Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MJ c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 800

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : M. J.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (488869) datée du 6 juillet 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Marc St-Jules
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 février 2023
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 28 mars 2023
Numéro de dossier : GE-22-2604

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas d’accord avec l’appelante (qui est la prestataire)Note de bas de page 1.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelante a été suspendue de son emploi, puis congédiée en raison d’une inconduite (c’est-à-dire parce qu’elle a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelante est inadmissible aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 2.

Aperçu

[3] L’appelante a été suspendue, puis congédiée. Son employeur l’a suspendue parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique vaccinale qu’il avait mise en place : elle a refusé de se faire vacciner.

[4] Même si l’appelante ne conteste pas ce qui s’est passé, elle affirme qu’agir contre la politique vaccinale de son employeur n’est pas une inconduite. Elle a tout de même essayé de s’y conformer.

[5] La Commission a reconnu que la perte d’emploi de l’appelante découlait d’une suspension sans solde. L’appelante savait ou aurait dû savoir que son refus pouvait entraîner un congé sans solde et un congédiement. La Commission a conclu que l’appelante a été suspendue, puis congédiée en raison d’une inconduite. Pour cette raison, elle a décidé que l’appelante est inadmissible aux prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] L’appelante a-t-elle été suspendue, puis congédiée en raison d’une inconduite?

Analyse

[7] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas obtenir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison de son inconduite. Cette règle s’applique que la personne ait été congédiée ou suspendueNote de bas de page 3.

[8] Pour décider si l’appelante a été suspendue en raison d’une inconduite, je dois évaluer deux choses. D’abord, je dois établir pour quelle raison elle a été suspendue. Ensuite, je dois voir si la loi considère cette raison comme une inconduite.

[9] Une personne qui perd son emploi en raison d’une « inconduite » n’est pas admissible aux prestations d’assurance-emploi. Dans ce contexte, le terme « inconduite » signifie que la personne a enfreint une règle dans le cadre de son emploi.

Pourquoi l’appelante a-t-elle été mise en congé sans solde, puis congédiée?

[10] J’estime que l’appelante a été suspendue, puis congédiée parce qu’elle ne s’est pas conformée à la politique vaccinale de son employeur.

[11] L’appelante convient qu’elle a été suspendue, puis congédiée en raison de la politique vaccinale. Mais elle n’accepte pas qu’il s’agit d’une inconduite.

[12] La Commission affirme que l’appelante a été suspendue, puis congédiée parce qu’elle n’a pas respecté la politique vaccinale de son employeur.

[13] Les déclarations de l’appelante à la Commission et au Tribunal sont cohérentes. Depuis le début, l’appelante affirme que son employeur l’a mise en congé sans solde. Elle soutient qu’il l’a fait alors qu’elle n’avait rien à se reprocher et qu’elle a toujours été prête à travailler.

[14] Je considère que l’appelante a été suspendue, puis congédiée pour ne pas avoir respecté la politique de vaccination mise en place par son employeur. C’est l’employeur qui a imposé le congé sans solde. Ce n’était pas la volonté de l’appelante. Il ne s’agissait pas d’un congé volontaire.

La raison de la suspension et du congédiement est-elle une inconduite selon la loi?

[15] Selon la loi, la raison de la suspension et du congédiement de l’appelante est une inconduite.

[16] La Loi sur l’assurance-emploi ne définit pas l’inconduite. Par contre, la jurisprudence (l’ensemble des décisions que les tribunaux ont rendues) aide à décider si la suspension de l’appelante est le résultat d’une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi. La jurisprudence établit le critère juridique lié à l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les facteurs à prendre en compte quand on examine la question de l’inconduite.

[17] Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée, c’est-à-dire consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 4. L’inconduite peut aussi se présenter comme une conduite si insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 5. Il n’est pas nécessaire que l’appelante ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’elle ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite selon la loiNote de bas de page 6.

[18] Il y a inconduite si l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée pour cette raisonNote de bas de page 7.

[19] La loi ne dit pas que je dois tenir compte du comportement de l’employeurNote de bas de page 8. Je dois plutôt me concentrer sur ce que l’appelante a fait ou n’a pas fait et me demander si cela constitue une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 9.

[20] Je peux seulement décider s’il y a eu inconduite aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. Je ne peux pas trancher l’affaire en me fondant sur d’autres loisNote de bas de page 10. Je ne peux pas décider si une personne a subi un congédiement déguisé ou injustifié selon le droit du travail. Je ne peux pas interpréter une convention collective ou un contrat de travail. Je ne peux pas décider si un employeur a enfreint un contrat de travailNote de bas de page 11. Je ne peux pas décider si un employeur a discriminé une personne ou s’il aurait dû lui accorder une mesure d’adaptation conformément à la loi sur les droits de la personneNote de bas de page 12. Et je ne peux pas décider si un employeur a porté atteinte à la vie privée d’une personne ou à d’autres droits dans le contexte du travail, ou autrement.

[21] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le Tribunal n’a pas à décider si la politique d’un employeur était raisonnable, ou si le congédiement ou la suspension d’une personne était justifié. Le rôle du Tribunal est plutôt de décider si la conduite de la personne constituait une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploiNote de bas de page 13.

[22] Le même principe s’applique aux croyances religieuses et à leurs exemptions. Je peux examiner une seule chose : si ce que la personne a fait ou n’a pas fait constitue une inconduite selon la Loi sur l’assurance-emploi.

[23] La Commission doit prouver que l’appelante a été suspendue, puis congédiée en raison d’une inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduiteNote de bas de page 14.

[24] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • La politique vaccinale que l’employeur avait mise en place comprenait des modalités de suspension et de congédiement sans solde pour toute personne qui ne s’y conformait pas.
  • L’employeur a communiqué sa politique à tout le personnel.
  • L’appelante a été informée clairement des attentes de l’employeur concernant la vaccination.
  • L’appelante savait ou aurait dû savoir ce qui arriverait si elle ne respectait pas la politique.

[25] L’appelante affirme qu’il n’y a eu aucune inconduite pour les raisons suivantes :

  • La politique de vaccination obligatoire est une violation aux droits de la personneNote de bas de page 15.
  • Elle a le droit de refuser la vaccination.
  • La vaccination a des effets indésirables.
  • L’employeur a tenté de la forcer à se faire vacciner.
  • La politique de vaccination n’a pas force de loi.
  • Les modalités de l’application Google étaient épouvantablesNote de bas de page 16.
  • Son dossier d’employée était parfait, de même que son dossier de conduite, et elle a reçu des prix pour son travail.
  • Dans une lettre datée du 20 mai 2022, une entente de cessation d’emploi a été offerte ou négociée avec le syndicatNote de bas de page 17. L’appelante a dit à la Commission que cette lettre devrait permettre le versement de prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 18.

[26] J’estime que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur a mis en place une politique de vaccination que les membres du personnel devaient respecter; sinon ils seraient mis en congé sans solde.
  • L’appelante a été informée clairement des attentes de l’employeur concernant la vaccination.
  • L’employeur a communiqué la politique à tout le personnel pour expliquer ce à quoi il s’attendait.
  • L’appelante savait ou aurait dû savoir ce qui arriverait si elle ne respectait pas la politique.

[27] L’appelante a convenu qu’elle avait reçu la politique. Elle la comprenait, mais ne pouvait pas croire que son employeur en était arrivé là. Elle est partie en vacances en août 2021 et, à son retour en septembre 2021, la politique avait déjà été annoncée. Tout le monde devait être vacciné au plus tard le 31 octobre 2021. Si une personne ne voulait pas se faire vacciner, elle devait présenter ses résultats de tests négatifs à ses frais. C’est ce que l’appelante avait choisi de faire. Cependant, elle s’est opposée à envoyer ses résultats de tests au moyen de l’application prévue à cet effet.

[28] L’appelante a lu les modalités de l’application et n’était pas d’accord. L’application permet à ses développeurs d’obtenir tous les renseignements sauvegardés dans le téléphone d’une personne. L’appelante s’y est opposée. Elle a essayé d’envoyer ses résultats de tests négatifs par courriel, mais son employeur ne les a pas acceptés.

[29] L’employeur a envoyé au moins trois lettres à l’appelante.

  • Dans une lettre datée du 4 novembre 2021Note de bas de page 19, l’employeur a informé l’appelante : [traduction] « Comme vous n’avez pas fourni de preuve que vous serez entièrement vaccinée au plus tard le 15 novembre, vous avez été inscrite au programme de dépistage rapide de la COVID-19. » L’employeur a ensuite écrit : [traduction] « [...] vous n’avez pas confirmé que vous êtes disposée à respecter les exigences du programme de dépistage rapide. En raison de votre refus de suivre les mesures sanitaires de la direction découlant de [...] vous êtes mise en congé sans solde à compter de la date de la présente lettre jusqu’au 30 novembre 2021 inclusivement. »
  • Dans une lettre datée du 14 décembre 2021Note de bas de page 20, l’employeur a informé l’appelante : [traduction] « Comme vous n’avez pas communiqué avec nous au plus tard le 14 décembre 2021 pour nous indiquer que vous étiez disposée à [...] nous vous imposons une suspension disciplinaire sans solde de six semaines du 15 décembre 2021 au 26 janvier 2022. »
  • Dans une lettre datée du 26 janvier 2022, l’employeur a informé l’appelante : [traduction] « Le 30 novembre 2021, votre congé a été prolongé jusqu’au 14 décembre 2021 inclusivement pour vous offrir [...]. Comme vous ne vous y êtes pas conformée en date du 14 décembre, nous vous avons imposé une suspension disciplinaire de six semaines [...]. Votre refus persistant [...] nous avons pris la décision de mettre fin à votre emploi à la Ville de [...] immédiatement. »

[30] La politique dit que tout non-respect peut entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement. L’employeur a fait une déclaration à la Commission pour appuyer ce faitNote de bas de page 21.

[31] L’appelante aurait dû savoir ce qu’elle devait faire pour respecter la politique de vaccination et ce qui se passerait si elle ne la respectait pas. Elle a reconnu avoir reçu de la correspondance concernant la politique, ainsi que des courriels subséquents. Elle a décidé de ne pas se faire vacciner et de ne pas présenter ses résultats de tests selon la méthode que l’employeur avait choisie.

[32] L’appelante savait que si elle ne se faisait pas vacciner ou ne présentait pas ses résultats de tests au moyen de l’application, elle risquait d’être suspendue et congédiée. Elle a agi en connaissance de cause. Je conviens qu’elle n’avait pas d’intention coupable, mais elle était quand même consciente de ce qu’elle faisait.

[33] Dans une affaire récente qui s’intitule ParmarNote de bas de page 22, la cour a dû décider si un employeur était autorisé à mettre une personne en congé sans solde parce qu’elle n’avait pas respecté une politique de vaccination obligatoire. Mme Parmar s’est opposée à la vaccination parce qu’elle doutait de son efficacité à long terme et s’inquiétait des effets négatifs potentiels sur sa santé.

[34] Dans cette affaire, la cour a reconnu qu’il était [traduction] « extraordinaire pour un employeur d’adopter une politique qui a une incidence sur l’intégrité physique de son personnel ». Mais elle a décidé que la politique de vaccination en question était raisonnable, étant donné [traduction] « les défis sanitaires extraordinaires qu’a amenés la pandémie mondiale de COVID-19 ». La cour a ajouté ce qui suit :

[traduction]
[154] [Une politique de vaccination obligatoire] n’oblige personne à se faire vacciner. En réalité, elle oblige à faire un choix entre se faire vacciner, et continuer à recevoir un salaire, ou rester non vacciné, et perdre ce salaire.

[35] Dans une autre affaire récente, qui date de janvier 2023, la Cour fédérale convient que le pouvoir du Tribunal est limitéNote de bas de page 23. Voici le paragraphe 32 de la décision :

[traduction]
[32] Le demandeur est visiblement frustré par le fait qu’aucune décision n’ait abordé ce qu’il considère comme des questions de droit ou de fait fondamentales, par exemple, l’intégrité physique, le consentement aux tests médicaux, la sûreté et l’efficacité des vaccins contre la COVID-19 ou les tests antigéniques. Mais cela ne rend pas la décision de la division d’appel déraisonnable pour autant. La principale faille de son argument est qu’il reproche aux personnes qui ont rendu les décisions de ne pas avoir réglé un ensemble de questions qu’elles ne sont pas légalement autorisées à examiner.

[36] Par conséquent, je ne tire aucune conclusion sur la validité de la politique ou sur toute violation des droits de l’appelante qui sont protégés par d’autres lois. Une personne employée peut demander réparation devant un autre tribunal ou une cour si son employeur enfreint son contrat de travail ou s’il viole ses droits fondamentaux.

[37] L’entente de cessation d’emploi dans la lettre du 20 mai 2022 ne modifie pas ma décision. L’appelante était au courant de la politique et des conséquences en cas de non-respect. Ce règlement négocié après coup ne change rien à la situation.

[38] Je conviens que l’appelante peut refuser la vaccination. Je conviens aussi qu’elle peut refuser de transmettre ses renseignements médicaux au moyen de l’application. C’est sa décision. Mais je conviens également que l’employeur doit gérer les activités quotidiennes de son milieu de travail, ce qui comprend l’élaboration et l’application de politiques de santé et de sécurité au travail.

[39] L’appelante soutient que la politique viole ses droits fondamentaux. Mon rôle est de rendre une décision fondée sur la Loi sur l’assurance-emploi, le Règlement sur l’assurance-emploi et la jurisprudence connexe. L’appelante peut avoir recours à d’autres instances, puisque ma compétence est limitée, comme je l’ai mentionné plus haut.

[40] L’appelante est très crédible. Ses déclarations étaient cohérentes, et rien de la part de la Commission ne me fait douter de sa crédibilité. Je suis certain que l’appelante était une employée précieuse. Rien dans le dossier ne dit le contraire.

[41] L’appelante affirme que ses actions ne correspondent pas aux critères d’une inconduite. J’admets que l’appelante n’a jamais eu d’intention coupable. Rien dans le dossier ne montre une telle intention. J’en suis convaincu. Toutefois, les tribunaux ont décidé au fil des ans qu’une personne n’a pas à avoir une intention coupable pour que sa conduite soit une inconduiteNote de bas de page 24.

Alors, l’appelante a-t-elle perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[42] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelante a été suspendue et congédiée en raison d’une inconduite. En effet, ses actions ont mené à sa suspension. Elle a agi délibérément. Elle savait que son refus de se faire vacciner pouvait lui faire perdre son emploi.

Conclusion

[43] La Commission a prouvé que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison d’une inconduite. C’est pourquoi elle n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi.

[44] À partir du 1er novembre 2021, l’appelante est inadmissible aux prestations régulières parce qu’elle a été suspendue en raison de son inconduite. À partir du 23 janvier 2022, l’appelante devrait être exclue du bénéfice des prestations régulières parce qu’elle a été congédiée en raison de son inconduite.

[45] Comme la période de prestations commençait le 20 février 2022, les prestations lui sont refusées à partir de cette date seulement.

[46] Par conséquent, l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.