Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1083

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : C. K.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (0) datée du 14 février 2023 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : John Noonan
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 4 mai 2023
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 12 mai 2023
Numéro de dossier : GE-23-606

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante. 

[3] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a été mise en congé en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce que sa façon d’agir a fait en sorte qu’elle a été mise en congé, ce qui l’a empêchée de travailler). Par conséquent, l’appelante est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en ce qui concerne cette demande. 

Aperçu

[4] C. K, l’appelante, a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. La période de prestations établie pour cette demande commençait le 23 janvier 2022. Cette demande a été rejetée le 6 avril 2022. En effet, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé que l’appelante était exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle avait perdu son emploi en raison de son inconduite. L’appelante a demandé et obtenu la révision de cette décision, ce qui a amené la Commission à modifier sa décision initiale. Dans sa décision de révision, la Commission a indiqué : [traduction] « Vous avez été mise en congé sans solde parce que vous n’avez pas respecté la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19. Par conséquent, vous avez été suspendue de votre emploi en raison de votre inconduite. Nous ne pouvons donc pas vous verser de prestations d’assurance-emploi pour la période demandée ayant comme date de début le 23 janvier 2022 » (voir les pages GD3-27 et GD3-28). L’appelante a ensuite fait appel au Tribunal de la sécurité sociale. Le Tribunal doit décider si l’appelante a commis l’acte reproché et, dans l’affirmative, si ses gestes constituent une inconduite. L’examen de l’appel permettra de décider si l’appelante est admissible aux prestations aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

[5] L’employeur de l’appelante a expliqué qu’elle avait été mise en congé parce qu’elle n’a pas respecté sa politique de vaccination : elle ne s’est pas fait vacciner. 

[6] Selon la Loi sur l’assurance-emploi, une période de congé volontaire relève d’une entente entre l’employeur et la partie prestataire. Elle doit aussi avoir une date de fin convenue entre la partie prestataire et l’employeur.

[7] Aucun élément de preuve ne m’indique que l’appelante a convenu de prendre congé de son emploi à compter du 16 décembre 2021.

[8] La Loi prévoit qu’une partie appelante suspendue de son emploi en raison d’une inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestations.

[9] Dans la présente affaire, ce sont les gestes de l’appelante, plus précisément son refus de se faire vacciner, qui ont fait en sorte qu’elle ne travaille pas. En raison des circonstances, je suis convaincu que le congé de l’appelante peut être considéré comme une suspension.

[10] Même si l’appelante ne conteste pas ce qui s’est passé, elle affirme qu’aller à l’encontre de la politique de vaccination de son employeur ne constitue pas une inconduite. 

[11] La Commission a accepté la raison du congé fournie par l’employeur. Elle a conclu que l’appelante avait été mise en congé en raison de son inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que l’appelante était exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en ce qui concerne cette demande. 

Question que je dois examiner en premier

En ce qui concerne les observations de l’appelante au sujet des décrets de la reine Romana Didulo à titre de cheffe d’État et de commandante en chef, dirigeante du gouvernement et présidente du Canada :

[12] Si je tenais compte de quelconque référence à ces « décrets » ou aux mandats d’autres entités ou gouvernements dans ma décision, je commettrais une erreur de droit. En effet, je suis seulement autorisé à rendre une décision fondée sur la Loi sur l’assurance-emploi, telle qu’adoptée par le Parlement du Canada.

[13] La Loi sur l’assurance-emploi est une loi adoptée par le Parlement du Canada. Elle donne à la Commission le pouvoir d’évaluer les demandes et de verser des prestations aux personnes qui remplissent les conditions prévues par la Loi. La Loi et la réglementation connexe autorisent le Tribunal à examiner les décisions de révision rendues par la Commission qui sont portées en appel par une partie prestataire.

[14] Si l’appelante est d’avis qu’une autre instance, comme la reine Didulo et son gouvernement, a le pouvoir d’outrepasser l’autorité du gouvernement du Dominion du Canada pour traiter du fait qu’on lui a refusé des prestations, je lui suggère de porter son appel devant cette instance si elle n’est pas satisfaite de la façon dont le gouvernement du Canada, la Commission ou le Tribunal tranche de telles questions.

Question en litige

[15] L’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite? 

Analyse

[16] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites au document GD4 du dossier d’appel.

[17] Le terme « inconduite » n’est pas défini dans la Loi. Pour remplir le critère lié à l’inconduite, l’acte reproché doit avoir été de nature délibérée ou, à tout le moins, de nature insouciante ou négligente au point où l’on pourrait dire que la personne a délibérément ignoré les effets de ses actes sur son rendement (voir la décision Tucker A-381-85).

[18] Les tribunaux doivent se concentrer sur la conduite de la partie prestataire, et non sur celle de l’employeur. La question n’est pas de savoir si l’employeur était coupable d’inconduite en congédiant la prestataire de sorte que son congédiement était injustifié. La question est plutôt de savoir si la prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné la perte de son emploi (voir les décisions McNamara 2007 CAF 107 et Fleming 2006 CAF 16).

[19] L’employeur et la Commission doivent démontrer selon la prépondérance des probabilités que la partie prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite (voir les décisions Larivee A-473-06 et Falardeau A-396-85).

[20] Il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée à la partie prestataire et la perte de son emploi. Il faut que l’inconduite entraîne la perte de son emploi et qu’elle en soit une cause opérante. En plus du lien de causalité, l’inconduite doit avoir été commise par la partie prestataire alors qu’elle travaillait pour l’employeur. Elle doit aussi constituer un manquement à une obligation résultant explicitement ou implicitement du contrat de travail (voir les décisions Cartier 2001 CAF 274; Smith A-875-96; Brissette A-1342-92; et Nolet A-517-91).

[21] Selon la loi, une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique si son employeur l’a congédiée ou suspendue.

[22] Pour décider si l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite, je dois examiner deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison l’appelante a perdu son emploi. Ensuite, je dois décider si la loi considère cette raison comme une inconduite. 

Question en litige no 1 : L’appelante a-t-elle été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite?

[23] Oui.

[24] L’appelante a été mise en congé, puis suspendue de son emploi. L’employeur de l’appelante a déclaré qu’elle avait été mise en congé parce qu’elle n’avait pas respecté sa politique, qui exigeait qu’elle soit entièrement vaccinée ou obtienne une exemption approuvée.

[25] La preuve démontre que c’est la conduite de l’appelante, plus précisément son refus de se faire vacciner, qui a fait en sorte qu’elle ne travaille pas. Je suis convaincu que, aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi, le congé de l’appelante peut être considéré comme une suspension.

[26] Question en litige

[27] L’appelante ne conteste pas ce qui s’est passé. Cependant, elle dit avoir pris la décision de ne pas se faire vacciner.

[28] Elle n’a pas demandé d’exemption médicale ni pour motifs religieux. L’appelante savait que le fait d’être entièrement vaccinée était une exigence de son emploi. Elle soutient que c’est illégal et que son employeur l’a injustement suspendue.

[29] La Commission a accepté la raison de la suspension fournie par l’employeur. Elle a conclu que l’appelante avait été suspendue en raison d’une inconduite. Par conséquent, la Commission a décidé d’exclure l’appelante du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 23 janvier 2022.

[30] J’estime que l’appelante a bel et bien enfreint la politique de vaccination de l’employeur, ce qui a entraîné sa suspension.

[1] Si oui, l’a-t-elle fait volontairement au point où elle pouvait raisonnablement s’attendre à être congédiée de son emploi en raison de ses gestes?

[31] Oui.

[32] Les tribunaux doivent se concentrer sur la conduite de la partie prestataire, et non sur celle de l’employeur. La question n’est pas de savoir si l’employeur était coupable d’inconduite en congédiant la prestataire de sorte que son congédiement était injustifié. La question est plutôt de savoir si la prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné la perte de son emploi (voir les décisions McNamara 2007 CAF 107 et Fleming 2006 CAF 16).

[33] La preuve d’un élément psychologique est nécessaire. La prestataire doit avoir un comportement délibéré ou insouciant au point où il frôle le caractère délibéré (voir les décisions McKay-Eden A-402-96; Jewell A-236-94; Brissette A-1342-92; Tucker A-381-85; et Bedell A-1716-83).

[34] Le Tribunal doit disposer des faits pertinents avant de pouvoir conclure qu’il y a eu inconduite. Il doit aussi disposer d’une preuve suffisamment détaillée pour, en premier lieu, savoir comment la partie prestataire s’est comportée et, en deuxième lieu, décider si un tel comportement était répréhensible (voir les décisions Meunier A-130-96 et Joseph A-636-85).

[35] Le terme « inconduite » n’est pas défini dans la jurisprudence. L’inconduite est principalement déterminée en fonction des circonstances (voir les décisions Gauthier A-6-98 et Bedell A-1716-83).

[36] Tous les éléments de preuve doivent être analysés avant de conclure qu’il y a eu inconduite (voir la décision Ryan 2005 CAF 320).

[37] L’appelante était au courant de la politique de l’employeur, puisqu’elle en a été avisée le 24 octobre 2021. Elle savait aussi qu’il y aurait des conséquences si elle choisissait de ne pas se faire vacciner au plus tard le 16 décembre 2021.

[38] Elle a choisi de ne pas se conformer à l’obligation vaccinale de l’employeur. Elle a affirmé qu’en laissant entrer une substance non testée dans son corps dont elle est souveraine, elle courait un risque sur le plan médical. L’employeur a alors exercé son droit de suspendre l’appelante.

[39] Je conclus que la raison du congédiement est une inconduite au sens de la loi.

[40] À son audience, l’appelante a présenté un témoignage très détaillé concernant son congédiement qui s’est produit parce qu’elle s’est opposée à la politique de vaccination obligatoire.

[41] Elle a déclaré qu’elle est un être souverain et qu’elle n’est pas assujettie aux lois du Canada qui permettent à la province de Terre-Neuve-et-Labrador, son employeur, d’exister. Comme elle l’a déjà souligné, elle est seulement assujettie aux lois de sa reine du Royaume du Canada. Par conséquent, travailler pour une entité illégale serait considéré comme une trahison.

[42] Selon son témoignage et ses observations, ses préoccupations concernant l’obligation vaccinale de l’employeur sont demeurées sans réponse de toutes les parties à qui elle les a exprimées.

[43] Elle était d’avis que, dans des cas semblables au sien, d’autres personnes s’étaient fait redonner leurs prestations d’assurance-emploi.

[44] Elle a ajouté que ses collègues avaient reçu des ordinateurs portables pour travailler de la maison. Toutefois, cela était attribuable à la fermeture des bureaux du gouvernement, et non à une solution de rechange offerte aux personnes qui refusaient de se faire vacciner.

[45] La notion d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi a fait l’objet de discussions approfondies avec l’appelante. Elle a bien compris que le Tribunal pouvait rendre une décision à ce sujet seulement. Si le Tribunal rendait une décision sur une autre question, par exemple les gestes de l’employeur, il commettrait une erreur de droit.

[46] L’appelante a mentionné que l’obligation vaccinale a été jugée illégale aux termes de sa convention collective, comme dans l’affaire AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada. Il s’agit d’une décision rendue par un autre membre du Tribunal.

[47] Dans l’affaire AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, la prestataire travaillait dans un hôpital lorsque son employeur a mis en place une politique qui exigeait que tout le personnel soit vacciné contre la COVID-19. Le membre du Tribunal a accueilli l’appel d’A. L. en se fondant sur l’interprétation qu’il a faite des dispositions de sa convention collective pour décider qu’il n’y avait pas eu d’inconduite, et qu’A. L. avait un « droit à l’intégrité physique ».

[48] Je n’ai pas à suivre les autres décisions de notre Tribunal. Je peux me fonder sur ces décisions pour me guider, lorsque je les trouve convaincants et utiles.

[49] Je ne vais pas suivre la décision AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, car les conclusions et le raisonnement du membre ne respectent pas les règles de la Cour fédérale dont je dois tenir compte pour décider si une partie prestataire a été suspendue ou a perdu son emploi en raison de son inconduite. Si je suivais le raisonnement dans la décision AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, et que je tranchais la question de savoir si la politique de l’employeur était conforme à la convention collective ou était prévue par la loi, je commettrais une erreur de droit parce que je me concentrerais sur les gestes de l’employeur, ce que je n’ai pas le droit de faire, selon les tribunaux qui ont été très clairs à ce sujet (je remarque que cette décision est maintenant portée en appel à la division d’appel).

[50] Dans l’affaire de la Cour d’appel fédérale Canada (Procureur général) c McNamaraNote de bas de page 1, M. McNamara a été congédié de son emploi aux termes de la politique de son employeur sur le dépistage de drogues. Il a soutenu qu’il devrait être admissible aux prestations d’assurance-emploi parce que les gestes de son employeur concernant son congédiement n’étaient pas corrects.  

[51] En réponse à ces arguments, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’elle a toujours affirmé que, dans les cas d’inconduite, il n’appartient pas au conseil ou au juge-arbitre de « dire si le congédiement d’un employé était ou non injustifié; plutôt, il leur appartient de dire si l’acte ou l’omission reproché à l’employé était effectivement constitutif d’une inconduite au sens de la Loi ». La Cour a ajouté que dans l’interprétation et l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, « ce qu’il convient à l’évidence de retenir ce n’est pas le comportement de l’employeur, mais bien celui de l’employé ». Elle a souligné que « l’employé qui fait l’objet d’un congédiement injustifié a, pour sanctionner le comportement de l’employeur, d’autres recours qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance-emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[52] Dans l’affaire Paradis c Canada (Procureur général) qui a eu lieu plus récemmentNote de bas de page 2, tout comme M. McNamara, M. Paradis a été congédié après avoir échoué à un test de dépistage des drogues. Il a fait valoir qu’il avait été injustement congédié, que les résultats des tests révélaient qu’il n’avait pas travaillé avec les facultés affaiblies, et il a dit que l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation conformément à ses propres politiques et aux lois provinciales sur les droits de la personne. La Cour fédérale s’est appuyée sur l’affaire McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent pour trancher les cas d’inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

[53] Un autre cas semblable de la Cour d’appel fédérale est l’affaire Mishibinijima c Canada (Procureur général). M. Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool. Il a fait valoir que son employeur était tenu de lui offrir des mesures d’adaptation parce que la dépendance à l’alcool a été reconnue commeune invalidité. La Cour a de nouveau dit que, pour trancher un cas d’inconduite, on se concentre sur ce que l’employé a fait ou n’a pas fait, et le fait que l’employeur n’a pas offert de mesures d’adaptation à son employé n’est pas un facteur pertinent.

[54] Bien que ces cas ne portent pas sur les politiques de vaccination contre la COVID-19, les principes sont tout de même pertinents.

[55] La Cour fédérale a rendu une décision dans l’affaire Cecchetto v Canada (Procureur général), 2023 CF 102 (en anglais seulement), qui a eu lieu très récemment. Cette affaire portait sur la politique de vaccination contre la COVID-19 d’un employeur. M. Cecchetto, le demandeur, a soutenu que la division générale et la division d’appel du Tribunal n’ont jamais répondu de façon satisfaisante à ses questions sur la sécurité et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 et des tests antigéniques. Il a ajouté qu’aucun décideur n’avait abordé la question suivante : comment une personne peut-elle être forcée de prendre un médicament non testé ou de procéder à un test, alors que cela porte atteinte à l’intégrité physique fondamentale et qu’il s’agit de discrimination fondée sur les choix médicaux personnels.

[56] En rejetant l’appel, la Cour fédérale a écrit :

[57] [traduction] « Il est clair que le demandeur est frustré par le fait qu’aucun des décideurs n’a abordé les questions qu’il soulève et qu’il considère comme des questions juridiques ou factuelles fondamentales, par exemple en ce qui concerne l’intégrité physique, le consentement aux tests médicaux, la sécurité et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 ou du test antigénique. Toutefois, le principal problème avec l’argument du demandeur est qu’il critique les décideurs pour avoir omis de trancher un ensemble de questions qu’ils ne sont pas autorisés, par la loi, à trancher ».

[58] La Cour fédérale a également écrit :

[traduction] « La division générale et la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale ont un rôle important à jouer dans le système juridique, mais ce rôle est restreint et précis. Dans cette affaire, leur rôle consistait à déterminer la raison pour laquelle l’appelant avait été congédié de son emploi et si cette raison constituait une inconduite ».

[59] La jurisprudence établit clairement que mon rôle n’est pas d’examiner la conduite ou les politiques de l’employeur ni de décider s’il a eu raison de mettre la prestataire en congé sans solde (la suspendre). Mon rôle n’est pas non plus de décider si l’employeur aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation et si la politique de vaccination a enfreint d’autres politiques de l’employeur ou la convention collective ou l’offre d’emploi de l’appelante. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi

[60] Je suis d’avis qu’un employeur a le droit de gérer ses activités quotidiennes, ce qui comprend le pouvoir d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques en milieu de travail. Lorsque l’employeur de la prestataire a mis en œuvre sa politique de vaccination contre la COVID-19, elle est devenue une exigence pour tout le personnel ainsi qu’une condition expresse de l’emploi de la prestataireNote de bas de page 3.

[61] Même si ces renseignements ne sont pas pertinents dans l’affaire dont je suis saisi, qui porte sur une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, ils pourraient être utilisés par une autre instance chargée de décider si les droits de la personne de l’appelante ont été enfreints ou non (tribunal provincial des droits de la personne) ou s’il existe des questions en litige liées au travail selon les Commissions des relations de travail fédérale et provinciales.

[62] La Loi sur lassurance-emploi ne précise pas ce qu’est une inconduite. Cependant, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) aide à décider si le congédiement de la prestataire est le résultat d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en compte quand on examine la question de l’inconduite. 

[63] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la façon d’agir doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelle. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibérée. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que la prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle a voulu faire quelque chose de mal). 

[64] Il y a inconduite si la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raison.

[65] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeur. Je dois plutôt me concentrer sur ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait, et sur la question de savoir s’il s’agit d’une inconduite au sens de la Loi.

[66] Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options à la prestataire. Je n’ai pas à décider si son employeur l’a injustement congédiée ou aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnables. Je peux seulement évaluer une chose : si ce que la prestataire a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi Loi

[67] La Commission doit prouver que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduite. 

[68] L’appelante ne conteste pas avoir perdu son emploi parce qu’elle n’a pas respecté l’obligation vaccinale de l’employeur, mais elle conteste que ses gestes constituent une inconduite.

[69] J’estime que les gestes de l’appelante avaient un caractère délibéré sur le plan psychologique, ce qui permet de conclure qu’il y a eu inconduite. Ses observations montrent clairement qu’elle était au courant des conséquences de ne pas se faire vacciner avant la date limite fixée par l’employeur, mais qu’elle a tout de même choisi de ne pas se faire vacciner.

[70] Par conséquent, j’estime que l’appelante a fait le choix conscient, intentionnel et délibéré de ne pas se conformer à la politique de l’employeur, même si elle savait qu’il était réellement possible qu’elle soit suspendue (mise en congé sans solde) et qu’elle ne pourrait pas s’acquitter des obligations envers son employeur. Par conséquent, je conclus que la Commission a prouvé que l’appelante a été suspendue en raison de son inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi et de la jurisprudence décrite ci-dessus.

[71] L’employeur et la Commission ont démontré selon la prépondérance des probabilités que l’appelante a perdu son emploi en raison d’une inconduite (voir les décisions Larivee A-473-06 et Falardeau A-396-85).

[72] Par conséquent, j’estime qu’il est possible de conclure que l’appelante est coupable d’inconduite. Elle devrait donc être exclue du bénéfice des prestations.

Conclusion

[73] Le Tribunal doit examiner les faits. Il ne peut pas simplement adopter la conclusion de l’employeur en ce qui a trait à l’inconduite. Il faut « une appréciation objective permettant de dire que l’inconduite avait vraiment été la cause de la perte de l’emploi » (voir la décision Meunier A-130-96).

[74] Après avoir dûment tenu compte de toutes les circonstances, la personne responsable de rendre la décision a conclu que les gestes posés par l’appelante dans la présente affaire étaient délibérés et intentionnels au point où elle savait qu’ils pouvaient mener à son congédiement. Par conséquent, ils constituent bel et bien une inconduite au sens de la Loi. L’appel est donc rejeté.

[75] L’appelante n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer que ses gestes, dans la présente affaire, ne satisfont pas au critère selon lequel ils pourraient être considérés comme délibérées au point où elle pouvait s’attendre à ce qu’elle soit congédiée. Par conséquent, elle n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi en ce qui concerne cette demande.

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