Assurance-emploi (AE)

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Citation : JL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1074

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. L.
Représentant : Michel Lachance
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (447842) datée du 17 janvier 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Charline Bourque
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 15 mars 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Date de la décision : Le 21 avril 2023
Numéro de dossier : GE-22-3544

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire. Elle ne pouvait donc pas réexaminer rétroactivement la demande de la prestataire. L’appel est donc accueilli et le trop payé doit être annulé pour la période du 28 septembre 2020 au 12 juillet 2021.

Aperçu

[3] La prestataire est étudiante à temps plein et elle a cessé d’occuper son emploi en raison des mesures sanitaires imposées par le gouvernement pendant la pandémie de la Covid-19.

[4] Le 17 janvier 2022, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé que la prestataire était inadmissible aux prestations régulières d’assurance-emploi du 28 septembre 2020 au 12 juillet 2021 parce qu’elle suivait une formation de sa propre initiative et qu’elle n’était pas disponible pour travailler.

[5] Cette décision a engendré un trop payé de prestations de 18 228$.

[6] La prestataire a porté en appel la décision de la Commission et le Tribunal a rendu une décision accueillant cet appel le 24 mai 2022. La Commission a porté en appel cette décision auprès de la Division d’appel du Tribunal.

[7] Le 28 octobre 2022, la Division d’appel a accueilli l’appel de la Commission sur la question de la disponibilité.

[8] Cependant, la Division d’appel a retourné le dossier à la Division générale afin de décider si la Commission pouvait rendre rétroactivement inadmissible la prestataire et, dans l'affirmative, si la Commission devait agir et a agi de façon judiciaire lorsqu'elle a décidé de réexaminer la demande de la prestataire.

[9] Je dois donc me prononcer uniquement sur cette question dans le cadre de cette décision.

Question en litige

[10] La Commission pouvait-elle réexaminer rétroactivement la demande de prestations de la prestataire ?

Analyse

[11] La Commission soutient que l’article 153.161 de la Loi lui permet de vérifier l’admissibilité d’un prestataire après lui avoir versé des prestations. La Commission soutient que dans le contexte de l'article 153.161 de la Loi, la Commission peut vérifier qu'un prestataire est admissible à des paiements de prestations à tout moment après le début des paiements afin de s'assurer qu’un prestataire respecte les critères statutaires. Elle soutient qu’il ne s’agit donc pas d’une révision en vertu de l’article 52 de la Loi.

[12] La Commission est d’avis qu’elle a vérifié l’admissibilité de la prestataire aux prestations d’assurance-emploi le 23 novembre et qu’il ne s’agissait donc pas d’une décision de révision. Elle a donc déterminé que la prestataire était inadmissible aux prestations d’assurance-emploi du 28 septembre 2020 au 12 juillet 2021Note de bas de page 1.

[13] L’article 153.161 (2) de la Loi indique que la Commission peut vérifier, à tout moment après le versement des prestations, qu’un prestataire est admissible aux prestations en exigeant la preuve qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestations.

[14] L’article 52 (1) de la Loi permet à la Commission d’examiner de nouveau toute demande au sujet des prestations payées, dans les 36 mois suivant le versement.

[15] Je ne suis pas d’accord avec le raisonnement de la Commission.

[16] En effet, je suis d’avis qu’à partir du moment où la Commission décide de verser des prestations d’assurance-emploi à un prestataire, elle rend une décision, et ce, même si aucune lettre n’est émise.

[17] Dans le cas présent, la prestataire a reçu des prestations d’assurance-emploi du 27 septembre 2020 au 12 juillet 2021. À partir du premier versement, la Commission a donc conclu que la prestataire était admissible aux prestations puisque la Commission a décidé de lui en verser.

[18] Ainsi, lorsqu’elle rend, par la suite, une nouvelle décision pour la même demande et période de prestations, la Commission procède à une révision de la demande pour le faire. La Commission ne peut contredire le fait qu’elle revient sur sa décision étant donné qu’elle réclame des prestations déjà versées à la prestataire. Sans décision initiale, aucun versement de prestations n’aurait pu être fait.

La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé la demande de prestations de la prestataire ?

[19] La Division d’appel du présent Tribunal a déterminé que la Division générale du Tribunal ne pouvait refuser d’exercer sa compétence afin de déterminer si la Commission avait le pouvoir de juger la prestataire inadmissible aux prestations de façon rétroactiveNote de bas de page 2. Ainsi, je dois déterminer si la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire lorsqu’elle a réexaminé la demande de prestations de la prestataire.

Pouvoir discrétionnaire de la Commission

[20] De façon générale, l’article 52 de la Loi accorde à la Commission le pouvoir de procéder à un nouvel examen de toute demande de prestations dans les 36 mois où elles ont été payées ou sont devenues payables. De plus, si la Commission estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d’un délai de 72 mois pour réexaminer la demandeNote de bas de page 3.

[21] Dans le présent dossier, la Commission a réexaminé la demande de prestations dans un délai de 36 mois. Ce délai n’est pas remis en question.

[22] Il incombe à la Commission de démontrer qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaireNote de bas de page 4.

[23] La Cour a établi que les décisions discrétionnaires de la Commission ne peuvent être modifiées à moins qu’il puisse être démontré que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière non judiciaire ou qu’elle a agi de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 5.

[24] En d’autres mots, je peux annuler une décision discrétionnaire de la Commission si, par exemple, un prestataire parvient à établir que la Commission a :

  • Agi de mauvaise foi;
  • Agi dans un but ou pour un motif irrégulier;
  • Pris en compte un facteur non pertinent;
  • Ignoré un facteur pertinent;
  • Agi de manière discriminatoireNote de bas de page 6.

[25] Ainsi, les pouvoirs dont la Commission dispose en vertu des articles 52 et 153.161(2) de la Loi sont des pouvoirs discrétionnaires. La Commission peut réexaminer une demande de prestations et peut vérifier l’admissibilité d’une personne aux prestations qu’elle a déjà reçues, mais elle n’est pas obligée de le faire. [mon surlignement]

Lignes directrices de la Commission

[26] La Cour d’appel fédérale a reconnu l’utilité que la Commission se dote de lignes directrices afin d’encadrer l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. La Cour d’appel fédérale a réitéré à diverses reprises que la Commission était justifiée de se donner des lignes directrices pour assurer une certaine cohérence à l’échelle nationale et éviter des décisions arbitrairesNote de bas de page 7.

[27] Ces lignes directrices se retrouvent dans le Guide de la détermination de l’admissibilité. Je précise que je ne suis pas liée par ces lignes directrices puisqu’elles n’ont pas la force de loi. Néanmoins, je suis d’avis que celles-ci sont un outil indispensable à la Commission dans sa prise de décision en matière d’assurance-emploi. Ainsi, j’estime que ces lignes directrices réduisent le risque de décision arbitraire et que la Commission doit fournir une explication si elle choisit de ne pas suivre les directives qu’elle a elle-même élaborées.

[28] La prestataire soutient que la Commission connaissait sa situation dès la présentation de sa demande d’assurance-emploi. Elle a fait preuve de diligence en s’informant sur sa situation et en appelant pour ses bourses d’études. Elle a obtenu l’approbation de la Commission à plusieurs reprises concernant ses études. 

[29] Pour sa part, la Commission indique ne pas avoir agi de mauvaise foi ou de façon discriminatoire. Pour vérifier l’admissibilité aux prestations de la prestataire, la Commission a examiné les facteurs pertinents à l’analyse de sa disponibilité, soit les détails sur les études, incluant son horaire de cours du lundi au vendredi, les efforts qu’elle a déclaré avoir fait pour trouver un emploi, la priorité qu’elle a accordée à ses études et les restrictions qu’elle a imposées sur sa disponibilité. La prestataire n'a pas été distinguée pour ses facteurs personnels et n'a pas fait l'objet de discrimination. Le délai pour la vérification ainsi que le résultat de devoir rembourser un trop payé important ne sont pas des considérations pertinentes.

[30] De plus, la Commission soutient que même si elle avait fourni à la prestataire des renseignements qui n'étaient pas clairs ou qui étaient trompeurs, les renseignements erronés ne justifient pas une dispense de l'application de la Loi.

Situations donnant ouverture au réexamen

[31] Je me réfère à nouveau au Guide de détermination de l’admissibilité dans lequel la Commission indique, dans sa politique de réexamen, qu’elle ne procèderait au nouvel examen d’une demande que dans les situations suivantes :

  • il y a un moins payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • la prestataire aurait dû savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droit.Note de bas de page 8

[32] Je conclus donc que la Commission a évalué qu’elle procédait au réexamen du dossier de la prestataire et que, par le fait même, elle a déterminé que les renseignements présentés justifiaient un nouvel examen et qu’elle respectait le délai. Elle a donc rendu une décision selon ses propres lignes directrices, calculé le montant à être remboursé (trop payé) et a informé la prestataire de sa décision.

[33] Je vais donc examiner les 4 critères pris en considération par la Commission.

Moins payé

[34] Selon le premier critère, un trop payé de 14 200$ a été créé. Suite à la révision, le trop payé s’élève à 18 228$Note de bas de page 9.

[35] Ainsi, selon la politique de la Commission, aucun trop payé ne sera créé si elle a versé à tort des prestationsNote de bas de page 10.

Structure de la Loi

[36] Pour ce qui est de la structure de la Loi, l’article 17.3.3.2 du Guide de détermination de l’admissibilité indique clairement qu’une période de non-disponibilité ne fait pas partie de la structure de la LoiNote de bas de page 11.

[37] Néanmoins, la Commission peut réexaminer un élément qui ne fait pas partie de la structure de la Loi s’il respecte l’une des conditions énoncées dans la politique. Je suis d’avis que ce n’est pas le cas dans le présent dossier.

Déclarations fausses ou trompeuses

[38] Le troisième critère pour lequel la Commission procèdera au nouvel examen de décisions antérieures concerne le versement de prestations à la suite de déclarations fausses ou trompeuses.

[39] La Commission dispose d’un délai de 36 mois à partir du moment où les prestations ont été payées pour réexaminer toute demande de prestations. Si la Commission estime qu’une fausse déclaration a été faite, ce délai peut être prolongé à 72 moisNote de bas de page 12.

[40] Je reconnais que la Commission n’est pas tenue à un fardeau aussi strict pour déterminer si une déclaration fausse ou trompeuse a été faite par rapport au fardeau qu’elle a pour l’imposition d’une pénalité. En autres, la Commission n’a pas à démontrer que les fausses déclarations ont été faites sciemmentNote de bas de page 13. Je suis d’avis que ce raisonnement est valide tant pour le réexamen pour la période de 36 mois que pour celui pour la période allant jusqu’à 72 mois. Cependant, l’opinion de la Commission ne saurait à lui seul suffire pour conclure que les prestations ont été versées à la suite de déclarations fausses ou trompeuses.

[41] La Commission ne présente pas d’argument précis à savoir pourquoi elle estime que la prestataire a présenté des déclarations fausses ou trompeuses.

[42] La Commission a déterminé que la prestataire n’était pas disponible pour travailler puisqu’elle suivait un cours de formation de sa propre initiativeNote de bas de page 14.

[43] Je constate que la prestataire indique avoir indiqué qu’elle étudiait à temps plein lorsqu’elle a rempli chacune de ses déclarations hebdomadaires pendant sa période d’études. La Commission a omis de fournir les déclarations de la prestataire avec son dossier.

[44] Ensuite, la prestataire a déclaré suivre une formation dès le 26 septembre 2020Note de bas de page 15. Elle a de nouveau rempli le formulaire sur la formation le 12 février 2021Note de bas de page 16.

[45] De plus, la prestataire affirme avoir communiqué avec la Commission au sujet de ses bourses d’études et de son éligibilité aux prestations. La Commission a alors débloqué son dossier et autorisé à nouveau le versement de prestations.

[46] Ce n’est que le 16 novembre 2021 que la Commission communique avec la prestataire afin de vérifier ces mêmes informationsNote de bas de page 17.

[47] Je conclus sur la balance des probabilités que les déclarations de la prestataire ne constituaient pas des déclarations fausses ou trompeuses. La prestataire a déclaré le fait qu’elle était aux études à temps plein dès le départ. La Commission ne pouvait ignorer ces faits et justifier son réexamen sur des faits qu’elle connaissait déjà.

[48] Je tiens à mentionner que le Guide de détermination de l’admissibilité prend même en considération ce type de situation. En effet, le Guide établit que :

« Une erreur est imputable à la Commission si cette dernière disposait de tous les renseignements nécessaires pour prendre une décision, mais qu’elle n’en a pas tenu compte au moment de rendre sa décision finale. L’erreur peut avoir été commise dans le cadre du processus de règlement d’une demande, ou résulter de l’omission de consigner une décision dans le système informatique.

[49] Si la Commission commet une erreur en refusant de verser des prestations, ces dernières seront payées. Si la Commission a autorisé à tort le versement de prestations, l’erreur sera corrigée sans toutefois créer un trop payé. La seule exception concerne les cas où l’erreur de la Commission donne lieu à une décision qui se veut contraire à la structure de la Loi. La Commission devra alors corriger son erreur de façon rétroactive, même si cela entraîne un trop payé »Note de bas de page 18. [mon soulignement]

[50] Je souligne que la question de disponibilité ne fait pas partie de la structure de la LoiNote de bas de page 19.

La prestataire aurait dû savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droit

[51] La dernière situation énoncée par le Guide de détermination de l’admissibilité est lorsqu’un prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit. En l’espèce, rien ne démontre que la prestataire aurait dû savoir qu’elle ne pouvait recevoir de prestations d’autant qu’elle a mentionné être étudiante à temps plein dès le départ, elle déclarait être aux études de façon hebdomadaire et s’est informée à quelques reprises de sa situation auprès de la Commission.

[52] Je conclus que la Commission n’a pas appliqué ses propres lignes directrices en matière de réexamen. J’estime qu’elle a arbitrairement exercé son pouvoir discrétionnaire, et ce, de manière non judiciaire. Je suis d’avis que la Commission n’a pas agi de bonne foi, en prenant en compte tous les facteurs pertinents et en ne tenant pas compte des facteurs non pertinentsNote de bas de page 20.

[53] La Commission soutient que pour vérifier l’admissibilité aux prestations de la prestataire, la Commission a examiné les facteurs pertinents à l’analyse de sa disponibilité, soit les détails sur les études, incluant son horaire de cours du lundi au vendredi, les efforts qu’elle a déclaré avoir fait pour trouver un emploi, la priorité qu’elle a accordée à ses études et les restrictions qu’elle a imposées sur sa disponibilité. La prestataire n'a pas été distinguée pour ses facteurs personnels et n'a pas fait l'objet de discrimination. Le délai pour la vérification ainsi que le résultat de devoir rembourser un trop payé important ne sont pas des considérations pertinentes.

[54] Or, je ne suis pas d’accord avec la Commission. Je suis d’avis que la Commission n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et qu’elle n’a pas pris en considération des éléments importants. En effet, la Commission n’a pas suivi ses propres lignes directrices. Elle a établi un trop payé alors que la question de la disponibilité n’est pas une décision contraire à la structure de la Loi. De plus, la prestataire n’a fait aucune déclaration fausse ou trompeuse.

[55] De plus, la Commission avait toute l’information pertinente à la situation de la prestataire dès le moment où elle a présenté sa demande d’assurance-emploi. La Commission a autorisé le versement des prestations à plus d’une reprise puisque la prestataire a complété deux fois le formulaire sur sa formation, qu’elle s’est informée à la Commission concernant ses bourses, ce qui a eu pour effet de débloquer le versement des prestations.

[56] Je suis d’avis que la prestataire ne pouvait pas savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droit.

[57] En conclusion, j’estime que considérant l’ensemble de la preuve et les circonstances présentées, la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire dans l’application des articles 52 et 153.16 (2) de la Loi. La Commission n’a pas respecté sa propre politique en matière de réexamen. Ayant de mon côté examiné l’ensemble des circonstances de la prestataire comme indiqué ci-dessus, je conclus qu’il n’y a pas lieu de procéder au réexamen de la demande de prestations, et ce, même si le réexamen avait lieu dans un délai inférieur à 36 mois.

Conclusion

[58] L’appel est accueilli.

[59] La Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire. Elle ne pouvait donc pas réexaminer rétroactivement la demande de la prestataire. L’appel est donc accueilli et le trop payé doit être annulé pour la période du 28 septembre 2020 au 12 juillet 2021.

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