Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : AG c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 513

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : A. G.
Représentant : M. H.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 6 février 2023
(GE-22-2505)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 25 avril 2023
Numéro de dossier : AD-23-242

Sur cette page

Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission de faire appel parce qu’elle n’a pas de cause défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, A. G., travaillait comme livreuse pour une entreprise de messagerie. Le 10 janvier 2022, son employeur l’a mise en congé involontaire après qu’elle a refusé de divulguer si elle avait été vaccinée contre la COVID-19Note de bas de page 1. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que son non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel de la prestataire. Elle a conclu que la prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a estimé que la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle perdrait probablement son emploi si elle ne respectait pas la politique de vaccination de son employeur.

[4] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient qu’elle n’est pas coupable d’inconduite et que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • elle a mal interprété le sens du terme inconduite tel qu’il est énoncé dans la Loi sur l’assurance-emploi;
  • elle a ignoré le fait que son employeur a imposé une nouvelle condition d’emploi sans son consentement;
  • elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve montrant que son employeur a fait de fausses déclarations concernant les raisons pour lesquelles il l’avait mise en congé.

Question en litige

[5] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer que la division générale :

  • a agi de façon inéquitable;
  • a outrepassé sa compétence ou a refusé de l’exercer;
  • a mal interprété la loi;
  • a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.

[6] Avant que l’appel de la prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 3. Une chance raisonnable de succès est l’équivalent d’une cause défendableNote de bas de page 4. Si la prestataire n’a pas de cause défendable, l’affaire prend fin maintenant.

[7] À cette première étape, je dois décider si l’on peut de soutenir que la division générale a commis une erreur en concluant que la prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour en arriver à cette décision. J’ai conclu que la prestataire n’a pas de cause défendable.

La division d’appel ne peut pas examiner de nouveaux documents

[9] À l’appui de sa demande de permission de faire appel, la prestataire a cité plusieurs documents qui n’avaient jamais été soumis auparavant ni à la Commission ni à la division généraleNote de bas de page 5.

[10] La prestataire semble me demander de tenir compte de ces documents et de reconnaître son admissibilité à l’assurance-emploi. Malheureusement, ce n’est pas ainsi que fonctionne la division d’appel. Rien dans la loi ne me permet d’examiner de nouveaux éléments de preuve, tout comme je ne peux pas réexaminer des éléments de preuve que la division générale a déjà examinés. J’estime qu’un argument qui repose sur l’admission de nouveaux éléments de preuve n’a aucune chance raisonnable de succès en appel.

[11] Pour avoir gain de cause à division d’appel, une partie prestataire ne doit pas se contenter d’exprimer son désaccord avec la décision de la division générale. Elle doit aussi relever les erreurs précises que la division générale a commises en rendant sa décision et expliquer comment ces erreurs, le cas échéant, relèvent d’au moins un des quatre moyens d’appel prévus par la loi. Un appel à la division d’appel ne sert pas à « recommencer » l’audience de la division générale. Il ne suffit pas de présenter les mêmes éléments de preuve et les mêmes arguments à la division d’appel dans l’espoir qu’elle rende une décision différente.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve disponible

[12] Devant la division générale, la prestataire a insisté sur le fait qu’elle n’avait rien fait de mal en refusant de se faire vacciner. Elle a soutenu qu’en l’obligeant à le faire sous la menace d’un congédiement, son employeur a porté atteinte à ses droits.

[13] Étant donné le droit relatif à l’inconduite, je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur en rejetant cet argument.

La division générale a examiné tous les facteurs pertinents

[14] Après avoir examiné la preuve disponible, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur de la prestataire était libre d’établir et d’appliquer une politique de vaccination obligatoire comme il l’entendait.
  • L’employeur de la prestataire a adopté et communiqué une politique claire exigeant que chaque personne fournisse une preuve qu’elle avait été entièrement vaccinée.
  • La prestataire savait qu’elle était susceptible d’être congédiée si elle ne se conformait pas à la politique à une certaine date.
  • La prestataire a intentionnellement refusé d’attester qu’elle avait été vaccinée dans les délais exigés par son employeur.
  • La prestataire n’a pas tenté de remplir les conditions requises pour obtenir une exemption pour des raisons médicales ou religieuses prévue par la politique.

[15] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier et le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses gestes étaient délibérés et qu’ils ont vraisemblablement mené à sa suspension. La prestataire croyait peut-être que son refus de suivre la politique de vaccination ne causait aucun préjudice à son employeur, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à elle d’en décider.

La division générale n’a pas ignoré pourquoi la prestataire a été suspendue

[16] La prestataire allègue que la division générale n’a pas accordé assez d’attention à la façon dont son emploi a pris fin. Elle a toujours soutenu que parce qu’elle n’avait pas donné son consentement, elle n’avait pas été mise en « congé », comme l’a dit son employeur. Elle s’est également opposée à la décision de son employeur d’inscrire comme motif de cessation d’emploi le code M, qui est souvent utilisé pour indiquer un congédiement ou une suspension pour un motif valableNote de bas de page 6. Devant la division générale, la prestataire a soutenu qu’elle ne méritait pas qu’on l’empêche d’exercer l’emploi qu’elle a occupé pendant 29 ans.

[17] Je ne vois pas le bien-fondé d’un tel argument.

[18] D’après ce que je peux voir, la division générale n’a pas ignoré les circonstances dans lesquelles la prestataire a quitté son emploi. Elle n’a pas non plus déformé la façon dont son employeur a décrit la cessation d’emploi. Dans sa décision, la division générale a conclu que quelle que soit la façon dont son employeur l’avait décrit, le départ de la prestataire le 10 janvier 2022 était en fait une suspensionNote de bas de page 7.

[19] Dans son rôle de juge des faits, la division générale a droit à une certaine latitude dans la façon dont elle choisit d’évaluer la preuve portée à sa connaissanceNote de bas de page 8. Dans la présente affaire, la division générale a examiné les circonstances entourant la suspension de la prestataire et a conclu qu’elle avait été congédiée parce qu’elle n’avait pas respecté la politique de vaccination de son employeur, et non pour une autre raison. En l’absence d’une erreur de fait importante, je ne vois aucune raison de remettre en question cette conclusionNote de bas de page 9.

On ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[20] Le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une personne et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste à la prestataire, mais c’est une interprétation que les tribunaux ont adoptée à maintes reprises et que la division générale était tenue de suivre.

On entend par inconduite toute action intentionnelle et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[21] Devant la division générale, la prestataire a fait valoir que son employeur n’avait pas à mettre en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Elle a soutenu que les tests de dépistage et la vaccination n’ont jamais été des conditions d’emploi.

[22] Je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur en rejetant cet argument.

[23] Il est important de garder à l’esprit que le terme inconduite a un sens précis aux fins de l’assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à sa signification courante. La division générale a défini l’inconduite comme suit :

Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle. Par inconduite, on entend aussi une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée. Il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi.

Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 10.

[24] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre que pour évaluer l’admissibilité de la prestataire à l’assurance-emploi, elle n’avait pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Les contrats de travail n’ont pas à définir explicitement le terme inconduite

[25] La prestataire soutient que rien dans son contrat de travail et sa convention collective ne l’obligeait à se faire vacciner contre la COVID-19.Cependant, la jurisprudence dit que la question n’est pas là. Ce qui importe, c’est de savoir si l’employeur a une politique de vaccination et si la prestataire l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale s’est exprimée en ces termes :

À mon avis, le fait que la prestataire pensait que son employeur n’appliquerait pas les conséquences prévues en cas de non‑respect de sa politique ne signifie pas qu’elle n’était pas au courant des conséquences. La prestataire a clairement indiqué dans son témoignage qu’elle avait lu toutes les politiques et qu’elle était consciente de la possibilité qu’elle ne pourrait pas travailler si elle ne remplissait pas un formulaire d’attestation. Par conséquent, je conclus que la prestataire savait qu’elle pouvait être suspendue (mise en congé sans solde) si elle ne remplissait pas le formulaire d’attestation à la vaccinationNote de bas de page 11.

[26] Ce passage fait écho à une affaire appelée Lemire, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il ne s’agit pas de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite « telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiementNote de bas de page 12. »

Une nouvelle affaire confirme l’interprétation de la loi par la division générale

[27] Une décision récente de la Cour fédérale a réaffirmé cette approche à l’égard de l’inconduite dans le contexte précis des obligations vaccinales contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 13. La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé par la loi à trancher ces questions :

[traduction]

Malgré les arguments du demandeur, il n’y a aucun fondement pour infirmer la décision de la division d’appel parce qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la Directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ou de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 14.

[28] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres façons pour le prestataire de faire valoir ses allégations de congédiement injustifié et ses revendications en matière de droits de la personne.

[29] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont de savoir si la prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et vraisemblablement susceptible d’entraîner sa suspension ou son congédiement. La division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

Conclusion

[30] Pour les raisons que je viens d’énumérer, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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