Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : PM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 429

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : P. M.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de
l’assurance-emploi du Canada (0) datée du
23 septembre 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Teresa M. Day
Mode d’audience : Téléconférence
Date d’audience : Le 7 février 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 6 avril 2023
Numéro de dossier : GE-22-3188

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. 

[2] La Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer les prestations d’assurance-emploi versées à l’appelant. 

[3] Les prestations de l’appelant ne devraient pas être réexaminées dans la présente affaire.

[4] Par conséquent, le trop-payé lié à la demande de l’appelant doit être supprimé ainsi que la dette.

Aperçu

[5] L’appelant a reçu des prestations régulières d’assurance-emploi d’octobre 2020 à juillet 2021. Cependant, le 7 septembre 2021, la Commission a décidé que l’appelant n’était pas en chômage pendant cette période. Elle a déclaré qu’il se consacrait à un travail indépendant et elle a imposé une inadmissibilité rétroactive à l’égard de sa demande, à compter du 5 octobre 2020. Cela a entraîné un trop-payé de 12 225 $.

[6] L’appelant a demandé à la Commission de réviser sa décision. Il a affirmé qu’on aurait dû lui dire de demander des prestations dans le cadre d’un autre programmeNote de bas de page 1. Cependant, la Commission a maintenu l’inadmissibilité à l’égard de sa demande. 

[7] Il a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a décidé qu’il était travailleur indépendant et qu’il devait rembourser le trop‑payé relatif à sa demande. Il a porté cette décision en appel à la division d’appel du Tribunal. 

[8] La division d’appel a décidé que la division générale avait commis une erreur dans sa décision. Elle a ordonné que l’appel soit renvoyé à une ou un autre membre du Tribunal pour que les deux questions suivantes soient tranchées :

  1. a) La Commission a-t-elle exercé adéquatement son pouvoir discrétionnaire de réexaminer rétroactivement les prestations d’assurance-emploi versées à l’appelant d’octobre 2020 à juillet 2021?
  2. b) Dans la négative, les prestations de l’appelant devraient-elles être réexaminées dans la présente affaire?

[9] L’appel m’a été assigné. Avant l’audience, j’ai donné aux parties l’occasion de déposer de nouvelles preuves et observations sur les deux questions formulées par la division d’appel. 

[10] La Commission n’a pas fourni de réponse. 

[11] L’appelant a fourni des documents supplémentairesNote de bas de page 2. Il dit avoir déclaré son travail indépendant dans sa demande de prestations d’assurance-emploi et que sa demande a été examinée à plusieurs reprises par des agents de Service Canada. Ces derniers lui ont dit de recourir au régime d’assurance-emploi pour obtenir un soutien financier pendant la pandémie de COVID-19. On ne devrait pas lui demander de rembourser les prestations qu’il a reçues alors qu’il a suivi les directives de Service Canada et qu’il a répondu honnêtement à toutes les questions. 

[12] J’estime que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer les prestations d’assurance-emploi versées à l’appelant. J’estime aussi que les prestations de l’appelant ne devraient pas être réexaminées dans la présente affaire. Cela signifie que le trop-payé relatif à la demande de l’appelant doit être annulé.

[13] Voici les motifs de ma décision sur les deux questions que la division d’appel m’a demandé de trancher.

Questions en litige

[14] La Commission a-t-elle exercé adéquatement son pouvoir discrétionnaire de réexaminer rétroactivement les prestations d’assurance-emploi versées à l’appelant d’octobre 2020 à juillet 2021?

[15] Dans la négative, les prestations de l’appelant devraient-elles être réexaminées dans la présente affaire?

Analyse

[16] Les pouvoirs de réexamen de la Commission sont énoncés à l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi. Selon cet article, la Commission « peut » réexaminer une demande de prestations d’assurance-emploi dans les 36 mois suivant le versement des prestationsNote de bas de page 3.

[17] Si la Commission décide qu’une partie prestataire a reçu des prestations auxquelles elle n’est pas admissible, elle doit calculer le montant qui a été versé en trop et aviser la partie prestataire de sa décisionNote de bas de page 4.

[18] Cependant, la décision de réexaminer une demande de prestations au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi est une décision discrétionnaire. Par conséquent, même si la Commission a le pouvoir de réexaminer une demande, elle n’est pas obligée de le faireNote de bas de page 5.

[19] La loi prévoit que les pouvoirs discrétionnaires doivent être exercés de façon judiciaire. Cela signifie que lorsque la Commission décide de réexaminer une demande, elle ne peut pas agir de mauvaise foi, dans un but ou pour un motif irrégulier, tenir compte d’un facteur non pertinent ou ignorer un facteur pertinent, ou agir de manière discriminatoireNote de bas de page 6.

[20] La Commission a élaboré une politique pour l’aider à exercer son pouvoir discrétionnaire de réexamen des décisions en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi. Selon la Commission, la raison d’être de la politique est [traduction] « d’assurer une application uniforme et équitable de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 7 et d’éviter la création d’une dette lorsque la partie prestataire a reçu un trop-payé sans que ce soit de sa faute ». La politique prévoit qu’une demande de prestations sera réexaminée seulement dans les situations suivantes : 

  • il y a un moins-payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi sur l’assurance-emploi;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • la partie prestataire aurait dû savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droitNote de bas de page 8.

Question en litige no 1 : La Commission a-t-elle exercé correctement son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer les prestations d’assurance-emploi versées à l’appelant?

[21] Non, elle ne l’a pas fait.

[22] Pour justifier sa décision de réexaminer la demande de l’appelant, la Commission a déclaré ce qui suit :

[traduction]

En vertu de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission a l’obligation de corriger le dossier du prestataire et de soumettre celui-ci à une inadmissibilité rétroactive à compter du 5 octobre 2020 parce qu’il n’est pas considéré comme étant sans emploiNote de bas de page 9. (C’est moi qui souligne)

[23] Ce n’est pas exact. L’article 52 n’« oblige » pas la Commission à « corriger » quoi que ce soit.

[24] L’article 52 prévoit que la Commission « peut » réexaminer une demande de prestations dans un délai de 36 mois à compter de la date à laquelle les prestations ont été payées ou sont payables. L’utilisation du mot « peut » dans cet article ne crée pas une obligation de corriger les demandes, mais donne simplement à la Commission le pouvoir discrétionnaire de réexaminer si une partie prestataire est bel et bien admissible aux prestations d’assurance-emploi. 

[25] Dans une décision récente rendue en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, la division d’appel a fait remarquer que le réexamen des décisions relatives à l’admissibilité aux prestations a pour but de veiller à ce que seules les personnes qui ont droit à des prestations en reçoivent. Toutefois, il faut aussi tenir compte de l’importance de pouvoir s’appuyer sur les décisions relatives à l’admissibilité sans craindre d’avoir à rembourser les prestations à une date ultérieure. La division d’appel a souligné qu’en l’absence de nouveaux renseignements susceptibles de modifier le résultat initial, le réexamen d’une décision reposant sur le jugement du décideur constituerait un exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaireNote de bas de page 10. 

[26] Je conviens que la Commission devrait tenir compte des facteurs identifiés par la division d’appel et mentionnés ci-dessus, ainsi que de sa propre politique, lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour décider de réexaminer ou non une demande de prestations au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi.

[27] Elle ne l’a pas fait dans la présente affaire.

[28] Il n’y avait aucun nouveau renseignement susceptible de modifier le résultat initial lorsque la Commission a décidé de réexaminer les prestations d’assurance-emploi de l’appelant – il avait clairement indiqué depuis le début qu’il était travailleur indépendant. Pourtant, la Commission a décidé de rouvrir une décision qui était fondée sur le jugement de ses représentants. Je suis d’accord avec la division d’appel pour dire qu’il s’agit d’un exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaireNote de bas de page 11. 

[29] De plus, la décision ne respectait pas la politique de la Commission. Je vais en discuter plus en détail dans le cadre de la question no 2 ci-dessous.

L’historique de la demande

[30] L’appelant a demandé des prestations d’assurance-emploi le 5 octobre 2020. Dans sa demande, il a dit qu’il travaillait à son compte en tant qu’homme à tout faireNote de bas de page 12. 

[31] Il a également dit avoir démarré son entreprise le 1er février 2020 après avoir quitté son emploi de camionneur en raison d’un stress mentalNote de bas de page 13. Il a répondu à toutes les questions relatives à son travail indépendant. Il a notamment indiqué qu’il considérait son travail indépendant comme sa principale source de revenusNote de bas de page 14 et que son [traduction] « intention actuelle » était de trouver un emploi à temps plein tout en continuant à travailler à son compteNote de bas de page 15.

[32] Une période de prestations a été établie à son égard, et il a produit des déclarations de prestataire toutes les deux semaines par téléphone pour demander des prestations d’assurance-emploi à compter du 4 octobre 2020 et jusqu’au 17 juillet 2021.

[33] Dans ses déclarations du prestataire, on a demandé à l’appelant s’il avait travaillé ou reçu une rémunération pendant la période visée par la déclaration. Cela comprenait tout travail pour lequel il serait payé plus tard, tout travail non rémunéré ou tout travail indépendant (y compris l’agriculture).

[34] L’appelant a répondu « oui » à cette question dans 12 des 21 déclarations qu’il a produites. Et chaque fois qu’il a répondu « oui », il a divulgué ses heures de travail et sa rémunération, qui ont toutes été expressément identifiées comme provenant d’un travail indépendantNote de bas de page 16.

[35] La Commission a inclus des copies des déclarations du prestataire dans le dossier de révision. Dans trois des déclarations du prestataire où l’appelant a déclaré avoir reçu une rémunération provenant d’un travail indépendantNote de bas de page 17, il y a une note qui dit ceci :

[traduction]

« Appel transféré à un représentant pour assistance »

Selon la Commission, cette note signifie que [traduction] « le Service de déclaration par téléphone a établi que la déclaration exigeait des renseignements ou des précisions supplémentaires » et que l’appel a été transféré à une employée ou un employé de RHDCCNote de bas de page 18.

[36] Cela signifie que la Commission a signalé les déclarations du prestataire le 20 décembre 2020, le 3 janvier 2021 et le 19 juillet 2021 et qu’elle s’est chaque fois entretenue avec lui pour obtenir des renseignements supplémentaires ou des précisions.

[37] Dans les trois formulaires de renseignements supplémentaires concernant les appels de suivi avec l’appelant (le 20 décembre 2020, le 4 janvier 2021 et le 19 juillet 2021), les représentants de Service Canada ont noté que l’appelant était un [traduction] « travailleur indépendant » et qu’il avait fait une [traduction] « déclaration de revenus pour son travail indépendant »Note de bas de page 19. 

[38] Le 10 août 2021, un représentant de Service Canada a interrogé l’appelant au sujet de son travail indépendantNote de bas de page 20 et a mis un arrêt aux versements dans le cadre de sa demande. 

L’exercice du pouvoir discrétionnaire

[39] Le 7 septembre 2021, un autre représentant de Service Canada a interrogé l’appelant au sujet de son travail indépendantNote de bas de page 21. L’appelant a déclaré qu’il travaillait à son compte comme homme à tout faire depuis janvier 2020 et qu’il ne cherchait pas d’autre emploi.

[40] La Commission a décidé que l’appelant ne pouvait pas recevoir de prestations d’assurance-emploi à compter du 5 octobre 2020 parce qu’il était travailleur indépendant et qu’il ne pouvait donc pas être considéré comme étant en chômageNote de bas de page 22. Un avis de dette de 12 225 $ a été émis à l’intention de l’appelant.

[41] L’appelant a demandé à la Commission de réviser sa décisionNote de bas de page 23. Il a raconté comment « Revenu Canada » l’avait orienté vers le programme d’assurance-emploi et il a fourni des détails sur les fois où il avait parlé au téléphone avec un représentant de Service Canada afin de discuter de sa situation et d’examiner sa demandeNote de bas de page 24. Il a dit que ces représentants lui avaient toujours [traduction] « assuré » qu’il n’y avait aucun problème à ce qu’il reçoive des prestations d’assurance-emploi et qu’il devait continuer à déclarer toute rémunération provenant d’un travail indépendant. Alors, c’est ce qu’il a fait.

[42] Cependant, lors de l’entretien dans le cadre de la révision, l’agent de Service Canada n’a même pas interrogé l’appelant au sujet de ses discussions avec Service Canada, même s’il les avait détaillées dans sa demande de révision et qu’il avait manifestement l’intention de s’y fier. Le représentant de Service Canada semble avoir seulement voulu établir que l’appelant était un travailleur indépendant, ce qu’il avait admis librement depuis longtemps. Le document Renseignements supplémentaires relatif à l’entretien de révision (à la page GD3-171) est très court et ne fait état que de quatre questions posées. Elles portent toutes sur le critère juridique du travail indépendant. De plus, les quatre questions étaient des questions de confirmation (est-ce exact?) et ne laissent aucune possibilité à l’appelant de développer ou d’expliquer ses réponses, et encore moins la possibilité d’entendre l’appelant sur les points soulevés dans sa demande de révision. 

[43] Aucune considération n’a été accordée à l’historique de la demande de l’appelant, à la divulgation de son statut de travailleur indépendant dès le départ et à toutes les étapes liées à sa demande, ni aux conseils et aux renseignements qu’il a reçus de Service Canada.

La preuve de l’appelant

[44] À l’audience, l’appelant a déclaré ce qui suit :

  • Lorsque [traduction] « le programme initial de Prestation canadienne d’urgence a pris fin », les choses étaient encore fermées en Ontario et il n’avait aucune chance de gagner de l’argent.
  • Le gouvernement n’avait pas mis sur pied de programme pour les petites entreprises. 
  • Oui, il y avait encore des mesures de soutien pour les [traduction] « grandes entreprises », mais le gouvernement [traduction] « se démenait avec difficulté » pour aider les petites entreprises.
  • Le gouvernement fédéral a donc déclaré à l’époque que [traduction] « toute petite entreprise qui a accumulé assez d’heures pour être admissible aux prestations d’assurance-emploi » devrait demander des prestations d’assurance-emploi pour obtenir un soutien financier pendant la pandémie de COVID-19.
  • Le gouvernement fédéral a déclaré que le régime d’assurance-emploi était [traduction] « déjà en place et fonctionnait sans problème, et que les prestations pouvaient être versées rapidement ».
  • Il a communiqué avec [traduction] « l’assurance-emploi » pour savoir à quelles prestations il était admissible et les [traduction] « propres agents » de la Commission lui ont dit de demander des prestations d’assurance-emploi. Il a demandé s’il remplissait les conditions requises. On lui a répondu qu’il n’avait pas le nombre d’heures requis, mais que le gouvernement lui donnerait « des heures supplémentaires » pour faire augmenter son nombre d’heures et lui permettre de remplir les conditions requises.
  • Quelques semaines après le début de sa période de prestations d’assurance-emploi, le gouvernement a mis sur pied un programme de prestations distinct pour les petites entreprises.
  • Il connaissait un autre travailleur indépendant qui n’avait pas d’heures d’assurance-emploi et qui avait demandé de l’aide dans le cadre de ce programme. 
  • Cependant, il (l’appelant) bénéficiait déjà de prestations d’assurance-emploi.
  • Puis, en décembre et en janvier, il a parlé à deux agents de Service Canada. Ceux-ci ont examiné sa situation [traduction] « à deux occasions distinctes » et ont procédé à un [traduction] « examen approfondiNote de bas de page 25 » de son travail indépendant et de toutes ses circonstancesNote de bas de page 26. 
  • Les deux fois, il a dit aux agents qu’il ne cherchait pas d’autre travail et qu’il s’était engagé à [traduction] « bâtir ma petite entreprise indépendante en tant qu’homme à tout faire et en arriver au point où je pourrais essayer de subvenir à mes besoins grâce à mon sac d’outilsNote de bas de page 27 ».
  • À la fin des deux entretiens, les agents l’ont mis en attente pour aller parler à leur gestionnaireNote de bas de page 28.
  • Les deux fois, les agents sont revenus au téléphone et lui ont dit qu’il était admissible aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 29. 
  • Les deux fois, les agents l’ont encouragé à continuer de produire ses déclarations du prestataire et lui ont dit qu’il [traduction] « faisait ce qu’il fallait »Note de bas de page 30. 
  • C’est pourquoi il a continué à faire ses déclarations [traduction] « fidèlement » en utilisant le système de déclaration par téléphone sous l’option [traduction] « revenu pour travailleur indépendant ».
  • Dans son esprit, il recevait un [traduction] « soutien contre la COVID-19 » en [traduction] « utilisant le régime d’assurance-emploi conformément aux directives du gouvernement ».
  • La Commission a eu au moins deux occasions d’[traduction] « examiner et de corriger la situation », mais plutôt que de [traduction] « corriger la situation », elle lui a dit de continuer à faire ce qu’il faisaitNote de bas de page 31.
  • Pourtant, lorsque la Commission a décidé de déclarer l’appelant inadmissible, elle n’a jamais examiné ce que ses propres représentants lui avaient dit [traduction] « au début » de sa période de prestations et pendant sa période de prestations, ce qui explique pourquoi il avait recours au système d’assurance-emploi au départ et pourquoi il a continué à produire ses déclarations du prestataire comme il l’a fait.
  • Si elle avait [traduction] « jeté un coup d’œil » à tous ces renseignements, elle aurait constaté qu’il était [traduction] « injuste » et inapproprié de réexaminer la demande de l’appelant et de lui demander de rembourser ses prestations. 
  • La Commission n’a pas examiné tous les renseignements pertinents concernant sa situation avant de rendre sa décision.
  • Elle a simplement cherché à savoir si l’appelant avait droit à des prestations d’assurance-emploi « sur papier ». Elle n’a pas cherché à savoir pourquoi il participait [traduction] « au régime d’assurance-emploi » au départ ni pourquoi il a continué à soumettre des demandes à ce régime après la mise en place de l’autre programme.
  • Le fait que la Commission n’a même pas tenu compte de ces renseignements ([traduction] « pour l’ensemble de la situation », du début à la fin de sa période de prestations) signifie qu’elle n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée.
  • Si les agents avec lesquels il s’est entretenu en décembre ou en janvier lui avaient dit qu’il aurait dû participer à l’autre programme, il aurait pu passer à l’autre programme à ce moment-là. 
  • Si on lui avait dit cela, il aurait changé de programme [traduction] « immédiatement ». 
  • Mais on ne lui a pas dit de changer de programme. On lui a dit de continuer à faire ce qu’il faisait.
  • Sur les conseils d’un représentant de la Commission, il a continué à remplir ses déclarations de prestations d’assurance-emploi à titre de travailleur indépendant.
  • Ce n’est que lorsqu’un troisième agent a examiné sa demande en juillet qu’on lui a dit qu’il n’avait pas droit aux prestations d’assurance-emploi et que celles-ci ont été interrompues.
  • Il ne [traduction] « fraudait » pas le système. 
  • Il a répondu honnêtement à toutes les questions qui lui ont été posées et a suivi les directives qui lui ont été données.
  • Si la Commission avait corrigé l’appelant lorsqu’elle en avait eu l’occasion (lors de l’examen de sa demande en décembre ou en janvier), il aurait reçu la même somme d’argent, mais de l’autre programme.

[45] J’accepte le témoignage de l’appelant dans son intégralité. 

[46] Son témoignage était réfléchi, franc et cohérent avec la preuve documentaire contemporaine dans le dossier de réexamen. L’appelant a également répondu à des questions difficiles et directes de ma part sans hésiter et sans dévier de sa version des faits. Il a également développé les réponses documentées par la Commission (dans le document Renseignements supplémentaires) et a comblé les lacunes avec des détails qui étaient conformes à l’administration de sa demande. 

Mes conclusions

[47] La Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée.

[48] Premièrement, la Commission n’a pas tenu compte de tous les renseignements pertinents lorsqu’elle a décidé de réexaminer la demande.

[49] Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que la Commission n’a pas tenu compte de l’historique de sa demande. Il est particulièrement préoccupant que la Commission n’ait pas tenu compte du fait que deux représentants différents de Service Canada ont rendu des décisions sur l’admissibilité de l’appelant qui ont permis le maintien de ses prestations d’assurance-emploi, en se fondant sur les mêmes faits que ceux qui ont amené le troisième représentant à mettre fin à ses prestationsNote de bas de page 32. Ce fait est extrêmement pertinent pour décider s’il y a lieu d’imposer une inadmissibilité rétroactive, et pourtant il n’y a aucune mention de cette information lors de l’entretien de réexamenNote de bas de page 33. 

[50] Deuxièmement, la Commission a agi dans un but irrégulier lorsqu’elle a décidé de réexaminer la demande.

[51] Dans la décision Ministre de l’Emploi et du Développement social c CB, la division d’appel a déclaré qu’en l’absence de nouveaux renseignements susceptibles de modifier le résultat initial, le réexamen d’une décision qui reposait sur le jugement du décideur constituerait un exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaireNote de bas de page 34. 

[52] Dans l’affaire de l’appelant, il n’y avait pas de nouveaux renseignements lorsque la Commission a décidé de réexaminer les prestations de l’appelant. Il a été honnête et franc au sujet de son travail indépendant dès le départ et a dit aux trois représentants de Service Canada qui ont examiné sa demande qu’il était travailleur indépendant et qu’il ne cherchait pas de travail en dehors de son travail indépendant. Les deux premiers représentants de Service Canada ont rendu des décisions sur l’admissibilité de l’appelant aux prestations d’assurance-emploi qui reposaient sur leur jugement. Leurs décisions ont eu pour effet de confirmer l’admissibilité de l’appelant aux prestations puisque, après un examen approfondi, les représentants ont permis le maintien de ses prestations. Je suis d’accord avec le raisonnement de la division d’appel et je conclus que le réexamen de ses décisions dans de telles circonstances constitue un exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaire.

[53] Pour ces motifs, je conclus que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a réexaminé l’admissibilité de l’appelant aux prestations d’assurance-emploi.

[54] Comme la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée, je peux intervenir dans la décision et rendre ma propre décision sur la question de savoir si les prestations d’assurance-emploi de l’appelant doivent être réexaminées.

Question en litige no 2 : Le versement des prestations d’assurance-emploi devrait-il être révisé?

[55] Non, il ne devrait pas.

[56] La Commission a une politique qui l’aide à exercer son pouvoir discrétionnaire de réexamen des décisions au titre de la Loi sur l’assurance-emploi et à garantir [traduction] « une application uniforme et équitable de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 35 et à éviter la création d’une dette lorsque la partie prestataire a reçu un trop-payé sans que ce soit de sa faute ». La politique prévoit qu’une demande de prestations sera réexaminée seulement dans les situations suivantes : 

  • il y a un moins-payé de prestations;
  • des prestations ont été versées contrairement à la structure de la Loi sur l’assurance-emploi;
  • des prestations ont été versées à la suite d’une déclaration fausse ou trompeuse;
  • la partie prestataire aurait dû savoir qu’elle recevait des prestations auxquelles elle n’avait pas droitNote de bas de page 36.

[57] Ce type de directives internes n’est pas contraignant, mais les tribunaux ont appuyé à maintes reprises l’utilisation de telles directives pour garantir une certaine cohérence et éviter l’arbitraire en la matièreNote de bas de page 37. 

[58] J’estime que les quatre éléments de la politique mentionnés ci-dessus sont pertinents pour la décision discrétionnaire au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi et devraient être pris en considération pour décider s’il y a lieu d’exercer ou non le pouvoir discrétionnaire de réexaminer une demandeNote de bas de page 38. 

[59] L’appelant ne satisfait aucun de ces éléments.

[60] Premièrement, il n’y a aucune preuve que l’appelant n’a pas reçu suffisamment de prestations entre octobre 2020 et juillet 2021.

[61] Deuxièmement, le versement de prestations à l’appelant n’était pas contraire à la structure de la Loi sur l’assurance-emploi. La Loi sur l’assurance-emploi n’empêche pas le versement de prestations aux prestataires qui travaillent à leur compte. 

[62] Troisièmement, l’appelant n’a pas reçu de prestations d’assurance-emploi parce qu’il aurait fait une déclaration fausse ou trompeuse. Pour les motifs énoncés dans la question en litige no 1 ci-dessus, j’ai accepté le témoignage de l’appelant selon lequel il a toujours été honnête et franc au sujet de tous les aspects de son travail indépendant.

[63] Quatrièmement, il n’y a aucune preuve que l’appelant aurait dû savoir qu’il n’était pas admissible aux prestations d’assurance-emploi qu’il a reçues. En effet, la preuve démontre de façon crédible que l’appelant s’est fié aux conseils de la Commission selon lesquels il était admissible aux prestations d’assurance-emploi et qu’il devait continuer à produire ses déclarations du prestataire comme il le faisait. 

[64] Je reconnais que les quatre éléments de la politique ne constituent pas une liste exhaustive de facteurs qui pourraient être pertinents pour une décision discrétionnaire au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi. Cependant, je ne vois aucun autre facteur qui plaide en faveur du réexamen des prestations dans le cas de l’appelant.

[65] La Commission peut exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas réexaminer une demande de prestations au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi. C’est ce qui aurait dû se produire dans le cas de l’appelant, mais la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée.

[66] J’ai donc fait ma propre analyse et je conclus que la demande de prestations d’assurance-emploi de l’appelant ne devrait pas être réexaminée.

Question en litige no 3 : Qu’arrive-t-il au trop-payé lié à la demande de l’appelant?

[67] Comme j’ai conclu que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi de façon inappropriée, je suis en mesure de rendre la décision que la Commission aurait dû rendre. 

[68] J’ai conclu que l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans le cas de l’appelant aurait dû consister à ne pas réexaminer sa demande de prestations. 

[69] Par conséquent, la demande de prestations d’assurance-emploi de l’appelant n’est pas rouverte, les décisions antérieures de lui verser des prestations d’assurance-emploi demeurent en place, il n’y a pas de trop-payé et il n’y a pas de dette.

[70] Enfin, je présente mes excuses à l’appelant pour avoir pris plus de temps que prévu pour rendre cette décision. Cela était dû à des circonstances imprévues et à des événements indépendants de ma volonté. Je le remercie de sa patience.

Conclusion

[71] La Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’elle a décidé de réexaminer les prestations d’assurance-emploi versées à l’appelant au titre de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi

[72] Les prestations ne devraient pas être réexaminées dans le cas de l’appelant.

[73] Cela signifie que le trop-payé lié à la demande de l’appelant doit être annulé ainsi que la dette.

[74] L’appel est accueilli.

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