Assurance-emploi (AE)

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Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c LK, 2023 TSS 886

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Julie Meilleur
Partie intimée : L. K.
Représentante : C. W.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du
6 décembre 2022 (GE-22-1614)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 13 juin 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelante
Intimée
Représentante de l’intimée
Date de la décision : Le 5 juillet 2023
Numéro de dossier : AD-22-964

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. Le dossier retourne à la division générale afin de déterminer si la prestataire était admissible au bénéfice des prestations à partir du 27 septembre 2020, alors qu’elle suivait une formation.

Aperçu

[2] L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a décidé que l’intimée (prestataire) n’était pas admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi à partir du 27 septembre 2020, parce qu’elle suivait une formation qui n’était pas autorisée et qu’elle n’était pas disponible pour travailler. La prestataire a interjeté appel de la décision en révision de la Commission devant la division générale.

[3] La division générale a déterminé que la Commission n’avait pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire en décidant de vérifier et de réexaminer la demande de prestations de la prestataire. Elle a conclu que la Commission ne pouvait pas déterminer, d’une façon rétroactive, que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[4] La division d’appel a accordé à la Commission la permission d’en appeler de la décision de la division générale. La Commission soutient que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 153.161 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[5] Je dois décider si la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 153.161 de la Loi sur l’AE.

[6] J’accueille l’appel de la Commission sur la question de l’exercice du pouvoir judiciaire.

[7] Le dossier retourne à la division générale afin de déterminer si la prestataire était admissible au bénéfice des prestations à partir du 27 septembre 2020, alors qu’elle suivait une formation.

Question en litige

[8] Est-ce que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 153.161 de la Loi sur l’AE?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[9] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).Note de bas de page 1

[10] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. 

[11] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, je dois rejeter l'appel.

Remarques préliminaires

[12] La prestataire a produit un document après audience. J’ai décidé de l’accepter car les faits mentionnés dans le document sont en conformité avec son témoignage devant la division générale.

Est-ce que la division générale a erré en droit dans son interprétation de l’article 153.161 de la Loi sur l’AE?

[13] La division générale a déterminé que la Commission n’avait pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire en décidant de vérifier et de réexaminer la demande de prestations du prestataire. Elle a conclu que la Commission ne pouvait pas déterminer, d’une façon rétroactive, que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[14] La Commission soutient qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé, suivant l’article 153.161 de la Loi sur l’AE, que la prestataire n’était pas admissible aux prestations. Elle soutient que sa politique de réexamen n’est pas pertinente à l’affaire considérant que c’est l’article 153.161 de la Loi sur l’AE qui s’applique à la présente situation.

[15] La prestataire soutient que la division générale n’a pas commis d’erreur en concluant que la Commission n’avait pas exercé son pouvoir de façon judiciaire puisqu’elle a déclaré suivre une formation à temps plein avant et après sa demande, ainsi que dans ses déclarations. Elle a toujours été honnête.

[16] Afin de déterminer si la division générale a commis des erreurs, il est important d'examiner d'abord les pouvoirs de révision de la Commission avant de considérer l'impact des mesures temporaires pour faciliter l'accès aux prestations qui sont entrées en vigueur pendant la pandémie.

[17] Les pouvoirs de réexamen de la Commission sont énoncés à l'article 52 de la Loi sur l'AE. Cet article prévoit que la Commission peut réexaminer une demande de prestations dans les 36 mois suivant le paiement des prestations.Note de bas de page 2

[18] La jurisprudence a établi que la seule restriction au pouvoir de réexamen de la Commission en vertu de l'article 52 de la Loi sur l'AE est le délai. Par conséquent, la Commission peut réexaminer une demande en vertu de l'article 52, même s'il n'y a pas de faits nouveaux. En d'autres termes, elle peut retirer son approbation antérieure et exiger des prestataires qu'ils remboursent les prestations qui ont été versées en vertu de cette approbation.Note de bas de page 3

[19] Pendant la pandémie, le gouvernement a modifié temporairement la Loi sur l’AE. L'article 153.161 a été ajouté à la Loi sur l'AE et est entré en vigueur le 27 septembre 2020. Cette disposition s’applique à la prestataire qui a établi une demande initiale de prestations d’assurance-emploi le 27 septembre 2020.

[20] L'article 153.161 de la Loi sur l'AE mentionne ce qui suit :

Disponibilité

Cours ou programme d’instruction ou de formation non dirigé

153.161 (1) Pour l’application de l’alinéa 18(1) a), le prestataire qui suit un cours ou programme d’instruction ou de formation pour lequel il n’a pas été dirigé conformément aux alinéas 25(1) a) ou b) n’est pas admissible   au versement des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu’il était, ce jour-là, capable de travailler et disponible à cette fin.

Vérification

(2) La Commission peut vérifier, à tout moment après le versement des prestations, que le prestataire visé au paragraphe (1) est admissible aux prestations en exigeant la preuve qu’il était capable de travailler et disponible à cette fin pour tout jour ouvrable de sa période de prestations.

[21] Cette disposition temporaire prévoit que pour l’application de l'article 18(1) a) de la Loi sur l'AE, la Commission peut vérifier si un prestataire a droit à des prestations en exigeant une preuve de sa disponibilité à travailler à tout moment après le versement des prestations. Ceci implique que la vérification de disponibilité peut ne pas avoir eu lieu pendant le versement des prestations.

[22] L'article 52 de la Loi sur l'AE est rédigé différemment. Il prévoit que la Commission peut réexaminer une demande de prestations dans les 36 mois suivant le versement des prestations. Je suis d’avis qu’il ne s’agit pas d’un pouvoir analogue à celui prévu à l’article 153.161 de la Loi sur l’AE.

[23] La Commission avance que l'admissibilité de la prestataire n'a été vérifiée que le 8 février 2022. Cependant, je ne trouve aucune preuve devant la division générale que la décision relative à l'admissibilité ait été retardée.Note de bas de page 4 Par contre, la preuve de la prestataire démontre qu’elle s’est renseignée auprès de la Commission avant sa demande pour savoir si elle pouvait recevoir des prestations étant donné sa formation. Elle a par la suite reçu des prestations. Elle a également eu des communications avec la Commission en mai 2021 afin de s’assurer qu’elle était toujours admissible aux prestations. La prestataire a toujours déclaré dans ses déclarations qu’elle était aux études.

[24] Je suis d'avis que la preuve prépondérante devant la division générale démontre que la Commission avait déjà vérifié l'admissibilité de la prestataire avant de lui verser des prestations.

[25] Cela étant dit, je suis d'avis que l'article 153.161 doit être lu conjointement avec l'article 52 de la Loi sur l'AE. Une section permet à la Commission de vérifier le droit aux prestations, si elle ne l'a pas fait, l'autre permet à la Commission de reconsidérer sa décision, si elle l'a fait. Les deux articles visent à récupérer des sommes indûment reçues par un prestataire.

[26] De plus, la décision de demander une vérification en vertu de l'article 153.161 ou d’examiner à nouveau une demande en vertu de l'article 52 sont des décisions discrétionnaires. Cela signifie que bien que la Commission ait le pouvoir de demander la vérification d’admissibilité ou de réexaminer une demande, elle n'a pas à le faire.

[27] La loi dit que les pouvoirs discrétionnaires doivent être exercés de manière judiciaire. Cela signifie que lorsque la Commission décide de reconsidérer une demande, elle ne peut agir de mauvaise foi ou dans un but ou motif illégitime, tenir compte d'un facteur non pertinent ou ignorer un facteur pertinent ou agir de manière discriminatoire.Note de bas de page 5

[28] La Commission a élaboré une politique pour l'aider à exercer son pouvoir discrétionnaire de réexaminer des décisions en vertu de l’article 52 de la Loi sur l'AE. La Commission affirme que la raison de la politique est « d'assurer une application uniforme et équitable de l'article 52 de la Loi sur l'AE et d'empêcher la création de dettes lorsque le prestataire a été payé en trop sans qu'il y ait eu faute de sa part ». La politique prévoit qu'une réclamation ne sera réexaminée que lorsque :

  • il y a un moins-payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la loi;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • le prestataire aurait dû savoir qu’il recevait des prestations auxquelles il n’avait pas droit.Note de bas de page 6

[29] La politique stipule qu'une période de non-disponibilité n'est pas une situation où des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi sur l'AE.Note de bas de page 7 La prestataire n'a pas fait de déclaration fausse ou trompeuse et ne pouvait pas savoir qu'elle n'avait pas droit aux prestations reçues. Aucun des facteurs mentionnés dans la politique de la Commission ne justifie un réexamen de la réclamation de la prestataire puisqu’elle a agi de bonne foi et a déclaré sa formation à plusieurs reprises à la Commission.

[30] Je n'ai aucun doute que la prestataire a agi de bonne foi et a déclaré sa formation à plusieurs reprises à la Commission. La Commission a réexaminé la demande en fonction des faits dont elle disposait au moment où la décision initiale relative à l'admissibilité a été prise et où les prestations ont été versées.

[31] En l'absence de l'article 153.161 de la Loi sur l'AE, je conviens que la Commission aurait dû tenir compte des facteurs susmentionnés et de sa propre politique lorsqu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour décider de réexaminer la demande de la prestataire.

[32] Cependant, je suis d'avis que pendant les mesures temporaires mises en place pendant la pandémie, le pouvoir discrétionnaire de la Commission de décider de réexaminer une demande devait être exercé en gardant à l'esprit l'intention législative de l'article 153.161 de la Loi sur l'AE.

[33] En mettant en œuvre cet article pendant la pandémie, le Parlement a clairement voulu insister sur le pouvoir de la Commission de vérifier si un prestataire suivant un cours, un programme d'enseignement ou une formation avait droit aux prestations d'assurance-emploi, et ce, même après le versement des prestations.

[34] L'un des principes de l'interprétation des lois est que le Parlement ne parle pas inutilement. En mettant en œuvre l'article 153.161 de la Loi sur l'AE, le Parlement a clairement décidé que le réexamen d'une décision initiale sur la disponibilité d'un étudiant prise pendant la pandémie l'emportait sur l'importance que la décision initiale soit finale.

[35] Je suis d’avis que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire selon les paramètres établis par le Parlement durant la pandémie.

[36] Compte tenu des facteurs susmentionnés, je conclus que la division générale a commis une erreur en décidant que la Commission n’avait pas exercé son pouvoir de manière judiciaire et qu'elle ne pouvait donc pas déterminer, d’une façon rétroactive, que la prestataire n’était pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[37] Je suis donc justifié d’intervenir.

Remède

[38] Pour les raisons précédemment mentionnées, je suis d’avis que la Commission a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire suivant les articles 52 et 153.161 de la Loi sur l’AE.

[39] La Commission a tenu compte de tous les renseignements pertinents pour décider de vérifier la disponibilité. Aucun nouveau fait pertinent n'a été fourni à l'audience de la division générale que la prestataire n'ait déjà fourni à la Commission. Rien n'indique que la Commission ait considéré des informations non pertinentes ou ait agi de mauvaise foi ou de manière discriminatoire. La Commission a également agi dans un but légitime en vérifiant le droit de la prestataire aux prestations.

[40] Cependant, compte tenu des conclusions de la division générale, le dossier doit retourner à la division générale afin de déterminer si la prestataire était admissible au bénéfice des prestations à partir du 27 septembre 2020, alors qu’elle suivait une formation.

Conclusion

[41] L’appel de la Commission est accueilli sur la question de l’exercice du pouvoir judiciaire.

[42] Cependant, le dossier retourne à la division générale afin de déterminer si la prestataire était admissible au bénéfice des prestations à partir du 27 septembre 2020, alors qu’elle suivait une formation.

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