Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : HR c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 1127

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une prolongation de délai

Parties demanderesse : H. R.
Partie défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 28 février 2023
(GE-22-3043)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Date de la décision : Le 18 août 2023
Numéro de dossier : AD-23-575

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Décision

[1] Je refuse à la prestataire la permission de faire appel parce qu’elle ne présente aucun argument défendable. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] La prestataire, H. R., fait appel d’une décision de la division générale qui l’a empêchée de recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[3] La prestataire était spécialiste des technologies de l’information pour un ministère du gouvernement fédéral. Le 18 janvier 2022, son employeur l’a mise en congé sans solde parce qu’elle avait refusé de dire si elle s’était fait vacciner contre la COVID-19. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a décidé qu’elle n’avait pas à verser de prestations d’assurance-emploi à la prestataire parce que le non-respect de la politique vaccinale de l’employeur constituait une inconduite.

[4] La division générale était d’accord avec la Commission. Elle a conclu que la prestataire avait délibérément enfreint la politique vaccinale de son employeur. Elle a aussi établi que la prestataire savait ou aurait dû savoir que le non-respect de la politique entraînerait probablement sa suspension.

[5] La prestataire demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient qu’elle n’a commis aucune inconduite et que la division générale a fait les erreurs suivantes :

  • Sa décision n’était ni équitable ni impartiale. Presque toutes les décisions que le Tribunal de la sécurité sociale a rendues concernant des affaires de vaccination obligatoire contre la COVID-19 étaient défavorables aux prestataires.
  • Elle s’est appuyée sur des affaires dont les faits étaient différents. Dans ces affaires, il était question de prestataires qui, contrairement à elle, avaient perdu leur emploi parce que leur conduite avait nui à leur sécurité ou à celle des autres.
  • Elle a choisi d’écarter certaines affaires. Le fait qu’elles pourraient être annulées plus tard n’est pas une raison pour ne pas s’y fier maintenant.
  • Elle n’a pas tenu compte des indications selon lesquelles l’employeur avait porté atteinte à la vie privée de la prestataire. Cette dernière attend les résultats d’une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels concernant son dossier des ressources humaines.

Questions en litige

[6] Après avoir pris connaissance de la demande de permission de faire appel, j’ai dû trancher les questions suivantes :

  • La prestataire a-t-elle déposé sa demande de permission de faire appel en retard?
  • L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

[7] J’ai conclu que la prestataire a déposé sa demande en retard, mais qu’elle avait une explication raisonnable pour ce retard. Cependant, je lui refuse la permission d’aller de l’avant parce que son appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Analyse

La demande de permission de faire appel était en retard

[8] La demande de permission de faire appel doit être présentée à la division d’appel dans les 30 jours suivant la date où la partie demanderesse reçoit communication de la décisionNote de bas de page 1. La division d’appel peut prolonger ce délai au besoin. Mais aucune demande ne peut être traitée si elle est présentée plus d’un an après que la décision a été communiquée.

[9] Dans l’affaire actuelle, la division générale a rendu sa décision le 28 février 2023. Le même jour, le Tribunal a envoyé sa décision à la prestataire par courriel et par la poste. La division d’appel n’a pas reçu la demande de permission de faire appel avant le 29 mai 2023, soit environ deux mois après la date limite.

[10] Je conclus que la demande de permission de faire appel était en retard.

La prestataire avait une explication raisonnable pour son retard

[11] Lorsqu’une demande de permission de faire appel est déposée en retard, le Tribunal peut accorder à la partie demanderesse une prolongation de délai si elle a une explication raisonnable justifiant son retardNote de bas de page 2. Pour décider si l’on accorde une prolongation, il faut voir si celle-ci serait dans l’intérêt de la justiceNote de bas de page 3.

[12] Dans sa demande de permission de faire appel, la prestataire a dit qu’elle était une mère occupée qui travaillait et qui avait peu de temps pour faire les recherches nécessaires en vue d’un appel.

[13] Dans les circonstances, j’estime que cette explication est raisonnable. C’est pourquoi je tiens compte de la demande de la prestataire même si elle est en retard.

L’appel de la prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès

[14] J’ai examiné la décision de la division générale, ainsi que le droit applicable et la preuve qui l’ont menée à sa décision. J’ai conclu que la prestataire ne présente aucun argument défendable.

[15] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie prestataire doit démontrer qu’il y a eu au moins une des erreurs suivantes :

  • la division générale a agi de façon inéquitable;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 4.

[16] Avant que l’appel puisse aller de l’avant, je dois décider s’il a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 5. Avoir une chance raisonnable de succès, c’est avoir une cause défendableNote de bas de page 6. Si la prestataire ne présente aucun argument défendable, l’affaire prend fin maintenant.

On ne peut pas soutenir que la division générale a manqué d’impartialité

[17] La prestataire laisse entendre que la division générale a systématiquement un parti pris dans les situations comme la sienne, car elle est rarement du côté des prestataires de l’assurance-emploi qui refusent de se conformer à l’obligation vaccinale de leur employeur.

[18] Je ne vois pas le bien-fondé de cet argument.

[19] Un parti pris (partialité) sous-entend un esprit fermé qui s’attend à un certain résultat. Le critère permettant de conclure à l’existence de partialité est élevé. La personne qui prétend qu’elle existe est responsable de le prouver. La Cour suprême du Canada a énoncé le critère relatif à la partialité dans les termes suivants : « À quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique?Note de bas de page 7 »

[20] Une allégation de partialité ne peut pas reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou de simples impressionsNote de bas de page 8. Dans la présente affaire, l’allégation de la prestataire repose sur sa conviction que la plupart des gens dans sa situation ne reçoivent pas de prestations d’assurance-emploi. Cependant, il y a une autre explication plus plausible à cette tendance. En effet, la division générale doit appliquer toute une jurisprudence qui limite l’inconduite à seulement quelques éléments facilement prouvables.

[21] Lorsque la division générale a appliqué cette jurisprudence, elle est arrivée à une conclusion que la prestataire ne voulait pas. Mais rien n’indique que la division générale avait un parti pris contre la prestataire.

On ne peut pas soutenir que la division générale a mal interprété la loi

[22] Le Tribunal ne peut pas examiner le fond d’un différend entre une personne employée et son employeur. Cette interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi peut sembler injuste pour la prestataire, mais les tribunaux l’ont adoptée à maintes reprises, et la division générale était tenue de la suivre.

Une inconduite est une action intentionnelle qui peut entraîner la perte d’un emploi

[23] Devant la division générale, la prestataire a fait valoir que rien dans la loi n’exigeait que son employeur mette en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Elle a soutenu que la vaccination n’a jamais été une condition de son emploi.

[24] Je ne vois pas comment la division générale aurait pu se tromper en rejetant ces arguments.

[25] Il est important de garder à l’esprit que le terme « inconduite » a un sens précis en assurance-emploi qui ne correspond pas nécessairement à l’usage courant du mot. La division générale a défini l’inconduite de la façon suivante :

Selon la loi [sic], pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelle. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibérée.

Il n’est pas nécessaire que le prestataire [sic] ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il [sic] ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite selon la loi.

Il y a inconduite si le prestataire [sic] savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il perde son emploi [sic] pour cette raisonNote de bas de page 9.

[26] Ces paragraphes montrent que la division générale a bien résumé le droit entourant l’inconduite. Elle a ensuite mentionné à juste titre que, lorsqu’elle établit l’admissibilité à l’assurance-emploi, elle n’a pas le pouvoir de décider si les politiques d’un employeur sont raisonnables, justifiables ou même légales.

Un contrat de travail n’a pas à définir explicitement ce qu’est une inconduite

[27] Devant la division générale, la prestataire a soutenu que la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire violait les droits de la personne. Mais là n’est pas la question. L’important, c’était de savoir si l’employeur avait une politique en place et si la prestataire l’avait ignorée délibérément. Dans sa décision, la division générale l’a expliqué comme suit :

Je peux trancher seulement les questions auxquelles la Loi sur l’assurance-emploi s’applique. Mon rôle n’est pas de décider si des lois offrent d’autres options à l’appelante. Et ce n’est pas à moi de décider si son employeur l’a suspendue injustement ou s’il aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation raisonnables. Je peux seulement évaluer une chose : si ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait est une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 10.

[28] Comme la loi l’obligeait à se concentrer sur des questions précises, la division générale n’avait pas le pouvoir d’évaluer le comportement de l’employeur. Ainsi, elle ne pouvait pas décider si l’employeur aurait dû accorder d’une façon ou d’une autre des mesures d’adaptation à la prestataire compte tenu de ses préoccupations sur la communication de son statut vaccinal. La division générale a conclu que la prestataire n’avait pas respecté la politique. C’était tout ce qu’il fallait pour établir qu’il y avait eu inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

Une affaire récente valide l’interprétation de la division générale

[29] Une décision récente valide l’approche de la division générale dans le contexte d’une obligation de vaccination contre la COVID-19. Comme dans le dossier actuel, le prestataire de l’affaire Cecchetto a refusé de se conformer à la politique de son employeur sur la vaccination contre la COVID-19Note de bas de page 11. La Cour fédérale a confirmé ce qu’avait conclu la division d’appel, c’est-à-dire que les pouvoirs du Tribunal étaient limités par la loi à certains types de questions :

[traduction]
Malgré les arguments du demandeur, le fait que la division d’appel n’a pas évalué ni établi le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 [la politique provinciale de l’Ontario sur la vaccination contre la COVID-19] ne justifie pas l’annulation de sa décision. Ce genre de conclusion ne relevait ni du mandat ni de la compétence du Tribunal de la sécurité sociale, que ce soit à la division d’appel ou à la division généraleNote de bas de page 12.

[30] La Cour fédérale a convenu qu’en choisissant délibérément de ne pas suivre la politique vaccinale de l’employeur, M. Cecchetto avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi. La Cour a déclaré que le prestataire avait d’autres options dans le système de justice pour faire valoir ses revendications en matière de congédiement injustifié ou de droits de la personne.

[31] Dans le dossier actuel, comme dans l’affaire Cecchetto, l’important est de se demander si la prestataire a enfreint la politique vaccinale de son employeur. Si c’est le cas, il faut aussi se demander si cette faute était délibérée et susceptible d’entraîner une perte d’emploi. Dans la présente affaire, la division générale avait de bonnes raisons de répondre « oui » aux deux questions.

La division générale n’avait pas à suivre la décision AL

[32] Devant la division générale, la prestataire a cité une affaire qui s’intitule AL. Il s’agit d’une prestataire qui a été déclarée admissible à des prestations d’assurance-emploi même si elle n’avait pas respecté la politique de son employeur sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19Note de bas de page 13. La prestataire du dossier actuel avance que la division générale aurait dû tenir compte de cette affaire parce que les faits étaient semblables aux siens.

[33] Toutefois, la division générale n’avait pas à tenir compte de la décision AL, qui avait été rendue par un autre membre du Tribunal plusieurs mois plus tôt. Les membres de la division générale sont liés par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, mais ils ne sont pas obligés de suivre les décisions de leurs collègues.

[34] Comme la division générale l’a souligné, la décision AL a été rendue avant Cecchetto (l’affaire récente qui fournit une orientation dans un contexte d’assurance-emploi et d’obligation vaccinale d’un employeur). Dans l’affaire Cecchetto, la Cour fédérale a mentionné l’affaire AL, puis a conclu qu’elle n’avait pas une grande portée parce qu’elle était fondée sur des faits très précisNote de bas de page 14.

[35] Quoi qu’il en soit, la décision AL a récemment été annulée par la division d’appel, qui a conclu que la division générale avait commis plusieurs erreurs de droit dans sa décisionNote de bas de page 15.

La division générale s’est appuyée sur la jurisprudence pertinente

[36] La prestataire fait valoir que certaines affaires que la division générale a citées concernent, par exemple, la consommation de drogues illicites, et ne se comparent pas à son refus de transmettre son statut vaccinalNote de bas de page 16. Je comprends pourquoi elle s’oppose à de telles comparaisons, mais les principes qui ressortent de ces affaires sont néanmoins pertinents dans sa situation. L’idée est que le régime d’assurance-emploi ne peut pas être utilisé pour contester l’équité ou la légitimité des politiques d’un employeur en milieu de travail. Comme toutes les décisions que la division générale a citées ont été rendues par la Cour d’appel fédérale, le Tribunal était contraint de les suivre.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal compris la preuve

[37] Devant la division générale, la prestataire a insisté sur le fait qu’elle n’avait rien fait de mal en refusant de transmettre son statut vaccinal. Elle a laissé entendre qu’en la forçant sous menace d’une perte d’emploi, son employeur a porté atteinte à ses droits. Elle a soutenu qu’elle ne représentait aucune menace pour ses collègues puisqu’elle travaillait de chez elle, comme beaucoup d’autres membres du personnel, lorsque la politique a été mise en place.

[38] D’après ce que je peux voir, la division générale n’a pas ignoré ou déformé ces aspects. Elle ne leur a tout simplement pas accordé autant d’importance que la prestataire leur donnait. Compte tenu du droit applicable en matière d’inconduite, je ne vois pas en quoi la division générale a commis une erreur dans son examen.

[39] Lorsque la division générale a examiné la preuve dont elle disposait, elle a tiré les conclusions suivantes :

  • L’employeur était libre d’établir et d’appliquer des politiques de vaccination et de dépistage comme il l’entendait.
  • L’employeur a adopté et communiqué une politique claire exigeant que les membres du personnel fournissent une preuve pour démontrer qu’ils avaient été entièrement vaccinés.
  • La prestataire savait que le non-respect de la politique à une certaine date entraînerait une perte d’emploi.
  • La prestataire a refusé intentionnellement de dire si elle avait été vaccinée dans le délai prescrit par son employeur.
  • La prestataire n’a demandé aucune des exemptions permises par la politique.

[40] Ces conclusions semblent refléter fidèlement les documents au dossier et le témoignage de la prestataire. La division générale a conclu que la prestataire était coupable d’inconduite parce que ses actions étaient délibérées et qu’elles ont vraisemblablement mené à sa suspension. La prestataire a peut-être cru que son refus de suivre la politique de son employeur ne poserait pas problème, mais du point de vue de l’assurance-emploi, ce n’était pas à elle d’en décider.

On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré les préoccupations de la prestataire en matière de protection des renseignements personnels

[41] La prestataire laisse entendre que la division générale a minimisé la violation de sa vie privée par son employeur. Je ne suis pas d’accord.

[42] La division générale n’a pas ignoré les préoccupations de la prestataire en matière de protection des renseignements personnels et les a d’ailleurs mentionnées plusieurs fois dans sa décisionNote de bas de page 17. Le problème pour la prestataire était que, comme je l’ai mentionné, la division générale n’avait pas le droit d’évaluer les actions de l’employeur, surtout les mesures entourant la mise en œuvre de sa politique vaccinale.

[43] Si la prestataire croyait que son employeur l’avait forcée à divulguer ses renseignements médicaux, elle était libre de demander réparation, non pas au moyen d’une demande d’assurance-emploi, mais auprès d’une cour ou d’un tribunal des droits de la personne.

Conclusion

[44] Pour les motifs que j’ai mentionnés, je ne suis pas convaincu que l’appel a une chance raisonnable de succès. La permission de faire appel est donc refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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