conclus que la Commission n’a pas prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il avait été congédié de son emploi.

[48] Même si je me trompe et que le prestataire a été congédié d’une façon ou d’une autre de son emploi, je n’aurais pas conclu que la conduite du prestataire était une inconduite délibérée parce qu’elle n’était pas consciente, délibérée, intentionnelle ou insoucianteNote de bas de page 18. Le prestataire souffrait d’un problème de santé nécessitant un traitement médical. Il a vu son médecin qui l’a aiguillé vers la réadaptation. Le prestataire ne savait pas et ne pouvait pas savoir que son employeur le congédierait après la fin de son congé pour raisons médicales.

Donc, le prestataire a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[49] Compte tenu des conclusions que j’ai tirées ci‑dessus, j’estime que le prestataire n’a pas perdu son emploi en raison de son inconduite.

Conclusion

[50] La Commission n’a pas prouvé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite. Le prestataire n’est donc pas exclu du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi.

[51] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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