Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : CL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 780

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission de faire appel

Partie demanderesse : C. L.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 24 février 2023
(GE-22-3044)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 14 juin 2023
Numéro de dossier : AD-23-276

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Décision

[1] Je refuse d’accorder au prestataire la permission de faire appel, car il n’a pas de cause défendable. Le présent appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le prestataire, C. L., travaillait comme agent de la conformité réglementaire pour X (l’employeur). Le 4 mars 2022, X a mis le prestataire en congé sans solde parce qu’il a refusé de dire s’il avait été vacciné ou non contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à lui verser de prestations d’assurance-emploi, car le non-respect de la politique de vaccination de son employeur constituait une inconduite.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel du prestataire. Elle a conclu que le prestataire avait délibérément enfreint la politique de vaccination de son employeur. Elle a conclu que le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement la perte de son emploi.

[4] Le prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Il prétend que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • Elle a conclu qu’il avait demandé à être exempté de divulguer son statut vaccinal alors qu’en fait, il avait demandé des mesures d’adaptation pour des motifs nationaux et ethniques.
  • Elle ne s’est pas rendu compte qu’il était discriminatoire de la part de X de demander qu’il divulgue son statut vaccinal.
  • Elle a ignoré le fait que, même s’il n’a jamais divulgué son statut vaccinal, X savait apparemment qu’il n’avait pas reçu le vaccin. Autrement, pourquoi lui aurait-on demandé de se faire vacciner?

Question en litige

[5] Il existe quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie demanderesse doit démontrer que la division générale a commis l’une des erreurs suivantes :

  • elle a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[6] Avant que l’appel du prestataire puisse aller de l’avant, je dois décider si son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2. Avoir une chance raisonnable de succès signifie avoir une cause défendableNote de bas de page 3. Si le prestataire n’a aucune cause défendable, l’affaire prend fin.

[7] À cette étape préliminaire, je dois décider s’il est possible de soutenir que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Analyse

[8] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit et les éléments de preuve qu’elle a utilisés pour parvenir à cette décision. J’ai conclu que le prestataire n’a pas de cause défendable.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[9] Lorsqu’il évalue un cas d’inconduite, le Tribunal ne peut pas examiner le bien-fondé d’un différend entre une personne employée et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste aux yeux du prestataire, mais il s’agit d’une interprétation que les tribunaux ont adoptée à maintes reprises et que la division générale était tenue de suivre.

On entend par inconduite tout geste intentionnel et susceptible d’entraîner la perte d’un emploi

[10] Devant la division générale, le prestataire a maintenu qu’il n’était pas coupable d’inconduite parce qu’il n’avait rien fait de mal. Il a laissé entendre qu’en le forçant à divulguer son statut vaccinal sous la menace d’une suspension ou d’un congédiement, son employeur avait porté atteinte à ses droits. Il a soutenu que la politique de son employeur était discriminatoire, car en tant que Canadien né dans un État totalitaire, il accorde la plus grande importance à la protection de la vie privée.

[11] Je comprends la frustration du prestataire. Toutefois, compte tenu de la loi telle qu’elle existe, je ne vois pas le bien-fondé de ses arguments.

[12] La division générale a défini l’inconduite comme suit :

Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelle. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibérée. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il a voulu faire quelque chose de mal).

Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers l’employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit suspendu de son emploi pour cette raisonNote de bas de page 4.

[13] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit relatif à l’inconduite. La division générale a ensuite conclu à juste titre qu’elle n’avait pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur étaient raisonnables, justifiables ou même légales.

Le refus de l’employeur d’offrir des mesures d’adaptation n’est pas pertinent

[14] Le prestataire maintient qu’il n’a pas enfreint la politique de vaccination de X. Il explique qu’au lieu de divulguer son statut vaccinal ou de se faire vacciner, il a proposé de travailler à domicile, ce qui était devenu une pratique courante de toute façon. Il prétend que la division générale a ignoré le fait que son employeur a refusé de façon déraisonnable sa proposition.

[15] Toutefois, le refus de X d’offrir des mesures d’adaptation au prestataire n’est pas la question en litige dans la présente affaire. Ce qui importe, c’est que X avait une politique et que le prestataire l’a délibérément ignorée. Dans sa décision, la division générale a formulé les choses ainsi :

Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options à l’appelant. Je n’ai pas à décider si son employeur l’a injustement suspendu ou s’il aurait dû lui offrir des mesures d’adaptation raisonnables. Je peux seulement évaluer une seule chose : si ce que l’appelant a fait ou n’a pas fait est une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 5.

[16] Selon la loi, la division générale est tenue de trancher des questions précises. Par conséquent, elle n’avait pas le pouvoir de décider si la politique de l’employeur allait à l’encontre des droits de la personne du prestataire. La division générale n’avait pas non plus la compétence de décider si X aurait dû, d’une façon ou d’une autre, tenir compte des préoccupations du prestataire au sujet de la divulgation de son statut vaccinal.

Une affaire récente confirme l’interprétation de la loi par la division générale

[17] Dans une décision rendue récemment, la Cour fédérale a réaffirmé l’approche de la division générale à l’égard de l’inconduite dans le contexte précis des obligations vaccinales contre la COVID-19. Comme dans la présente affaire, l’affaire Cecchetto portait sur le refus d’un appelant de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeurNote de bas de page 6.

[18] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas autorisé par la loi à trancher ces questions :

[traduction] Malgré les arguments du demandeur, aucun fondement ne permet de renverser la décision de la division d’appel sous prétexte qu’elle n’a pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique du gouvernement de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ou rendu une décision à ce sujet. Ce type de conclusion ne relève ni du mandat, ni de la compétence de la division d’appel, ni de ceux de la division générale du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 7.

[19] La Cour fédérale a convenu que M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi,car il avaitdélibérément choisi de ne pas suivre la politique de vaccination de l’employeur. La Cour a déclaré qu’il y avait d’autres moyens pour M. Cecchetto pour faire valoir ses allégations quant à son congédiement injustifié ainsi que ses revendications en matière de droits de la personne dans le système juridique.

[20] Dans la présente affaire, comme dans l’affaire Cecchetto, les seules questions qui comptent sont celles de savoir si le prestataire a enfreint la politique de vaccination de son employeur et, dans l’affirmative, si cette infraction était délibérée et a vraisemblablement entraîné sa suspension ou son congédiement. La division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

Il n’est pas possible de soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété les éléments de preuve

[21] Devant la division générale, le prestataire a soutenu qu’il avait de bonnes raisons de ne pas vouloir divulguer ses renseignements médicaux privés. Il a souligné que la politique de X l’obligeait à divulguer son statut vaccinal ou à demander des mesures d’adaptation dans un délai précis. Il a dit que, selon son interprétation de la politique, cela signifiait que les membres du personnel qui ne voulaient pas divulguer leur statut vaccinal pouvaient bénéficier de mesures d’adaptation. Il a allégué que son employeur n’avait pas bien examiné sa demande de mesures d’adaptation.

[22] D’après ce que je peux voir, la division générale n’a pas ignoré ou déformé ces points. Elle ne leur a tout simplement pas accordé autant d’importance que le prestataire pensait. Étant donné le droit relatif à l’inconduite, je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur dans son évaluation.

La division générale a tenu compte de tous les facteurs pertinents

[23] Lorsque la division générale a examiné les éléments de preuve dont elle disposait, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • X était libre d’établir et d’appliquer une politique de vaccination comme bon lui semblait;
  • X a adopté et a communiqué une politique claire qui exigeait, entre autres, que les membres du personnel disent s’ils avaient été entièrement vaccinés ou non dans un délai précis.
  • Le prestataire a intentionnellement refusé de divulguer son statut vaccinal avant la date limite.
  • Le prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique dans le délai prévu entraînerait une perte d’emploi.
  • Le prestataire a demandé des mesures d’adaptation aux termes de la politique, mais son employeur n’était pas tenu d’accepter la demande.

[24] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents figurant au dossier d’appel ainsi que le témoignage du prestataire. La division générale a conclu que le prestataire était coupable d’inconduite parce que son refus de divulguer son statut vaccinal était délibéré, ce qui a vraisemblablement entraîné sa suspension. Le prestataire pensait peut-être que le refus de se conformer à la politique ne ferait pas de tort à son employeur, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à lui d’en décider.

La division générale n’a pas ignoré la façon dont le prestataire a interprété la politique

[25] Le prestataire insiste sur le fait qu’il n’a pas enfreint la politique de son employeur puisqu’il a demandé des mesures d’adaptation. Il laisse entendre que la division générale a ignoré le fait qu’il n’a jamais refusé de se faire vacciner; il a seulement refusé de dire s’il avait été vacciné.

[26] Je ne vois pas le bien-fondé de cet argument. La division générale n’a pas ignoré la façon dont le prestataire a interprété la politique de son employeur. En fait, elle a précisément abordé ce point dans sa décision :

Il affirme qu’en choisissant de demander des mesures d’adaptation, il s’est conformé à la politique. Je ne suis pas d’accord. Comme l’a expliqué l’employeur dans sa lettre du 8 février 2022, la politique précisait que l’employeur envisagerait des mesures d’adaptation pour les membres du personnel qui ne pouvaient pas se faire vacciner, et non pour les membres du personnel qui ne voulaient pas divulguer leur statut vaccinalNote de bas de page 8.

[27] Dans la présente affaire, la division générale a conclu que, même si le prestataire n’avait pas réellement refusé de se faire vacciner, le fait est qu’il a tout de même refusé intentionnellement de divulguer son statut vaccinal dans le délai prévu. Selon la division générale, il fallait préalablement divulguer son statut vaccinal pour i) demander des mesures d’adaptation ou ii) demander une exemption médicale ou pour motifs religieux.

[28] Comme la division générale l’a souligné à juste titre, elle n’est pas autorisée à examiner la conduite de X, surtout en ce qui concerne la question de savoir si la mise en oeuvre et l’application de sa politique étaient raisonnables. Si le prestataire voulait contester le refus de son employeur de négocier des mesures d’adaptation, il était libre de déférer X à un tribunal des droits de la personne. Toutefois, le processus de demande d’assurance-emploi n’était pas la façon appropriée de plaider une telle cause.

Conclusion

[29] Pour les motifs mentionnés plus haut, je ne suis pas convaincu que le présent appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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