Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : EM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 658

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : E. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (513128) datée du 25 août 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Suzanne Graves
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 24 février 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 10 mars 2023
Numéro de dossier : GE-22-3090

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Les motifs de ma décision sont énoncés ci-dessous.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a été suspendue puis congédiée de son emploi en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelante ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi.Note de bas de page 1

Aperçu

[3] L’appelante a été congédiée de son emploi d’infirmière le 10 janvier 2023. Son employeur a déclaré à la Commission qu’elle avait été congédiée parce qu’elle avait agi contre sa politique de vaccination : elle ne s’était pas fait vacciner.

[4] La Commission a accepté la raison du congédiement que l’employeur a fournie. Elle a conclu que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. La Commission affirme que l’appelante a agi délibérément lorsqu’elle a décidé de ne pas se faire vacciner et qu’elle savait qu’elle allait probablement perdre son emploi en raison de cette décision. Par conséquent, la Commission a décidé que l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 27 mars 2022, soit la date de renouvellement de sa demande de prestations régulièresNote de bas de page 2.

[5] Bien que l’appelante ne conteste pas ce qui s’est passé, elle affirme qu’agir contre la politique de vaccination de son employeur n’est pas de l’inconduite. Elle dit qu’elle avait des préoccupations importantes concernant l’innocuité du vaccin, d’autant plus qu’elle a des problèmes de santé sous-jacents.

[6] L’appelante fait également valoir que son contrat de travail reconnaît explicitement le droit d’une personne employée de refuser des vaccins. Elle fait appel de la décision de la Commission au Tribunal de la sécurité sociale.

Questions que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas une partie à l’appel

[7] Parfois, le Tribunal envoie une lettre à l’ancien employeur de la partie appelante pour lui demander s’il veut être mis en cause dans l’appel. Dans la présente affaire, le Tribunal a écrit à l’employeur de l’appelante pour lui demander s’il souhaitait être mis en cause, mais il n’a pas répondu à cette lettreNote de bas de page 3.

[8] Pour être mis en cause, l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas mettre l’employeur en cause parce que rien ne prouve qu’il a un intérêt direct dans l’issue du présent appel.

Documents reçus à l’audience

[9] À l’audience, l’appelante a déposé une copie d’un document émis par l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario. J’ai accepté le document comme preuve, car il est pertinent pour les questions en litige dans le présent appel. Après l’audience, le Tribunal a envoyé le document à la Commission et lui a donné le temps de répondre. La Commission n’a présenté aucun argument en réponse.

Question en litige

[10] L’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[11] Au Canada, il existe un certain nombre de lois qui protègent les droits d’une personne, comme le droit à la vie privée ou le droit à l’égalité (non-discrimination). Il y a la Déclaration canadienne des droits et un certain nombre d’autres lois qui protègent les droits et libertés.

[12] Le Tribunal n’est pas autorisé à décider si une mesure prise par un employeur viole les droits d’une partie prestataire. Le Tribunal ne peut pas non plus rendre des décisions fondées sur la Charte canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne ou toute autre loi protégeant les droits et libertés. La partie prestataire doit soulever cette question devant un autre tribunal.

[13] La loi prévoit qu’une partie prestataire ne peut pas obtenir des prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison de son inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendueNote de bas de page 4. Mon rôle consiste à décider si une partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[14] Pour répondre à la question de savoir si l’appelante a été congédiée en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelante a perdu son emploi. Ensuite, je dois voir si la loi considère ce motif comme une inconduite.

Pourquoi l’appelante a-t-elle perdu son emploi?

[15] L’appelante a perdu son emploi parce qu’elle a agi contre la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur.

[16] La Commission affirme que l’appelante a été congédiée parce qu’elle ne s’est pas fait vacciner comme l’exigeait la politique d’immunisation de l’employeur.

[17] L’appelante ne conteste pas le fait que l’employeur l’a congédiée parce qu’elle a refusé de se faire vacciner. Elle affirme cependant qu’elle n’a jamais consenti à l’obligation vaccinale de l’employeur et qu’elle avait des préoccupations relatives à la santé concernant le vaccin. Elle affirme également que la politique allait directement à l’encontre de son contrat de travail.

[18] Je suis d’avis que l’appelante a été congédiée parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique de vaccination de l’employeur.

La raison du congédiement de l’appelante est-elle une inconduite selon la loi?

[19] La Loi sur lassurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) aide à décider si le congédiement de l’appelante est le résultat d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en compte quand on examine la question de l’inconduite.

[20] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 5. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 6. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 7.

[21] Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 8.

[22] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 9. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et me demander si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 10.

[23] Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options à l’appelante. Je n’ai pas à décider si son employeur l’a injustement congédiée ou aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnablesNote de bas de page 11.

[24] Je peux seulement évaluer une chose : si ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

[25] La Commission doit prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 12.

L’argument de la Commission

[26] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • l’employeur avait une politique de vaccination;
  • l’employeur a clairement informé l’appelante de ses attentes concernant la vaccination;
  • l’employeur a envoyé des lettres à l’appelante pour lui faire part de ses attentes;
  • l’appelante savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait si elle ne respectait pas la politique.

L’argument de l’appelante

[27] L’appelante soutient qu’il n’y a pas eu inconduite. Elle dit que le vaccin est expérimental et que la coercition médicale est illégale. Elle a déclaré qu’elle avait des préoccupations sérieuses en matière de santé concernant le vaccin. Elle dit avoir été personnellement témoin des effets nocifs sur leur santé que des patients ont ressentis après avoir été vaccinés. Elle ajoute qu’elle n’a pas pu obtenir toute l’information nécessaire sur les risques possibles pour la santé.

[28] Compte tenu de ses antécédents médicaux, l’appelante a dit être particulièrement préoccupée quant aux effets néfastes qu’elle pourrait subir après s’être fait vacciner, même le décèsNote de bas de page 13. Elle a déclaré que sa médecin ne voulait pas lui accorder une exemption médicale, invoquant des craintes au sujet de la perte de son permis d’exercer la médecine pour avoir délivré des exemptions. Elle n’a pas demandé d’exemption à son employeur, car elle croyait qu’elle ne lui serait pas accordée.

[29] L’appelante affirme que son congédiement est contraire aux termes de son contrat de travail. Elle m’a aussi demandé d’examiner une autre décision de la division générale du Tribunal (2022 TSS 1428)Note de bas de page 14. Dans cette affaire, le Tribunal a décidé que la Commission n’avait pas prouvé que la partie appelante avait manqué à une obligation explicite ou implicite découlant de son contrat de travail. L’appelante souligne également qu’un document émis par l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario reconnaît également le droit de refuser tout vaccin qui est exigéNote de bas de page 15.

Mes constatations

[30] Je suis d’avis que la raison pour laquelle l’appelante a perdu son emploi est une inconduite au sens de la loi.

[31] La politique de vaccination de l’employeur prévoit que tous les membres du personnel devaient être entièrement vaccinés contre la COVID-19 au plus tard le 29 novembre 2021Note de bas de page 16. L’employeur a envoyé une lettre à l’appelante le 14 décembre 2021, indiquant que les personnes qui n’avaient pas fourni de preuve de vaccination au plus tard le 10 janvier 2022 seraient congédiéesNote de bas de page 17. L’appelante a été congédiée de son emploi à cette date.

[32] L’appelante ne conteste pas le fait que l’employeur l’a informée des exigences de la politique de vaccination et des conséquences en cas de non-respectNote de bas de page 18.

[33] L’employeur de l’appelante a décidé, dans le contexte d’une pandémie mondiale, de suivre les recommandations de santé publique pour modifier les conditions des contrats des personnes employées afin d’imposer une politique de vaccination. Cette politique exigeait que son personnel soit vacciné contre la COVID-19. Il est bien établi en droit qu’une violation délibérée de la politique d’un employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 19.

[34] Un employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, y compris le pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques en milieu de travail. Lorsque l’employeur a mis en œuvre cette politique, elle est devenue une exigence pour tout le personnel, ainsi qu’une condition d’emploi de l’appelante.

[35] Je reconnais la décision rendue récemment par la division générale du Tribunal dans le dossier 2022-SST-1428. Cependant, les cours et la division d’appel du Tribunal ont conclu, dans des circonstances semblables, que le Tribunal n’est pas l’endroit approprié où une partie prestataire peut obtenir la réparation qu’elle demande.

[36] Il ne m’appartient pas de décider si la politique de l’employeur a eu un effet sur la santé et la sécurité au travail, si elle a contrevenu à son contrat de travail ou si elle a enfreint les droits de la personne de l’appelanteNote de bas de page 20.

[37] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite parce que l’employeur avait une politique de vaccination qui exigeait que tout le personnel soit vacciné contre la COVID-19. L’employeur a clairement informé l’appelante de ce qu’il attendait de ses employés en matière de vaccination. Ainsi, l’appelante connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.

[38] Je suis sensible à la situation de l’appelante, mais je dois suivre les règles énoncées dans la Loi sur l’assurance-emploi et je ne peux pas faire d’exceptions pour des cas particuliers, même par compassionNote de bas de page 21.

Somme toute, l’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[39] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. En effet, les gestes posés par l’appelante ont mené à son congédiement. Elle a agi délibérément. Elle savait que son refus de se faire vacciner allait probablement lui faire perdre son emploi.

Conclusion

[40] La Commission a prouvé que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi.

[41] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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