Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : JK c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2023 TSS 811

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi

Décision

Partie appelante : J. K.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (467978) datée du 11 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Leanne Bourassa
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 11 janvier 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 14 avril 2023
Numéro de dossier : GE-22-3202

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec le prestataire.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui a entraîné sa suspension). Par conséquent, le prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi pendant la période de sa suspension.Note de bas de page 1

Aperçu

[3] Le prestataire travaille dans un établissement de soins de longue durée auprès d’adultes vulnérables. Le gouvernement provincial a mis en place une directive concernant la vaccination pour les employés des établissements de soins de longue durée. L’employeur du prestataire a déclaré qu’il n’était pas autorisé à travailler parce qu’il n’avait pas respecté la directive de vaccination pour les travailleurs à domicile de soins de longue durée dans le délai fixé par le gouvernement.  

[4] Le prestataire ne conteste pas le fait qu’il ne s’est pas fait vacciner avant la date limite. Il dit qu’il voulait s’assurer que le vaccin ne provoque pas un problème de santé étant donné ses antécédents médicaux. Il ne voulait pas aller à l’encontre de la directive. Il avait eu une mauvaise réaction à un autre vaccin par le passé.

[5] La Commission a accepté la raison pour laquelle l’employeur a interdit au prestataire de travailler. La Commission a d’abord décidé que le prestataire avait été congédié en raison d’une inconduite. Le prestataire a demandé la révision de sa demande. La Commission a noté que le prestataire était retourné au travail, alors elle a modifié sa décision pour dire qu’il avait été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, la Commission a décidé que le prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi pendant la période de sa suspension.

Question que je dois examiner en premier

L’employeur n’est pas une partie à l’appel

[6] Parfois, le Tribunal envoie une lettre à l’ancien employeur de la partie prestataire pour lui demander s’il veut être ajouté comme partie à l’appel. Dans la présente affaire, le Tribunal a envoyé une telle lettre à l’employeur. L’employeur n’a pas répondu à la lettre.

[7] Pour être mis en cause, l’employeur doit avoir un intérêt direct dans l’appel. J’ai décidé de ne pas mettre l’employeur en cause dans le présent appel, car rien dans mon dossier ne laisse croire que ma décision imposerait des obligations juridiques à l’employeur.

Question en litige

[8] Le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

Analyse

[9] La loi prévoit qu’une personne ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi si elle perd son emploi en raison d’une inconduite. Cela s’applique dans les cas de congédiement et de suspension.Note de bas de page 2

[10] Pour décider si le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite, je dois décider de deux choses. D’abord, je dois décider pour quelle raison le prestataire a été suspendu. Ensuite, je dois décider si la loi considère ce motif comme une inconduite.

Pourquoi le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi?

[11] Je conclus que le prestataire a été mis en congé administratif (suspendu) parce qu’il n’a pas respecté la directive du Nouveau-Brunswick concernant les employés des établissements de soins de longue durée. Plus précisément, il ne s’est pas fait vacciner contre la COVID-19 avant le 19 novembre 2021.

[12] Le prestataire affirme qu’il a beaucoup réfléchi à la question de la vaccination. Il était inquiet parce qu’il avait déjà eu une mauvaise réaction à un vaccin. Il voulait en savoir plus sur le vaccin et n’a tout simplement pas eu le temps de le recevoir avant la date limite.

[13] La Commission affirme que le prestataire a été placé en congé administratif sans solde en raison de sa propre inconduite. Il a refusé de se conformer à la politique de vaccination obligatoire du gouvernement.

[14] Je conclus que le prestataire a été suspendu parce que la directive du gouvernement du Nouveau-Brunswick indiquait que le 19 novembre 2021, les employés qui n’étaient pas vaccinés ne seraient pas autorisés à travailler dans un établissement de soins de longue durée.

[15] C’est ce qui s’est passé dans le cas du prestataire. Le prestataire admet qu’il ne s’est pas fait vacciner avant le 19 novembre 2021 et qu’il n’avait pas reçu une exemption médicale pertinente. Je conclus donc que le prestataire a été suspendu de son emploi parce qu’il ne s’est pas conformé à la directive provinciale en matière de santé.

La raison de la suspension du prestataire est-elle une inconduite au sens de la loi?

[16] La raison de la suspension du prestataire est une inconduite au sens de la loi.

[17] La Loi sur lassurance-emploi ne précise pas ce qu’on entend par inconduite. Cependant, la jurisprudence (décisions des cours et des tribunaux) nous montre comment décider si la suspension du prestataire constitue une inconduite au sens de la Loi. La jurisprudence énonce le critère juridique de l’inconduite, c’est-à-dire les questions et les critères à prendre en considération lors de l’examen de la question de l’inconduite.

[18] Selon la jurisprudence, pour être considérée comme une inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie que la conduite était consciente, voulue ou intentionnelle.Note de bas de page 3 L’inconduite comprend également une conduite qui est si insouciante qu’elle est presque délibérée.Note de bas de page 4 Il n’est pas nécessaire que le prestataire ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal) pour que son comportement soit une inconduite au sens de la loi.Note de bas de page 5

[19] Il y a inconduite si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait l’empêcher de remplir ses obligations envers son employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié pour cette raison.Note de bas de page 6

[20] La Commission doit prouver que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite. La Commission doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que le prestataire a été suspendu en raison d’une inconduite.Note de bas de page 7

[21] J’ai seulement le pouvoir de trancher des questions en vertu de la Loi. Je ne peux pas décider si le prestataire a d’autres options en vertu d’autres lois. Il ne m’appartient pas de décider si le prestataire a été suspendu à tort ou si l’employeur aurait dû prendre des dispositions raisonnables (mesures d’adaptation) pour le prestataire.Note de bas de page 8 Je ne suis pas en mesure d’évaluer le caractère raisonnable des directives gouvernementales. Je ne peux examiner qu’une seule chose : la question de savoir si ce que le prestataire a fait ou omis de faire est une inconduite au sens de la Loi.

[22] Il y a une affaire de la Cour d’appel fédérale (CAF) appelée Canada (Procureur général) c McNamara.Note de bas de page 9 M. McNamara a été congédié de son emploi en vertu de la politique de son employeur sur le dépistage des drogues. Il a fait valoir qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que le test de dépistage n’était pas justifié dans les circonstances, notamment parce qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire qu’il était incapable de travailler de façon sécuritaire en raison de la consommation de drogues, et qu’il aurait dû être couvert par le dernier test qu’il avait passé. Essentiellement, M. McNamara a soutenu qu’il devrait pouvoir recevoir des prestations d’assurance-emploi parce que les actions de son employeur concernant son congédiement n’étaient pas correctes.  

[23] En réponse aux arguments de M. McNamara, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’elle a établi que la question dans les cas d’inconduite « n’est pas de savoir si le congédiement d’un employé était injustifié ou non, mais plutôt de décider si l’acte ou l’omission de l’employé constituait une inconduite au sens de la Loi. » La Cour a ajouté qu’en appliquant et interprétant la Loi, on doit se concentrer « non pas sur le comportement de l’employeur, mais plutôt, sur le comportement de l’employé ». Elle a souligné qu’il existe d’autres recours disponibles pour les employés qui ont été congédiés à tort, des moyens de « sanctionner le comportement d’un employeur, [des recours] qui permettent d’éviter que par le truchement des prestations d’assurance-emploi les contribuables canadiens fassent les frais du comportement incriminé ».

[24] Une décision plus récente qui suit l’affaire McNamara est Paradis c Canada (Procureur général).Note de bas de page 10 La Cour fédérale s’est appuyée sur l’affaire McNamara et a déclaré que la conduite de l’employeur n’est pas un facteur pertinent lorsqu’il s’agit de décider de l’inconduite au sens de la Loi.Note de bas de page 11

[25] Une autre affaire semblable de la CAF est l’arrêt Mishibinijima c Canada (Procureur général).Note de bas de page 12 M. Mishibinijima a perdu son emploi pour des raisons liées à une dépendance à l’alcool. Il a soutenu qu’étant donné que la dépendance à l’alcool a été reconnue comme une invalidité, son employeur était tenu de lui fournir des mesures d’adaptation. La Cour a répété que l’accent est mis sur ce que l’employé a fait ou n’a pas fait, et que le fait que l’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation pour son employé n’est pas un facteur pertinent.Note de bas de page 13

[26] Ces cas ne portent pas sur les politiques de vaccination contre la COVID-19. Cependant, les principes dans ces affaires sont toujours pertinents. Mon rôle n’est pas d’examiner la conduite de l’employeur ou les politiques gouvernementales et de décider s’il avait raison de suspendre le prestataire. Je dois plutôt me concentrer sur ce que le prestataire a fait ou n’a pas fait et sur la question de savoir si cela constitue une inconduite au sens de la Loi

[27] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • Une directive gouvernementale applicable aux résidences de soins de longue durée était en place.
  • L’employeur a clairement avisé le prestataire de ses obligations aux termes de la politique gouvernementale.
  • Le prestataire savait ou aurait dû savoir ce qui se passerait s’il ne respectait pas la politique.

[28] Le prestataire affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite pour les raisons suivantes :

  • Il avait des préoccupations légitimes en matière de santé liées au vaccin.
  • Il n’a pas été en mesure d’obtenir les renseignements dont il avait besoin pour se sentir à l’aise avec la vaccination avant la date limite.

[29] La Directive sur la vaccination pour les établissementsNote de bas de page 14 de soins de longue durée du Nouveau-Brunswick précise que les employés avaient jusqu’au 19 novembre 2021 pour fournir à leur employeur la preuve qu’ils avaient été entièrement vaccinés contre la COVID-19. Un employé (sans exemption médicale valide appuyée par un certificat médical) qui n’est pas entièrement vacciné au plus tard le 19 novembre 2021 n’est pas autorisé à travailler dans l’établissement [mis en évidence dans l’original].

[30] Le prestataire savait ce qu’il devait faire en vertu de la politique de vaccination et ce qui se passerait s’il ne la respectait pas. Il a déclaré qu’il savait que s’il n’était pas vacciné, il ne serait pas autorisé à se présenter au travail. Il savait qu’il n’aurait pas d’emploi s’il n’était pas vacciné.

[31] Le prestataire soutient qu’il n’avait pas vraiment l’intention de refuser de se faire vacciner. Il s’est rendu à une pharmacie où l’on vaccinait les gens, mais lorsqu’il a lu la dispense requise pour recevoir le vaccin, il a décidé qu’il ne l’obtiendrait pas ce jour-là.

[32] Je retiens de la preuve que le prestataire a eu de graves problèmes liés à la toxicité des métaux lourds dans le passé. Ainsi, il s’inquiétait des ingrédients du vaccin. Il était préoccupé par le fait que le vaccin pourrait déclencher une réaction grave. 

[33] Je tiens à souligner qu’avant la date limite du 19 novembre 2021, le prestataire semble avoir pris certaines démarches pour se renseigner sur les ingrédients des vaccins. Il a consulté une infirmière et un pharmacien et a fait des recherches sur Internet pour trouver l’information dont il avait besoin.

[34] Le prestataire explique également qu’il a été malade après avoir reçu un vaccin contre la grippe il y a plusieurs années. Toutefois, il n’a fourni aucune preuve montrant que la réaction qu’il a eue était directement liée à ce vaccin.

[35] Je comprends l’inquiétude du prestataire. Je constate également que la collecte des renseignements dont il avait besoin au sujet du vaccin a pris un certain temps.

[36] Toutefois, je signale que lorsque la Commission a parlé au prestataire le 8 mars 2022, il n’avait pas consulté son propre médecin au sujet de ses préoccupations quant au vaccin. À l’audience, le prestataire a déclaré qu’il avait parlé à son médecin, mais qu’elle ne lui avait pas accordé d’exemption médicale malgré ses antécédents médicaux. Elle lui a même dit qu’il devrait probablement se faire vacciner.

[37] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les raisons suivantes :

  • L’employeur était assujetti à la directive provinciale sur la vaccination et risquait de perdre du financement provincial si ses employés ne s’y conformaient pas.
  • L’employeur a clairement communiqué au prestataire ce à quoi on s’attendait de lui vu ce que prévoyait la directive en matière de vaccination. 
  • L’employeur a tenu plusieurs réunions auxquelles le prestataire a assisté afin de communiquer ce à quoi on s’attendait.
  • Le prestataire connaissait ou aurait dû connaître les conséquences du non-respect de la politique de vaccination de l’employeur.

Donc, le prestataire a-t-il été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite?

[38] À la lumière de mes conclusions précédentes, je conclus que le prestataire a été suspendu de son emploi en raison d’une inconduite.

[39] En effet, les actions du prestataire ont mené à sa suspension. Il a agi délibérément. Il savait que s’il ne se faisait pas vacciner avant le 19 novembre 2021, il allait probablement être suspendu de son emploi.

[40] Comme le prestataire est bel et bien retourné travailler chez son employeur après la levée de la directive sur la vaccination, sa suspension a pris fin à ce moment-là. Son inadmissibilité prendrait donc fin le 1er avril 2022.

Conclusion

[41] La Commission a prouvé que le prestataire a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Par conséquent, le prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[42] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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