Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : PT c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 843

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de
permission d’en appeler

Demandeur : P. T.
Défenderesse : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 3 mai 2023 (GE-23-154 et GE-23-155)

Membre du Tribunal : Pierre Lafontaine
Date de la décision : Le 26 juin 2023
Numéro de dossier : AD-23-533 et AD-23-534

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Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le demandeur (prestataire) a été suspendu de son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur (politique). Il n’a pas obtenu d’exemption. Le prestataire a ensuite demandé des prestations régulières d’assurance‑emploi. Il a fait sa demande de prestations d’assurance‑emploi le 13 juillet 2022. Il voulait que sa demande soit traitée comme si elle avait été présentée plus tôt, soit le 12 décembre 2021.

[3] La défenderesse (Commission) a jugé que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite, de sorte qu’elle n’était pas en mesure de lui verser des prestations. Elle a aussi conclu que le prestataire n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard de sa demande de prestations pendant toute la période du retard. Après le rejet de sa demande de révision, le prestataire a interjeté appel devant la division générale.

[4] La division générale a conclu que le prestataire avait été suspendu à la suite de son refus de se conformer à la politique de l’employeur. Il n’a pas obtenu d’exemption. Elle a conclu que le prestataire savait qu’il était possible que l’employeur le suspende dans ces circonstances. Toutefois, il ne savait pas ou n’aurait pas dû savoir qu’il serait congédié. La division générale a conclu que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite.

[5] La division générale a également conclu que le prestataire n’avait pas prouvé qu’il avait un motif valable parce qu’il n’avait pas agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans des circonstances semblables. Sa demande d’antidatation a donc été refusée.

[6] Le prestataire demande maintenant la permission d’en appeler de la décision de la division générale auprès de la division d’appel. Il soutient que Service Canada a averti de ne pas demander de prestations d’assurance-emploi. Il affirme que les médias ont clairement indiqué que les gens qui ne se sont pas fait vacciner pourraient ne pas avoir droit à des prestations d’assurance-emploi. Le prestataire soutient que cela a rendu sa décision encore plus difficile à prendre. Ce n’est que lorsqu’il a croisé un collègue dans un endroit public qu’il a découvert qu’il pouvait présenter une demande. Le prestataire soutient que nous devrions être en mesure de faire confiance à notre gouvernement et aux médias.

[7] Je dois décider si la prestataire a soulevé une erreur susceptible de révision de la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[8] Je refuse la permission d’interjeter appel parce que l’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Question en litige

[9] Le prestataire soulève-t-il une erreur susceptible de révision de la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli?

Analyse

[10] L’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énonce les seuls moyens d’appel d’une décision de la division générale. Les erreurs susceptibles de révision sont les suivantes :

  1. Le processus d’audience de la division générale n’était pas équitable d’une façon quelconque.
  2. La division générale ne s’est pas prononcée sur une question qu’elle aurait dû trancher. Ou encore, elle s’est prononcée sur une question qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher.
  3. La division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante.
  4. La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[11] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audition sur le fond de l’affaire. Il s’agit d’une première étape que le prestataire doit franchir, mais le fardeau est ici inférieur à celui dont il devra s’acquitter à l’audience relative à l’appel sur le fond. À l’étape de la permission d’en appeler, le prestataire n’a pas à prouver le bien‑fondé de ses prétentions, mais il doit établir que l’appel a une chance raisonnable de succès compte tenu d’une erreur susceptible de révision. En d’autres termes, il doit établir que l’on peut soutenir qu’il existe une erreur susceptible de révision sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli.

[12] Par conséquent, avant que je puisse accorder la permission, je dois être convaincu que les motifs d’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel mentionnés précédemment et qu’au moins l’un des motifs a une chance raisonnable de succès.

Le prestataire soulève-t-il une erreur susceptible de révision de la division générale sur le fondement de laquelle l’appel pourrait être accueilli?

Inconduite

[13] La division générale devait décider si le prestataire avait perdu son emploi en raison d’une inconduite.

[14] La notion d’inconduite ne signifie pas qu’il est nécessaire que le comportement fautif découle d’une intention coupable; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Autrement dit, pour constituer une inconduite, l’acte reproché doit avoir été délibéré ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a délibérément décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

[15] Le rôle de la division générale n’est pas de juger de la sévérité de la sanction de l’employeur ou d’établir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en suspendant ou en congédiant le prestataire de sorte que sa suspension ou son congédiement était injustifié, mais bien de décider si le prestataire s’est rendu coupable d’inconduite et si cette inconduite a entraîné sa suspension ou son congédiement.

[16] Compte tenu de la preuve, la division générale a conclu que le prestataire a été suspendu parce qu’il a refusé de se conformer à la politique. Il a été informé de la politique de l’employeur et a eu le temps de s’y conformer. Il n’a pas obtenu d’exemption. Le prestataire a refusé intentionnellement; ce refus était délibéré. Il a été la cause directe de sa suspension.

[17] La division générale a conclu que le prestataire savait que son refus de se conformer à la politique pouvait entraîner sa suspension.

[18] Elle a conclu à partir de la preuve prépondérante que le comportement du prestataire constituait une inconduite.

[19] Il est bien établi que le non‑respect voulu de la politique de l’employeur est considéré comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance‑emploi (Loi)Note de bas page 1. Le non‑respect d’une politique dûment approuvée par un gouvernement ou un secteur d’activité est également considéré comme une inconduite au sens de la LoiNote de bas page 2.

[20] Nul ne conteste réellement le fait que l’employeur est tenu de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de son personnel au travail. Dans la présente affaire, l’employeur a suivi les recommandations de Santé Canada pour mettre en œuvre sa propre politique visant à protéger la santé de l’ensemble du personnel pendant la pandémieNote de bas page 3. La politique était en vigueur lorsque le prestataire a été suspendu.

[21] Il n’appartient pas au Tribunal de décider si les mesures de santé et de sécurité de l’employeur concernant la COVID-19 étaient efficaces ou raisonnables.

[22] Il appartient à une autre instance de déterminer si l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du prestataire ou si la politique a violé ses droits fondamentaux et constitutionnels. Le Tribunal n’est pas l’instance par laquelle le prestataire peut obtenir la réparation qu’il rechercheNote de bas page 4.

[23] La Cour fédérale a rendu récemment la décision Cecchetto concernant l’inconduite et le refus d’un prestataire de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur. Le prestataire a fait valoir que le refus de se conformer à une politique de vaccination imposée unilatéralement par un employeur ne constitue pas une inconduite. Il n’a pas été prouvé que le vaccin était sûr et efficace, a‑t‑il avancé. Le prestataire s’est senti victime de discrimination en raison de son choix médical personnel. Il a fait valoir qu’il a le droit de décider de sa propre intégrité corporelle et que ses droits ont été violés sous le régime du droit canadien et internationalNote de bas page 5.

[24] La Cour fédérale a confirmé la décision de la division d’appel selon laquelle le Tribunal n’est pas légalement autorisé à traiter ces questions. La Cour a convenu qu’en faisant le choix personnel et voulu de ne pas respecter la politique de vaccination de l’employeur, le prestataire avait manqué à ses obligations envers l’employeur et avait perdu son emploi en raison d’une inconduite au sens de la LoiNote de bas page 6. La Cour a déclaré que le prestataire dispose d’autres recours dans le cadre du système judiciaire pour faire valoir ses allégations.

[25] Dans l’affaire Paradis, le prestataire s’est fait refuser des prestations d’assurance‑emploi en raison d’une inconduite. Il a soutenu qu’il n’y avait eu aucune inconduite parce que la politique de l’employeur portait atteinte aux droits que lui confère l’Alberta Human Rights Act (loi sur les droits de la personne de l’Alberta). La Cour fédérale a conclu que l’affaire relevait d’une autre instance.

[26] La Cour fédérale a affirmé que, pour sanctionner le comportement de l’employeur, il existait d’autres recours qui permettent d’éviter que le programme d’assurance‑emploi fasse les frais de ce comportement.

[27] Dans l’arrêt Mishibinijima, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher les cas d’inconduite liés à l’assurance‑emploi.

[28] La preuve prépondérante dont disposait la division générale montre que le prestataire a fait le choix personnel et délibéré de ne pas se conformer à la politique de l’employeur en réponse aux circonstances exceptionnelles créées par la pandémie, ce qui a entraîné sa suspension.

[29] Selon moi, la division générale n’a commis aucune erreur susceptible de révision lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite uniquement selon les paramètres établis par la Cour d’appel fédérale, qui a défini l’inconduite au sens de la LoiNote de bas page 7.

[30] Je suis tout à fait conscient que le prestataire peut demander réparation à une autre instance si une violation est établie. Cela ne change rien au fait que, conformément à la Loi, la Commission a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite.

[31] Je ne vois aucune erreur susceptible de révision commise par la division générale sur la question de l’inconduite.

Antidatation

[32] Le prestataire soutient que Service Canada a prévenu de ne pas demander de prestations d’assurance-emploi. Il affirme que les médias ont clairement indiqué que les gens qui ne se sont pas fait vacciner pourraient ne pas avoir droit à des prestations d’assurance-emploi. Le prestataire soutient que cela a rendu sa décision encore plus difficile à prendre. Ce n’est que lorsqu’il a croisé un collègue dans un endroit public qu’il a découvert qu’il pouvait présenter une demande. Le prestataire soutient que nous devrions être en mesure de faire confiance à notre gouvernement et aux médias.

[33] Pour établir l’existence d’un motif valable, le prestataire doit réussir à démontrer qu’il a fait ce qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation aurait fait pour connaître sur droits et ses obligations que lui impose aux termes de la loiNote de bas page 8.

[34] La division générale a examiné certains reportages des médias et d’autres documents qui, selon le prestataire, appuyaient sa décision. Elle a déterminé que, tout au plus, ils laissaient entendre que chaque affaire serait tranchée sur le fond et que les employés qui ont été suspendus ou congédiés parce qu’ils n’ont pas respecté la politique de vaccination de leur employeur pourraient ne pas obtenir de prestations d’assurance-emploi.

[35] La division générale a conclu qu’une personne raisonnable et prudente qui serait dans la même situation que le prestataire aurait rapidement communiqué avec Service Canada pour s’informer de son admissibilité. Elle a conclu que son inaction était fondée sur ses hypothèses et ses opinions et s’est poursuivie pendant plusieurs mois.

[36] La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas prouvé qu’il avait un motif valable pour toute la période du retard parce qu’il n’avait pas agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans les mêmes circonstances.

[37] Il est bien établi que le retard à présenter une demande de prestations d’assurance-emploi fondé sur une hypothèse erronée et non vérifiée selon laquelle prestataire ne serait pas admissible ne constitue pas un motif valable aux fins de la LoiNote de bas page 9. Comme de nombreux renseignements et des renseignements erronés ont été communiqués aux citoyens canadiens, il était encore plus important que le prestataire vérifie son admissibilité directement auprès de Service Canada.

[38] Selon moi, la division générale n’a commis aucune erreur susceptible de révision sur la question de l’antidatation.

Conclusion

[39] Après avoir examiné le dossier d’appel et la décision de la division générale ainsi que les arguments du prestataire à l’appui de sa demande de permission d’en appeler, je n’ai d’autre choix que de conclure que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Le prestataire n’a pas invoqué de motifs relevant des moyens d’appel susmentionnés, susceptibles d’entraîner l’annulation de la décision contestée.

[40] La permission d’en appeler est refusée. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.

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