Assurance-emploi (AE)

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Citation : AB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1508

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : A. B.
Représentant : Jean-Christian Blais
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision (460241) datée du 26 avril 2022 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Normand Morin
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience  : Le 26 octobre 2022
Personnes présentes à l’audience : L’appelant
Le représentant de l’appelant
Date de la décision : Le 2 décembre 2022
Numéro de dossier : GE-22-1705

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Je conclus que l’appelant n’a pas perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 1. Son exclusion du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi à compter du 31 octobre 2021 n’est donc pas justifiée.

Aperçu

[2] De l’année 2018 jusqu’au 29 octobre 2021 inclusivement, l’appelant a travaillé comme conducteur et opérateur de camions lourds et d’engins de chantier (chauffeur de camion de déneigement), de même que comme ouvrier de voirie pour X (X ou l’employeur), et a cessé de travailler pour cet employeur en raison d’un congédiement. L’employeur explique avoir congédié l’appelant parce que son permis de conduire a été révoqué et qu’il était donc dans l’incapacité d’exercer ses fonctions de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier.

[3] Le 10 février 2022, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) l’informe qu’il n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi à partir du 31 octobre 2021, car il a cessé de travailler pour l’employeur le 29 octobre 2021 en raison de son inconduiteNote de bas page 2.

[4] Le 26 avril 2022, à la suite d’une demande de révision, la Commission l’avise qu’elle maintient la décision rendue à son endroit le 10 février 2022 indiquant qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 3.

[5] L’appelant soutient ne pas avoir perdu son emploi en raison de son inconduite. Il explique qu’à la suite d’un diagnostic médical de trouble de consommation d’alcool, il a perdu l’usage de son permis de conduire. L’appelant précise avoir par la suite obtenu l’autorisation d’avoir un permis de conduire assorti de la condition I, ce qui lui permettait de conduire un véhicule muni d’un antidémarreur éthylométrique, soit un appareil qui empêche la mise en marche du véhicule qui en est équipé s’il détecte la présence d’alcool dans l’haleine du conducteur. Il affirme n’avoir fait l’objet d’aucune accusation pour avoir conduit un véhicule routier avec les capacités affaiblies par l’alcool et n’avoir commis aucun geste répréhensible ayant mené à la suspension de son permis de conduire. L’appelant fait valoir qu’il n’a jamais agi avec insouciance, de façon volontaire ou délibérée pour faire en sorte de perdre son permis de conduire et, par le fait même, son emploi. Le 16 mai 2022, l’appelant conteste auprès du Tribunal la décision en révision de la Commission. Cette décision fait l’objet du présent recours devant le Tribunal.

Questions en litige

[6] Je dois déterminer si l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 4. Pour cela, je dois répondre aux questions suivantes :

  • Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?
  • La raison du congédiement de l’appelant est-elle une inconduite selon la Loi?

Analyse

[7] Le terme d’inconduite n’est pas défini dans la Loi. Des décisions rendues par la Cour d’appel fédérale (la Cour) donnent les caractéristiques de la notion d’inconduite.

[8] Dans l’une de ses décisions, la Cour mentionne que pour constituer de l’inconduite, « l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail »Note de bas page 5.

[9] Pour être considérée comme une inconduite selon la Loi, la façon d’agir doit être délibérée. C’est-à-dire qu’elle doit être consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas page 6. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle « frôle le caractère délibéré », c’est-à-dire qu’elle est presque délibéréeNote de bas page 7. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la Loi, il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable, c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de malNote de bas page 8.

[10] Il y a inconduite si un prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raisonNote de bas page 9.

[11] Pour déterminer si l’inconduite peut mener à un congédiement, il doit exister un lien entre l’inconduite reprochée au prestataire et la perte de son emploi. L’inconduite doit donc constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travailNote de bas page 10.

[12] La Commission doit prouver que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, selon la prépondérance des probabilitésNote de bas page 11. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas page 12.

Question no 1 : Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[13] Dans une lettre adressée à l’appelant (objet : Avis de fin d’emploi), en date du 26 octobre 2021, l’employeur l’informe que son nom sera retiré de la liste de rappel pour le poste de conducteur et opérateur de camions lourds et d’engins de chantier, en date du 1er novembre 2021, en vertu de l’article 11-49.17 de la convention collective. L’employeur lui précise que l’exercice de ses fonctions de chauffeur nécessite qu’il ait en sa possession un permis de conduire valide. L’employeur lui spécifie qu’étant donné que son permis est actuellement révoqué, il est donc dans l’incapacité d’exercer ses attributionsNote de bas page 13.

[14] Les déclarations de l’employeur à la Commission fournissent également les renseignements suivants :

  1. a) L’appelant a été congédié de son poste de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier parce qu’il a perdu l’usage de son permis de conduire ;
  2. b) L’appelant occupait deux postes différents, selon la saison, soit conducteur et opérateur de camions lourds et d’engins de chantier, de même qu’ouvrier de la voirie. Du mois d’avril au mois d’octobre, il travaille comme ouvrier de voirie. L’autre partie de l’année, il a travaillé comme conducteur et opérateur de camions lourds et d’engins de chantier ;
  3. c) Pour la période estivale, soit du mois d’avril au mois d’octobre, l’employeur a trouvé un accommodement pour garder l’appelant en poste en le jumelant avec un autre employé, ce qui a fait en sorte qu’il n’avait pas à conduire un véhicule ;
  4. d) Toutefois, à compter du 1er novembre 2021, aucun accommodement n’était possible dans son cas, car il devait avoir un permis de conduire valide pour effectuer son travail ;
  5. e) À la suite de la révocation du permis de conduire de l’appelant, l’employeur ne pouvait maintenir son lien d’emploi ;
  6. f) L’appelant demeure inscrit sur une liste de rappel pour travailler comme ouvrier de voirie ;
  7. g) Lorsque l’appelant va récupérer son permis de conduire, il pourra être placé sur la liste de rappel pour du travail l’hiver (novembre à mars), mais il ne pourra retrouver les mêmes conditions et avantages qu’il avait avant son congédiementNote de bas page 14.

[15] De son côté, l’appelant fait valoir qu’il n’a commis aucun geste répréhensible, relié à sa consommation d’alcool et n’a fait l’objet d’aucune accusation pour avoir conduit un véhicule routier avec les capacités affaiblies. Il explique que le 1er mars 2021, à la suite d’un diagnostic médical de trouble de consommation d’alcool, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) l’avise que son permis de conduire fait l’objet d’une suspension, applicable à compter du 21 mars 2021Note de bas page 15. L’appelant indique que le 15 mars 2021, la SAAQ lui a donné l’autorisation d’obtenir un permis de conduire assorti de la condition I à compter du 21 mars 2021, pour lui permettre de conduire un véhicule muni d’un antidémarreur éthylométriqueNote de bas page 16. Il indique avoir récupéré depuis, son permis de conduire sans la condition I.

[16] Je considère que la perte d’emploi de l’appelant résulte du fait que son permis de conduire a fait l’objet d’une suspension et qu’il ne pouvait plus exercer ses fonctions de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier.

[17] Je dois maintenant déterminer si le geste reproché à l’appelant constitue de l’inconduite au sens de la Loi.

Question no 2 : La raison du congédiement de l’appelant est-elle une inconduite selon la Loi?

[18] Je considère que l’appelant n’a pas agi de manière à perdre délibérément son emploi. La preuve au dossier ne démontre pas qu’il a commis des gestes représentant de l’inconduite au sens de la Loi.

[19] Dans son cas, selon la preuve présentée, même si l’appelant a perdu l’usage de son permis de conduire, cette situation ne découle pas d’un geste représentant de l’inconduite au sens de la Loi.

[20] J’estime le témoignage de l’appelant crédible et j’y accorde une valeur prépondérante. L’appelant dresse un portrait détaillé des circonstances ayant mené à la fin de son emploi comme conducteur et opérateur de camions lourds et d’engins de chantier, le 26 octobre 2021. Il ne se contredit pas. L’appelant fournit des explications précises sur les raisons ayant mené à la suspension de son permis de conduire et les démarches effectuées pour le récupérer avec le soutien de son médecin de famille. Son témoignage est soutenu par plusieurs documents à cet égard.

[21] L’appelant soutient ne pas avoir perdu son emploi en raison de son inconduite, pour les raisons suivantes&nbp;:

  1. a) L’appelant travaille comme ouvrier de voirie pour l’employeur depuis 2014. En 2018, il a cumulé un poste de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier (conducteur de camion de déneigement) avec son poste d’ouvrier de voirie. Il travaillait en alternance, comme ouvrier de voirie l’été (ex. : du mois de mai jusqu’à la fin du mois d’octobre) et l’hiver, comme conducteur et opérateur de camions lourds et d’engins de chantier (ex. : fin octobre à la fin du mois d’avril). Étant donné que son permis de conduire faisait l’objet d’une suspension depuis mars 2021, il n’a pas été en mesure de travailler comme conducteur et opérateur de camions lourds et d’engins de chantier à compter de la fin du mois d’octobre 2021 puisqu’un antidémarreur éthylométrique ne pouvait être installé sur le véhicule qu’il doit conduire. Il a travaillé comme ouvrier de voirie du début du mois de mai 2021 jusqu’à la fin du mois d’octobre 2021 et de la fin avril 2022 jusqu’à la fin du mois d’octobre 2022Note de bas page 17 ;
  2. b) En 2020, l’appelant a vécu plusieurs difficultés d’ordre personnel ou reliées à son travail (ex. : décès de son père à la fin de décembre 2019, problèmes avec son ex-conjointe concernant la garde de leurs enfants, difficultés en raison des heures supplémentaires qu’il devait accomplir et le fait qu’il devait effectuer des quarts de travail de nuit, problèmes de sommeil et difficultés à récupérer ou à garder un équilibre de vie) ;
  3. c) Le 7 janvier 2021, au retour de ses vacances, il rencontre l’employeur (chef des opérations). Lors de cette rencontre, l’employeur lui a entre autres posé des questions concernant sa consommation d’alcool et lui a demandé s’il avait un problème à ce sujet. L’appelant lui a répondu que ça lui arrivait de consommer de l’alcool, plus que souhaité, mais que cela se produisait en dehors de ses périodes de travail. L’employeur lui a proposé de l’aide et l’appelant l’a acceptée. L’appelant lui a indiqué qu’il avait entrepris une démarche auprès de l’organisme X, un organisme de soutien pour les hommes et qu’il pouvait consulter le programme d’aide aux employés (PAE). L’employeur a aussi proposé à l’appelant de consulter son médecin de famille et de lui exposer tous les problèmes qu’il pouvait avoir avec sa consommation d’alcoolNote de bas page 18 ;
  4. d) Vers le 11 janvier 2021, l’appelant a rencontré son médecin de famille. Le médecin lui a recommandé un arrêt de travail pour des raisons médicales pour une durée d’environ un mois et demi ou deux mois et un retour au travail prévu en mars 2021Note de bas page 19. L’appelant précise que le diagnostic du médecin indique un trouble lié à l’usage de l’alcool et un trouble de l’adaptation et de l’humeur. Le médecin lui a aussi recommandé de consulter une travailleuse sociale. L’appelant a rencontré une travailleuse sociale et celle-ci l’a ensuite référé au Centre de réadaptation en dépendance de X (X ou X) X ou Centre de réadaptation en dépendance de X (X) où il a entrepris une thérapie en février 2021. Cette thérapie a duré environ cinq moisNote de bas page 20. Il a également participé à plusieurs rencontres avec l’organisme X ;
  5. e) L’appelant a également rencontré son médecin de famille aux deux semainesNote de bas page 21. Après quelques rencontres, son médecin l’avise qu’elle doit faire une déclaration à la SAAQ concernant le changement de son état de santé et lui demande de la signer. C’est à la suite de la déclaration faite par son médecin que son permis de conduire a fait l’objet d’une suspension. L’appelant ne pensait pas qu’en signant ce document cela allait entraîner des conséquences pour son permis de conduire et pour son emploi puisqu’il avait été pro actif et de bonne foi dans son processus pour demander de l’aide, étant donné son trouble de consommation d’alcoolNote de bas page 22 ;
  6. f) La SAAQ lui a envoyé une lettre, en date du 1er mars 2021 (Objet : Suspension de votre permis de conduire), l’avisant de la suspension de son permis de conduire à compter du 21 mars 2021, à la suite de l’analyse des rapports d’examens médicaux qui lui ont été transmis ou des informations médicales qu’elle a reçues le concernant. Ce document indique que pour obtenir à nouveau son permis de conduire, il doit satisfaire l’une des exigences suivantes : se soumettre à une évaluation complète auprès d’un partenaire de la SAAQ et atteindre les objectifs du plan d’encadrement qui sera élaboré pour lui ou fournir la preuve de son médecin montrant qu’il est en rémission depuis 12 mois ou plusNote de bas page 23 ;
  7. g) L’appelant dit avoir été très surpris et très déçu de recevoir cette lettre. Il avait l’impression d’avoir fait tout le processus nécessaire après avoir discuté avec l’employeur et qu’une date était prévue pour son retour au travail. Son médecin de famille a aussi a été surprise de la suspension qui lui avait été imposée. Il indique que celle-ci l’a aidé à contester la décision de la SAAQ du 1er mars 2021, comme l’indique la lettre qu’elle a adressée à cette instance, en date du 9 mars 2021Note de bas page 24. Un autre médecin l’a aidé pour cette contestation, comme l’indique la lettre que celui-ci a adressée à la SAAQ, le 15 mars 2021Note de bas page 25 ;
  8. h) L’appelant a ensuite reçu une lettre de la SAAQ, en date du 15 mars 2021, dont l’objet est l’autorisation d’obtenir un permis de conduire assorti de la condition I, à compter du 21 mars 2021Note de bas page 26 ;
  9. i) La SAAQ lui a envoyé une autre lettre, en date du 1er avril 2021 (Objet : Réponse à votre demande de révision concernant votre permis de conduire), indiquant qu’elle maintient sa décision de suspendre son permis de conduire en vertu de l’article 29 du Règlement relatif à la santé des conducteurs et de l’article 191 du Code de la sécurité routière. Dans cette lettre, la SAAQ rappelle à l’appelant les deux choix qui s’offrent à lui pour obtenir à nouveau son permis de conduire, et mentionnés dans sa lettre du 1er mars 2021Note de bas page 27 ;
  10. j) La SAAQ lui a offert deux choix pour récupérer son permis de conduire : fournir une lettre du médecin traitant confirmant une période de sobriété d’un an ou faire partie d’un programme spécialiséNote de bas page 28 ;
  11. k) Après avoir reçu la lettre de la SAAQ du 1er avril 2021, l’appelant s’est inscrit au programme d’évaluation et de réduction du risque de conduite avec les capacités affaiblies (PERRCCA). Bien qu’une de ses déclarations indique que ce programme est d’une durée d’un anNote de bas page 29, il précise qu’il est d’une durée de six moisNote de bas page 30 ;
  12. l) Il a reçu une autre lettre de la SAAQ, en date du 14 avril 2021 (Objet : Permis assorti de la condition I), lui confirmant son autorisation d’obtenir un permis de conduire assorti de la condition I »Note de bas page 31 ;
  13. m) À la fin de juin 2021 et à la mi-juillet 2021, après avoir consommé de l’alcool et avoir attendu au lendemain, à chacune de ces deux occasions avant d’effectuer le test en utilisant son antidémarreur éthylométrique, il a échoué le test en questionNote de bas page 32 ;
  14. n) La déclaration de l’appelant à la Commission, en date du 25 avril 2022, indique qu’il a dû reprendre tout le processus de sobriété pour récupérer son permis de conduire, car il a été révoqué pour 12 mois à compter du mois de juillet 2021Note de bas page 33 ;
  15. o) L’employeur lui a envoyé une lettre, en date du 26 octobre 2021 (Objet : Avis de fin d’emploi), l’avisant que son nom allait être retiré de la liste de rappel pour le poste de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier, à compter du 1er novembre 2021, car son permis de conduire était révoquéNote de bas page 34. L’employeur n’a pu l’accommoder en novembre 2021 pour installer un antidémarreur éthylométrique dans le véhicule qu’il conduitNote de bas page 35 ;
  16. p) L’appelant a été rappelé au travail en avril 2022, comme l’indique la lettre que l’employeur lui a adressée le 7 mars 2022 (Objet : Rappel au travail)Note de bas page 36. Il a travaillé tout l’été 2022 (fin avril 2022 à octobre 2022) ;
  17. q) Il est en attente d’un rappel au travail pour le poste de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier puisque son permis de conduire n’est plus assorti de la condition I ;
  18. r) L’appelant fait valoir que c’est de façon préventive qu’il a cherché de l’aide relativement à sa consommation d’alcool, mais que cette démarche lui a nui presque au même titre que s’il avait fait l’objet d’une arrestation pour avoir conduit avec les capacités affaiblies par l’alcool.

[22] Le représentant de l’appelant fait valoir les éléments suivants :

  1. a) Plusieurs décisions rendues par la Cour et auxquelles la Commission réfère dans son argumentation démontrent que lorsqu’une personne a un trouble de consommation d’alcool ou de drogues et que son comportement mène à un congédiement (ex. : absences du travail en raison de la consommation d’alcool, comportement répréhensible d’un employé parce qu’il a consommé de l’alcool ou de la drogue durant sa prestation de travail ou parce qu’il était intoxiqué pour cette raison, refus d’un employé de recevoir de l’aide relativement à un problème d’alcool), il s’agit d’une inconduite au sens de la LoiNote de bas page 37 ;
  2. b) Le représentant fait valoir qu’il faut qu’une personne ait eu un comportement répréhensible lié à la perte de son permis de conduire pour conclure qu’il s’agit d’une inconduite, alors que selon la Commission, la perte d’un permis de conduire représente automatiquement une inconduite. La Commission utilise des principes, mais n’établit pas de distinction avec le cas de l’appelant, où il est question d’un contexte de maladie et non d’un comportement répréhensible de sa part. Le cas de l’appelant se distingue ainsi de ceux rapportés dans plusieurs des décisions de la Cour auxquelles la Commission réfère dans son argumentationNote de bas page 38 ;
  3. c) L’appelant est atteint d’une maladie ou d’une déficience, soit un trouble de l’usage de l’alcool, possiblement lié à d’autres éléments externes (ex. : deuil de son père, problèmes avec son ex-conjointe, problèmes de sommeil) ;
  4. d) Puisque le trouble de l’usage de l’alcool est une déficience et que dans le cas de l’appelant, il n’y a pas eu de comportement en lien avec le travail (ex. : consommation sur les lieux du travail, absentéisme en raison de la consommation d’alcool), l’analyse de son dossier doit tenir compte des principes gouvernant la Loi canadienne sur les droits de la personne (Loi visant à compléter la législation canadienne en matière de discrimination)Note de bas page 39. Il précise que bien que le présent appel ne représente pas une contestation en vertu de cette loi, celle-ci a été abordée dans une décision rendue par la Cour dans un cas d’inconduiteNote de bas page 40 ;
  5. e) Le « trouble de l’usage de l’alcool » est un diagnostic psychiatrique ou la rémission prolongée s’établit à 12 moisNote de bas page 41 ;
  6. f) La suspension du permis de conduire de l’appelant est en lien avec l’application de l’article 29 du Code de la sécurité routière (troubles liés à la consommation d’alcool ou d’autres substances)Note de bas page 42 ;
  7. g) Dans le Règlement relatif à la santé des conducteurs du Code de la sécurité routière, le « trouble lié à la consommation d’alcool ou d’autres substances » (section VII du document) est situé après les « troubles psychiatriques » (section VI du document) et avant les « maladies et atteintes du système nerveux » (section VIII du document)Note de bas page 43 ;
  8. h) Selon le représentant, la Commission n’aurait pas conclu à une inconduite si dans un diagnostic médical ayant eu pour effet d’entrainer la perte du permis de conduire d’une personne et la perte de son emploi, le trouble lié à la consommation d’alcool était remplacé par un autre problème d’ordre médical (ex. : épilepsie, trouble affectif bipolaire, dépression majeure, trouble psychotique) ;
  9. i) La Commission conclut que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite, sans préciser le comportement qui lui est reproché, puisqu’il n’y en a pas dans son cas, et que celui-ci a demandé de l’aide pour gérer son problème d’alcool ;
  10. j) En déclarant à son médecin un problème de santé lié à un trouble de l’usage de l’alcool, tout ce que l’appelant voulait c’était de recevoir de l’aide pour trouver une solution à ce problème ;
  11. k) Son médecin ne s’attendait pas à ce que le permis de conduire de l’appelant soit suspendu, étant donné que celui-ci avait pris en charge son rétablissement. La médecin a fait des représentations dans le but de renverser la décision de la SAAQ de suspendre le permis de conduire de l’appelant. La médecin précise dans un document, en date du 9 mars 2021, qu’elle ne considère pas que l’appelant adopte une conduite automobile à risque, entre autres, pour les raisons suivantes : n’a jamais conduit sous l’influence de l’alcool et ne s’est jamais présenté au travail sous l’influence de l’alcool, a su se mobiliser de manière remarquable depuis le début de son suivi médical, n’a aucun antécédent judiciaire et n’a jamais obtenu de contravention pour conduite dangereuseNote de bas page 44 ;
  12. l) L’argumentation de la Commission fait beaucoup référence au comportement de l’appelant en juillet 2021Note de bas page 45. Les deux rechutes de l’appelant en juin 2021 et juillet 2021 dans sa consommation d’alcool font partie du diagnostic médical posé par son médecin ;
  13. m) Le résumé d’une conversation tenue le 25 avril 2022 entre l’appelant et la CommissionNote de bas page 46, et à laquelle celle-ci réfère dans son argumentationNote de bas page 47, contient une erreur. Dans ce résumé, la Commission indique, entre autres, que l’appelant a demandé une nouvelle évaluation, à la fin de juin 2021 ou au début de juillet 2021, pour récupérer son permis de conduire et a donc été évalué par un mandataire de la SAAQ. Le résumé indique aussi que l’appelant n’a pas été en mesure de le récupérer, car il a échoué un test à l’éthylomètre (antidémarreur éthylométrique) en juillet 2021 et que de ce fait, il devait recommencer tout le processus et voir son permis révoqué pour 12 mois à compter du mois de juillet 2021. Ce qui est inexactNote de bas page 48 ;
  14. n) L’appelant désirait récupérer son permis de conduire à compter du 1er novembre 2021, ou à tout le moins, deux semaines avant cette date pour être inscrit sur la liste de rappel afin de pouvoir travailler comme conducteur et opérateur de camions lourds et d’engins de chantier. Cela a été impossible, en raison d’un délai administratif de la SAAQ, pour que l’appelant puisse refaire le processus d’évaluation complète, d’une durée de six mois, en vue de récupérer son permis de conduire et non en raison de son comportement. Le premier rendez-vous que l’appelant a pu obtenir, à la suite de sa demande de révision du 1er avril 2021 à la SAAQ, est le 28 juin 2021. La période de six mois, à compter du 28 juin 2021, mène au-delà du 1er novembre 2021, soit la date à laquelle l’appelant devait commencer son emploi de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier. Le rapport d’évaluation du PERRCCA a été déposé en janvier 2022Note de bas page 49. Que l’appelant ait échoué ou réussi le processus dans lequel il s’est engagé pour récupérer son permis de conduire n’a aucune incidence dans le présent dossier ;
  15. o) Pour déterminer si l’inconduite pouvait mener à un congédiement, il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et la perte de son emploiNote de bas page 50. Le représentant soutient que dans le cas de l’appelant, il y a rupture du lien causal, car malgré la suspension de son permis de conduire, il a pu continuer de travailler pour l’employeur. L’appelant a repris son emploi au début de mai 2021 comme ouvrier de voirie, malgré le processus entrepris pour récupérer son permis de conduire ;
  16. p) La Cour indique qu’une appréciation objective de la preuve doit être faite pour déterminer si l’auteur d’une inconduite « pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiement »Note de bas page 51 ;
  17. q) En fonction de la preuve présentée, une personne raisonnable n’aurait pas pu croire que son permis de conduire ferait l’objet d’une suspension pour une période d’un an après avoir dit à son employeur qu’il voulait obtenir de l’aide, et que cet employeur lui ait dit qu’il s’agissait d’une bonne idée en lui conseillant de rencontrer un médecin afin de recevoir les soins de santé nécessaires.

[23] Dans le présent dossier et en fonction de la preuve présentée, je considère que les circonstances liées au congédiement de l’appelant ne démontrent pas qu’il a délibérément fait en sorte de perdre son emploi. Son congédiement ne résulte pas d’un acte délibéré de sa part.

[24] Je considère que la suspension du permis de conduire de l’appelant découle avant tout d’un diagnostic médical indiquant, entre autres, un trouble de l’usage de l’alcool (trouble de consommation d’alcool). Ce diagnostic fait suite à sa démarche entreprise avec son médecin de famille pour gérer son problème de consommation d’alcool, suivant une discussion qu’il avait eue avec son employeur.

[25] Je retiens que l’appelant n’a commis aucun geste répréhensible ayant mené à la suspension de son permis de conduire et, ultimement, à la fin de son emploi de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier.

[26] Son témoignage et ses déclarations à la Commission, de même que les éléments de preuve qu’il présente, ne démontrent pas qu’il a fait l’objet d’une sanction de la part de l’employeur relativement à sa consommation d’alcool.

[27] Les déclarations recueillies auprès de l’employeur et les documents qu’il a transmis à la Commission ne démontrent pas que l’appelant a eu un comportement répréhensible dans le cadre de son emploi qui soit lié à son problème de consommation d’alcool (ex. : se présenter au travail sous l’effet de l’alcool, consommer de l’alcool durant sa prestation de travail, contrevenir à une politique de l’employeur en matière de consommation d’alcool ou de drogues, refuser de recevoir de l’aide relativement à un problème d’alcool).

[28] La Cour nous informe qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite, lorsqu’aucun élément de preuve ne démontre qu’il a contrevenu à la politique de son employeur concernant l’alcool et les droguesNote de bas page 52.

[29] La preuve recueillie auprès de l’employeur démontre avant tout que l’appelant ne pouvait plus occuper son poste saisonnier de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier, car son permis de conduire a fait l’objet d’une suspension.

[30] Rien n’indique non plus que l’appelant a fait l’objet d’une arrestation, d’un rapport d’infraction ou d’une accusation pour avoir conduit un véhicule routier avec les capacités affaiblies par l’alcool, que ce soit dans le cadre de son emploi ou en dehors du travail.

[31] La Commission fait valoir que selon la jurisprudence, la perte du permis de conduire liée à un trouble de consommation représente une inconduite au sens de la LoiNote de bas page 53. Toutefois, les décisions de la Cour auxquelles elle réfère pour soutenir son argumentation concernent des situations présentant le comportement répréhensible d’un prestataire lié à ce problème (ex. : absences au travail en raison de la consommation d’alcool, comportement répréhensible d’un employé parce qu’il a consommé de l’alcool ou de la drogue durant sa prestation de travail ou parce qu’il était intoxiqué pour cette raison, refus d’un employé de recevoir de l’aide relativement à un problème d’alcool), alors que ce n’est pas le cas de l’appelantNote de bas page 54.

[32] Puisque rien ne démontre que l’appelant a commis un acte répréhensible lié à la perte de son permis de conduire, je ne retiens pas l’argument de la Commission selon lequel le congédiement de ce dernier représente une inconduite puisque ce sont ses actes qui ont mené à la fin de son emploi, selon elle, car il savait qu’il avait besoin d’un permis de conduire pour faire son travailNote de bas page 55.

[33] Je suis d’avis que la démarche entreprise par l’appelant avec son médecin de famille pour gérer son problème de consommation d’alcool ne représente pas un geste possédant la dimension psychologique requise permettant de l’associer à de l’inconduite au sens de la Loi, et ce, même si cette démarche a mené à la suspension de son permis de conduire.

[34] La Cour nous indique qu’en l’absence de l’élément psychologique requis, le comportement reproché ne peut être qualifié d’inconduite au sens de la LoiNote de bas page 56.

[35] La Commission fait également valoir que même si la raison de la perte du permis de conduire de l’appelant n’est pas liée à une infraction au Code de la sécurité routière ou au non-respect des conditions de la SAAQ, la conséquence est qu’il ne satisfaisait plus une des conditions essentielles à son emploi pour occuper le poste de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier, et qu’il y a ainsi inconduite au sens de la LoiNote de bas page 57.

[36] Malgré l’argument de la Commission sur ce point, j’estime que l’appelant ne s’est pas volontairement placé dans une situation à la suite de laquelle il ne pouvait plus remplir les conditions de son emploi.

[37] Je considère que l’incapacité de l’appelant à remplir une condition essentielle de son emploi ne découle pas d’un comportement répréhensible de sa part, lié à son travail, en plus de ne pas être lié à une infraction, une accusation ou une condamnation pour avoir conduit avec les capacités affaiblies par l’alcool.

[38] La Cour nous indique aussi qu’une incapacité à remplir une condition d’emploi ne constitue pas toujours une inconduite au sens de la LoiNote de bas page 58.

[39] Même si l’appelant n’était plus en mesure d’accomplir les tâches reliées à son travail de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier, et que l’employeur a décidé de le congédier, je suis d’avis qu’il n’avait pas l’intention de perdre l’usage de son permis de conduire. Il n’a pas intentionnellement perdu son emploi ni créé sa situation de chômage.

[40] Je considère que l’appelant ne pouvait s’attendre à perdre l’usage de son permis de conduire dans les circonstances où cela s’est produit. Il ne pouvait savoir que la suspension de son permis de conduire, dans les circonstances évoquées, allait mener à la perte de son emploi.

[41] La Commission fait valoir que malgré sa thérapie et son suivi en cours au sein d’un programme d’aide relativement à sa consommation d’alcool, l’appelant a admis avoir échoué, en juillet 2021, le test fait avec l’appareil éthylométrique qu’il utilisait, car il avait consommé de l’alcool durant ce moisNote de bas page 59. Selon la Commission, l’appelant a eu la possibilité de récupérer son permis de conduire sans qu’il ne soit assorti de la condition I, mais qu’en raison de son comportement délibéré, il n’a pas été en mesure de le récupérer, car il avait échoué le test en questionNote de bas page 60. La Commission soutient que l’appelant n’a pas agi comme une personne raisonnable, soucieuse de conserver son emploi, et n’a pas tenu compte de la répercussion de son comportement sur son travailNote de bas page 61.

[42] Sur ces aspects, je retiens les explications du représentant selon lesquelles le résumé d’une conversation entre la Commission et l’appelant, le 25 avril 2022, indiquant que le permis de conduire de ce dernier avait été révoqué pour une période 12 mois parce qu’en juillet 2021, il n’avait pas réussi le test fait avec l’appareil éthylométrique qu’il utilisait, était inexactNote de bas page 62. Je considère qu’il est plus probable qu’improbable que le résumé de cette conversation soit inexact sur ce point puisque la preuve documentaire n’indique pas que le permis de conduire de l’appelant a été suspendu pour une période de 12 mois à compter de juillet 2021.

[43] Je retiens également des explications du représentant que ce n’est pas en raison de son comportement que l’appelant n’a pas pu récupérer son permis de conduire et commencer son emploi de conducteur et d’opérateur de camions lourds et d’engins de chantier, en novembre 2021, mais plutôt en raison du délai administratif de la SAAQ afin qu’il puisse entreprendre le processus d’évaluation complète dans le cadre du PERRCCA, dont la durée est de six mois. Il souligne que le premier rendez-vous que l’appelant a pu obtenir, dans le cadre de ce processus, à la suite de sa demande de révision du 1er avril 2021 à la SAAQ, fut le 28 juin 2021.

[44] En résumé, bien que le permis de conduire de l’appelant ait fait l’objet d’une suspension, cette suspension n’est liée à aucun geste de la part de ce dernier ayant un caractère conscient, délibéré ou intentionnel et pouvant être associé à de l’inconduite.

[45] Je considère que l’appelant n’a pas consciemment choisi d’ignorer les normes de comportement que l’employeur avait le droit d’exiger à son endroit.

[46] Je suis d’avis que l’appelant ne pouvait savoir que sa décision d’entreprendre une démarche auprès de son médecin de famille pour gérer son problème de consommation d’alcool allait mener à la suspension de son permis de conduire et, ultimement, à la perte de son emploi comme conducteur et opérateur de camions lourds et d’engins de chantier.

[47] J’estime que la Commission ne prouve pas que l’appelant a, de façon intentionnelle, perdu l’usage de son permis de conduire et qu’il a fait en sorte de perdre délibérément son emploi.

[48] Je suis d’avis que dans le cas présent, la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombe de démontrer si le geste de l’appelant représente de l’inconduite.

[49] La Cour nous informe que la Commission doit prouver l’existence d’éléments de preuve démontrant l’inconduite d’un prestataireNote de bas page 63.

[50] La Cour nous indique aussi qu’il doit être établi que l’inconduite a constitué la cause du congédiement du prestataireNote de bas page 64.

[51] Bien que l’appelant ait perdu son emploi parce que son permis de conduire avait été suspendu, son congédiement ne résulte pas d’une inconduite de sa part.

[52] J’estime que le congédiement de l’appelant ne découle pas d’un acte qu’il a posé de manière volontaire et délibérée.

[53] Selon la Loi, la raison du congédiement de l’appelant n’est pas liée à une inconduite.

Conclusion

[54] La Commission ne démontre pas que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[55] En conséquence, la décision de la Commission de l’exclure du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi à compter du 31 octobre 2021 n’est pas justifiée.

[56] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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