Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Résumé :

Dans la présente affaire, le demandeur est P, l’employeur du prestataire. L’employeur demande la permission de porter la décision de la division générale en appel. Il ne conteste pas l’admissibilité du prestataire au bénéfice des prestations. Il souhaite plutôt faire appel de la décision écrite parce qu’il croit qu’elle est diffamatoire.

La division d’appel a examiné le critère de « qualité pour agir » (le droit d’agir). Selon la loi, toute « décision de la division générale peut être portée en appel devant la division d’appel par toute personne qui fait l’objet de la décision ». Autrement dit, la division d’appel doit d’abord conclure que l’employeur fait l’objet de la décision de la division générale avant de pouvoir décider si elle lui accorde ou non la permission de faire appel. Selon la décision que la division d’appel a rendu dans l’affaire X c Commission de l’assurance-emploi du Canada et SS, 2020 TSS 845, le demandeur doit d’abord démontrer qu’il a un intérêt direct dans l’appel, comme le Tribunal l’exige de n’importe quelle autre partie qui demande à être mise en cause dans un appel. Cependant, selon l’affaire X, avoir un intérêt direct ne suffit pas. Pour qu’on puisse considérer une partie comme faisant l’objet de la décision, l’« intérêt direct » doit avoir un lien avec les droits de la partie ou les obligations juridiques qu’elle aurait à la suite de la décision de la division générale. La division d’appel doit tenir compte de la législation régissant les droits et obligations sur lesquels la décision aura une incidence. Dans la présente affaire, la loi applicable est la Loi sur l’assurance-emploi. Pour avoir le droit de faire appel, l’employeur doit démontrer que la décision de la division générale pourrait avoir une incidence sur ses droits ou responsabilités aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi.

La division d’appel a décidé que l’employeur n’avait pas démontré la façon dont la décision de la division générale causait un préjudice réel ou potentiel à l’affaire devant la Commission des relations de travail de l’Ontario. Lorsque l’employeur envisageait de demander à être mis en cause dans l’appel de la division générale, il aurait peut-être été en mesure de démontrer l’existence d’un intérêt direct. La décision de la division générale aurait pu avoir une incidence sur les intérêts de l’employeur. Elle aurait aussi pu avoir des répercussions sur les intérêts de l’employeur dans la procédure indirecte jugée par la Commission des relations de travail de l’Ontario. Mais l’employeur n’aurait pas « fait l’objet de la décision » pour autant et il n’aurait pas nécessairement eu le droit de faire appel à la division d’appel. Les intérêts indirects ne constituent pas un droit ou une obligation aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi. De plus, le fait que le témoignage du prestataire fasse partie du domaine public et que l’employeur en soit offensé ne fait pas de lui l’objet de la décision.

La division d’appel a décidé que l’employeur n’avait pas qualité pour faire appel de la décision de la division générale. Comme la division d’appel n’autorise pas l’employeur à faire appel, elle n’avait pas besoin d’évaluer sa demande de permission de faire appel.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : P c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2023 TSS 712

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision sur la prorogation du délai et la qualité
pour demander la permission d’interjeter appel

Demandeur : P
Défenderesse : Commission de l’assurance‑emploi du Canada
Représentante ou représentant :  
Personne mise en cause : A. G.
Représentante ou représentant :  

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 22 septembre 2022
(GE-22-1271)

Membre du Tribunal : Stephen Bergen
Date de la décision : Le 5 juin 2023
Numéro de dossier : AD-23-229

Sur cette page

Décision

[1] Le demandeur n’a pas qualité pour interjeter appel, je dois donc refuser la permission d’en appeler. L’appel n’ira pas de l’avant.

Aperçu

[2] Le demandeur dans la présente décision est P, qui était l’employeur d’A. G., le prestataire. Je désignerai le demandeur comme l’employeur et A. G. comme le prestataire.

[3] L’employeur demande la permission d’en appeler d’une décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[4] L’employeur ne conteste pas le droit du prestataire à des prestations. Il souhaite porter en appel la décision écrite parce qu’il estime qu’elle est diffamatoire. L’employeur fait valoir que la division générale a agi injustement en acceptant le témoignage du prestataire sans mener d’enquête.

Questions préliminaires

L’appel est-il tardif?

[5] Comme l’appel n’est pas tardif, je n’ai pas à me demander s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai.

[6] La décision de la division générale est datée du 22 septembre 2022. L’employeur a d’abord avisé la division d’appel de son intention d’interjeter appel de la décision de la division générale le 3 février 2023, soit plus de 4 mois après la décision.

[7] Selon les Règles de procédure du Tribunal de la sécurité sociale (Règles du TSS), l’appelant doit déposer sa demande à la division d’appel dans les 30 jours suivant la date à laquelle la décision lui est communiquée par écritNote de bas de page 1.

[8] Les Règles du TSS prévoient également que la division d’appel peut présumer qu’une partie a reçu la décision 10 jours après la date à laquelle la division générale l’a envoyée par la poste ordinaire ou le jour ouvrable suivant, si elle a été envoyée par voie électroniqueNote de bas de page 2.

[9] Toutefois, je ne peux conclure que l’employeur a reçu la décision conformément à la présomption. La division générale n’a pas envoyé la décision à l’employeur parce qu’elle n’envoie ses décisions qu’aux parties à ses instances. L’employeur n’avait pas participé au processus de la division générale et celle-ci n’avait pas fait de l’employeur un mis en cause.

[10] De plus, l’employeur pourrait fournir la date exacte à laquelle il a effectivement reçu la décision. Il affirme que le prestataire a envoyé une copie à sa boîte aux lettres générale et qu’il a reçu la décision le 27 janvier 2023. Le prestataire fait observer qu’il a fallu de nombreux mois avant que la décision soit rendue et affirme que l’employeur était au courant de l’affaire et qu’il aurait dû effectuer des vérifications. Toutefois, le prestataire ne dit mot du moment où l’employeur a reçu la décision.

[11] La Commission de l’assurance-emploi du Canada accepte le 27 janvier 2023 comme date à laquelle la décision a été communiquée à l’employeur.

[12] Je reconnais que la décision a été communiquée par écrit à l’employeur le 27 janvier 2023. L’employeur a demandé d’en appeler de la décision dans un délai de quelques jours, bien avant l’expiration du délai de 30 jours.

L’employeur a-t-il qualité pour interjeter appel?

[13] L’employeur n’a pas qualité pour interjeter appel.

Le motif de l’employeur pour demander la permission d’en appeler de la décision de la division générale

[14] L’employeur a donné trois raisons pour lesquelles il estime qu’il devrait obtenir la qualité pour interjeter appel de la décision de la division générale.

  1. a) Le prestataire a utilisé la décision de la division générale pour présenter sa demande devant la Commission des relations de travail.
  2. b) Le Tribunal a dit à l’employeur que la décision de la division générale n’affecterait aucun autre organe directeur.
  3. c) L’employeur estime qu’il a été diffamé par l’exposé du témoignage du prestataire dans la décision de la division générale ou par les conclusions factuelles du membre de la division générale.

Critère relatif à la « qualité pour agir »

[15] La loi prévoit que « [t]oute décision de la division générale peut être portée en appel devant la division d’appel par toute personne qui fait l’objet de la décision »Note de bas de page 3. En d’autres termes, je dois conclure que l’employeur fait l’objet de la décision de la division générale avant même que je puisse décider s’il y a lieu d’accorder la permission d’en appeler.

[16] La division d’appel a déjà examiné le sens de l’expression « objet de la décision ». Une affaire semblable concernait un employeur qui s’inquiétait de la façon dont une décision défavorable de la division générale pouvait influer sur le cours d’autres instances civiles et administratives activesNote de bas de page 4. L’employeur avait demandé d’être mis en cause devant la division générale, mais celle-ci a conclu qu’il n’avait pas d’« intérêt direct » dans l’instance. Elle a refusé la demande de l’employeur dans une décision préliminaire. Lorsque la division générale a rendu sa décision, l’employeur a tenté de faire appel.

[17] Selon la définition de « partie » énoncée dans les Règles du TSS, les demandeurs qui étaient parties devant la division générale sont également parties à la division d’appel. Dans la décision X, la division d’appel a statué que les parties de la division générale sont considérées comme « l’objet de la décision » et ont qualité pour interjeter appel devant la division d’appelNote de bas de page 5.

L’employeur n’était pas partie devant la division générale

[18] La division générale a écrit à l’employeur le 29 avril 2023 pour lui expliquer qu’il pouvait demander d’être mis en cause, mais qu’il devait démontrer qu’il avait un intérêt direct dans la décision. La division générale a donné à l’employeur une date limite initiale, soit le 9 mai 2022, pour décider s’il voulait être mis en cause.

[19] L’employeur a répondu à la première lettre par courriel le 9 mai 2022, soit à la date limite. Il a dit qu’il venait tout juste de recevoir la lettre du Tribunal. L’employeur a fait observer que le prestataire avait un dossier ouvert auprès de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) et qu’il ignorait comment l’appel de l’assurance-emploi influerait sur l’affaire de la CRTO. Le même jour, l’employeur a indiqué au personnel du greffe du Tribunal qu’il devrait demander des conseils juridiques avant de répondre.

[20] La division générale a accordé deux autres prorogations de délai à l’employeur afin qu’il puisse décider s’il voulait demander d’être mis en cause. Dans sa dernière prorogation, elle a donné à l’employeur jusqu’au 24 juin 2022. L’objet de la lettre était le suivant : « Date limite finale pour la réponse éventuelle à la possibilité d’être mis en cause ».

[21] Le 15 juin 2022, l’employeur a appelé pour informer le Tribunal qu’il ne voulait pas être mis en cause devant la division générale. L’employeur a dit qu’il attendait une décision d’un autre tribunal (vraisemblablement la CRTO). Il a ajouté que cette autre décision n’était pas favorable au prestataire et qu’il comprenait que l’appel relatif à l’assurance-emploi n’entrerait pas en conflit avec l’autre décisionNote de bas de page 6.

[22] L’employeur n’a pas demandé d’être mis en cause, et la division générale n’a pas mis l’employeur en cause en l’instance. L’audience de la division générale a commencé le 16 août 2022 et s’est terminée le 22 septembre 2022, sans la participation de l’employeur.

L’employeur ne fait pas « l’objet de la décision »

[23] Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles un demandeur peut faire l’objet de la décision même s’il n’était pas partie à l’instance devant la division générale.

[24] Selon la division d’appel dans l’affaire X, le demandeur doit d’abord démontrer le même « intérêt direct » que le Tribunal exige d’un demandeur qui veut être mis en cause dans un appel existant. En d’autres termes, ils devraient démontrer que la décision a affecté leurs droits légaux, leur a imposé des obligations légales ou a, d’une manière ou d’une autre, porté atteinte à leurs intérêtsNote de bas de page 7.

[25] Toutefois, X a dit qu’il ne suffit pas d’avoir un intérêt direct. Pour que le demandeur soit considéré comme l’objet de la décision, son « intérêt direct » doit concerner ses propres droits ou obligations juridiques découlant de la décision de la division généraleNote de bas de page 8.

[26] L’« objet » de la décision doit concerner le demandeur et dépend de l’objet de la décision de la division générale. Cela signifie que je dois tenir compte de la loi qui régit les droits ou obligations touchés par la décision.

[27] Dans la présente affaire, la loi applicable est la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). Pour qu’un demandeur ait qualité pour interjeter appel, l’employeur doit démontrer que la décision de la division générale peut avoir une incidence sur son droit ou sa responsabilité en vertu de la LoiNote de bas de page 9.

Champ d’application du critère

Recours à la décision de la division générale dans une autre instance

[28] L’employeur a fait valoir qu’il fait l’objet de la décision parce que le prestataire a utilisé la décision de la division générale dans sa demande au titre de la CRTO.

[29] Le prestataire a déposé un différend ou une plainte auprès de la CRTO. La CRTO a tranché cette plainte en faveur de l’employeur le 2 juin 2022. Le prestataire a demandé une révision, ce que la CRTO a refusé le 11 juillet 2022. Il a demandé une deuxième révision à la CRTO que celle-ci a accepté de faire, même si cela ne faisait pas partie de sa pratique habituelle. Toutefois, la CRTO a finalement rejeté aussi cette révision, le 17 octobre 2022, après la publication de la décision de la division générale. Le prestataire a de nouveau présenté une demande à la CRTO au printemps 2023. Cette fois-ci, le prestataire a inclus une copie de la décision de la division générale dans sa demande, comme le confirme l’employeurNote de bas de page 10.

[30] L’employeur n’a pas démontré comment la décision de la division générale a entraîné un préjudice réel ou éventuel à l’affaire de la CRTO. La décision de la division générale n’a pas fait de différence dans l’instance de la CRTO. Comme le reconnaît l’employeur, la CRTO a confirmé le 13 avril 2023 qu’elle ne rouvrirait pas sa décisionNote de bas de page 11.

[31] Au moment où l’employeur se demandait s’il devait requérir sa mise en cause dans l’appel devant la division générale, il aurait pu être en mesure de démontrer qu’il avait un intérêt direct. La décision de la division générale aurait pu influer sur ses intérêts dans l’instance accessoire de la CRTO. Toutefois, cela n’aurait pas signifié que l’employeur était « l’objet de la décision » et qu’il avait qualité pour interjeter appel devant la division d’appel. L’intérêt accessoire n’est pas un droit ou une responsabilité en vertu de la Loi.

Conseils du Tribunal

[32] L’employeur a fait valoir qu’il n’avait pas participé au niveau de la division générale parce que le Tribunal a déclaré que la décision de la division générale n’aurait aucune incidence sur d’autres instances.

[33] L’employeur semble soutenir qu’il devrait se voir accorder la qualité comme s’il était partie à la division générale. Cela sous-entend qu’il serait partie à la division générale s’il avait reçu des conseils appropriés du Tribunal.

[34] Le Tribunal n’a aucune preuve qu’un agent du Tribunal a déjà dit à l’employeur comment la décision influerait sur d’autres instances. Toutefois, les dossiers du Tribunal révèlent que l’employeur avait l’intention de demander un avis juridique avant de décider de participer ou non. Peu importe si l’employeur a obtenu ce conseil ou non, il semble que l’employeur n’était pas content de se fier à ce que l’agent du Tribunal a dit, le cas échéant.

[35] Je ne suis pas convaincu que le Tribunal a dissuadé l’employeur de sa demande de mise en cause, que l’employeur s’est fondé sur les conseils du Tribunal pour décider s’il voulait être mis en cause ou que l’utilisation de la décision de la division générale par le prestataire a affecté toute autre instance.

[36] De plus, je ne peux présumer que la division générale aurait fait de l’employeur un mis en cause à sa demande. L’employeur aurait dû convaincre la division générale qu’il avait un intérêt direct dans la décision.

[37] Je n’accorderai pas de qualité à l’employeur parce qu’il regrette de ne pas avoir demandé à la division générale d’être mis en cause.

La décision est diffamatoire

[38] L’employeur croit également qu’il fait « l’objet de la décision » parce qu’il considère que le témoignage du prestataire, tel que résumé dans la décision, est diffamatoire. Il a écrit ce qui suit : [Traduction] « Nous interjetons appel de la décision, non pas pour revenir sur ce que [le prestataire] a reçu du Tribunal, mais bien pour faire appel du document publié qui porte atteinte à notre organisation. »

[39] Je reconnais que le témoignage du prestataire — tel qu’il figure dans la décision de la division générale — peut offenser l’employeur. Il peut également aller à l’encontre des constatations et de la conclusion de la division générale. Toutefois, l’employeur a eu l’occasion d’écarter le préjudice potentiel de la décision en montrant à la division générale comment ses intérêts étaient susceptibles d’être lésés s’il ne pouvait pas participer. Si la division générale avait fait de l’employeur un mis en cause, il aurait eu qualité pour interjeter appel de la décision.

[40] L’employeur ne devient pas l’objet de la décision parce que le dossier public du témoignage du prestataire est offensant pour l’employeur. Cela signifierait que presque toutes les personnes qui n’aimaient pas les propos d’un témoin à leur sujet (du moins s’ils figuraient bien dans le témoignage du témoin) pourraient se voir accorder la qualité.

Conclusion sur la qualité

[41] L’employeur n’a pas qualité pour interjeter appel devant la division d’appel.

[42] Comme je n’autorise pas l’employeur à interjeter appel, je n’ai pas à me demander si je devrais accorder la permission d’en appeler.

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